déjeuner avec La Tâche 1956 vendredi, 28 mars 2008

L’ami qui a apporté le Vega Sicilia au déjeuner chez Laurent doit fêter l’anniversaire d’un des ses amis né en 1956. Il a prévu de lui ouvrir La Tâche Domaine de la Romanée Conti 1956 et me demande si je veux me joindre à eux. Une telle idée ne se refuse pas. J’arrive au restaurant La Truffe Noire à Neuilly-sur-Seine et mon ami attend avec la bouteille de La Tâche ouverte ce matin à 8 heures. Le niveau est assez bas et le bouchon, comme d’habitude, est noir sur les trois quarts de sa longueur, et sent encore, plus de quatre heures après l’ouverture, la terre noire légèrement humide. Je sens le vin par le goulot. La terre, le sel, l’humus et une certaine acidité sont perceptibles.

Mon ami a aussi prévu un vin blanc de Hongrie, un Tokaji Furmint Mandolas Oremus 2004 qui présente la caractéristique d’être produit et distribué par Vega Sicilia Unico. Ce vin titre 13°. Nous voyagerons aussi avec un vin espagnol Priorat L’Ermita 1995 vieilles vignes.

Le fêté arrive et selon la tradition des restaurants de truffes, on nous fait sentir un bocal de truffes. Et, surprise, surprise, ça sent la truffe.

Les asperges vertes sont croquantes à souhait, mais trois seulement, ça fait un peu chichounet. Le vin blanc a de l’expression, d’une modernité colorée. Il ne brille pas par une intelligence évidente et s’apparente trop à des vins internationaux aux traits grossiers, mais le jugement s’adoucit sur la nourriture dont il avait besoin.

Le ris de veau est délicieux, traité avec intelligence et la truffe lui apporte plus qu’elle ne le fait aux asperges. Mon ami me verse le premier verre de La Tâche, d’une couleur inquiétante. La couleur tuile est orangée, le vin n’est pas très homogène. Je sens qu’un léger soupçon de bouchon, infime, se déclare. La cause est-elle entendue ? Tout l’indique. Et c’est à ce moment que l’on prend conscience de l’inanité de tout préjugé sur le vin. Mon ami complète mon verre d’un peu du milieu de la bouteille, ce qui donne plus de consistance à la couleur, et le goût en bouche ne reflète plus la vieillesse que les yeux et le nez détectaient. Il y a dans le goût des racines bourguignonnes, du sel comme souvent dans les vins du domaine. Puis comme l’effeuilleuse qui enchaîne les suggestions dans une savante progression, on voit apparaître de l’écorce d’orange, du pruneau et de la rose joliment exposée. Mais c’est surtout le charme qui envoûte, délicieusement féminin, raffiné, et notre plaisir n’est pas de l’autosuggestion, il est réel. Bien sûr, en filigrane, la fatigue du vin n’est pas absente. Mais le charme et le plaisir dominent. Jamais la première approche n’aurait indiqué un tel niveau de qualité. Il y a l’originalité de La Tâche, poussée ici vers une séduction rare. Cette année 1956 très porteuse de risques sait parfois faire émerger des pépites. La Tâche 1956 en est une.

Le Priorat qui arrive à la suite fait un peu équarisseur dans un magasin de lingerie fine. Mes amis l’éreintent un peu et je leur fais remarquer que si ce vin était associé à un vin français de la même trempe, il serait loin de jouer les seconds rôles. Bien sûr, ce vin est influencé par toutes les tendances des vins modernes. Il ne donne pas dans la dentelle et la finesse des tannins n’est certainement pas le commentaire qui le concerne. Il arrache les gencives. Mais dans un autre contexte, je le trouverais volontiers plaisant. L’ami fêté nous a offert le repas. Les excès de générosité ont ceci d’intéressant qu’ils sont contagieux et qu’on devient rapidement accro. Ces plaisirs auront des suites.

Salon 1997 : chut ! jeudi, 27 mars 2008

Ce champagne fera son entrée officielle dans le monde, son bal des débutantes, en avril 2008.

Je n’ai donc pas le droit d’en parler. Cette photo est donc celle d’un OVNI (objet vineux non identifié).

Vous en saurez plus bientôt.

 

Merci lecteurs fidèles ! jeudi, 27 mars 2008

J’envoie le bulletin de wine-dinners à 880 destinataires directs par mail, en plus des envois par courrier.

Depuis le mardi 25 mars, au lieu de mettre le bulletin en pièce jointe, j’ai indiqué de venir prélever le bulletin sur le blog, ce qui fait gagner du temps en diffusion.

Au 24 mars au soir, il y avait sur le mois 23.031 visites du blog, soit 960 par jour.

Le 25 mars il y a eu 1.505 visites et le 26 mars 1.236 visites. Sur ces deux jours, cela fait 821 visites de plus que la moyenne du mois.

Ceci veut dire que l’immense majorité des lecteurs est venue consulter le blog pour y prélever le bulletin.

Ceci me remplit d’aise.

Merci fidèles lecteurs car c’est un encouragement fort.

Pour vous récompenser, j’ai mis tous les 266 bulletins, qui peuvent ainsi être copiés ou imprimés.

Merci.

Tous les bulletins de wine-dinners sont sur le blog ! jeudi, 27 mars 2008

Tous les bulletins sont sur le blog !

Presque toutes les semaines, j’envoie le bulletin de wine-dinners à plus de mille destinataires directs (mails et lettres).

Cela a commencé en décembre 2000.

Nous en sommes aujourd’hui au numéro 266.

Le bulletin reprend l’essentiel des messages qui sont sur le blog, mais la forme littéraire est plus travaillée, car je relis plus d’une dizaine de fois chaque bulletin, alors que les messages du blog sont écrits dans l’immédiateté.  

Vous pouvez imprimer chaque bulletin ou le garder en mémoire sur votre ordinateur. Pour cela, allez dans la catégorie "bulletins" de ce blog, et cliquez sur le bulletin de votre choix. Le n° est composé des trois chiffres qui suivent les lettres WDN.

Le bulletin était au début de deux pages. Il est passé rapidement à quatre pages. Il a rarement dépassé ce nombre.

Vous pourrez regarder les photos de la première page avec leur commentaire. C’est assez varié.

Les bulletins n° 100 et 200 n’ont existé que sous forme papier. Le 100ème avait été envoyé par poste. Le 200ème a été remis lors de rencontres, sans donner lieu à diffusion postale.

Bonne lecture !

dégustation des 2006 de Bouchard Père & Fils mercredi, 26 mars 2008

Le groupe Henriot réunit chaque année des professionnels du vin pour présenter ses vins. Il s’agit aujourd’hui des 2006 des maisons William Fèvre, Bouchard Père & Fils et Henriot. Une belle salle de l’hôtel Meurice est très appropriée à la dégustation comparative de ces vins. Dans les grands crus de Chablis, je suis à ce stade de leur vie plus sensible au Chablis Bougros William Fèvre 2006 qu’au Chablis Les Clos William Fèvre 2006 dont le final indique qu’il aura un avenir plus brillant.

Les rouges de Bouchard sont en 2006 d’une précision et d’une accessibilité gustative qui méritent une mention. On sent que la nouvelle cuverie permet un travail plus maîtrisé. J’adore le Nuits Cailles Bouchard P&F 2006, le Corton Bouchard P&F 2006 et j’ai un faible pour le Chambertin Clos de Bèze Bouchard P&F 2006. Le Beaune Grèves Vigne de l’Enfant Jésus Bouchard P&F 2006 est l’enfant chéri de la victoire, mais son aîné de 1999 lui montre qu’il aura encore du travail à faire avant de l’égaler. Un jéroboam du Corton Bouchard P&F 1990 est diablement tentateur. Je n’ai pas frémi autant que je l’aurais imaginé, car je pense que ce vin a besoin d’une bonne décennie de plus pour révéler tout son talent.

Les blancs de Bouchard, c’est la planète d’excellence de ce domaine. Le Meursault Génévrières Bouchard P&F 2006 est déjà charmant, le Corton Charlemagne Bouchard P&F 2006 est noble. Le Chevalier Montrachet Bouchard P&F 2006 me fait la même impression que les Chablis : je le préfère au Montrachet Bouchard P&F 2006 car ce dernier va enclencher la vitesse supérieure dans quelques années. Avec le Chevalier Montrachet 1998 on est à la limite de la luxure. Le Corton Charlemagne 1983 servi en magnum combine jeunesse et sérénité. Il y a un accomplissement dans les blancs qui mérite les éloges.

Je n’ai pas boudé les champagnes mais l’appel des meilleurs était trop tentant. Le champagne Henriot Cuvée des Enchanteleurs 1995 est déjà un grand champagne. La vedette incontestée est le 1975 servi en magnum, d’une assurance et d’un équilibre qui me plaisent au plus haut point. Il a un potentiel d’inventivité gastronomique de première grandeur. J’ai remercié chaleureusement Stéphane Follin-Arbelet qui nous avait reçus de façon royale au château de Beaune, lors du voyage avec mon ami collectionneur américain. J’ai félicité Joseph Henriot pour le récent achat qu’il vient de faire d’un grand domaine en Beaujolais, qu’il compte gérer en tant que beaujolais sans mimétisme de la stratégie de Bouchard. Les équipes du groupe Henriot sont extrêmement motivées. Leurs vins sont bons. Le succès est la récompense du travail bien fait.

déjeuner d’amis au restaurant Laurent avec deux vins algériens rares jeudi, 20 mars 2008

Un des plus fidèles de mes dîners est devenu un inconditionnel des vins anciens. Il m’invite à déjeuner avec deux autres amis, grands amateurs de vins anciens eux aussi. La table est retenue au restaurant Laurent. J’ai apporté deux jours avant une bouteille pour compléter le programme de ce repas, dont l’épicentre est un Royal Kébir 1923, vin que l’ami avait acheté avec l’intention de le boire avec moi, ce que j’apprécie beaucoup. Didier Depond m’avait donné la veille le restant du champagne dont je n’ai pas le droit de parler. Nous trinquons sur les dernières gouttes de cet ovni de champagne que bien évidemment je ne commenterai pas.

Mes amis ont pris le foie gras délicieux d’Alain Pégouret et j’ai pris des escargots pour accompagner deux vins de 1923 : le Royal Kébir, vin d’Algérie 1923 et le Vougeot les Cras Liger-Belair 1923 apportés par notre hôte. J’ai un grand amour pour ce vin d’Algérie dont j’ai acheté beaucoup d’exemplaires, et je retrouve une chaleur humaine, une générosité à peine atténuées par l’âge. Le final de ce vin est très élégant, dans des tons de framboise. Le vin de Bourgogne est animal, viande, très bourguignon. Il accuse une légère fatigue mais le message est riche d’intérêt.

On nous sert maintenant le vin que j’ai fait ouvrir avant dix heures ce matin par Patrick Lair. L’année est difficile à lire mais des yeux plus jeunes que les miens lisent 1935. Il s’agit d’un Frédéric Lung vin d’Algérie 1935. Ce vin est absolument magnifique. On pourrait le définir en pensant à un grand vin du Rhône où se glisseraient quelques gouttes de Porto. Légèrement torréfié, il a des notes de café. C’est son équilibre qui est spectaculaire. Il est dans la plénitude de ses moyens, ne montrant aucun des signes d’âge que révèlent les 1923, surtout le bourguignon. Si j’ai choisi ce Frédéric Lung, c’est que cette maison est devenue propriétaire de Royal Kébir. La continuité historique est là.

Un des amis a apporté Vega Sicilia Unico 1979. Ce qui le caractérise avec une grande évidence, c’est la confiture de mûre. Et c’est sans doute une des premières fois que je constate avec autant d’évidence la menthe, l’After Eight dans un vin. Bien qu’ouvert tard, ce vin est frais, élégant et beau.

En revenant sur chacun des vins, je constate que le plus chaleureux et joyeux est le 1935. Mais la race du 1923 est certainement plus affirmée par une grande complexité de trame. La rondeur du 1935 est éblouissante. Il combine la puissance et l’invasion en bouche. Il est grandiose.

Comme il est l’heure du fromage alors qu’autour de nous les tables se vident, sauf une où des personnages importants du monde du vin devisent, notre hôte fait ouvrir un Château Margaux 1937. J’en ai bu plusieurs de la réserve du restaurant Laurent. Une bouteille est éliminée par Patrick Lair et celle qui nous est servie est certainement le meilleur Margaux 1937 que j’aie bu ici. Ouvert sur l’instant il est gracile, délicat, avec des accents de groseille blanche et un très proustien retour d’écurie.

Je fais pour moi-même un classement : Frédéric Lung vin d’Algérie 1935, Royal Kébir Algérie 1923, Vega Sicilia Unico 1979, Vougeot les Cras Liger-Belair 1923.

Pour les soufflés, la générosité insiste car c’est un Château Sigalas-Rabaud 1967 d’un or délicat qui laisse sa lourde trace dans nos gosiers conquis. C’est alors que surgit Bernard Antony, le grand fromager ami, qui nous ordonne de goûter un morbier et un brebis corse de son affinage. Je lui fais examiner l’accord qui se crée entre le brebis corse et le sauternes. Bernard est très surpris que cela marche si bien.

Quand nous quittons la table, la pause du personnel du restaurant est largement compromise. Entre complices amoureux des vins anciens, nous avons servi une bien jolie messe en l’honneur des vins anciens.

le 100ème dîner de wine-dinners – les préparatifs mercredi, 19 mars 2008

Le centième dîner de wine-dinners se prépare. Les vins, le lieu, la date, les convives, tout est déjà déterminé. S’agissant d’un lieu où je n’ai jamais organisé un dîner, la coordination avec le chef est essentielle. N’écoutant que mon sens du devoir, je me rends au château de Saran, demeure résidentielle de réception du groupe Moët & Chandon, puisque c’est là que se tiendra ce dîner, grâce à la gentillesse et l’amitié des dirigeants dont en particulier Jean Berchon, l’un des plus fidèles membres de l’académie des vins anciens. Etant en avance, je me rends au siège du champagne Salon pour saluer Didier Depond, son président. L’ordonnancement de la communication étant un sujet sensible dans le monde du champagne, je bois un champagne dont on me demande de ne pas parler. Je n’en dirai rien.

Je suis accueilli au château de Saran par deux rayons de soleil, d’abord celui de notre astre qui était bien discret depuis quelques semaines, ensuite celui d’Hélène Feltin, nouvelle directrice du patrimoine du groupe Moët et maîtresse de ce château. Jean nous rejoint et nous allons saluer en cuisine Bernard Dance, le chef de cuisine qui a composé un menu de travail pour que je commente chaque plat en fonction des personnalités des vins prévus pour le centième. Jean m’annonce les vins de Moët & Chandon qui seront ajoutés, car il est évident que les champagnes ne viendront d’aucune autre origine. Jean m’avait promis que je serais content. Il a raison.

Bernard Dance, formé dans plusieurs restaurants trois étoiles de France a déjà une grande habitude des accords mets et vins, car aussi bien Jean Berchon que Richard Geoffroy cisèlent les saveurs qui doivent accompagner les champagnes ‘maison’. Je découvre des plats épurés, lisibles, ce qui me facilite grandement la tâche de mise au point. Nous avons mille fois changé d’orientation, modifié les sauces ou l’esprit des plats, retiré certains et ajouté d’autres et une solution est apparue, où nous mêlerons le rassurant et l’osé, le confortable et la confrontation. Il me semble que la synthèse est cohérente. Je ne résiste pas au plaisir d’en livrer le secret.

L’apéritif au salon se fera autour d’un champagne Dom Pérignon Oenothèque 1973 en magnum. De petites tuiles, du jambon en fines tranches et des toasts à l’anguille fumée l’accompagneront.

Nous passerons à table et un champagne Moët & Chandon 1975 en magnum sera agrémenté d’un velouté de sole puis d’une langoustine baignant dans une sauce orientale très typée. Un Rilly rouge Moët & Chandon 1928 accueillera une sole au caviar.

Le Château Margaux 1959 voisinera avec un turbot léchant un jus de veau et Pétrus 1953 nagera avec un rouget baigné d’une sauce légère au vin rouge.

Une pause avant les bourgognes sera faite avec un champagne Moët & Chandon 1921 dégorgé à la volée devant nous pour lequel sera servi un ris de veau nu.

La Romanée Conti domaine de la Romanée Conti 1972 et le Vosne Romanée Cros Parantoux Henri Jayer 1987 voisineront avec un agneau en croûte légère et navet confit au jus. La Côte Rôtie La Mouline Guigal 1978 courra avec un râble de lièvre rôti.

Le Montrachet domaine de la Romanée Conti 1972 sera confronté à un plat très osé, un pigeon molé dont j’ai demandé que l’on adoucisse la présence envahissante. Un Crémant Moët & Chandon 1928 et un Vin Blanc d’Arlay Jean Bourdy 1888 se mesureront sur un Comté.

Le Château d’Yquem 1904 aura pour compagnon un des classiques de mes dîners, fait de mangues et pamplemousses roses juste poêlés et caressés d’une infusion de thé. Le vin de Chypre 1845 se consolera de madeleines au miel.

Nous passerons au salon pour goûter un champagne Moët & Chandon 1959 en magnum et un champagne Mesnil Moët & Chandon 1900 sur des tuiles et des financiers.

Tout au long de notre déjeuner avec Jean et Hélène, l’excitation montait, car la composition de ce programme est particulièrement motivante. Bernard Dance était heureux de voir nos réactions sur sa cuisine intelligente et d’une grande lisibilité. Ces travaux pratiques m’ont offert un grand moment de plaisir sur un Champagne Dom Pérignon 1999 qui s’améliore à chaque fois que je le bois, aux chauds accents de crème caramel et aux évocations florales gracieuses.

Je crois que nous préparons un grand dîner.

P.S. le menu qui me fut servi au château de Saran :

Velouté de sole

Filet de sole au caviar d’Aquitaine et cerfeuil

Homard à la vanille

Turbot rôti jus salé à l’anchois

Langoustines Thaï

Filet d’agneau en croute de truffe noire

Canard à l’orange

Foie-gras poêlée aux épices douces

Ris de veau aux morilles fraîches

Pigeon molé

Fromages

Délice chocolat blanc citron vert

Glace au poivre de Sechuan

Ananas confit aux épices, glace coco

Zéphyr chocolat noire et griottines

dégustation des vins du domaine de Vogüé aux Caves Legrand mardi, 18 mars 2008

Avec une grande régularité, des dégustations aux Caves Legrand suscitent mon intérêt. Cette fois-ci, ce sont les vins du Domaine de Vogüé qui sont à l’honneur. François Millet, chef de cave et œnologue nous fait une présentation sincère, vivante et explicative.

Le Bourgogne Blanc Domaine de Vogüé 2004 est en fait le Musigny blanc du domaine. Les vignes étant récentes, replantées de 1986 à 1997, ce nom générique a été choisi. Pour imaginer l’ampleur de ce choix, c’est un peu comme si le Domaine de la Romanée Conti avait appelé la Romanée Conti « Bourgogne rouge » pour les décennies 50 et 60. Le vin a une belle fraîcheur acide, d’agrumes et de poires. Le final minéral citronné évoque les fleurs blanches.

Le Chambolle Musigny Village Domaine de Vogüé 2004 est d’un rubis rose, le nez assez discret est de cerise rouge. En bouche le vin assez rêche, astringent est un peu fumé. Sans rondeur il est un peu strict pour mon goût, marqué par les fruits rouges amers et la cerise à l’eau de vie.

Le Chambolle Musigny Premier Cru Domaine de Vogüé 2004 est d’un rouge plus soutenu. C’est un vin issu des jeunes vignes de Musigny. Le nez est plus généreux. Plus riche en bouche, son fruit est plus assumé. C’est toujours strict, au final de feuilles d’artichaut. On sent de la matière et des notes assez jolies. Le final claque bien. François Millet évoque la framboise, la grenade, la crème de cassis et les épices douces ainsi que les fleurs roses.

Le Chambolle Musigny Les Amoureuses Domaine de Vogüé 2004 a un rubis rose soutenu. Le nez est discret, peu ouvert. Le fruit est plus joyeux, combiné à de la minéralité et de l’astringence. Le poivre se révèle dans un peu de figue fraîche. J’aime un peu moins le final, à ce stade, que celui du premier cru.

Le Bonnes-Mares Domaine de Vogüé 2004 a un rubis rose soutenu. Le nez est profond : « ça c’est du nez ». Le vin est puissant, lourd, le fruit est noir et le végétal est poivré. Le final très joli est enlevé. Mais le vin est très jeune, comme s’il n’était pas encore totalement assemblé. Au sujet de la jeunesse, François Millet regrette que les 2005, année mythique, soient déjà sur la carte des restaurants. Il estime que du fait de la curiosité pour le millésime, il est probable qu’un tiers des vins ont déjà été bus, ce qui est triste quand on sait ce qu’ils peuvent devenir.

Le Musigny Domaine de Vogüé 2004 est d’un rouge foncé presque noir. Le nez est intense. Il est onctueux, joyeux, et déjà buvable. Le final est profond, complexe et beau avec des fruits noirs et un peu de poivre.

Ayant exploré les vins de 2004 du domaine nous allons maintenant nous concentrer sur les Bonnes-Mares et les Musigny pour trois années, 1999, 1991 et 1989. Le Bonnes-Mares Domaine de Vogüé 1999 est d’un rouge très soutenu et d’un nez profond et distingué. J’écris : « wow, ça commence à être du vin ! ». Il est fluide, de fruits noirs et de fleurs mauves. Le final est triomphant. C’est un vin très racé, fluide. Il est à noter que le Musigny 2004 commence à s’ouvrir.

Le  Musigny Domaine de Vogüé 1999 est d’un beau rouge. On sent en bouche que c’est extrêmement jeune. Les fruits sont noirs et rouges, mais plus rouges que pour le Bonnes-Mares. Le vin est rigoureux. Il a moins de rondeur que le 2004 à ce stade de sa vie. Il est encore très fermé. Le Bonnes-Mares est plus mûr que le Musigny. Ce Musigny promet. Il a du corps de la fraîcheur et de la concentration. Le Bonnes-Mares est beau quand il s’ouvre dans le verre, puissant et profond.

Le Bonnes-Mares Domaine de Vogüé 1991 est foncé. Le nez est assez déplaisant, un peu suri. En bouche le vin est magnifique de fruits noirs, de myrtilles. Il est très plaisant et très bourguignon. Les fruits confits et le poivre marquent le goût.

Le Musigny Domaine de Vogüé 1991 est d’un rouge noir et d’un nez minéral. Le vin est très séduisant, flatteur au poivre bien dosé. Le vin est racé, le poivre devient plus insistant. Ce vin est encore trop jeune.

Le Bonnes-Mares Domaine de Vogüé 1989 a une robe beaucoup plus ambrée vers le rouge orangé, montrant une évolution. Le nez combine le minéral et l’animal. En bouche, c’est beau et déjà secondaire. Il y a du poivre et moins de fruit mais beaucoup de personnalité. Il est plus bourguignon, astringent.

Le Musigny Domaine de Vogüé 1989 est d’un rouge noir. Le nez est racé, subtil, poivré. Son attaque est chaleureuse, il est rond en bouche, structuré, charmeur. Magnifiquement subtil, c’est un grand vin.

Je reviens en arrière pour constater que le Bonnes-Mares 1989 a du caractère et que le 1991, beau aussi a déjà des tons de vins anciens. Le Musigny 1991 est plus rond, plus chaleureux et le Musigny 1989, charmeur, soyeux, subtil est un grand vin. Autour de moi, certains amateurs préféraient les Bonnes-Mares. Mon penchant est pour les Musigny.

Tous ces vins sont caractérisés par la minéralité, le poivre, les fruits noirs intenses et l’astringence. De ce fait, ce sont des vins qui demandent une très longue maturation et plusieurs dégustateurs dans la salle se plaignaient du fait qu’il est très difficile d’attendre les vingt années minimum qui seraient nécessaires pour profiter de ces grands vins. Car ils ont besoin de vieillir, contre la tendance actuelle de consommation. François Millet nous a appris beaucoup d’éléments intéressants sur ce domaine attachant. Cette dégustation a permis de mieux le comprendre. Reste maintenant à trouver ces vins passionnants et à les déguster à leur apogée.

98ème dîner de wine-dinners au restaurant Le Divellec jeudi, 13 mars 2008

Le 98ème dîner de wine-dinners se tient au restaurant de Jacques Le Divellec. J’aime bien faire un dîner avec ce jeune septuagénaire plein de vie, d’ardeur et de projets, qui prend chacun des dîners que nous faisons ensemble comme un nouveau challenge. De la part d’un chef qui n’a plus rien à prouver, cela me ravit encore plus. Olivier a déjà préparé les bouteilles pour que je les ouvre, ce que je fais devant un photographe et un journaliste chargés de couvrir cet événement. Tout en opérant je réponds aux questions, et je rate une procédure, aussi une petite partie du bouchon de l’Yquem tombe dans la bouteille. Nous avons carafé, ce qui pour un « jeune » Yquem s’est révélé opportun. Une fois de plus, le haut du bouchon d’un vin de la Romanée Conti sent la terre, cette terre bourguignonne profonde qui provient de l’exsudation du bouchon. Une poudre noire couvre le sommet et le bouchon est noir sur les deux tiers et bien souple et avenant sur la partie au contact du vin.

Le journaliste allemand a une grande expérience des tables et des vins français aussi nous bavardons à perte de vue. Il fait vite soif et je fais ouvrir par Olivier un Champagne Laurent Perrier 1997 qui permet de deviser de plus belle et d’accueillir les convives. Il y a de solides piliers de mes dîners et comme Jacques Le Divellec participe à une autre table à un dîner fort important qui réunit des personnages qui comptent dans la République (c’est une spécialité de cette maison), j’ai limité notre table à six convives, sans pour autant réduire le nombre de vins. Deux novices reçoivent les consignes habituelles pendant que nous attendons le retardataire de service.

Le menu élaboré par Jacques Le Divellec est le suivant : Huitres plates Prat-ar-Coum en gelée et oursins / Emincé de Saint Jacques au Foie Gras de Canard poêlé / Bar sur peau croustillante réduction de Truffes noires / Homard braisé au Vieux Bourgogne / Fromages / Sabayon aux fruits exotiques.

J’avais ajouté à la liste des vins une bouteille de Champagne Mumm 1937 en vidange, c’est-à-dire qui a perdu près d’un tiers de son volume. Avec les habitués de ce soir, je peux prendre ce risque que j’explique : si le vin a été en contact avec l’enveloppe métallique, le vin est imbuvable. Si ce contact n’a pas existé, les saveurs de ces champagnes sont passionnantes. C’est donc du tout ou rien. Olivier me sert, et instantanément, je sens que c’est gagné. La surprise vient du fait que malgré la baisse de volume, il y a encore de la bulle. Le champagne s’est ambré dans des tons de rose et en bouche, il a des accents de champagne rosé. Je vois des évocations de groseilles à maquereau. Ce champagne absolument délicieux est agréé par toute la table. Il réagit bien aux amuse-bouche dont un toast au rouget divinement saisi.

Le Champagne Salon 1976 est certainement le meilleur Salon 1976 que je n’aie jamais bu. C’est une bonne nouvelle, car cela montre que le 1976 évolue encore en s’améliorant, signe de sa jeunesse. J’aurais volontiers tendance à dire qu’il est à un moment idéal pour Salon. Il n’a pas encore la maturité assise d’un 1959, qui est l’un des plus grands Salon, mais il a toujours la folle jeunesse qui est toute excitante. L’accord du Salon avec l’oursin est pénétrant. Les gargantuesques lamelles d’oursin ont un sucre dosé qui excite délicieusement la bulle du champagne. Au contraire, avec l’huître goûteuse, le champagne a un rejet, comme si l’iode violent l’étouffait et je fais anticiper l’entrée en scène du Bâtard Montrachet François Gaunoux 1962. L’accord est beaucoup plus convaincant, la solidité du Bâtard domptant la fougue marine des délicieuses huîtres en gelée.

La chair des Saint-Jacques est exceptionnellement bonne, et le Bâtard-Montrachet joyeux est à son aise. Je triche un peu en essayant le foie gras aussi sur le Salon 1976 et le mariage est meilleur qu’avec le  Bâtard pour le foie gras et je n’ai éprouvé le besoin d’essayer sur les coquilles. Mais, soyons plus coquin, et c’est avec le Mumm 1937 que le foie gras est encore plus mis en valeur. Vieux champagnes et foie gras, c’est un conseil que je donne souvent.

Sur le bar, j’ai prévu trois bordeaux, et je fais servir d’abord les deux demi-bouteilles. Le Château Latour 1946, comme beaucoup des vins de ce soir m’impressionne dès le premier nez. Une distinction et une classe de très haut niveau. En bouche, le vin est extrêmement précis, long, d’une élégance qui n’exclut pas la séduction. Il y a parmi nous un expert en vins qui se réjouit de voir un 1946 d’un aussi haut niveau, qui remet en cause tout ce qu’il est convenu de dire sur des années comme 1946 et sur les demi-bouteilles. Voilà un vin parfait, très largement au dessus de ce que je pouvais imaginer.

A côté de lui, Pétrus 1967 montre sa différence. Ce vin est féminin et tout en séduction. Il y a du velouté, du discours en catimini, de la voilette qui dévoile ou de l’éventail qui envoûte. Ce pourrait être une Catherine Zeta-Jones, mais elle se tient discrète. La cohabitation n’est pas à l’avantage de Pétrus, et c’est encore plus marqué quand apparaît Château Latour 1934. J’ai eu la chance de boire trois fois ce vin sur les deux derniers mois. Une fois avec Frédéric Engerer au château Latour, une fois avec Olivier Bertrand et Etienne de Montille et mon ami collectionneur, et maintenant ce soir. C’est incontestablement le meilleur des trois, avec un réel écart et j’irai même plus loin, ce vin fait partie de ceux qui me font frissonner. Quelle émotion, je n’en reviens pas. Je lance même à un moment : « ce vin est délicieusement bourguignon », car il combine l’élégance, la race et la pureté, avec ce coup de poing qui déchire les tripes que seule la Bourgogne peut donner. Complexe, d’une fraîcheur extrême, jouant à égarer mes sens, ce vin est grand.

Je m’en suis voulu d’avoir mis le Pétrus entre ces deux immenses Latour, car il ne pouvait s’exprimer face à l’audace des deux vins. J’avais cru que la truffe serait un soutien actif au Pétrus, mais il eût fallu une atmosphère plus cosy pour que ce Pomerol expose son charme en toute confiance.

Décidément, les occasions de tomber de ma chaise se multiplient, car La Tâche Domaine de la Romanée Conti 1969 qu’on me sert en premier a un parfum à succomber dans l’instant. Ce vin est magnifique. Il a le charme bourguignon dans sa plus belle maturité. Ce vin est bon, bon, bon. Un des convives me dit : « avoue que tu préfères la Bourgogne ». Je crois que le problème ne se pose pas comme cela et on verra mon vote. Mais il est certain que le vin de Bourgogne est plus viscéral, charnel, quand le bordeaux élégant parle plus à l’intellect. Ce qui m’a plu, c’est qu’il était possible de revenir aux bordeaux sans perdre le fil du message de La Tâche. La sauce du homard a créé l’un de ces accords parfaits que je recherche. En buvant le vin puis en buvant la sauce et en recommençant, on ne sait plus si l’on boit la sauce ou le vin, ce qui est le signe d’un accord parfait.

Je m’émerveille d’une chose, et je n’ai pas honte de faire un plaidoyer pro domo car c’est la vérité que l’expert présent pourrait confirmer s’il en était besoin, c’est que chacun des vins que nous avons bus est arrivé au sommet absolu de ce qu’il pourrait donner. Et cette perfection de présentation est inconditionnellement liée à la méthode d’ouverture des vins. Je n’arrête pas de m’en féliciter mais je ne suis pas le seul.

J’avais demandé que l’on prévoie un saint-nectaire et un Stilton, ne sachant pas comment se présenterait le Jurançon Nicolas 1929. De belle couleur d’un rouge doré, ce qu’évoque ce jurançon, c’est la mandarine. En bouche, tout converge vers ce seul descriptif. C’est un vin étonnamment jeune et vivant, d’une simplicité roturière, mais d’un charme certain. Un vin délicieux à boire sans avoir de problème de compréhension. Le Saint-nectaire ne va pas du tout avec le jurançon. Au contraire, je fais l’intéressante constatation avec le Stilton qu’il va beaucoup mieux que le Château d’Yquem 1977 dont la puissance s’impose trop sur le fromage. Voilà un Yquem d’une année mal notée qu’il faut impérativement acheter. Rien n’est meilleur qu’un Yquem d’une année dite petite. Car il y a tellement de puissance maîtrisée que le plaisir est là. Ce vin affiche de la pamplemousse rose et du thé et constitue un dessert à lui tout seul, car le sabayon trop sucré ne lui convient pas. 

Nous procédons aux votes, et huit vins sur neuf ont droit à au moins un vote. Les votes de premier sont concentrés sur deux vins seulement, le Latour 1934 trois fois et La Tâche 1969 trois fois aussi. Le vote du consensus serait : 1 – Château Latour 1934, 2 – La Tâche Domaine de la Romanée Conti 1969, 3 – Champagne Salon 1976, 4 – Bâtard Montrachet François Gaunoux 1962.

Mon vote a été : 1 – Château Latour 1934, 2 – La Tâche Domaine de la Romanée Conti 1969, 3 – Château Latour 1946, 4 – Champagne Salon 1976.

Une table de six permet à chacun de revenir plus souvent sur des vins antérieurs car on dispose d’une plus grande quantité. Les conversations sont plus faciles et directes. Cette formule est à renouveler. Le service du restaurant Le Divellec a été exemplaire, avec une motivation qui fait plaisir. Jacques Le Divellec est heureux de faire ces expériences et je le suis autant de les faire avec lui. L’accord de la sauce du homard avec la Tâche est divin et la chair des Saint-Jacques exceptionnelle. Mes vins ont montré le plus haut niveau qu’ils pourraient offrir. Ajoutons à cela l’amitié qui me lie aux convives. On frôle l’excès de bonheur.

98ème dîner de wine-dinners – les photos jeudi, 13 mars 2008

La table est dressée quand j’arrive, et j’ai photographié le dessin de l’assiette et la serviette siglée.

Voici les vins dans l’ordre de service.

Le toast au rouget est délicieux, les oursins sont gros, comparés à ceux que je déguste en Méditerranée, et les huîtres Prat-ar-Coum sont magnifiques.

 

Les Saint-Jacques au foie gras et le bar aux truffes

 

Le homard dont la sauce a créé un accord divin et le sabayon délicieux, mais trop sucré pour l’Yquem.

 Nous avons tellement ri que lorsque la conversation dérapait, je parlais de ces protéas, fleurs sublimes d’Afrique du Sud, qui me servirent de dérivation !