97ème dîner de wine-dinners au restaurant de l’hôtel Bristol samedi, 23 février 2008

Je viens au restaurant de l’hôtel Bristol pour ouvrir les bouteilles du dîner de vins rares qui proviennent de la cave de mon ami S. et de la mienne. Le dîner se déroulant selon les canons de wine-dinners, j’ai pris l’habitude de les compter dans mes dîners officiels, aussi ce sera le 97ème dîner de wine-dinners. Les participants, en plus de S. et moi sont Etienne de Montille qui nous avait reçus aimablement au château de Puligny-Montrachet et Olivier Bernard, propriétaire de Domaine de Chevalier, ami des trois autres convives. Les deux vignerons se lanceront des petites piques amusantes, selon un rituel convenu qui veut que l’on discrédite les vins de l’autre région. Mais c’est un jeu. Les cinq vins ont des niveaux extrêmement beaux. Le Mouton a un niveau dans le goulot qui correspond au fait qu’il s’agit d’une réserve du château, reconditionnée en 1998. Son bouchon est tellement serré que je me suis presque blessé les mains en essayant de l’extirper ce qui m’a pris presque vingt minutes. Les odeurs ne m’inquiètent pas mais celle du Mouton est incertaine. William, sympathique sommelier m’a assisté pour l’ouverture et fit un service à table remarquable.

Nous nous retrouvons dans la magnifique salle lambrissée élégamment décorée, et l’on nous sert le champagne Cristal Roederer 1979 sur des amuse-bouche d’une sophistication maîtrisée. La couleur du vin est dorée, le nez subtil et en bouche il évoque le miel et la brioche. Ce champagne est déjà évolué, sa bulle est discrète et Olivier dit qu’il préfère les champagnes plus jeunes que cette forme de maturité.

Le menu préparé par Eric Fréchon et qui sera remarquablement réalisé, même un samedi, est : lentilles fondantes, œuf de caille cuit au plat, gelée de pain brulé, émulsion de jambon / tête de veau fondante, ravigotée aux anchois, câpres et piments doux / poularde de Bresse cuite en vessie aux écrevisses, royale d’abats et truffe noire / la pomme confite au caramel épicé, sorbet à la crème fermière.

Le Château Haut-Brion blanc 1955 est d’une belle couleur dorée tendant vers le jaune orangé. Le nez est très botrytisé et évoque les vieux sauternes. En bouche le vin est bien sec, mais la parenté au sauternes existe. Ce vin est très puissant, de forte personnalité. Il est très élégant et d’une race rare. D’une grande longueur, c’est un très grand vin, sans doute un peu plus évolué qu’il ne pourrait l’être. 

Lorsque S. mon ami, m’avait adressé sa liste de vins, qui inclut les deux ci-dessus plus Mouton 1934, m’inspirant de la comparaison que nous avions faite récemment au Château Latour entre Lafite et Latour, j’ai apporté Lafite et Latour 1934 pour que nous puissions faire une horizontale qui n’est pourtant pas dans la philosophie de mes dîners. Mais la circonstance s’y prêtait. Nous allons boire ces trois vins ensemble sur la délicieuse volaille présentée en deux services. Le blanc de poulet du premier service est d’une tendreté fondante.

Le Château Mouton-Rothschild 1934 a été rebouché et complété en 1998 au château. Sa couleur est trouble, malgré la semaine de repos que le vin a connu à mon domicile et en cave du Bristol car j’avais cherché les bouteilles de S. à son hôtel à son arrivée à Paris. Le vin montre une belle race, mais on ressent trop sa fatigue.

Le Château Lafite-Rothschild 1934 qui avait un bouchon d’origine, brisé en morceaux à l’ouverture mais ayant joué son rôle puisque le niveau est juste sous le goulot, a une couleur plus jeune que celle du Mouton et son nez est bizarre. Il sent fortement le soufre, ce qui me gêne plus que les deux vignerons. Je m’en veux de ne pas être venu plus tôt que 17h30 pour ouvrir les bouteilles car je sens que trois heures de plus rendraient ce vin nettement grand. Etienne pense le contraire et croit que le vin va s’évanouir. Il est extrêmement surpris que le contraire se passe : le vin amorce un retour à la vie prometteur et progressif.

C’est le Château Latour 1934 qui est le plus beau de ces trois Pauillac. Le bouchon d’origine semble fait d’un liège un peu vulgaire, mais a tenu remarquablement car seul le haut est noirci sur un centimètre, le bas montrant une belle élasticité. Le vin a une couleur dense dont le rouge rubis est d’une jeunesse fringante. Le nez est pur et profond mais c’est surtout en bouche que l’on a la noblesse veloutée de ce vin élégant. C’est un grand vin qui nous donne entièrement ce que Latour peut donner. Olivier dit que sa prestance est très supérieure à celle de l’année. Etienne n’en revient pas du retour à la vie du Lafite.

Le Château Gilette crème de tête 1937 avait lui aussi un bouchon d’origine et un niveau à la base du goulot. Le nez à l’ouverture était impérial. Le vin nous remplit les narines d’un parfum merveilleux. Ce vin, à l’instar des liquoreux de cette décennie, a perdu un peu de son sucre. Mais j’adore la noblesse que cela lui confère. Je cite à mes amis l’image du Rubik’s Cube quand on a réussi à l’assembler, car ce vin est d’un équilibre parfait. Je suis absolument conquis par ce vin d’un charme qui m’émeut. C’est l’équilibre qui me transporte d’aise. Olivier fait remarquer que mon amour pour les vieux liquoreux transpire dans tous mes écrits. La pomme confite est délicieuse sur le Gilette qui prend alors des notes plus caramélisées.

Comme il s’agit d’un dîner de wine-dinners, j’ai demandé que notre tout petit groupe de quatre vote. Une chose m’a gênée et j’en ai fait la remarque à S. Aucun de nous deux, les apporteurs des vins, n’est indifférent à l’origine du vin qu’il goûte. Ainsi S. a fait figurer dans son vote Mouton et pas Latour, contre toute logique. Je lui ai suggéré que pour nos prochains dîners, tous les vins du dîner californien soient de sa cave et tous ceux du dîner parisien de la mienne. Nous éviterons ainsi d’incontrôlées concurrences qui nuisent au plaisir.

Les six vins ont eu des votes, ce qui est sympathique, et trois vins ont été nommés premiers, ce qui montre bien la diversité de nos goûts. Le Gilette a été nommé deux fois premier, et le Haut-Brion et le Latour une fois. Le vote du consensus serait : 1 – Château Gilette crème de tête 1937, 2 – Château Latour 1934, 3 – Château Haut-Brion blanc 1955, 4 – Château Lafite-Rothschild 1934.

Mon vote est : 1 – Château Gilette crème de tête 1937, 2 – Château Latour 1934, 3 – Château Haut-Brion blanc 1955, 4 – Champagne Cristal Roederer 1979.

L’ambiance était particulièrement gaie, chacun ayant pour les autres des sentiments de respect et de chaude amitié. La cuisine du Bristol est d’une grande solidité. Le service est chaleureux, avec une volonté de plaire qui se sent à chaque détail. Pour les quatre, l’amitié s’est renforcée et les rendez-vous sont pris pour se revoir. Pour moi, ce sixième dîner à la suite a couronné une semaine unique de plaisirs inoubliables dont le dénominateur commun a été l’amitié.

dîner familial à l’Astrance vendredi, 22 février 2008

Lorsque nous nous voyons, mon ami collectionneur (appelons-le S. puisqu’il tient à son anonymat) et moi,  une fois en France et une fois en Californie, nous faisons un dîner de vins rares, où nous apportons des pièces de nos collections. Je voulais qu’il découvre la cuisine de Pascal Barbot à l’Astrance. J’avais donc réservé une table à cet effet. Mais l’agenda électronique est un animal difficile à apprivoiser, aussi ma réservation n’avait pas la même date que celle enregistrée par l’Astrance. Celle de l’Astrance est notée le vendredi, lendemain de nos agapes bourguignonnes, et la seule date possible pour S. est le samedi, jour de fermeture.

Je me tourne vers le Bristol et avec une souplesse digne d’éloge Eric Fréchon compose un menu qui sera réalisé selon ses instructions en son absence. Nous avons notre table pour le dîner final d’une semaine active. Mais la réservation à l’Astrance court toujours. Je sais que Christophe Rohat n’aurait aucune peine à nous remplacer, mais je ne suis pas raisonnable. J’avais proposé les places à des amis qui ne furent pas assez rapides à répondre, aussi la solution qui s’impose est d’aller à l’Astrance avec ma femme, ma plus jeune fille et son mari. Je sais que cette folie me fera enchaîner six dîners à la suite. La raison n’est pas ma qualité principale.

Nous commençons par un Champagne « Substance » de Jacques Selosse dégorgé le 30/08/07 qui est une solera de tous les millésimes depuis 1986. Alexandre nous pose la question d’une possible décantation. Nous préférons garder la force de la bulle. Ce champagne extrêmement typé a un goût très fumé, une bulle particulièrement active et fine, et une couleur ambrée. Il évoque avec insistance la truffe blanche ce qui va parfaitement avec la brioche à la crème à la truffe blanche, entrée que Christophe Rohat fait doubler pour que nous en profitions. Le velouté de chou-fleur, safran et zeste d’orange est un plat qui me fait immédiatement dire « Gagnaire », car cette recherche emprunte une complexité inhabituelle qui n’est pas dans le registre de Pascal Barbot. Ce sera d’ailleurs l’exception dans ce repas. Le champagne change de personnalité sur ce plat, captant le message du zeste d’orange.

Le feuilleté de champignon de Paris et foie gras est un plat culte (pour parler djeune) de Pascal. C’est la petite crème de citron qui est la touche gracieuse et indispensable de ce plat délicat. Le champagne est évidemment à son aise, insistant sur ses aspects de fumé et de brioche. Les langoustines sont d’une cuisson idéale, et la mousseline de cédrat propulse le Selosse à des hauteurs rares de vibration. Ce plat est du grand Pascal Barbot. Citron sur un plat, cédrat sur l’autre, ces clins d’œil me plaisent.

Le plat suivant est composite : une sole, des oignons, des couteaux, un citron confit (toujours la signature) et un velouté d’oursin.  Tout est divinement bon et traité pour notre ravissement mais je trouve que le sucré de l’oursin apparaît trop pour être homogène avec le reste du plat. Le Selosse s’est adapté à chaque plat. Ce champagne hors piste est un champagne de gastronomie.

L’Hermitage Chave rouge 1991 a un nez immense, d’une pureté extraordinaire. En bouche, c’est d’une complexité invraisemblable. Mon gendre dit que son goût est celui d’un pigeon à la goutte de sang. L’astringence est belle, les tannins sont très jeunes. C’est une très grande année pour l’Hermitage de Chave.

Christophe me fait une petite farce en servant le velouté de céleri et truffes noires, car la seule assiette dont le velouté n’a aucune trace noire est pour moi. Tel le joueur de poker je ne montre aucune réaction et le plat prévu arrive enfin. Christophe use de cette plaisanterie pour faire sans malice une étude de mœurs. Ce qui m’enthousiasme c’est que l’amertume du plat est strictement la même que l’amertume du vin. C’est l’accord parfait par excellence et nous le sentons en frissonnant  de bonheur. Pascal excelle pour réaliser un plat simple à la perfection. L’agneau est servi en deux cuissons avec une petite crème (toujours la petite crème) d’olive noire et de réglisse. Cette crème complexe et étonnante est acceptée par le vin qui réagit très bien. La cuisson de la viande est parfaite. Pascal Barbot réalise ici une sublimation de la cuisine bourgeoise. Il est le prince des cuissons.

Le vin qui titre 13° a une belle astringence, un poivre bien dosé et une jeunesse qui fait presque penser que le vin n’est pas encore terminé. Il a un grand avenir. Sur le blason de l’étiquette est écrit : « à bon Taing bon vin », gentil jeu de mot.

Nous goûtons un Château d’Yquem en ½ bouteille 1997 qui réagit remarquablement à une fine meringue qui enserre de l’ananas et de la noix de coco en traces discrètes. Ma femme dit que c’est l’un des plus grands Yquem qu’elle ait jamais bus, car ce vin encore jeune a une personnalité très affirmée et très équilibrée. Un dessert « voile passion » et des dés de mangue forment avec la madeleine au miel un ensemble magique et dépaysant qui salue l’Yquem comme une foule de groupies. L’Yquem est très jeune, subtil, doré, avec des dominantes de mangue et de coing. Tous les accords sont beaux, le plus sûr étant la mangue et le plus original la meringue. Le lait de poule au jasmin qui arrive maintenant sert de propulseur à l’Yquem. L’assiette de fruits frais dont le kumquat apporte son panier de sensations nouvelles. Tout est délicieux.

C’est sans doute avec la cuisine de Pascal Barbot que je sens le plus grand nombre de vibrations. Je communie à sa vision des choses. Le lendemain en me réveillant, je lis l’article de François Simon dans le Figaro qui relate une réunion où dix-huit journalistes de gastronomie de différents médias ont voté aux trois questions suivantes : quels chefs méritent leurs trois étoiles, quels chefs ne les méritent pas et quels chefs les mériteraient. Les réponses sont instructives mais ce sont les réponses de personnes qui sont toutes de la même corporation. Je relie cela à ma passion pour la cuisine de Pascal Barbot. Je suis conscient que c’est mon goût et qu’il n’est pas universel. Est-ce que dix-huit personnes d’une même profession représentent un goût universel ? Je n’en suis pas sûr. Les débats sur le passage de la deuxième à la troisième étoile animent beaucoup de discussions avant la parution du guide. Les marches entre deux niveaux d’étoiles sont trop importantes. Mais Pascal Barbot est couronné dans mon univers.

Le menu qui m’a été adressé a posteriori par Christophe Rohat :

Brioche tiède, crème fouettée à la truffe blanche / Velouté de chou-fleur, yaourt à la moutarde, lait safrané / Galette de champignons de Paris et foie gras mariné au verjus, pâte de citron / Langoustines dorées, mousseline de cédrat et légumes croquants / Sole cuite meunière, fondue d’oignons doux, couteau et coulis d’oursin / Velouté de céleri, coulis de truffe noire, parmesan fondu / Selle d’agneau grillée, jus de cuisson, aubergine laquée au miso et curry noir / Sorbet piment et citronnelle / Vague à la cassonade, crème passion-gingembre / Vacherin glacé aux agrumes et orgeat, pistaches caramélisées, sorbet pina-colada / Mangues justes caramélisées, madeleines / Mignardises / Lait de poule au jasmin

Dîner à l’Astrance – photos vendredi, 22 février 2008

la brioche à la crème à la truffe blanche arrive

 

Puis le champagne Jacques Sélosse Substance

et de nouveau cet amuse-bouche que l’on aime tant

La formation des bulles dans le verre est intéressante à observer. Elles montent en colonne et se dispersent à la surface.

 

délicieux couteaux

 

la gentille farce de Christophe Rohat : à gauche, ce qui m’est servi; à droite ce qui est servi à mes convives. Je suis resté très zen, et l’assiette a été vite changée !

 

divine viande !

 

Hermitage Chave 1991 et le début des desserts magiques

 

Qui dirait qu’une meringue se marie à Yquem ?

 

Ne dirait-on pas des scènes champêtres du temps de Watteau ou de Fragonard ?

 Même l’étiquette d’Yquem 1997 joue dans la transparence, comme la cuisine de Pascal Barbot.

dîner au domaine Faiveley – photos jeudi, 21 février 2008

La table, préparée avec délicatesse dans la cave voûtée du siège du domaine Faiveley

 

Jeu de lumière et transparence, et délicieuse entrée

 

Corton Charlemagne Domaine Faiveley 1998

 

Le dessert a joué juste sur le vin mystère de mon ami

 

Ces deux vins de 1955, Chateau Palmer et Chateau d’Yquem, cadeau de mon ami américain pour faire honneur à l’année de naissance de Bernard Hervet, de Jacky Rigaux, mais aussi la sienne !

dîner au domaine Faiveley jeudi, 21 février 2008

Nous revenons au siège et Bernard Hervet nous entraîne de nouveau dans des caves et je me demande si ce passage en cave est vraiment nécessaire. Mais, sans qu’on s’y attende, une belle salle voûtée est aménagée dans un recoin de la cave, où une table joliment apprêtée va accueillir notre dîner. C’est Thomas Protot du restaurant La Cabotte à Nuits-Saint-Georges qui a préparé la cuisine. Voici le menu : amuse bouche qui est une crème à la châtaigne et petite gamba / Saint-Jacques poêlées, pousse de soja et boudin noir / noix de veau rôtie, pulpe de racines et truffes noires / assiette de fromages / biscuit moelleux aux noix, poire pochée et confiture de lait. Nous somme particulièrement sensibles au fait d’être traités d’aussi belle façon.

Le Meursault 1er Cru « Le Blagny » Faiveley 2000 a un nez de beurre et de fumé. En bouche, c’est bon. Le final est joli. C’est un vin assez simple mais très agréable. Le Corton Charlemagne Domaine Faiveley 1998 a une magnifique couleur dorée. Le nez de petit mousseron est charmant. Le vin est opulent et généreux.

Le Mazis-Chambertin Domaine Faiveley 1996 a un nez sauvage, fragile, timide, mais de grande profondeur. En bouche il est assez strict, astringent, poivré. Il y a peu de fruits mais un poivre important. Bernard n’a pas le même avis que moi sur l’ampleur du fruit. Bernard nous donne un tuyau. Il dit que les deux rouges réussis de 1996 sont ce vin et le Richebourg d’Anne Gros 1996. Il se trouve que j’ai bu le Richebourg d’Anne Gros 1996 avec Bernard il y a quelques années chez Guy Savoy. Je partage son avis sur le Richebourg plus que sur le Mazis. Le vin qui s’ouvre maintenant dans le verre devient subtil et délicat, mais je ne rejoins pas l’enthousiasme de Bernard.

Mon ami américain nous sert un vin rouge à l’aveugle. Bernard y sent l’eucalyptus et le moka qui l’orientent vers Margaux. Jacky pense que l’année doit être 1955 compte tenu de ce qu’il ressent. Le vin est un peu fatigué et il faut dire qu’il a beaucoup voyagé. On sent que c’est un grand vin d’une trame noble, même si la fatigue se sent. On nous sert en même temps le Gevrey-Chambertin 1er Cru « La Combe aux Moines » Domaine Faiveley 1935 que Bernard ne connaît pas et découvre avec nous. Bernard n’a jamais bu de vins de cette petite année alors que j’en ai bu plus d’une demi-douzaine. Nous sommes tous éblouis par l’incroyable performance de ce vin. Il est d’un velouté que jamais son année ne devrait donner. La couleur est un peu évoluée mais belle. C’est une grosse surprise de le voir aussi vivant, velouté, passionnément bourguignon. La trace de thé en bouche est magique. Bernard ne peut pas cacher sa joie indicible d’avoir découvert un 1935 d’une telle valeur, ce qui remet en cause tout ce que l’on lit dans les livres.

Mon ami ne veut toujours pas révéler le nom de son vin que nous supposons grand car il veut que nous découvrions le deuxième vin qu’il nous sert à l’aveugle, vin de dessert. Je reconnais au nez qu’il s’agit d’un Yquem, et la couleur me porte vers les années trente, mais l’abondance du sucre me trouble car ce n’est compatible avec cette décennie. Il s’agit de Château d’Yquem 1955, très puissant et d’une trace en bouche infinie. Il y a des abricots, de la mangue confite, du coing. Le fruit est légèrement caramélisé. C’est un très grand Yquem. Nous connaissons enfin le nom du rouge : c’est Château Palmer 1955, ce qui confirme les pistes proposées par Bernard et Jacky qui sont, comme mon ami nés en 1955, ce qui n’est pas un hasard dans les choix de vins qu’il a faits. Bernard est très heureux de la générosité de mon ami américain.

Bernard Hervet a une hauteur de vue dans l’analyse des vins qui m’enchante, comme m’enchante l’approche très différente mais oh combien percutante de Michel Bettane.

Ces quatre jours passés en Bourgogne, où tous les événements ont été amicaux, personnalisés, pensés avec une attention et un soin remarquables m’ont fait un infini plaisir. Je me suis rendu compte que j’avais tissé avec quelques vignerons des relations qui dépassent de loin l’accueil formel et poli. Je repars avec une cargaison de souvenirs qui marqueront ma vie. Cette amitié montrée partout est aussi riche que les vins de ces géniaux vignerons sont bons. Vive la Bourgogne !

dégustation au domaine Faiveley jeudi, 21 février 2008

Nous arrivons au domaine Faiveley, au siège de Nuits-Saint-Georges. Nous sommes accueillis par Erwan Faiveley, jeune dirigeant du domaine et par Bernard Hervet, que j’ai connu dans le monde du vin il y a bien des années et qui est devenu un ami. Délicate attention de Bernard, il a invité Jacky Rigaux, écrivain du vin, qui a écrit notamment un livre avec Henri Jayer et avec lequel j’ai partagé plusieurs dégustations de vins rares, ami sensible dont j’apprécie les connaissances de la Bourgogne, de l’histoire et du vin. Nous discutons pendant quelques minutes avec Erwan qui ne pourra pas rester avec nous. Bernard fait une comparaison pleine de sens. Il dit que le couple 2005 – 2006 évoque le couple 1961 – 1962. Pendant que l’une des années fait le devant de la scène, drapée de tous les qualificatifs les plus tonitruants, l’autre, dans son ombre, est d’une délicatesse et d’un charme qui sont reconnus des esthètes. Lorsque Bernard nous dit que le vin chez Faiveley ne fait que 2% du chiffre d’affaires du groupe, c’est alors que je réalise que Faiveley Industries, que je connaissais dans le monde industriel qui m’était familier fait partie du même ensemble. Cela explique sans doute l’agencement avant-gardiste du siège, et l’équipement moderne de la salle de dégustation où nous nous rendons, à deux cents mètres de là.

Dans la salle, les vins sont préparés, une feuille de dégustation nous est fournie et je reconnais le sens de l’organisation et de l’accueil de Bernard Hervet. Il nous propose une mini-verticale du Corton « Clos des Cortons Faiveley » Grand Cru. Cette appellation est une des deux seules avec la Romanée Conti où le nom d’une famille est repris dans l’appellation. La parcelle est de trois hectares. Il convient de noter et je le fais remarquer à mes amis américains, que la dégustation se faisant en salle et non en cave, nous avons des vins qui ont près de six degrés de plus que ce que nous avons goûté jusqu’ici.

Le Corton « Clos des Cortons Faiveley » Grand Cru Domaine Faiveley 2006 a un nez intéressant. La bouche est opulente. Le vin se boit très bien. Il y a un très beau fruit et une belle amertume. Le Corton « Clos des Cortons Faiveley » Grand Cru Domaine Faiveley 2005 a un nez puissant. La couleur est très sombre. Le nez de fruit rouge et de poivre est très Pauillac. Il est encore fermé, au bois très fort. On sent qu’il va exploser dans quinze ans. Ce vin au fruit intense et pur est magnifique.

Le Corton « Clos des Cortons Faiveley » Grand Cru Domaine Faiveley 2003 a un nez très élégant. Il est chaleureux, frais, mentholé. Le fruit est rouge et noir. Le vin a une grande densité, une astringence nette et un beau poivre. Ce sera un très grand vin. Le Corton « Clos des Cortons Faiveley » Grand Cru Domaine Faiveley 2000 a une couleur plus claire et un nez sympathique. C’est le seul qui soit vraiment buvable. Frais en bouche il n’est pas immense mais plaisant. Un peu aqueux, astringent, il a un final végétal.

Le Corton « Clos des Cortons Faiveley » Grand Cru Domaine Faiveley 1998 a une couleur qui tire sur l’orangé. Le nez est avenant. Il est plaisant, facile et accueillant. Le fruit est vivant, le poivre et les tannins sont là, mais que le vin est astringent ! Je le trouve très grand.

Nous allons maintenant goûter des blancs de 2006 en commençant par des Chablis vinifiés ici, qui sont ne sont pas du domaine, mais des achats de raisins. Le Chablis 1er Cru Fourchaume Faiveley 2006 a un nez incroyablement flatteur quand on quitte le monde des rouges. L’écart est spectaculaire. On sent le sucre. Il manque pour moi d’un peu de structure, mais je pense que cela peut changer avec le temps. Le Chablis Grand Cru « les Clos » Faiveley 2006 a un nez beaucoup plus subtil. Ça, c’est du Chablis pour moi. Il n’est pas très long en bouche mais prometteur. Bernard Hervet dit que le vin est long. C’est peut-être moi qui juge mal.

Le Meursault 1er Cru « Charmes » Faiveley 2006 a un nez très beau. Il est magique en bouche. Bernard dit que l’on ne sent à ce stade que 50% de son potentiel. Gras et fruits blancs, il est d’un final magique. C’est un vin que j’adore. Le Chassagne-Montrachet 1er Cru « Morgeot » Faiveley 2006 a un nez plaisant. En bouche il est plutôt sucré, doucereux. Ce n’est pas mal, mais ce n’est pas mon goût. Il manque un peu de coffre. De belle complexité il manque d’équilibre. Le final épicé est intéressant.

Le Corton Charlemagne Grand Cru Domaine Faiveley 2006 a un nez impressionnant. C’est le rêve absolu. Bernard a baissé le taux de fûts neufs à 50% seulement ce qui a évité le côté vanille, pour avoir le goût de bacon du terroir. C’est un vin magnifique au final de fruits blancs qui est l’archétype des vins de gastronomie.

Visite du domaine Jacques-Frédéric Mugnier jeudi, 21 février 2008

Visite du domaine Jacques-Frédéric Mugnier où je retrouve mes amis américains.

Avec Frédéric Mugnier, nous goûtons les 2006 en fûts au château de Chambolle-Musigny. Je n’ai pas pris de note mais je me suis efforcé de reconnaître la « patte » du domaine. Nous avons goûté Chambolle-Musigny domaine Jacques-Frédéric Mugnier 2006, Les Fuées domaine Jacques-Frédéric Mugnier 2006, Bonnes Mares domaine Jacques-Frédéric Mugnier 2006, Clos de la Maréchale domaine Jacques-Frédéric Mugnier 2006, Chambolle Musigny Les Amoureuses domaine Jacques-Frédéric Mugnier 2006 et Musigny domaine Jacques-Frédéric Mugnier 2006. Tous ces vins montrent une ascèse, un sens strict, une recherche de pureté qui est très évidente. Mais cela n’exclut pas la séduction, car le vin qui m’a conquis à ce stade de sa vie, c’est Les Amoureuses, petit chef-d’œuvre de charme. Le Musigny, comme c’est normal, montrera son talent beaucoup plus tard.

Nous pouvons le vérifier en revenant au château où nous goûtons en bouteilles le Musigny domaine Jacques-Frédéric Mugnier 2004 qui montre qu’il est Musigny, même si l’année n’est pas la plus florissante. Le dernier vin, pour mon grand plaisir est le Chambolle Musigny Les Amoureuses domaine Jacques-Frédéric Mugnier 2000, plein de charme discret. L’assimilation du vin à son vigneron est d’une rare évidence. Nous sommes très satisfaits de cette visite où les dégustations mais aussi les échanges furent féconds.

Après ces dégustations, il est possible de se faire une petite idée sur 2006, étayée bien sûr par les propos des vignerons qui nous influencent forcément. Leurs avis sont positifs. Après 2005 qui restera une année légendaire, 2006 s’annonce d’une grande subtilité. La demande l’anticipe déjà, ce qui fera du marché du vin bourguignon une immense table de poker où un à un des amateurs de vin chagrinés seront obligés de dire : « sans moi », lâchés qu’ils seront dans cette course aux prix les plus fous.