déjeuner avec des vignerons jeudi, 21 février 2008

Le lendemain je propose à mes amis américains d’aller déjeuner avec Sylvain Pitiot du Clos de Tart, mais le décalage horaire fait ses effets et ils déclinent la suggestion. Je me présente seul au Clos de Tart. Nous bavardons puis allons au restaurant « Chez Guy » à Gevrey-Chambertin où nous déjeunons avec Louis-Michel Liger-Belair et Philippe Charlopin. Je prends un menu très bourguignon : persillé et joue de bœuf. Le Mazis-Chambertin Grand Cru Charlopin 2005 est extrêmement chaleureux et séducteur. Il est beaucoup plus ouvert que le Chambertin Charlopin 2005 qui s’épanouit progressivement. Ces deux vins sont très beaux, assez doucereux. Le Clos de Tart 2002 est nettement plus astringent après ces deux vins joyeux, mais la subtilité est belle. Le Clos de Tart 2003, plus bourru, me fait une impression immense. Ce sera un vin de première grandeur dans vingt ans. Sur la joue de bœuf le 2003 s’élargit et devient racé quand le Chambertin 2005 confirme sa rondeur et sa joie de vivre. Le 2003 aura un très grand avenir. La cuisine du lieu est très sympathique.

A ce stade de mes visites, je me rends compte de la relation très forte qui existe entre la personnalité d’un vin et celle de son vigneron. Jamais les vins de Charlopin n’auraient pu être faits par Sylvain Pitiot et réciproquement, de même que les vins d’Eric Rousseau ne pourraient pas être faits par Aubert de Villaine et réciproquement. J’allais en avoir une démonstration très nette en visitant le domaine Jacques-Frédéric Mugnier où je retrouve mes amis américains.

dégustation et dîner, dom de Montille et chateau de Puligny mercredi, 20 février 2008

Ces bouteilles bien préparées sur ce tonneau, ce n’est pas pour nous ! Mais nous en aurons d’autres.

 

La cave, en sous-sol du Chateau de Puligny Montrachet.

 

Repas simple préparé par Etienne de Montille dans une ambiance amicale.

 Chevalier-Montrachet domaine du Chateau de Puligny Montrachet 2002, point final d’une très belle soirée.

dîner au château de Puligny-Montrachet mercredi, 20 février 2008

Nous nous rendons ensuite au château de Puligny-Montrachet magnifique propriété de réception qui appartient à la Caisse d’Epargne, propriétaire du vignoble de Château de Puligny. Etienne de Montille en est le gérant depuis 2001 et ses premiers vins sont de 2002. Il bénéficie d’un avantage collatéral qui est de loger sur place. Etienne voudrait nous faire goûter quelques vins en fût, mais depuis son départ aux sports d’hiver – il revient aujourd’hui – les fûts sont vides, car la mise en bouteilles s’est faite hier et aujourd’hui. Nous allons dans la cave du château qui est parfaite et joliment voûtée. Elle est à peine enterrée et Etienne nous explique que dans le village de Puligny-Montrachet la nappe phréatique est si haute qu’il n’y a pratiquement pas de caves.

Nous goûtons des 2007 et nous avons droit au Chevalier-Montrachet Château de Puligny 2007 puis au Montrachet Château de Puligny 2007, deux vins faits avec une précision que Michel Bettane approuve. Nous remontons enfin de la cave, sous la pluie, et nous entrons dans le château, très confortable et accueillant, pour un dîner informel dont Etienne sera le cuisinier et le serveur. Le velouté aux cèpes ainsi que le gratin ont été faits par sa mère. Le poulet fermier est de sa cuisson. Etienne, qui skiait à Val d’Isère comme Jean-Nicolas Méo a eu le même réflexe, il a acheté là-haut la viande des grisons de l’apéritif et les fromages.

Le Saint-Aubin en Rémilly Château de Puligny-Montrachet 2006 est très agréable. Il a un goût fumé et toasté. Le Meursault Pérrières Château de Puligny-Montrachet 2006 est plus strict. Il vient d’être mis en bouteille aujourd’hui même. Il est très rond et très agréable.

Le Puligny-Montrachet Cailleret Domaine de Montille 2000 est un vin resserré, imparfait selon Michel. Etienne le change pour un Puligny-Montrachet Cailleret Domaine de Montille 1999 qui est très nettement meilleur et confirme le défaut relevé par Michel dans le 2000. Il y a des fruits jaunes, de la crème et du beurre dans ce vin plus chaleureux.

Je commence à me demander si l’on va franchir la barrière des vins de plus de dix ans ! Nous commençons les rouges à l’aveugle. Le premier vin a une couleur rubis très belle. Le nez est généreux, superbe, et en bouche la finesse est remarquable. Ce vin est élégant, d’un bois bien dosé. Le deuxième a un nez légèrement animal. Sa robe est très belle. En bouche, l’attaque est généreuse et chaleureuse, mais le final est viril, presque dur. C’est un grand vin. Beaucoup de choses opposent ces deux vins. Le premier est très élégant, séduisant et le deuxième plus viril, plus combatif. Le nez du premier est réjouissant et sa bouche est jeune. Le second s’arrondit et devient plus charmeur, plus structuré. Son nez animal a disparu.

Sans qu’il se prête au moindre jeu Michel a naturellement trouvé les deux vins et les deux années sans citer la moindre alternative. Le premier est Pommard Rugiens Domaine de Montille 1990 et le second est le Volnay Taillepieds Domaine de Montille 1976.

Quand je connais les années, ce qui est assez intéressant, c’est que ma vision sur les vins change. On voit beaucoup plus de choses dans un vin quand on sait ce que l’on doit boire. Je reconnais la typicité du 1976, son côté salin, légèrement fumé, épicé et bougonnant de la Bourgogne. Le 1990 a beaucoup de charme et de douceur.

Etienne nous dit que 1990 est la première année où il a eu la responsabilité de faire les vins à la suite de son père, et je me plais à constater dans les deux vins le caractère de celui qui les a faits, Etienne pour le plus jeune et Hubert pour le plus ancien.

Pour le fromage, nous goûtons un Meursault Pérrières Château de Puligny-Montrachet 2005, très joli, élégant de belle complexité. Les fromages étant montagneux, nous goûtons un Château Chalon Berthet Bondet 1998 au nez alcoolique qui contraste avec un goût très léger, aérien et frais. Le vin n’est pas très oxydé et Michel a cette expression : « c’est de la bonne boulange » qui signifie que l’usage des levures a été intelligent. Michel s’en va car il a de lourdes tâches demain. Je suis heureux qu’il ait partagé notre soirée, car quand je fais des dégustations avec lui, je suis comme l’étudiant fasciné par son professeur principal. Nous restons à bavarder avec un homme passionnant et passionné, d’un enthousiasme réfléchi et d’une conviction qui font plaisir à entendre. Comme il restait encore une petite soif, Etienne remonte de cave un vin au nez combinant le citron la crème et la brioche. La bouche reproduit les mêmes sensations. Nous aimons ce vin agréable de belle longueur révélant de beaux arômes. C’est un  Chevalier-Montrachet du Château de Puligny 2002.

Nous avons du mal à nous quitter tant les discussions avec ce vigneron passionnant sont animées. Nous le remercions chaleureusement sachant que mon ami américain et moi nous allons le retrouver samedi pour un dîner de vins très rares et que les deux américains qui voyagent avec moi le retrouveront dans une semaine à la Paulée de San Francisco. Peu de temps sépare la fin de ma toilette nocturne de l’entrée dans des rêves merveilleux où le vin et l’amitié tiennent la place principale.

Visite au domaine de Montille mercredi, 20 février 2008

Nous nous présentons après des tâtonnements au nouveau site du domaine de Montille qui se trouve à Meursault. Etienne de Montille m’avait appelé peu avant en me demandant : « est-ce que ça te dérange si Michel Bettane se joint à nous ? ». Ma réponse avait été enthousiaste. Michel nous rejoint, un peu fatigué car il vient de goûter plus de 300 vins en deux jours pour repérer de jeunes vignerons qui ont progressé sur l’année 2007. Nous commençons par goûter des vins de grands fûts métalliques et ensuite en cave des vins de fûts de chêne. Nous goûtons beaucoup de 2006 du domaine, puis des 2007. Nous boirons tant de vins que le souvenir s’estompe. Ce qui m’impressionne, c’est la sûreté du jugement de Michel Bettane qui constate immédiatement les progrès qui ont été faits. Etienne est évidemment attentif aux diagnostics faits par Michel, mais a la politesse d’écouter nos avis. Je suis très agréablement chatouillé par un Chevalier Montrachet domaine de Montille 2007.

Nous goûtons à l’aveugle deux Vosne-Romanée les Malconsorts domaine de Montille 2006 et Etienne nous demande s’il est justifié de les produire en deux cuvées distinctes. Les vins sont si différents que nous répondons oui. Le deuxième Vosne-Romanée les Malconsorts cuvée Christiane domaine de Montille 2006, qui est à un stade plus ingrat de sa vie que le premier est issu d’une parcelle mythique puisqu’elle est incluse dans le quadrilatère magique dont l’élément essentiel est La Tâche. Cette parcelle est au nord du chemin des Malconsorts, dans le secteur de La Tâche. On sent qu’Etienne en parle avec gourmandise.

Nous remontons et commençons à goûter le premier Corton-Charlemagne Vosne-Romanée les Malconsorts domaine de Montille 2007. C’est l’initiative d’Etienne de Montille qui a greffé des vignes en rouge de Corton Pougets. Le résultat est sanctionné par une approbation sans réserve de Michel Bettane au moment où arrivent Hubert et Christiane de Montille, les parents d’Etienne. Ils embrassent chaudement Michel et ce n’est pas la première fois que je remarque les relations affectives sincères qui existent entre Michel et des familles de vignerons. Si le jugement de Michel importe, celui qui va compter est celui de madame mère, qui approuve et dit : « c’est bien ».

visite au domaine Armand Rousseau mercredi, 20 février 2008

Après une bonne nuit et un repas frugal, nous nous présentons au domaine Armand Rousseau où nous sommes reçus par Eric Rousseau. La dégustation en cave se fera avec un de ses jeunes collaborateurs parce qu’il parle mieux l’anglais. Nous descendons dans la cave de maturation de petite taille, correspondant à la taille du domaine. C’est assez incroyable de penser que dans cet endroit une dizaine de vins d’appellations différentes murissent. C’est seulement en Bourgogne que l’on peut imaginer des parcelles si petites et des crus dont le nombre de fûts ne dépasse pas les doigts des deux mains. Nous dégustons les 2006 et dès le premier vin, un Gevrey-Chambertin villages domaine Armand Rousseau 2006, le goût est intéressant. Les trois vins les plus intéressants, les derniers, puisque l’on monte en qualité à chaque verre sont le Gevrey-Chambertin Clos Saint-Jacques Armand Rousseau 2006, d’une personnalité déjà affirmée et d’un final très enlevé. Nous goûtons le Chambertin Armand Rousseau 2006, qui est d’une rare élégance, plaisant à ce stade de son évolution, avant le Chambertin Clos de Bèze Armand Rousseau 2006 qui est une vraie bombe aromatique et gustative, très végétal et évoquant le clou de girofle. Ce vin a eu du mal à s’assembler et était quasiment imbuvable sur les treize premiers mois de sa vie. Il est promis à un avenir spectaculaire si on a la patience d’attendre sa maturité qui sera tardive. Les autres vins comme le Clos de la Roche domaine Armand Rousseau 2006, le Mazy Chambertin domaine Armand Rousseau 2006 ou le Ruchottes Chambertin domaine Armand Rousseau 2006 sont aussi de grands vins, mais l’appréciation des 2006, très froids en cave n’est pas de nature à nous faire pronostiquer leur avenir. Une constante de tous ces vins sauf le Clos de Bèze c’est une couleur très fraîche d’un rubis clair et une précision de structure qui n’exclut pas la joie de vivre.

Nous avons rejoint Eric Rousseau à son bureau, parlant plus en français qu’en anglais. Marcel Rousseau est venu rapidement nous saluer. Eric Rousseau nous explique le cas du Clos de Bèze, touché par la grêle le 26 juillet, qui a perdu près de la moitié de ses grains. Les choix étaient cornéliens. Que fallait-il faire sur les grappes ? Eric a choisi de ne rien faire. Le résultat montre, c’est mon intuition, que le Clos de Bèze sera un vin de toute première grandeur lorsqu’il aura plus de quarante ans. Eric va rejoindre la semaine prochaine mes amis américains à la Paulée de San Francisco qui sera une première paulée en cette grande ville.

L’atmosphère du domaine est plaisante et authentique. Eric Rousseau est discret et peu disert, car c’est dans ses fûts que se trouve l’essentiel de son message, celui d’un grand vigneron.

dîner au chateau de Beaune avec la maison Bouchard Père & Fils mardi, 19 février 2008

Nous sommes fins prêts et reposés et nous allons à pied de notre hôtel au siège de la maison Bouchard Père & Fils où nous sommes accueillis par Stéphane Follin-Arbelet directeur général et par Géraud-Pierre Aussendou, en charge de la qualité et de la conservation des vieux millésimes. Nous commençons par une visite des caves dont je connais presque chaque recoin. Les vins et les millésimes sont repérés par des codes dont je commence à percer les secrets. Il y a dans cette cave de quoi assouvir les rêves les plus fous de tous les collectionneurs du monde. Sous un ciel éclairé par une pleine lune nous gravissons les marches et les allées pour nous retrouver au sommet de l’une des tours du château de Beaune pour jouir d’une vue nocturne sur Beaune et les environs. Nous entrons dans le salon du château de Beaune dont le parquet est dessiné d’une rare marquèterie. Le champagne Henriot cuvée des Enchanteleurs 1995 arrive un peu frais, mais va s’ébrouer. Il est un peu strict mais sa structure est belle. Je le trouve très vineux. Sur des gougères et des feuilletés, il s’anime élégamment. Stéphane nous apprend la signification du mot enchanteleur qui désigne celui qui range les fûts dans la cave et les aligne et qui est supposé se réserver les plus belles cuvées.

Je pensais que nous dînerions dans l’orangerie mais en fait Stéphane nous conduit dans une salle à manger délicieusement décorée. C’est une bonbonnière. Marie Christine a composé un menu simple mais délicat : foie gras de canard mi-cuit / noix de Saint-Jacques au beurre de noisette / volaille fermière aux morilles, riz sauvage / fromages / tarte fine aux pommes et glace à la vanille.

Le Corton-Charlemagne Bouchard Père & Fils 1998 est très fruité, offrant un panier de saveurs particulièrement fourni. Il est kaléidoscopique et laisse une belle trace en bouche. C’est un vin solide et serein.

Le Chevalier Montrachet Bouchard Père & Fils 1948 est d’un couleur de miel. Le nez est de truffe. En bouche, c’est magnifique. On peut ressentir tant de choses dans ce vin complexe. Je peux puiser dans des souvenirs d’enfance, de muguet, de confiture de framboises. Mais le plus manifeste, c’est l’extrême fraîcheur. Il est assez insaisissable car j’y trouve tantôt du fumé, du caramel, de la brioche, tantôt de la figue, des zestes de citron ou de vieux agrumes. Le vin est enchanteur. L’accord avec la coquille est très fin.

Le Beaune Clos de la Mousse Bouchard Père & Fils 1918  est une appellation qui est un monopole de la maison Bouchard. Sa couleur d’un sang de pigeon est d’une jeunesse invraisemblable comme celle du Pommard 1904 du domaine Parent bu récemment mais qui lui avait son bouchon d’origine alors que ce vin a dû changer trois fois de bouchon durant sa vie, la dernière fois en 1992 par Géraud. Géraud nous explique la procédure de changement de bouchon pour que l’oxygénation n’ait pas de conséquence néfaste.

Le vin a un nez très doux de fruits rouges. Le nez est puissant et Stéphane dit : un nez de terre brûlée. La jeunesse est incroyable et je ressens même de l’astringence. L’un de nous dit même : « quand sera-t-il mûr ? ». Sur mon petit carnet, je n’arrête pas de noter « jeunesse » avec des points d’exclamation. Avec le poulet, le vin est plein de joie. Les fruits rouges, le poivre et les épices abondent et l’on sent des traces de thé et de bois mouillé. Nous constaterons à la fin du repas que ce vin ouvert à 14 heures tiendra sans jamais faiblir jusqu’à la fin du repas.

Stéphane avait choisi pour thème les années en « 8 ». Aussi sur notre menu il est inscrit pour le vin mystère :

 « ………………………  1 . . 8 ».

A nous de compléter les deux chiffres et le nom. Le vin inconnu a une couleur d’un rose ambré, qui semble plus vieille que celle du 1948. Le nez évoque pour moi le vin jaune et pour Géraud le vin de paille. On sent l’alcool et la poire compotée. Très beau, le vin s’étend bien dans le verre. Il évoque les fruits à fleurs blanches, et montre une grande personnalité. Personne n’est capable de trouver le vin mais l’année est trouvée par déduction. C’est un Chablis Bouchard Père & Fils 1888. Il n’a plus grand-chose à voir avec un chablis. On le sent un peu étroit à côté du 1948, mais ses évocations de Château Chalon, de fruits bruns sont plaisantes. Sa persistance en bouche est très grande. C’est un grand vin qui s’évanouit un peu au fil du temps contrairement aux autres. Mais qui aurait pu imaginer qu’un Chablis de 120 ans ait encore cette vigueur de vin ?

Mon ami américain est content que le dessert ait été fait comme si Marie Christine connaissait le vin qu’il allait nous faire déguster à l’aveugle. Nous serons très proches de l’année d’un vin reconnu immédiatement. C’est Château d’Yquem 1975, d’une magnifique jeunesse, à la croisée des chemins entre jeunesse et maturité, très marqué par l’abricot.

Stéphane Follin-Arbelet et Géraud-Pierre Aussendou nous ont reçus de façon absolument remarquable, avec des attentions rares, en ayant choisi des vins rarissimes, que nous ne retrouverons peut-être jamais plus sur notre route. Le Chevalier Montrachet a ma préférence pour le plaisir de ce soir. Le Beaune Clos de la Mousse a ma préférence pour l’extrême surprise de sa vitalité. Le Chablis 1888 est un extraterrestre qu’il faut avoir croisé une fois dans sa vie.

Merci, maison Bouchard de nous faire profiter de vos trésors avec une telle générosité et amitié.