lendemain de fête dans le Vaucluse dimanche, 20 janvier 2008

Voir mon fidèle ami, amateur de vins anciens, devant un jus de fruit est un phénomène assez rare.

Couché à 3 heures du matin, levé (presque) aux aurores, il a l’énergie de disserter sur la marche du monde !

 

Comme s’il restait encore une trace d’appétit, un brunch nous tend les bras.

 J’en ai même oublié que François Parent nous a ouvert le dimanche midi ce Meursault-Charmes Bocard 1990.

Quelle générosité !

verticale de Pommard Epenots Parent dans le Vaucluse samedi, 19 janvier 2008

Mon cousin, fin chasseur, a embroché les grives. Derrière lui, François Parent.

Pendant l’apéritif, les grives rôtissent.

 Quand une bouteille est tenue en main, la photo n’est pas très nette. Champagne Mahu 1952 un peu fatigué mais délicieux.

Madame Anne-Françoise Gros est servie.

 Délicieuse terrine, et l’ananas sur branche de citronnelle préparé par nos amis hollandais.

 

François Parent s’apprête à verser le Pommard Epenots Domaine Parent 1964 en jéroboam.

Rayne Vigneau 1936.

une belle verticale de Pommard Epenots Parent samedi, 19 janvier 2008

Il y a quelques mois, j’avais été logé chez un couple de vignerons bourguignons qui ont choisi de s’évader les week-ends au milieu de vignes rhodaniennes. Nous avions parlé vin, comme font les cul-de-jatte entre eux quand ils se rencontrent dans la chanson. Un rendez-vous a été mis au point par mon cousin ami des vignerons, pour que nous goûtions ensemble quelques antiques flacons.

Ma femme et moi arrivons le vendredi après-midi chez mon cousin et je vais déposer mes vins chez les vignerons. François Parent me montre un nombre invraisemblable de bouteilles de tous formats et me dit : « toutes ces bouteilles de la cave familiale ont leur bouchon d’origine. J’ai prévu des bouteilles de secours en cas de madérisation ou de défaut ». Il se trouve que François, qui ouvre de temps en temps un ou deux vieux flacons, fera seulement la troisième grande verticale des vins de son domaine. La première se fit avec Robert Parker au début des années 80, la deuxième se fit il y a trois ans avec Allen Meadows, l’homme qui, sans doute, connaît le mieux les vins de Bourgogne comme Richard Juhlin connaît les champagnes,  et la troisième se fait en la présence de quelques amis et moi-même, ce que je ressens comme un honneur. Une marque supplémentaire d’estime est que François me laissera ouvrir moi-même les vins, opération qu’il n’a jamais confiée à quelqu’un d’autre. Par bravade ou par encouragement, sans avoir vu les vins, je lance : « demain il n’y aura pas de déchet ».

Nous retournons chez mon cousin  pour dîner et nous commençons par un champagne pur Chardonnay, Lady de N de Le Brun de Neuville. Il se boit fort agréablement et s’adapte bien au foie gras fait par son gendre que l’on poivre légèrement. Sur une soupe à la châtaigne et un toast à la châtaigne, mon cousin ouvre un Vin jaune d’Arbois de Rolet Père & Fils 1995. Le vin est très puissant. L’accord est suave, confortable. Tout en ce vin jaune me ravit, le nez impérieux, le goût viril et envahissant et un final talentueux. Nous avons peur qu’un vin aussi dominateur ne porte ombrage au vin qui va suivre, mais nous nous lançons. Sur un cabillaud à l’orange, le Clos de la Coulée de Serrant de Mme Joly 1983 est divinement approprié car son acidité citronnée élégante épouse la préparation du poisson. Ce qui me frappe, c’est la précision de la trame de ce vin. J’apprécie beaucoup ce vin de la période qui précède celle du pape de la biodynamie, Nicolas Joly. Il montre à l’évidence qu’il ne faut boire ce vin que lorsqu’il est adulte. L’acidité de la tarte à la rhubarbe et aux groseilles refuse tout vin.

Le lendemain matin un chaud soleil illumine le Vaucluse. Mon cousin part plumer les grives, François Parent et Anne-Françoise Gros sont affairés. Dans quelques heures j’irai ouvrir les vins accompagné d’un de mes plus fidèles compagnons de dîners de vins anciens et nos épouses. Tout bruisse du recueillement d’avant match.

J’arrive un peu en retard, à 17h30 au lieu de 17h00 et je suis un peu nerveux car je voudrais que la démonstration de ma méthode d’ouverture soit la plus éclatante possible, mais François Parent est aussi nerveux que moi, car il n’ouvre jamais aussi tôt des flacons aussi antiques. François ouvre tous les flacons postérieurs à 1947 et j’ouvre tous les plus anciens. Les bouchons d’origine ont le haut qui est très sec et se brise comme la croûte d’un lac asséché. Mais le bas des bouchons est très souple. Les bouchons collent aux parois et s’enlèvent avec difficulté mais viennent entiers, sauf celui du Pommard 1886 qui se déchire en morceaux. François s’étonne que nous trouvions très bons des vins aux odeurs désagréables, mais il accepte l’expérience. Anne-Françoise me montre le menu et me demande comment je répartirais les vins pour des plats qui n’ont pas tous été conçus pour eux, puisque les vins de mon ami et les miens n’étaient pas annoncés.

Le menu élaboré par Anne-Françoise Gros est le suivant : terrine de poisson, coquilles Saint-Jacques sur lit de Vosne-Romanée / les grives du Vaucluse à la broche / le rôti de biche, purée de céleri, pomme de terre et truffes sauvages / plateau de fromages de Bourgogne / tarte aux pommes et coings de Pommard / ananas rôti, brochette de citronnelle, crème au gingembre.

Nous prenons l’apéritif devant la cheminée où une compagnie de grives tourne à la broche, chaque volatile étant séparé des autres par des tranches de lard, deux demi-pains placés sous les grives recueillant les suintements de cuisson. Le champagne Henriot Cuvée des Enchanteleurs 1983 que j’ai apporté est de belle acidité, de grande fraîcheur, qui remplit agréablement la bouche. On n’a pas la densité ou la complexité de champagnes typés comme Salon ou Krug, mais on a une expression très confortable d’un beau champagne. Il faut s’accoutumer au champagne Mahu blanc de blancs 1952 apporté par mon ami, car il a perdu sa bulle, a une couleur ambrée, et offre un vin très prononcé qui évoque un peu les vins du Jura, avec moins de force. Tout le monde étant amateur, le vin est très apprécié. Il a toutefois plus vieilli qu’il n’aurait dû, ce qui n’enlève rien à son intérêt.

Nous passons à table et sur la terrine sont prévus deux vins : un Echézeaux domaine Gustave Gros en demi-bouteille 1976 et un Pommard Chaponnières en magnum domaine Parent 1990. Le Pommard est d’une jeunesse joyeuse, avec un beau fruit et mon cousin l’adore et ne cessera de le répéter. Le 1976 est d’une grande personnalité, ne montre aucune sécheresse, et ne souffre pas du format de son flacon. Nous en boirons deux, de très belle qualité. Les deux vins sont dissemblables mais cohabitent bien et l’accord avec le plat est pertinent. J’aime beaucoup le message du 1976.

Sur les grives, j’ai voulu associer le Pommard Epenots domaine Parent en Jéroboam 1964 avec le Pommard Epenots domaine Parent 1933. Et ça marche très bien. On est frappé par la similitude du goût entre les deux, qui sont l’expression du terroir du domaine Parent. Le 1964 est épanoui, un peu amer et le 1933, année que mon ami et moi aimons particulièrement, se montre d’une très belle complexité pour l’année, la plus belle des années 30, sans être une année de grand rayonnement. Le 1933 nous plait beaucoup.

Sur le rôti de biche nous aurons deux séries des vins des plus beaux millésimes. La première série comporte le Pommard Epenots domaine Parent 1959 et le Pommard Epenots domaine Parent 1947. Le plus jeune est d’une grande élégance et d’une légèreté qui trace un long parcours en bouche. Le contraste est saisissant avec le 1947 plus rond, plus plein, plus complexe, de plus grande richesse. Je suis assez abasourdi par la perfection du 1947 alors que mon cousin ne voyait pas tant de différence avec le 1959. François Parent constate qu’une ouverture faite plusieurs heures avant arrondit les vins et que le vin est bon de la première gorgée à la dernière, puisqu’il a profité longtemps de son aération.

La deuxième série comprend le Pommard Epenots domaine Parent 1928 et le Pommard Epenots domaine Parent 1915. Pourrait-on imaginer deux vins plus dissemblables et aussi parfaits, chacun dans son registre ? Le 1928 est dans la lignée du 1947, mais il a tout en plus. Mon ami et moi disons immédiatement que pour un 1928, il a tout de 1928. Mais il a plus que cela. Il est puissant, solide, charpenté, complexe, d’une présence en bouche spectaculaire. On dirait que c’est le Pommard parfait, qui paraît plus joyeux que les Pommard du début de repas. Anne-Françoise dit en buvant le 1915 : « c’est de la rose ». Et je raconte l’anecdote du premier repas que j’avais partagé avec Alain Senderens pour lequel j’avais apporté mon chouchou Nuits-Saint-Georges les Cailles Morin 1915. Alain l’avait adoré et avait demandé à un maître d’hôtel de chercher des pétales de rose. Et nous avions mâché des pétales de rose et bu le 1915 pour un accord divin. Anne-Françoise venait de retrouver la même évocation qu’Alain sur un vin de la même année. Le 1915 est un vin d’une sensualité invraisemblable. Il est sexy, déroutant, aguichant, et nous entraîne sur des pistes gustatives que nous n’aurions pas imaginées. Il y a quelques similitudes entre le 1915 et le 1933, le plus vieux ayant un charme très nettement supérieur. Nous étions assez impressionnés que l’on puisse avoir ensemble le 1928 sûr de lui et dominateur et le 1915 romantique, panier de roses d’un charme féminin.

Je souhaitais que les deux plus vieux vins se dégustent sans plat, mais nous avons picoré du fromage, le chambertin se prêtant bien à la mise en valeur de ces deux ancêtres. Le Pommard Epenots domaine Parent 1904 a une couleur assez ahurissante que François connaît bien, très rouge sang ce qui est presque invraisemblable pour cette année. Le vin est bon, agréable, typé, expressif, mais on commence à ressentir les effets de l’âge même si le vin est ingambe. Le Pommard Epenots domaine Parent 1886 est émouvant. Il provient de vignes pré phylloxériques qui ont été arrachées en 1895. Le vin qui était d’un niveau bas est encore vivant et François constate avec plaisir son agilité. Mais on le boit plus comme une relique émouvante que comme un grand vin. Un détail m’a frappé : François connaît tout de l’histoire de chaque année et explique le goût de chaque vin par la climatologie et les décisions qui en découlent.

Nous allons sur le fromage faire une constatation percutante de précision. Le Pommard Epenots domaine Parent en magnum 1985 et le Pommard Epenots domaine Parent en magnum 1978 sont des vins qui font un saut de presque un siècle avec le vin que nous avions quitté. Et si la jeunesse est belle, les vins nous apparaissent à ce moment comme trop jeunes, pas assez structurés, pas assez assemblés, pas assez homogènes. Des vins qui ont plus de vingt ans semblent des gamins comme des vins de l’année.

Mon ami est bien triste, car son Vouvray Clos du Bourg Huet 1959 est agréable, mais à cent coudées de ce qu’il peut montrer, comme s’il avait un rhume. J’ai apporté deux liquoreux. Le Domaine du Pin 1ères Côtes de Bordeaux 1937 que j’ai annoncé comme étant un sauternes, et de 1941, car la bouteille n’avait pas d’étiquette a un nez joliment agrume. En bouche, les agrumes sont présents, mais le vin manque un peu de coffre. Le Château Rayne-Vigneau 1936, très ambré a un nez de caramel. Anne-Françoise y voit du chocolat que j’ai du mal à trouver. En bouche c’est très caramel et s’harmonise bien avec la sauce de l’ananas confectionné par le couple de convives hollandais qui participe au repas. Ce vin sera très favorisé dans les votes, mais je trouve que les deux liquoreux que j’ai apportés, tout comme le Huet, jouent petit bras lors de cette soirée.

Au-delà de deux heures du matin, sous un ciel étoilé, les volutes cubains forment les seuls nuages et se marient à une fine de Bourgogne Parent que l’on peut dater entre 1890 et 1904, provenant d’un fût de 228 litres évaporé pour ne laisser que 50 litres environ lors de la mise en bouteilles. De sa naissance à 70°, il reste encore une force alcoolique à percer les murailles. Nous avons voté pour les quatre vins qui ont été les plus appréciés. Malgré de belles disparités, le consensus se fit largement sur les deux premiers. Le vote du consensus serait : 1 – Pommard Epenots domaine Parent 1915, 2 – Pommard Epenots domaine Parent 1928, 3 – Pommard Epenots domaine Parent 1947, 4 – Château Rayne-Vigneau 1936. Mon vote est presque le même, le sauternes étant remplacé par le champagne Henriot Cuvée des Enchanteleurs 1983.

Je tirerais de cette magnifique verticale les enseignements suivants. La période d’excellence de ce Pommard est entre 1959 et 1915. Les plus jeunes n’ont pas encore atteint la rondeur qui les met en valeur, et au-delà de 1915, les vins plus vieux, même intéressants, sont aujourd’hui des témoignages historiques plus que des sérénités gustatives. Ils ont dépassé leur seuil d’intérêt, alors que le 1928 par exemple montrera une longévité quasi infinie. Le plus grand sujet de fierté pour moi est le succès total de ma méthode d’ouverture. François Parent a constaté que deux vins qu’il aurait écartés, le 1933 et le 1886, ont été à la hauteur de ce qu’il attendait. C’est la première fois que dans ces verticales, il n’a pas été obligé d’ouvrir des bouteilles de secours, et il a constaté que le vin renforcé par une oxygénation lente, se présente sur table dans l’état le plus épanoui qu’il serait capable d’offrir.

Le lendemain midi sous un soleil lourd qu’on ne verrait normalement jamais en janvier, un brunch nous réunit pour commenter le dîner merveilleux de la veille. Le 1990 est toujours aussi joyeux, le 1964 est devenu plus amer et a un peu perdu de sa superbe. Le 1985 est constant, et c’est surtout le 1978 qui s’est amélioré de façon incroyable. N’étant plus confronté au talent des 28 et 47, il montre une joie de vivre et un équilibre qu’il n’avait pas hier, qui nous réconcilie avec les vins de cet âge.

Cette verticale impressionnante, dans une ambiance amicale entre connaisseurs de vins anciens a appris beaucoup de choses à chacun.

Corton Charlemagne Coche Dury 1998 à La Cagouille mercredi, 16 janvier 2008

Le Président de Château Latour, Frédéric Engerer, vient sur Paris présenter certains de ses vins. Je suis informé de l’événement auquel je ne pourrai me rendre. Je lui demande s’il est libre à déjeuner avant ou après. Il l’est. Il me demande de lui proposer un lieu mais après quelques échanges, je sens qu’il souhaiterait de la nouveauté. Jean-François Coche-Dury, grand vigneron de Bourgogne, m’avait suggéré d’aller à La Cagouille, restaurant de poisson. C’était l’occasion. Nous nous y retrouvons. J’arrive en avance et je me présente à André Robert le tonique propriétaire des lieux. Lorsque je dis qui m’avait suggéré l’adresse, son visage s’éclaire. Il se sent honoré qu’un tel vigneron ait pensé à le recommander. Il cherche avec quel vin trinquer avec moi, demande la carte des vins et choisit un Meursault Coche-Dury 2001 qui fera le début de notre repas. Nous trinquons joyeusement et je vais m’attabler. Le vin a une acidité citronnée très plaisante et un nez soufré qui n’est pas désagréable. Le vin se place bien sur la langue. Je regarde la carte des vins et je m’étonne qu’il n’y ait pas de Corton Charlemagne de Coche-Dury. André Robert m’explique qu’il les garde pour lui. Il voit ma mine, ce qui l’attendrit et il me dit : « bon, je ferai une exception si vous me proposez un prix qui me convient ». Je lui réponds : « si je suis hors cible, surtout, ne le prenez pas mal, je ne mets aucune intention dans le fait de taper trop haut ou trop bas ». Il acquiesce et je lance un prix qui lui sied. L’affaire est conclue.  Je lui demande alors seulement quel est le millésime. C’est 1998.

Pour commencer, je prends des huîtres « pousse en claire » de David Hervé, fort goûteuses, qui se marient bien avec le Meursault. Belle salinité, expressivité forte, ce sont des huîtres délicieuses d’un calibre supérieur à ce que je choisis habituellement. Les langoustines juste saisies sont délicieuses et appellent le Corton Charlemagne Coche-Dury 1998. Le nez est très pétrolé, l’attaque est belle et virile. Le vin frais, carafé mais encore peu oxygéné a une belle acidité faite d’agrumes confits. Le final est marqué mais encore peu rebondissant. Cela viendra plus tard avec l’oxygène et un ou deux degrés de plus. Nous avons pris un bar entier de un kilo pour deux dont la cuisson est parfaite. C’est un plat remarquable. Le Coche-Dury vit sa vie dans son coin, car même s’ils font un bout de chemin ensemble, le vin et le poisson ne se parlent pas beaucoup. Le Corton Charlemagne aurait besoin de provocations plus fortes. C’est en effet un vin charnu qui appelle un combat gustatif. J’adore ce Corton Charlemagne, même s’il explose un peu moins que d’autres que j’ai bus.

Le chef apporte un Cognac Paul Giraud, grande champagne « très rare », d’une quarantaine d’années. C’est délicieux et sans aspérité. Nos discussions se poursuivent dans une ambiance amicale. Nous sommes heureux tous les deux d’avoir découvert un restaurant accueillant, au patron plus que sympathique, qui fait une cuisine juste, sans chichi, respectueuse du produit. Une adresse à ne divulguer à personne, pour se la garder.

Un Charlemagne, beaujolais blanc 1943 exceptionnel samedi, 12 janvier 2008

Après des journées bien tristes sous un ciel chargé de pluie, c’est le retour à Paris. Le pied à peine à terre, nous accueillons mon fils, sa femme, et une gentille troupe de cinq enfants. Mon fils pose sur la table un argument de poids : dans un linge dépassant des bords d’un cageot, un kilo de truffes s’offrent à notre regard. Je m’inquiète de savoir s’il n’y aura pas demain dans les journaux un écho au titre accrocheur : « le casse du siècle », car il n’est pas possible d’avoir chapardé un tel monceau de tubercules sans avoir défénestré ses détenteurs. Dans la table de la cuisine, sur une planche, un couteau découpe des tranches épaisses, que l’on oint dans une huile salée, qui s’empilent en liasses sur une baguette croustillante. Je prends conscience de la notion d’infini, car il y en a tellement que l’on peut tartiner sans limite. Le goût intense nous imprègne. Tout ceci se mange sans boire car nous sommes au milieu de l’après-midi. L’exercice continue au moment de l’apéritif sur un champagne Bollinger Grande Année 1990. La couleur s’est orangée, la bulle s’est calmée, et je n’attendais pas que ce champagne ait pris une telle maturité. Les Salon et Krug de la même année semblent des gamins. Mais le champagne est subtil, expressif, d’un fruit joyeux. On a en bouche un champagne riche, heureux, précis, patiné, mais qui n’a pas la complexité des Salon et Krug. La vitesse à laquelle la marée s’est retirée indique que nous l’avons aimé.

Pour les pommes de terre aux truffes, j’ai pensé à un vin blanc, pour changer du dernier essai, et j’ai prélevé en cave un Charlemagne, appellation contrôlée, Jacques Bouchard 1943. Ce n’est pas un Corton Charlemagne, mais un Charlemagne, vin blanc du Beaujolais. Au moment où je saisis la bouteille qui est présente dans ma cave depuis plus de vingt ans, je constate que le bouchon flotte dans le liquide. Je vais immédiatement carafer et je sens une odeur particulièrement plaisante. Le bouchon devait être à sa bonne place, et a glissé au moment où j’ai saisi la bouteille,  sans polluer le contenu. Quand nous le buvons à table, je constate de nouveau une odeur précise et précieuse, une couleur d’un ambré presque rose plutôt que gris, et en bouche, je suis frappé par la perfection du vin. Même si l’on cherche le moindre indice de fatigue, on ne trouve pas le moindre défaut. Le vin a une magnifique acidité citronnée, un fruit riche et un final enlevé. On ne peut pas dire que ce vin est jeune car il fait son âge. Ce qui frappe au lieu de la jeunesse, c’est la vivacité. Je dirais très volontiers que c’est un vin parfait. Avec la truffe et sa pomme de terre à la crème, la cohabitation est quasi inexistante. Aucun des deux n’ajoute quoi que ce soit à l’autre, du plat et du vin. Il reste un peu de ce blanc pour accompagner un poulet fermier farci avec une abondante truffe. La chair du poulet vibre remarquablement avec le vin. Pour le volatile j’ai prévu Pétrus 1974. Mais c’est surtout la présence de truffes qui a guidé mon choix. Le niveau dans la bouteille est dans le goulot, le bouchon est d’une qualité exemplaire. Le nez du vin est clair, précis, et en bouche on est heureux. Le vin est assez discret dans son attaque, et quand il s’étend en bouche il décline une palette raffinée. C’est son final qui me ravit, vif, enjoué, d’un beau panache. Ce vin est l’exemple le plus convaincant de l’intérêt qu’il y a à ne pas juger ou comparer les vins. Car on a la bonne surprise que ce vin se comporte mieux que ce que l’on attend d’un 1974. Et on a une belle expression de Pétrus, que l’on aurait sans doute critiquée si elle était comparée à un autre Pétrus. Là, sans obligation de noter ou de comparer, on a un beau Pétrus qui nous rend bien l’hommage que nous lui faisons, car sur la farce à la truffe, Pétrus devient truffe, phénomène que j’ai très souvent remarqué. L’ambiance étant festive J’ai exhumé une vieille bouteille de Liqueur de la Vieille Cure qui doit bien avoir 70 ans. Les parfums champêtres et les douceurs sucrées ponctuent le retour familial en capitale.

dîner avec un Beaujolais blanc de 1943 samedi, 12 janvier 2008

L’arrivée des truffes. Puis leur découpe.

 

Champagne Bollinger Grande Année 1990.

Pomme de terre à la crème et à la truffe.

 Le "Charlemagne" 1943 Jacques Bouchard et Cie négociants à Beaune et Paris, concessionnaires exclusifs du château de Poncié

La mousse au chocolat de mon épouse. Un monument !

 

Liqueur de la vieille Cure.