As I have opened a Massandra Madeira 1953 for one of my recent dinners, I find interesting to suggest that you read a report made by someone who visited the wineries and tasted recent wines.
Please read here
As I have opened a Massandra Madeira 1953 for one of my recent dinners, I find interesting to suggest that you read a report made by someone who visited the wineries and tasted recent wines.
Please read here
Voici quelques renseignements sur ce salon, à jour à la date du 13/11 :
communiqué de presse : lire
liste des exposants : lire
Listeexposantsprsentsau23_10.pdf
les master class : lire
Le Grand Tasting, c’est un salon de dégustation de vins ouvert au public, qui se tiendra au Carrousel du Louvre les 30 novembre et 1er décembre.
Ce salon est animé et dirigé par Michel bettane et Thierry Desseauve.
On s’inscrit et on voit le programme sur leur site : Grand Tasting
Ce salon fait la suite du Salon des Grands Vins rebaptisé Le Grand Tasting. Vous pouvez aller consulter les comptes-rendus des précédentes éditions de ce salon en utilisant l’outil de recherche de ce blog.
J’ai exposé des bouteilles vides à ce salon, j’y ai même eu un stand (raconté dans ce blog).
Voici une photo d’une des vitrines d’exposition de mes bouteilles :
Je serai assez souvent auprès de Michel Bettane à la tribune des Master Class. Cela me donnera l’occasion de rencontrer des amateurs amis.
Le 92ème dîner de wine-dinners se tient au restaurant Taillevent. Joseph, un ami canadien qui avait participé au dîner au château d’Yquem voulait fêter ses cinquante ans en ce lieu dont il est familier, lors d’un de mes dîners. Il m’avait demandé de livrer mes vins plus de cinq mois à l’avance pour que l’on puisse déterminer si un long repos dans la cave du restaurant Taillevent apporte un équilibre supplémentaire.
J’arrive à 17 heures pour ouvrir les bouteilles et je croise à l’entrée un groupe d’américains fidèles du restaurant qui quitte seulement le lieu. Cela a retardé les mises en place du soir, et je dois préparer les vins au milieu d’un ballet efficace. La plus grande surprise vient du Laville Haut-Brion 1948. Le bouchon a baissé dans le goulot de six à sept millimètres et le volume libéré est occupé d’une poussière terreuse noire comme du charbon. L’odeur est de terre de cave. J’époussète cette abondante poudre noire. Mais ce qui mérite la remarque, c’est qu’un centimètre plus bas le bouchon est élastique, plein, jaune liège, ignorant ce qui s’est passé un étage plus haut. Le nez du vin est incertain. L’oxygène va sans doute le réveiller. D’autres odeurs sont poussiéreuses, mais je sais que le retour à la vie est assuré. En découpant la capsule du Clos du Pape 1924, je constate qu’un peu de liquide a suinté vers le haut. Je sens. C’est un caramel pur et insistant qui envahit mes narines et je le signale à Alain Solivèrès lorsque je le salue. La plus belle odeur est celle de La Tâche 1955 et la plus motivante pour moi est celle du Nuits Cailles 1915 toujours présent aux rendez-vous que je lui donne.
J’ai donc le temps, malgré la grève, d’aller faire un tour place Vendôme où toutes les boutiques accueillent leurs clients à l’occasion du premier jour des illuminations de Noël. Je salue l’horloger chez lequel j’ai commis une belle folie. Nous bavardons un peu de l’idée d’un dîner que je ferais en ce lieu d’un luxe évident et je retourne accueillir mes convives. Joseph et son épouse Elizabeth ont constitué une table de douze dont je ne connais que trois personnes. L’Italie, le Canada, les USA sont représentés, mais aussi Paris et Besançon. Jean-Claude Vrinat toujours souriant nous a fait l’honneur de nous attribuer le magnifique salon du premier étage que je considère comme le plus beau salon où l’on peut dîner à Paris, avec ses lambris délicats du 18ème siècle. Une petite table pour deux a été ajoutée car Victoria et Henry, les deux jeunes enfants de Joe, habillés comme des princes, vont avoir un petit dîner, proches de nous, avant qu’une nurse ne les reconduise chez eux. C’est touchant et charmant. Henry aime le champagne. Ouf, je suis sauvé !
Le Champagne Dry Monopole, Heidsieck en Magnum 1955 fait partie de ces bouteilles que j’ouvre avec émotion. Il y a tant de bouteilles dans ma cave que je pourrais être indifférent à sortir des exemplaires uniques comme le Clos du pape 1924 que nous boirons plus tard. Mais il y a aussi des bouteilles qui me tiennent à cœur plus que d’autres, comme le Moët 1945 que nous avons bu au château d’Yquem avec Joe, et comme ce champagne que je chéris et que j’aurai sans doute du mal à remplacer. Ce soir, les vins que j’ouvre avec plus d’émotion que d’autres sont ce champagne et le Nuits Cailles 1915, car son stock se tarira forcément un jour. C’est le deuxième que j’ouvre à une semaine d’intervalle, comme l’Anjou 1928.
Le Dry Monopole 1955 a une belle couleur où le jaune a encore des reflets citronnés. La bulle est présente mais sans grande force. Le goût m’évoque instantanément le miel quand une convive voit des fruits jaunes qui apparaîtront plus tard à mon palais. Ce champagne est éblouissant. Il a un bel équilibre, une longueur ravissante, et des saveurs qui entraînent sur des chemins inexplorés pour beaucoup. Notre groupe est conquis par ce grand champagne émouvant, qui remet en cause toutes les idées reçues sur l’âge optimal d’un champagne.
Nous passons à table et voici le menu, créé sous l’autorité de Jean-Claude Vrinat par Alain Solivérès : Rémoulade de tourteau à l’aneth, crème fleurette citronnée / Epeautre du pays de Sault en risotto aux champignons / Viennoise de sole, boutons de guêtre et vieux comté / Palombe rôtie aux légumes d’automne caramélisés / Tourte de lapin de garenne au genièvre / Cristalline aux coings, glace au riz au lait / Croustillant au chocolat et aux fèves de Tonka. C’est un menu élégant, équilibré, où l’on sent que la cause des vins anciens a été prise en compte. Mais voyons plutôt.
Le Dry Monopole 1955 va s’amuser d’une crème de potimarron qui lui fait décliner d’autres facettes. J’explique à mes convives combien les grands champagnes sont flexibles et compagnons d’audaces gastronomiques.
Le Vouvray sec, clos de Nouys, domaine Maurice Audebert 1966 est pour moi une plaisante surprise. Le vin est jeunet mais sage, équilibré, d’une belle acidité, et sa région serait introuvable si je le dégustais à l’aveugle. Ce n’est qu’en fin de verre que je trouverai quelques indices qui le rattachent à son terroir. L’accord est époustouflant. Le radis qui coiffe le tourteau fait ressortir un goût fortement poivré du Vouvray et chacun peut mesurer à quel point le vin améliore le plat et le plat améliore le vin, ce qui est la définition d’un grand accord. Ce Vouvray constitue pour moi une divine surprise.
Je suis toujours servi par le sommelier des premières gouttes d’une bouteille, pour vérifier le vin. Comme j’ouvre les vins et laisse la bouteille verticale, la part du vin qui a été le plus longtemps proche du bouchon m’est servie en premier. C’est la plus ingrate. Aussi quand j’annonce à tous que le Château Laville Haut-Brion 1948 est fatigué, tout le monde me demande ce qui justifie cet avertissement. Et je verrai que les votes vont me donner tort. Mais ce n’est quand même pas le beau Laville que j’adore. Couleur dorée, saveur de Graves, c’est un vin à la palette aromatique plus large que le Pinot Gris Réserve spéciale, Schumberger 1953 qui est servi en même temps. Vin beaucoup plus joyeux et arrondi que le Laville, j’ai tendance à le préférer, contrairement à l’avis de la table. J’aime sans doute que ce vin simple s’exprime avec bonheur ce soir, car cela fait partie des achats de hasard qui foisonnent dans ma cave, cette bouteille étant unique et sans possibilité d’un nouvel essai, sauf improbable bonne pioche. L’épeautre est délicieux et confirme comme pour le premier plat qu’un goût simple, homogène et lisible est indispensable pour l’harmonie des vins anciens.
Le Vin d’Arbois Vigne de Pasteur 1968 est émouvant à plus d’un titre. La parcelle de vigne qui appartient à la famille de Pasteur est vinifiée par Henri Maire, gratuitement, et le vin n’est pas vendu mais réservé à la famille et à des scientifiques travaillant dans la recherche. Ces bouteilles ne sont accessibles que lors de successions et le premier vin que j’ai bu fut partagé avec l’une des descendantes d’Henri Maire. La vinification spéciale rend ce vin incomparable à tout autre. Je le bois avec émotion. La chair de la sole et le clin d’œil du comté sont très adaptés à ce vin légèrement fumé, gêné par un infime petit goût de bouchon qui disparait très rapidement. Mais la sauce est l’ennemie de ce vin, trop forte, trop typée homard, qui l’effarouche. Boire ce vin, c’est s’approprier un atome d’histoire. Les bisontins présents en éprouvent la sensibilité.
Sur la palombe, Marco, le sommelier chef qui fit une prestation remarquable nous présente ensemble deux vins. Le Château Latour 1957 a une couleur d’une jeunesse incroyable. Comment est-ce possible d’avoir ce rubis intense pour une bouteille de la cave Nicolas que j’ai dans la mienne depuis trente ans peut-être, et qui a un niveau dans le goulot ? A côté, La Tâche, domaine de la Romanée Conti 1955 a une couleur pâle, frêle, un peu marquée par l’âge. Je sens le sel dans La Tâche ce qui laisse sceptique une convive qui en conviendra plus tard lorsque le Nuits Cailles fera ressortir le caractère salin de La Tâche. Ce vin du domaine de la Romanée Conti a un charme imprégnant. Mais je lui trouve une petite fatigue, encore plus accusée par la brillance du Latour que l’on n’attendrait jamais à ce niveau pour un 1957. Quelle race, quelle construction. Un vin brillantissime. Et la juxtaposition d’un bordeaux et d’un bourgogne sur le même plat me plait énormément car les vins sont tellement dissemblables qu’il ne sert à rien de les comparer ou d’en préférer un. Je jouis de l’exposé de ces différences, comme je l’avais éprouvé la veille au restaurant d’Alain Senderens. Malgré mon amour pour les vins du DRC, c’est la performance du Latour 1957 qui me séduit.
Le Nuits Saint-Georges « Les Cailles » Morin Pères & Fils 1915 est vraiment mon chouchou absolu. Sa couleur intense donne un coup de vieux à son cadet bourguignon de quarante ans. Le nez est envoûtant et en bouche, c’est la perfection de la Bourgogne qui nous ensorcèle. Il y a autour de la table de grands amoureux de la Bourgogne. Ils sont conquis par ce vin chaleureux, structuré, sain, joyeux, qui est d’une précision exemplaire. Tant d’idées sur les vins anciens tombent avec ce vin, que la table est secouée dans ses préjugés. Et je me demande comment il est possible que ce Nuits soit toujours aussi parfait chaque fois que je l’ouvre. Une réussite incroyable. En croquant la première bouchée de la tourte de lapin extrêmement virile, je me suis demandé si le Nuits subirait le choc de ces saveurs lourdes mais passionnantes. Un tel plat attendrait des vins lourds du Rhône. Mais le Nuits s’en sort remarquablement. La sauce lourde est ici totalement justifiée car le plat la demande. L’accord se fait bien, d’un mutuel consentement.
Nous quittons maintenant le monde des rouges pour celui des vins doux et trois vins ambrés vont s’aligner devant nous. La couleur de mangue ou de pèche jaune de l’Anjou Caves Prunier 1928 fait plaisir à voir . L’ambre du Clos du Pape Fargues Sauternes 1924 est sombre mais joyeux. Le Château Lafaurie-Peyraguey Sauternes 1964 fait clair et jeune par rapport à ses aînés. Le nez de l’Anjou est très curieux, multiforme, avec des feuilles vertes qui se mêlent au citron. Une forte impression de litchi envahit la narine. Le Clos du Pape a le nez brillant d’un sauternes épanoui où se déclinent le pamplemousse et la mangue. Le Lafaurie a un nez discret de vin puissant. En bouche, c’est pour moi le Clos du Pape qui survole de loin. L’Anjou 1928 est moins brillant que l’Anjou Rablay 1928, lui aussi des caves Prunier que j’ai ouvert il y a une semaine chez Pierre Gagnaire. Je pense même qu’il y a une légère déstructuration dans ce vin. Le Clos du Pape a perdu l’initiale évocation de caramel pour être plus mangue et l’association avec les coings est absolument divine. La carapace croustillante aurait dû se marier à ce 1924, mais c’est le coing qui est captivant. La présence du Lafaurie-Peyraguey 1964 à côté du 1924 vérifie le théorème que je lance toujours comme une boutade, mais qui est une vérité immuable : « toute personne qui n’a jamais bu de sauternes d’avant 1935 n’a jamais rien bu ». Car le Lafaurie généreux, goûteux, puissant serait joli tout seul. Mais il est infantile à côté du 1924 et trop simple par rapport au flamboiement langoureux de ce vin de 83 ans.
Nous allons vivre maintenant l’un de ces accords qui font date. Le dessert au chocolat est une merveille. Et l’on sait qu’avec le chocolat, l’accord se fera avec du Maury ou avec un alcool brun. Le Vin de Massandra, Collection Massandra (19°) 1953 que j’ai acheté avec un lot de ces vins multiformes de Crimée possède des étiquettes nombreuses et fort bavardes. Mais comme tout est écrit en cyrillique, c’est comme si nous buvions à l’aveugle, car les vins de Massandra ont exploré une impressionnante quantité de cépages. Alors, que trouve-t-on ? Une couleur foncée mais sans la densité d’un porto. Un nez étrange, énigmatique ou furtivement je ressens les effluves de vins médicinaux. En bouche, on est avec une grappa sans la charge alcoolique. C’est très alcool. Et je perçois immédiatement une caractéristique chère à mon cœur : la réglisse. Et ce vin indéfinissable, qui tient de la grappa mais aussi de vins mutés assez doux dont l’alcool ressort s’accorde au chocolat d’une divine façon. C’est voluptueux. Mon palais est celui des festivals, celui dont des stars aux courbes violentes gravissent les marches pour susciter mille rêves de folies. Il y a un mariage d’une sensualité exacerbée qui restera gravé dans ma mémoire car on transcende les deux accords classiques du vin ou de l’alcool sur du chocolat.
Vient le moment des votes. Au risque de me répéter, je prends ces votes avec un plaisir profond et une fierté certaine. Car j’ai apporté douze vins de sept régions différentes et j’ai demandé aux douze votants de désigner quatre vins qui sont leurs préférés sur les douze de cette soirée. S’il y avait quatre vins qui sortent du rang, quatre succès assurés, les votes seraient concentrés. Or onze vins sur douze ont figuré dans les votes. C’est un immense encouragement pour moi à explorer des vins disparates, parfois inconnus et peut-être disparus de toutes les caves. Le seul vin qui n’a pas eu de vote est le Pinot Gris 1953 de Schlumberger que j’ai pourtant trouvé fort bon, et des vins que j’ai estimés en sous performance par rapport à ce qu’ils pourraient être ont eu des votes, comme le Laville Haut-Brion 1948, l’Anjou 1928, La Tâche 1955 ou le vin d’Arbois 1968.
Quatre vins ont eu l’honneur d’une place de numéro un, le Nuits Cailles 1915 quatre fois et le champagne Dry Monopole 1955 quatre fois aussi. Le Clos du Pape 1924 a eu trois votes de premier et le Latour 1957 un vote de premier. Le vote du consensus serait : 1 – Nuits Saint-Georges « Les Cailles » Morin Pères & Fils 1915, 2 – Champagne Dry Monopole, Heidsieck en Magnum 1955, 3 – Clos du Pape Fargues Sauternes 1924, 4 – Château Latour 1957.
Mon vote a été : 1 – Nuits Saint-Georges « Les Cailles » Morin Pères & Fils 1915, 2 – Clos du Pape Fargues Sauternes 1924, 3 – Château Latour 1957, 4 – Champagne Dry Monopole, Heidsieck en Magnum 1955. Ce n’est pas fréquent que le vote du consensus et le mien portent sur les mêmes vins, dans un ordre différent.
Joe me demandant si le séjour prolongé en cave de mes vins apportait quelque chose, je dus lui dire que tant de facteurs jouent sur la performance d’un vin que le passage en cave n’influence que les décimales.
Taillevent a fait comme à son habitude une prestation de grande qualité. Le service efficace, la gentillesse de Jean-Claude Vrinat, le menu bien ordonnancé qui a produit quelques accords rares, le salon de toute beauté, tout cela portait au bonheur. Mais ce fut l’ambiance de la table qui a fait de ce dîner un moment d’une intensité exceptionnelle. Un ami de Joseph qui participa au repas au château d’Yquem fit un petit speech pétillant d’esprit sur Joe et Elizabeth, avec sensibilité, exprima tout ce que Thanksgiving Day apportait à la joie amicale et familiale. Tout le monde a communié à l’amitié, à la bonne chère et aux vins anciens. Ce fut l’un des plus enthousiasmants de mes dîners.
Champagne Dry Monopole Heidsieck en magnum 1955
Vin d’Arbois Vigne de Pasteur 1968
.
.
.
.
Château Laville Haut-Brion 1948
Château Latour 1957
La Tâche Domaine de la Romanée Conti 1955
Nuits Saint Georges « Les Cailles » Morin Père & Fils 1915
On lit sur la capsule Morin Père & Fils à Nuits Saint-Georges
Anjou Caves Prunier 1928
Château Lafaurie-Peyraguey Sauternes 1964
Clos des Papes Fargues Sauternes 1924
J’ai ajouté à ce dîner un Vouvray sec Clos de Nouys Maurice Audebert 1966,
un Pinot Gris réserve spéciale Schlumberger 1953
et un Massandra Madeira, Collection Massandra 1953 (19°).
La très belle table du salon du premier étage. On voit au fond la petite table où les enfants de Joseph vont dîner.
Amuse-bouche en émulsion de potimarron et tourteau
épeautre et sole
palombe; j’ai oublié de photographier la tourte au lapin, quel dommage !
deux desserts magnifiques qui ont créé des accords divins (voir compte-rendu).
C’est toujours triste quand il en reste autant dans les verres, mais on peut voir les belles couleurs de ces vins extrêmement rares.
A la fin du dîner de l’académie du vin de France, je salue Alain Senderens et son épouse en disant « à demain », car je déjeune avec mon groupe de conscrits au restaurant Alain Senderens. J’ai réservé le joli petit salon d’angle du premier étage. Mes vins ont été ouverts à l’avance avant mon arrivée. Etant en avance, je bavarde avec Alain Senderens heureux et épanoui. Le menu est ainsi composé : amuse-bouche / langoustines croustillantes, coriandre et livèche / lièvre à la royale selon la recette d’Antonin Carème pour le prince de Talleyrand / parfaiyt glacé au curry / fine dacquoise au poivre de Séchouan, marmelade au citron confit, glace au gingembre / café et petits fours. Je tenais à ce que mes amis goûtent ce lièvre à la royale.
Alain m’avait offert une coupe de champagne Pommery 1998 de belle couleur et gentiment goûteux. Nous commençons par un champagne Elégance de Bricout (Avize) 1982 que je trouve spectaculaire. Sa couleur est d’un or bien vivant, son nez est intelligent et en bouche la combinaison de la plénitude et d’une jolie acidité en font un champagne de grande réussite. Ce champagne qui m’était inconnu m’a conquis et impressionné. Je voulais goûter de nouveau le Château Griller 1976 après l’essai malheureux au restaurant de Pierre Gagnaire. Celui-ci n’est pas mort, mais il est bien madérisé. Une moitié carafée sera fort agréable, typée, suggérant enfin ce qu’est Château Grillet. L’autre moitié restée en bouteille sera trop fatiguée pour plaire.
Sur le lièvre à la royale exécuté de main de maître, trois rouges de trois régions vont nous proposer un exercice dont je raffole. Car ces trois vins vont exprimer avec une rare exactitude l’âme même de leur région. Et l’on s’aperçoit qu’au lieu de se combattre, ces trois acceptions du vin rouge s’additionnent et montrent avec une certitude inattaquable qu’il faut aimer les trois. Un tel exercice montre que prétendre n’aimer que les bordeaux, ou n’aimer que les bourgognes est une absurdité. Il faut aimer les trois.
Le Château La Mission Haut-Brion 1981 a une robe foncée, dense et lourde. Le nez est subtil. En bouche, c’est un vin de grande race, bien construit et magnifiquement épanoui pour son année. Il est beau et expressif et c’est celui qu’Alain Senderens préfère. Le Corton Clos de la Vigne au Saint Louis Latour 1985 est d’un charme bourguignon qui me renverse. La couleur est claire, le nez est discret et le vin chuchote à ma bouche un madrigal courtois. C’est tout le charme en suggestion de la Bourgogne, où l’on n’impose rien en force. Si j’osais, je dirais que le vin de Bourgogne est comme un pli en poste restante : il faut aller le chercher. Et quand il s’ouvre, c’est un message de bonheur.
Quand la Côte Rôtie La Turque Guigal 1995 s’assoit dans ma bouche, c’est comme les deux portes du salon qui s’ouvrent sur une foule imprévue qui crie « joyeux anniversaire » quand on s’y attend le moins. Car ce message où un fruit assassin se glisse sous un vin joyeux, c’est à tomber par terre. Quel naturel et quelle joie de vivre ! Au-delà du plaisir pur que donne chaque vin, c’est le fait de saisir l’âme de chaque région qui m’émeut le plus. Et je ne cesse de repasser de l’un à l’autre pour me dire que le Mission Haut-Brion est sans doute le plus architecturalement construit des trois, que le Corton est sans doute le plus féminin et charmeur, d’une séduction subtile comme un billet doux et que La Turque de Guigal est sans doute le vin le plus sexy, joyeux, de plaisir premier. Mais c’est l’exposition de leurs différences qui me fait le plus de plaisir. Ce sont trois régions que j’adore et chacune me dit : « regarde, je suis différente des autres ». J’ai adoré cette confrontation constructive.
Le Château d’Yquem 1994, qui se présente tout seul à notre déjeuner, alors que les précédents Yquem récents que j’ai bus étaient en comparaison, dans de longues ou courtes verticales, peut jouer son jeu à sa guise. Et les lamelles de citron confit lui servent de tremplin. Il devient joyeux, plein, heureux, alors que ce n’est pas la meilleure année. Mais Yquem est Yquem, et dans ce jeu, il est toujours gagnant. Belle présence ensoleillée et final fort solide. Alain Senderens a fait ajouter un dessert au chocolat garni de petites cerises pour accompagner le Maurydoré La Coume du Roy de Volontat 1925 toujours aussi délicieux. C’est le conscrit du banyuls que j’ai ouvert pour le dîner chez Pierre Gagnaire. L’année apporte à ces deux vins une rondeur élégante qui en fait des vins de plaisir. Ce fut un magnifique déjeuner d’un Alain Senderens serein et heureux.
Avant / après, la très jolie table du petit salon du premier étage.
Délicieuses langoustines que l’on trempe à la main.
à gauche, sublime lièvre à la royale sur une recette de Carème.
des accords prodigieux (voir le compte-rendu)
L’académie du vin de France, présidée par Jean-Pierre Perrin du Château de Beaucastel tient des séances de travail qui sont suivies chaque année par un dîner de gala auquel on me fait l’honneur de me convier. Les plus grands vignerons français sont présents, ainsi que des journalistes, des restaurateurs et quelques gastronomes bons vivants que l’on reconnaît au tour de taille dont j’ai le calibre. Ce dîner se tient au siège de l’académie, le restaurant Laurent, car chacun se plait à reconnaître en Philippe Bourguignon une excellence qui convient à celle des vins des académiciens.
A 19heures, au premier étage, sont alignés en quatre salles tous les vins qui font rêver les amateurs, généralement de l’année 2005 qui connaîtra un jour la renommée de 1990. Il y a les champagnes et les blancs, et j’adore la subtilité d’un Chablis de Raveneau 2005, d’un Corton Charlemagne Bonneau du Martray 2005 et un tonitruant Meursault Clos de la Barre Comtes Lafon 2005. Les blancs sont particulièrement brillants. La salle suivante est consacrée aux vins rouges qui ne sont pas de Bordeaux, et je suis très agréablement impressionné par le vin rouge du Château d’Arlay 2005. L’Hermitage rouge Chave 2005 est puissant, mais je le trouve serré en ce moment, moins chaleureux que le joyeux Hermitage blanc Chave 2005 que j’avais goûté dans l’autre salle. Le Beaucastel rouge 2005 est plus plaisant que le Chave à ce stade de sa croissance, plus harmonieux. Mais le vin qui remporte tous les suffrages, de cent coudées, c’est le Romanée-Saint-Vivant Domaine de la Romanée Conti 2004. Je souris, parce que ma passion pour les vins de DRC est telle que je suis probablement partial. Force est de constater que ce vin est absolument immense, d’une subtilité poivrée combinant raffinement, délicatesse et soleil. J’en complimente Aubert de Villaine qui reconnaît qu’il est bien fait. Dans la salle des bordeaux le Corbin Michotte 2005 me plait beaucoup, le Gazin 2005 est très bien fait, et le Montrose 2005 paresse en robe de chambre.
Dans un tout petit bureau il y a trois vins, mais quels vins ! Un Vouvray 2005 de Huet a une verdeur et une acidité qui sont la promesse d’un vin succulent et grandiose dans une trentaine d’années. Alexandre de Lur Saluces a apporté Château de Fargues 2003 élégant, pondéré, qui doit attendre encore avant de nous offrir toutes les merveilles qu’il cache encore. Mais c’est le dernier vin qui est un uppercut à l’âme. Le Gewurztraminer Hugel 2005 dont je n’ai pas noté s’il est sélection de grains nobles est merveilleux en bouche. La valse de la douceur entraînée par l’acidité se prolonge dans un final virevoltant quasi infini. Quelle promesse ! Si je dois voter pour quelques vins, alors que l’esprit de cette présentation n’est pas à comparer mais à profiter, je citerais en premier le Romanée Saint-Vivant DRC 2005, puis le Gewurztraminer Hugel 2005 et le Meursault Comtes Lafon 2005. Tous les autres, dégustés avec leurs propriétaires, sont de grands vins.
Nous passons à table et Jean-Pierre Perrin fait comme d’habitude un discours puissant, engagé, solennel. Le menu conçu par Alain Pégouret, chef sensible de grand talent, avec Philippe Bourguignon est un chef d’œuvre de cuisine et d’harmonie et Jacques Puisais, l’inénarrable raconteur des vins et des mets, signala que ce fut la plus belle réussite qu’il ait connue en cet endroit.
Voici le menu : Huîtres spéciales « Gillardeau » n° 2 lutées dans leurs coquilles, bouillon de mousserons citronné et fleurette au bacon. / Foie gras de canard grillé posé sur une cracotte, figues et amandes fraîches / Carré de chevreuil et son toast de légumes d’automne au mascarpone / Munster fermier et pain au carvi / Canons de chocolat, l’un finement cacahouèté et l’autre : cerises, oranges amères confites et sauge. Je m’amuse à classer mes préférences, le bouillon de mousserons est divin et la cuisson du foie gras est unique. L’accord le plus éblouissant est sans doute celui du foie gras et du riesling.
Les vins ont été nommés dans le menu qui nous est remis non pas du nom du domaine mais du nom de celui qui représente son domaine ou celui qui a fait le vin. L’attention est charmante.
Il faut bien vite prendre en premier le Chablis Grand Cru « Valmur » Jean Marie Raveneau 2000 pour goûter sa fraîcheur et son message floral et minéral, car le Meursault Premier Cru « Goutte d’Or » Dominique Lafon 2000 est du genre Terminator, à ne pas aimer partager la vedette. Et c’est le plat qui va permettre aux deux de briller d’égale façon, car l’huître seule préfère le Chablis quand les mousserons adorent le Meursault. Les huîtres lutées sont goûteuses à souhait.
Le Riesling Grand Cru « Rangen de Thann » Clos Saint-Urbain 2000 Léonard Humbrecht, quand on le boit seul fait un peu surmaturé, et l’amertume est un peu forte. Mais le foie gras joue un rôle déterminant car il transforme complètement le riesling qui se civilise, s’arrondit pour devenir le gendre idéal du foie.
La juxtaposition de deux monstres sacrés promet d’être passionnante. Comme le dira plus tard Jacques Puisais, ces deux frères ennemis vont en fait se mettre en valeur mutuellement. L’Hermitage rouge Gérard Chave 1998 a une attaque puissante, virile, mais derrière cette façade, il y a de jolies variations sur le fruit. Le Chateauneuf-du-Pape Château de Beaucastel rouge Jean-Pierre Perrin 1998 paraît plus subtil et plus complexe, mais lorsque l’on passe de l’un à l’autre, on se prend à aimer celui que l’on boit. Après de multiples allers et retours, mon cœur penche pour le Beaucastel dont j’aime le romantisme. Mais je suis prêt à adorer les deux.
Le Gewurztraminer Grand Cru « Hengst » Léonard Humbrecht 2000 se prête avec bonheur au jeu des deux munsters, le plus jeune et le plus affiné. Sa jeunesse est quand même un handicap car je sais ce qu’il offrirait avec vingt ans de plus. Venant de boire il y a quelques jours un banyuls de 1925, j’accueille le Banyuls « la Coume » Jean Michel Parcé rimage 1985 avec amitié, sensible à son fruit exubérant. Mais là aussi, il faut à ces vins des décennies de plus pour qu’on en goûte la substantifique moelle.
Le repas fut une réussite spectaculaire. Le service et l’atmosphère sont uniques. Alain Pégouret fut fortement applaudi. J’ai revu des amis avec des milliers de promesses de se rendre visite. Cette fête de l’amitié vigneronne est un grand moment, cher à mon cœur.
Imaginons qu’un coup de baguette magique ait permis d’assister au même repas, avec les mêmes plats et avec les mêmes vins qui auraient, chacun d’eux, vingt ans de plus. Nous aurions gravi deux échelons de plus dans l’échelle du plaisir. Il serait impossible de rassembler autant de bouteilles d’un même millésime ancien pour autant de monde. Mais quel enjeu !
Beaucastel 2005 et Hermitage Chave 2005, c’est l’aristocratie du Rhône bue avant le dîner.
Crozes Hermitage la Guiraude de domaine Alain Graillot et Chateau Simone 2005
Jurançon sec du domaine Cauhapé 2005 et sur la photo : Champlain, le célèbre caviste canadien, probablement le plus grand collectionneur de Romanée Conti en grands formats, François Audouze et Alexandre de Lur Saluces propriétaire de Fargues.
Les huîtres lutées sont très belles et le foie gras (à droite) est goûteux à souhait.
Merveilleuse cuisine élégante d’Alain Pégouret.