Cheval Blanc et Yquem à Las vegas chez un grossite en vins mercredi, 7 novembre 2007

Je dois retourner en France pour aller participer à une dégustation au siège de Jaboulet, suivie par un dîner au restaurant Pic à Valence. J’ai une grande sympathie pour Anne-Sophie Pic et son parcours valeureux. Un ami vivant à Las Vegas et lié au monde du vin me dit : « laisse donc cette invitation et viens à un dîner fabuleux que j’organise chez Joël Robuchon à Las Vegas ».  Je commence par dire non puis je rumine. Les occasions pour aller en ce lieu où Joël réinvente le Robuchon que j’ai adoré il y a bientôt plus de vingt ans sont rares. Le menu qui est prévu me semble assez spectaculaire. Je pèse le pour et le contre. L’envie de faire cette folie me chatouille. Je dis oui. En ces temps de communication instantanée les changements et ajoutes de billets d’avion se font rapidement. Mon ami me réserve une chambre au Bellagio. Je vais voir sur le site internet de l’hôtel. Ça ne paraît pas mal. Me voilà parti.

De l’avion on voit que l’on traverse des régions désertiques d’une rare sécheresse. Et soudain, non loin d’un lac de belle taille on voit cette oasis où fleurissent des gratte-ciels au milieu d’un quadrillage de maisons résidentielles. L’aéroport de Las Vegas est immense et l’on ne cesse de marcher. Dès l’entrée, les premières machines à sou tentent les joueurs. Quand on attend ses bagages devant le carrousel, d’immenses écrans projettent toutes les attractions auxquelles il serait possible de succomber. La liste d’attente des taxis est fort longue et j’entends un touriste américain crier Bellagio. Il cherche un complice pour partager le prix du taxi. Cela me fait gagner de nombreuses places. J’accepte son offre.

Arrivé à l’hôtel Bellagio, je vais au comptoir d’enregistrement. Pas moins de 300 personnes font la queue pour se faire enregistrer à l’un des quinze ou vingt comptoirs. Mon ami avait réservé pour moi et le préposé trouve mon nom. Je connaissais Las Vegas pour y être venu plusieurs fois et je suis prévenu du gigantisme. Mais là, c’est assez renversant. Cet hôtel compte 10.800 personnes à l’effectif. C’est inimaginable. Les préposés aux bouquets de fleurs sont au nombre de 70. Pour atteindre ma chambre, c’est un parcours qui vaut bien quatre ou cinq trous de golf. Inutile de prévoir son jogging matinal, cet hôtel suffit. La décoration des chambres est très convenable, d’un luxe standardisé mais acceptable. Ce n’est plus la personnalisation de l’hôtel Bel Air avec un service surabondant. Ici tout est « managé ». Mon ami m’appelle et me dit, sans autre forme de procès : « je te prends à 6 heures pour aller dîner chez un grossiste en vins ». Quand il arrive, je reconnais dans sa voiture Pierre Lurton à qui j’avais dit que je ne viendrais pas à Las Vegas lorsque je l’avais croisé par hasard à la sortie de son hôtel dans Beverly Hills. Nous partons en dehors de Las Vegas et nous arrivons dans une zone industrielle où une entreprise « Southern Wine Spirits of Nevada » a installé son siège et son entrepôt. Le luxe se respire dès l’entrée. Une immense affiche annonce : « welcome to Pierre Lurton ». Des gens boivent du Perrier Joët Belle Epoque. Nous montons dans le bureau du « senior managing director », Larry Ruvo, sexagénaire dynamique qui goûte dans une salle de réunion quelques vins avec Maureen, une très jolie femme qui va rejoindre un projet que Larry nous expose tout de go. Il nous montre une maquette d’un immeuble qui sera construit selon les plans de l’architecte du Guggenheim de Bilbao. La construction est faite de cubes entassés comme un jeu d’enfant, couverts d’une chiffonnade en acier inoxydable sensée représenter les circonvolutions du cerveau. Car il s’agit d’un centre de recherche pour les maladies d’Alzheimer et de Parkinson. Il remercie mille fois Pierre Lurton car Bernard Arnault a été l’un des donateurs, et nous expose comment il a levé des fonds avec cette méthode très américaine d’organiser un repas de 2000 personnes au cours duquel on vend aux enchères des choses totalement folles comme une niche de chien conçue par le même architecte et adjugée à 350.000 dollars. La soirée aurait rapporté 20 millions de dollars. Au Nevada, on ne badine pas avec l’argent. Larry n’arrête pas de commenter ce projet et l’on ne sait toujours pas quel rôle il joue dans tout cela. Pierre se fait mille fois féliciter par de larges accolades. C’est américain. Nous allons rejoindre une immense salle de conseil dressée pour une quarantaine de couverts. Tout le monde est déjà là et nous serrons des mains. Au mur, il est écrit : « Southern Wine and Spirits welcomes Pierre Lurton ». Six verres sont devant chaque place.

Voici le menu : Coriander seared Hamachi on a bed of pumpkin risotto / Roasted crispy skinned pheasant with a medley of chanterelles and truffle oil / grilled tenderloin of bison with baby Dutch potatoes and a Barolo emulsion / lavender poached Bartlett pears / Poppyseed-cinnamon ice and sautéed strawberries. Larry nous a montré sa cuisine dont la taille est plus grande que celle de Guy Savoy additionnée de celle de l’Astrance. Rappelons que nous sommes en zone industrielle. Il a un chef à demeure qui a réalisé une cuisine que beaucoup de chefs dotés d’une étoile pourraient envier. De plus la sophistication des plats est spectaculaire.

Nous nous asseyons et Larry demande à chacun de se présenter. Ce sont les sommeliers des plus grands restaurants de Las Vegas, des propriétaires de restaurants et des personnes impliquées dans ce projet humanitaire dont nous avons vu la maquette. Je suis assis à côté de Hae Un Lee, exemple du miracle américain car il est arrivé il y a 26 ans avec deux dollars en poche et dirige maintenant onze boutiques de vins réalisant 80 millions de dollars de ventes. A ma droite, c’est un avocat de l’est américain qui a tout abandonné pour créer un restaurant et une boutique de vins à  Las Vegas.

Les vins que nous goûtons sont Château Cheval Blanc 2000 – 1998 – 1990 et 1989. D’emblée on sent que les vins, aérés depuis longtemps, servis à la température de pièce, sont infiniment plus généreux et ouverts que lors des dégustations que nous avons faites à Los Angeles. Au nez, et ce sera confirmé en bouche, il apparaît que celui qui sort du lot est le Cheval Blanc 1998 et que le plus faible est le Cheval Blanc 1989. Le 2000 est un grand vin bien sûr, puisqu’il a été gratifié de 100 points par Robert Parker. Mais le 1998 le précède de cent coudées. Le Cheval Blanc 1990 a des accents de chocolat et de truffe et son final est aérien. Le 1989 est plus sec, boisé et poivre vert. Une chose est à signaler, c’est que les quatre vins sont des vins immenses, ce qui ne paraissait pas aussi évident lors des dégustations de Bipin Desai.

Mon classement est : 1998 – 1990 – 2000 – 1989. Mais j’observe alors un curieux phénomène. Le 2000 fait une ascension vers le somment à un rythme étourdissant. Pourquoi se met-il à s’améliorer aussi vite, je suis incapable de le dire. Je quitte cette série de vins rouges en assistant au fait que le Cheval Blanc 2000 se met à justifier ses 100 points.

Les deux Yquem sui nous sont servis à température plus élevée qu’à Los Angeles sont épanouis. L’Yquem 2001 est encore un bébé dans ses langes, mais la poire à la lavande le débride complètement. C’est un grand vin qu’il faut attendre. La belle et divine surprise vient d’Yquem 1988 qui est joyeux comme jamais il ne le fut à Los Angeles. Là, sous cette présentation tonitruante, il reprendrait la tête de la trilogie 88 – 89 – 90.

Lorsque nous étions dans le bureau de Larry Ruvo, il nous avait suggéré avec insistance d’aller au show de l’hôtel MGM, le « KA », cirque du soleil. Il annonce à ses invités que nous quittons le repas pour visiter l’entrepôt et ensuite aller à ce show. Un chiffre montrera le gigantisme américain : de cet entrepôt sortent chaque nuit quarante mille caisses de vin. Le stock comporte plus de 16.000 références et le nombre de caisses se compte en millions. Nous faisons un tour en voiture électrique, klaxonnant pour ne pas se faire heurter par une armée de chariots élévateurs en plein travail.

Mon ami met son détecteur de radar  pour nous emmener à plus de cent miles à l’heure à l’hôtel MGM. Pendant le trajet nous pouvons voir dans la nuit noire que les avions qui vont se poser à Las Vegas s’alignent à la queue-leu-leu dans le ciel comme les cyclistes dans une échappée contre le vent. On dira ce qu’on voudra d’un accueil un peu sirupeux, grandiloquent, excessif de notre Tycoon du Nevada, mais derrière tout cela, il y a de l’efficacité. Car devant la porte d’entrée du théâtre, il y a un collaborateur de Larry qui nous attend avec nos billets. Chapeau bas. Nous assistons à l’un de ces spectacles extraordinaires qu’on ne trouve qu’à Las Vegas. La machinerie pour animer tous ces plateaux qui bougent dans l’espace est totalement invraisemblable. C’est un chatoiement de couleurs, des acrobaties aériennes orchestrées par une chorégraphie élégante et osée.

Les yeux encore brillants de cette féerie, nous entrons au restaurant de Joël Robuchon qui est dans l’hôtel MGM. Nous sommes accueillis par le directeur et par le sommelier qui nous propose au bar un champagne Bruno Paillard non millésimé. Je n’en ai jamais bu et je suis plutôt favorable à son final enlevé et aérien. Je picore quelques mignardises qui restent en fin de service sur le chariot. Caque saveur est à se damner. La décoration du lieu est d’une belle distinction mais surtout d’une opulence qui marque les esprits. L’Atelier de Robuchon est voisin du restaurant aussi le chef de l’Atelier vient nous dire bonjour. Pierre Lurton dispose d’une immense suite à l’hôtel MGM et nous souhaite une bonne nuit. Mon ami me dépose au Bellagio à une entrée qui n’est pas celle que je connaissais. Il me faudra une demi-heure pour regagner ma chambre après avoir traversé des milliers et des milliers de tables de jeu où une population incroyablement nombreuse s’adonne à la drogue du jeu. Un ami suisse qui était de la partie ce soir et loge au même hôtel est un accro du jeu. Il m’a montré des jetons dont la valeur individuelle ferait frémir dans d’autres lieux que cette oasis de l’invraisemblable.

Tout ici est folie et gigantisme, tout dépasse l’imagination. Cette immersion est un dépaysement absolu qui me ravit par l’exubérance inattendue. Laissons à après-demain le retour au quotidien.

Southern Wine & Spirits, Nevada mercredi, 7 novembre 2007

When we arrive, the welcome is particularly sympathetic. Pierre Lurton accepted to be on this picture.

 

Larry Ruvo explains the project of a very big building for a center of research on Alzheimer and Parkinson diseases. He thanks Pierre Lurton for the support he gave.

Then, we join the board room where a meal will be served.

 

Larry presents everyone, I am near Pierre Lurton on this picture.

 

A delicious meal for Cheval Blanc and Yquem (see report)

 Delicious pear on Yquem

 This is the only picture of the show in hotel MGM that I took, as it is forbidden to use cameras.

Arrivée à Las Végas mercredi, 7 novembre 2007

The subburbs and the city.

In the airport, whom do I see on a huge picture ? Guy Savoy and Wolfgang Puck !

 

The main entrance of hotel Ballagio. This limousine is not for me !

 

The eyes are attracted by all these flowers or butterflies in colored glass. But looking on earth, here are all the people checking as I do !

 

The lobby is incredibly crowded.

 

As everywhere in town, thousands of tables to gamble and gamble…

The picture that I should not miss : a wedding in the hotel.

 

We live only once. How to be crazy mercredi, 7 novembre 2007

I was supposed to fly back from L.A. to Paris to go immediately for a tasting by Jaboulet and a dinner by restaurant Pic, prepared by the wonderful and brilliant chef Anne-Sophie Pic.

But while being in L.A., several friends announced that Pierre Lurton would continue his trip to Las Vegas for a great dinner by the restaurant Joël Robuchon.

I have heard that Joël has the same stamina, the same will to win in Vegas as he had when he managed his three stars restaurant.

It was a temptation. I was weak, I sais yes.

Here is the program :

Chateau Cheval Blanc and Chateau d’Yquem

Dîner du jeudi 8 novembre 2007

Imaginé par Joël Robuchon

Guest of Honor : Pierre Lurton

L’avocat

Dans une infusion juste prise aux herbes et une caillebotte à l’huile d’olive

Avocado puree in a thin herb gelée and olive oil flavoured curd cheese

Champagne Dom Pérignon 1999

Les crustacés

La langoustine truffée à l’étuvée de chou vert, le homard rôti à la citronnelle avec une semoule végétale, l’oursin accompagné d’une purée de pomme de terre au café

Truffled langoustine ravioli with chopped cabbage, lemon grass roasted lobster with vegetable semolina, sea urchin, potato purée with a hint of coffee

Champagne Dom Ruinart 1996

Le Matsukaté

Aux capucines en ravioli, escorté d’un bouillon perfume au gingembre

Grilled Matsuke mushroom, capucine flower ravioli and ginger bouillon

Le Petit Cheval 2001

Le thon blanc

Confit à l’huile pimentée et relevé d’une nage d’endives aux pistils de safran

White tuna confit in chili oil with endive and saffron broth

Chateau Cheval Blanc 2001

Le veau de lait

En mille-feuille de tofu aux délices d’Alba sous une voilette parmesane

Veal chop tofu mille feuille shaved Alba truffles with parmesan tuile

Chateau Cheval Blanc 1989 & 1990

Le boeuf de Kobé

Grillé aux matsukatés, cristalline au poivre, cresson en tempura, raifort à la moutarde

Grilled Kobe beef with matsukate mushroom, watercress tempura, horseradish mustard

Chateau Cheval Blanc 1998 & 2000

La poire William

Glacée aux saveurs fruitées et confite à la crème de cassis

Château d’Yquem 1996 & 1998

Le Victoria

Ananas parfumé au praliné- noisette givré de thé au jasmin

Pineapple with hazelnut-praline and orange Pekoe tea sorbet

Chateau d’Yquem 2001 & 1962 en magnum

The level of the wines is not the same as the one which existed with the wonderful events created by Bipin Desai and with a guest of honor who was also Pierre Lurton. But considering that I will more easily visit Jaboulet and Pic than I will visit Joël in vegas, I decided to go there.

In the description of the dishes, I have seen some components which will not necessarily match perfectly with the wines. It teases me to go. I will go.

La perfection médiévale. Visite du Getty Center de Los Angeles mardi, 6 novembre 2007

Après ces merveilleuses dégustations, un peu de repos s’impose. Faire du shopping à Beverly Hills, c’est imaginer, l’espace d’un instant que l’on est riche. Les articles que je regarde ont un nombre suffisant de zéros avant la virgule pour que je me tienne sage, sauf pour des vêtements qui font de moi un « vrai » américain. Je vais au musée Getty. Comment est-il possible, même pour l’homme qui fut le plus riche du monde, d’acheter une immense colline qui offre une vue époustouflante sur Los Angeles et d’y construire une ensemble gigantesque qui représente au moins cent fois la villa Noailles de Hyères. Les parkings en sous-sol pour les bus scolaires couvrent des hectares. On accède au site par une noria de navettes électriques qui sont les mêmes qu’aux nouveaux terminaux de Roissy et l’on est accueilli par une splendide sculpture de Maillol qui fait une tache de couleur devant un ensemble de bâtiments en marbre blanc. Alentour on peut discerner à travers le brouillard constant des panoramas à couper le souffle. La comparaison à la villa Noailles n’est pas vide de sens tant l’enchevêtrement de bâtiments et de perspectives ouvre des horizons nouveaux.

Je vais visiter une exposition temporaire d’œuvres médiévales, et j’ai un choc qui crée un lien avec le monde du vin. Des sculptures en marbre du 4ème siècle, des tapisseries brodées aux couleurs vives du 5ème siècle, de fines gravures sur ivoire du 8ème siècle montrent que cette époque que l’on voudrait considérer comme barbare avait un sens artistique et une virtuosité technique qui n’a rien à envier à la Renaissance postérieure parfois de mille ans. Je vois une petite plaque octogonale en or avec le Christ crucifié au centre, entouré de douze têtes qui émergent de la plaque, représentant les apôtres aux visages précis malgré leur taille minuscule. Un tel travail d’orfèvrerie ne peut se concevoir dans un monde barbare. Des centaines d’objets remarquables d’une période s’étendant de l’an 300 à 1450 montrent un savoir faire, surtout sur l’ivoire et les enluminures qui me semble perdu aujourd’hui faute de temps et de mécènes. Le lien avec le vin est le suivant : du fait d’une industrialisation extrêmement rapide qui modifie le champ conceptuel presque tous les dix ans, nous croyons bien trop facilement que le monde a été inventé lorsque nous sommes nés et que les générations qui nous précèdent vivaient dans un obscurantisme total. Voilà qu’une tapisserie bien conservée tissée il y a 1600 ans rappelle qu’on savait créer avec art il y a très longtemps, qu’un ivoire d’une émotion intense montre qu’il y a 1200 ans, on créait avec délicatesse. Trop de gens estiment que le bon vin a été inventé dans les quarante dernières années. Ils oublient que la tradition orale, qui permettait la transmission de génération en génération des secrets de l’orfèvrerie a joué le même rôle pour l’excellence du vin. Il y a cent ans, on savait faire du vin, avec l’acquis de plus de mille ans d’essais et d’erreurs. Le vin ne date pas de l’arrivée des maîtres à penser d’aujourd’hui. Le choc artistique qu’a occasionné cette merveilleuse exposition dépasse – fort heureusement – la seule pensée de la similitude au vin. Le musée Getty est un lieu où il faut impérativement se rendre.

Beverly Hills lundi, 5 novembre 2007

Rodeo Street is designed to make a rodeo with your bank account.

How much time will it stay on its saddle ?

 

Tiffany, Louis Vuitton, and in the middle of the street, pacakaging of Baccarat.

 

This shop has no window, no barrier, and this naked woman in the middle of the street suggests : "buy me clothes".

All in the town perspires luxe, success.

Not bad !

Une verticale de 28 millésimes d’Yquem jusqu’en 1899 lundi, 5 novembre 2007

Après un petit break suivant le déjeuner avec les plus grands Cheval Blanc, nous nous retrouvons à nouveau pour le premier repas consacré à Yquem, un dîner à Chinois on Main, avec la cuisine de Luis Diaz et René Mata, et avec la supervision des vins de Christian Navarro. La dégustation est conduite par Bipin Desai et l’invité d’honneur est Pierre Lurton, qui va nous donner des informations très précises sur chaque année avec les dates de vendanges, les rendements, les taux d’alcool, d’acidité et de sucre potentiel ou résiduel. Je suis arrivé très en avance de mon hôtel, aussi je peux voir toutes les bouteilles dorées alignées sous la bienveillante protection d’un Bouddha, dont l’énigmatique visage semble indiquer qu’une telle offrande est acceptable par Lui.

Le menu se compose de : passed hors d’oeuvre / Pithivier of stir-fried squab with roasted sweet potato puree / Santa Barbara prawns on sweet and sour beets with sesame seed and plum wine emulsion / roasted Kurobota pork loin with slow braised shoulder, dry apricots and toasted almond / upside down passion fruit cheesecake with pineapple sabayon.

Si l’on excepte le porc, je n’ai pas été impressionné par les essais d’accords avec Yquem, qui peuvent être largement meilleurs comme nous le verrons demain. Mais l’endroit est si charmant et le staff est si actif que nous avons passé un très beau moment.

Voici une anecdote qui m’a fait sourire. Quand je fais des dîners avec des grands chefs pour mettre en valeur des vins anciens, je leur demande de simplifier leur cuisine, en leur disant qu’une cuisine simplifiée peut être délicate et montrer aussi bien leur talent. Quand le « pork loin » arrive sur la table, il y a sur l’assiette seulement trois tranches de viande, sans sauce, sans aucun extra. Et je me mets à penser : “wow, ils ont compris ce qu’il faut pour Yquem”. Et soudain, un serveur arrive avec une énorme cocotte et remplit les assiettes avec une autre viande (l’épaule), des légumes et de la sauce. J’avais rapidement essayé  la viande seule avec l’Yquem, juste pour vérifier que ça marche bien. Le plat plus complexe est trop lourd pour être un véritable ami d’Yquem.

La première série : Yquem 2003, 2000, 1998, 1995, 1982, 1970

L’examen des odeurs n’est pas d’un grand secours pour ces jeunes vins. J’ai juste noté que le plus grand nez est celui du 1970, ce qui est normal car c’est le plus vieux. Le 2003 a pris du corps depuis que je l’ai goûté au château. J’y vois de la figue, du fruit tropical, des gâteaux exotiques. Le vin est opulent, avec du gras. C’est réellement un grand vin.

Le 2000 est plus élégant, plus discret, mais le sucre se montre plus. C’est un Yquem moins intéressant. Le 1998 est nettement plus léger. Un Yquem plus limité qui ne m’a jamais vraiment convaincu. Il n’a pas la personnalité que les autres peuvent montrer. Le 1995 qu’Alexandre de Lur Saluces complimenta beaucoup à sa première apparition est élégant, mais je le trouve trop monolithique, trop simple. Le 1970 est maintenant sur mes lèvres : ça, c’est un vin ! Le sucre est très limité ; élégance, douceur et charme sont là. Ce n’est probablement pas le plus imaginatif, mais j’aime son côté aérien en bouche et son goût d’abricot. Le 1982 a une très belle attaque de citron vert. Il a équilibre, structure, sérénité. C’est typiquement un vin de gastronomie.

Mon classement : 1982 – 2003 – 1970 – 2000 – 1995 – 1998.

Le classement en considérant le potentiel mettrait le 2003 au dessus du 1982.

Seconde série : Yquem 1986, 1961, 1953.

Les couleurs des deux plus vieux sont fantastiques. C’est ce à quoi Yquem devrait ressembler. Le 1986 est légèrement amer, mais avec le temps, il gagne en élégance. Ce vin a été une « sleeping beauty » pendant longtemps.  Il est très probable qu’il va connaître un développement positif. Avec le 1961 nous entrons dans une nouvelle génération d’Yquem. Ce vin a de l’équilibre, mais plus que cela, une aisance à la George Clooney. Il est dans une phase « mangue ». Le 1953 est complètement féminin. Contrairement aux vins qui réclament un plat, ce 1953 a un tel charme en douceur qu’il devrait être bu seul, pour en apprécier la subtilité.

Pierre Lurton trouve que le 1961 a un final plutôt amer, mais en fait ce vin abandonne progressivement son sucre et devient plus sec, comme cela arrive plus fréquemment pour la décennie 30.

Goûtant de nouveau les vins je trouve que le 1986 irait très bien avec un homard, et même si le final n’est pas le plus spectaculaire, je le trouve plaisant. Le 1961 prend des notes de thé, s’assèche un peu mais c’est un vin très beau. Le 1953 est excellent.

Mon classement : 1953 – 1961 – 1986.

Troisième série : Yquem 1983, 1967, 1959, 1955

Pour le 1983, le sucre est très sensible, mais compensé par une belle acidité de citron vert. C’est un classique et bon Yquem. Le 1967 a une attaque de thé, de bois amer. Mais le volume de ce vin est énorme. Il est très intéressant car il n’est absolument pas conventionnel. J’aime justement le côté atypique de ce vin. Le 1959 est très léger, aérien et subtil. Quel contraste avec le 1967 ! Il est extrêmement élégant. Le 1955 est la synthèse des deux vins précédents. Il est intéressant. Il y a des fruits confits. Le final est imposant.

Je fais un second et un troisième tour pour décider qui est le premier car c’est compliqué. Le 1967 est très grand, mais avec un aspect de thé. Aussi, je préfère le 1955. Le 1959 est de plus en plus grand. Il est extrêmement difficile de choisir. Je commence à écrire 1955 – 1967 – 1959 – 1983.

Mais en fait mon classement est : 1955 – 1959 – 1967 – 1983. Le fait de mettre le 1967 seulement en troisième place montre que les deux autres sont particulièrement brillants. Bipin dit que le 1967 est le plus “exotique” de tous les Yquem et ajoute : “c’est le plus Pomerol des Sauternes”.

Le 1955 a de l’élégance, le 1959 a un final poivré, le 1967 a une incroyable puissance, et c’est une bombe. Le 1955 est le plus léger, mais pour moi il est exactement dans la ligne historique d’Yquem. Je reviens aux précédentes séries avec le 1982 qui est très bon et le 1970 qui tient mal la distance.

Nous parlons tous de nos choix, qui sont très différents, et la question qui se pose, à mon avis c’est “qu’attendons-nous exactement d’un Yquem?”. Il est clair que certaines personnes veulent de la puissance, ce qui n’est pas ma recherche première. Les préférences furent très différentes. C’est une bonne chose, car chaque Yquem trouvera son fan club.

C’était une merveilleuse soirée, avec de beaux vins et une nourriture plutôt décevante, montrant que le chef n’est pas entré dans le monde d’Yquem.

– *

Notre groupe se rencontre de nouveau le lendemain pour déjeuner. Le quatrième événement de cette incroyable série de dégustations est un déjeuner au Spago Berverly Hills, avec un menu composé par Wolfgang Puck, un chef talentueux d’origine autrichienne. Le management des vins et des verres est comme d’habitude supervisé par Christian Navarro. Pierre Lurton est de nouveau l’invité d’honneur du déjeuner organisé par Bipin Desai.

Le menu se compose ainsi : hors d’oeuvres / wood oven-roasted, prosciutto-wrapped Maine monkfish with onion-date puree and Thai spices /  roasted breast of Scottish pheasant with shepherd’s pie of braised leg and butternut squash / grilled Snake River Ranch Kobe New York steak with Matsutake mushrooms / Stilton and Roquefort / apple and fennel sorbet with pixie tangerines, lime marinated persimmon with anise wafers.

Ce fut la plus élégante cuisine des quatre repas, parfaitement adaptée aux vieux Yquem, et je suis particulièrement heureux que le chef ait eu le courage de proposer un bœuf de Kobe sur de vieux Yquem. Ça a merveilleusement fonctionné. J’adore quand on prend de tels risques, et ça paie !

La première série : Yquem 1976, 1975, 1948, 1947, 1934

Les couleurs les plus sombres sont celles du 1947 et du 1948. Le 1934 est plus léger, et dans mon verre un peu trouble, ce qui n’apparaît pas pour mes voisins. Le nez du 1975 est bouchonné, et j’apprends que pour l’autre groupe, c’est le 1976 qui est bouchonné. Nous avons échangé des verres entre ceux qui avaient de bons vins et ceux qui avaient reçu des bouchonnés.

Le nez du 1948 est merveilleux. Il a une incroyable force et on le sentirait en pensant à un alcool. Le nez du 1947 a une infinie subtilité. Il est sexy comme un parfum. Le nez du 1934 est équilibré et doux. Le nez du 1976 est très fort en alcool.

Le 1976 en bouche est très gras, suggérant des fruits confits. C’est un excellent Yquem. Le 1975 ne souffre pas tellement d’être bouchonné.  Mais bien sûr, il n’est pas ce qu’il devrait. Je peux imaginer qu’il pourrait être grand. Je reçois de deux verres du bon 1975. Je ne suis pas convaincu du tout, car je n’aime pas de telles manipulations.

Le 1948 est un ange qui descend lentement du ciel. Pour moi, c’est l’expression du bonheur. Rien n’est exagéré, tout est délicieux. Il y a même un peu de beurre dans le goût. Cet Yquem est “le” Yquem que je souhaiterais boire pour toujours. Un pur rêve. Nous boirons plus tard quelques Yquem que je classe au dessus, à cause de leur spectaculaire performance. Mais celui-ci est pour moi une pure joie, comme la vieille robe de chambre de Montaigne. On peut avoir des vêtements de grand prix ou de belle coupe. Mais il y a une veste – généralement plutôt vieille – que l’on porte avec un plaisir total. C’est ce que je trouve dans le 1948.

Le 1947 a une puissance énorme. C’est un Sumo. Il est parfait, mais pour mon goût, je préfère le plus subtil 1948. Le 1947 servi en magnum est glorieux. Le 1934 est très surprenant. Mon opinion est qu’il a changé par rapport à son goût originel, évoluant vers une combinaison d’alcool et d’oranges très mûres. Si ce vin était bu tout seul, nous le trouverions absolument superbe. Mais mis ensemble avec le 1947 et le 1948 c’est un challenge trop lourd. J’essaie de nouveau et je trouve dans le 1947 une totale perfection. Le 1948 est d’un charme fou, mais je dois dire que le 1947 est plus grand. La sauce est fantastique avec les vins, Wolfgang Puck, qui a goûté tous les vins (pas mal !), a adapté les sauces aux vins. Le 1947 et le 1948 sont à égalité dans mon classement, et le 1934 est le meilleur 1934 que je n’aie jamais goûté, car tous ses éléments se sont maintenant intégrés. Le 1976 est grand, le 1975 manque de charme. Finalement, le 1948 est ce que je recherche pour Yquem, aussi je vais le classer premier.

Mon classement : 1948 – 1947 – 1976 – 1934 – 1975.

Bipin me demande de faire des commentaires sur les vins, et je dis que quand j’ai devant moi  la perfection d’Yquem, je suis comme un gamin dans une boutique de bonbons, je savoure.

Seconde série : Yquem 2001, 1997, 1990, 1989, 1988

Le 2001 se montre très sucré, il évoque les pâtes de fruits. Je sens l’énorme potentiel de ce vin parfait, mais il est très difficile pour lui d’être servi après le 47 et le 48. Le 1997 est très élégant, facile à vivre, poivré. C’est le type d’Yquem que j’aime. Je trouve des ressemblances avec le 1948.

Le 1990 offre du café, des fruits blonds. Il est beau, mais il manque de longueur. Très fruité pour Yquem. Le 1989 est très agrumes. Plus léger que le 1990 il est élégant. Citron vert, avec un final très beau et élégant. Le 1988 est le plus équilibré. Il n’a pas beaucoup d’extravagance. On dirait qu’il se sent “établi”. Le 2001 est dans une phase où le sucre domine. Ce n’est pas à son avantage et nous devrions attendre avant de l’ouvrir à nouveau. Le 1997 est le récent exemple qui est le plus dans la ligne historique d’Yquem. Le 1988 est trop politiquement correct. Il joue un peu en dessous de son talent naturel. J’étais dans le camp de ceux qui préfèrent le 1988 dans la trilogie, mais ici, c’est le 1989 qui est le plus beau. Le 1989 est le plus élégant, et le 1990 montre trop son sucre. (A noter que suivant par hasard Pierre Lurton dans quelques unes de ses pérégrinations, le 1988 se montrera sous un jour beaucoup plus brillant et reprendra la tête de la trilogie).

Pour un plaisir immédiat et pas sur le potentiel, mon classement est : 1989 – 1997 – 1988 – 1990 – 2001. Le plus grand potentiel est pour 2001 et 1988. Mais maintenant, la fraîcheur du 1997 et l’équilibre du 1989 les classent en tête.

Après plusieurs nouveaux essais, le 1988 devient plus grand que le 1997, aussi mon classement final est 1989 – 1988 – 1997 – 1990 – 2001.

Bipin dit que le 2001 est “larger than life”. Tous les aspects de ce vin sont au dessus de toute norme.

Troisième série : Yquem 1949, 1945, 1937, 1921, 1899.

C’est difficile d’imaginer d’avoir ces cinq verres en face de moi. Je vois alentour que cela semble naturel. Mais ça ne l’est pas !

Les couleurs se classent du plus foncé au plus clair : 1921 / 1899 / 1937 / 1945 / 1949. Le nez du 1945 est très élégant. Le nez du 1937 a un problème infinitésimal. Le 1949 évoque les fruits bruns. Le 1921 est l’archétype d’une odeur parfaite. Le 1899 a un nez élégant et racé. La noblesse totale.

Je commence à boire. Le 1949 est totalement élégant, avec un final plutôt court. Il faut bien se dire que tous ces vins sont au dessus de 100 points dans l’échelle de Parker. Aussi, critiquer est la même chose que de dire : “ je n’aime pas tellement la courbure du nez de Mona Lisa”. Tout ce que j’ai à dire sur le 1945 c’est qu’il est parfait. Il est élégant et d’un équilibre fabuleux. Il est exceptionnel avec un énorme final.

Le 1937 est plus fluide, acide, très dans le style des années 30. Il est très différent du style des années 40. Il y a du pamplemousse, du citron vert. C’est un vin de gastronomie, un grand Yquem. Le 1921 est complètement atypique. Il y a du thé et du café, mais aussi du citron. La longueur est unique. C’est grand, opulent, et confortable. Si j’avais à faire une critique, je dirais qu’il manque un peu d’excentricité.

Le 1899 est vraiment un grand Yquem. Thé, fruits confits, combinés avec du citron vert, et la sensation est au dessus de celle du 1921. Dans le 1899 il y a de l’alcool, dans le 1921 il y a du caramel, et mon goût n’est pas tellement en faveur des Sauternes qui ont développé leur côté caramel.

Mon classement : 1899 – 1921 – 1945 – 1937 – 1949. Mais combien de vins dans le monde pourraient être classés au dessus du cinquième de cette série ?

J’avais changé mon vote plusieurs fois car il est difficile de choisir entre le 1945 et le 1937. Le 1945 est un peu plus chantant et ensoleillé. Je reviens au 1947 d’une précédente série qui a développé un goût de raisin sec. Et c’est très rare.

Mon classement final pour ce soir est :

1899 – 1921 – 1945 – 1948 – 1947 – 1937 – 1989 – 1988 – 1976.

Si je dis maintenant que le 1899 que j’ai partagé à Yquem avec Pierre Lurton et quelques amis était au dessus de ce 1899, on peut imaginer ce que nous avons vécu à ce moment-là.

Cette dégustation montre qu’Yquem, plus il est vieux, meilleur il devient (si on choisit les grandes années), et elle montre que la décennie 40 est dans une forme éblouissante. Je dis souvent que ce qui est unique pour Yquem est que chaque fois que l’on en ouvre un,  nous avons la meilleure probabilité d’avoir une bouteille parfaite.

Nous avons eu l’extrême chance que Pierre Lurton apporte autant de  vins dans un état idéal. Bipin Desai a organisé les séries avec une rare intelligence. Christian Navarro a fait un travail fantastique pour nous servir des vins en pleine forme et en bonne condition de dégustation. Wolfgang Puck a réalisé une cuisine magique qui a donné des idées à Pierre Lurton pour prendre au château plus de risques dans les accords.

Tout a été parfait. Les quatre repas auxquels nous avons participé représentent un ensemble  d’événements uniques d’un rare niveau.

The lunch by Spago with the oldest Yquem dimanche, 4 novembre 2007

I arrive by Spago, and I see Christian Navarro, taking the sun, with a look à la Mickey Rourke.

 In the main room which we will not use, this painting is reproduced on the menus that each of us will receive. The welcome champagne is this Mumm de Cramant of Mumm.

 

These two groups of glasses have already the year printed on the foot, ready to receive the golden liquids.

 

On the feet on the left : 1899, 1921, 1937, 1945, 1949. Even empty, it is impressive.

The magnum of Yquem 1947 is impressive too.

 

Nice bottles. In front on the right, the two 1948.

 

The picture on the right is not precise enough, but I would like that Pierre Lurton having in hand the magnum of 1947 would be together with Wolfgang Puck, the talented chef.

 

The 1947, 1948 and 1934 are poured.

 

I wear the empty magnum of 1947 in the company of Serena Suttcliffe. Things begin to be serious when Pierre Lurton explains the wines of Yquem.

 

The sauce, on the left, was incredibly good with the wines.

 

Jancis Robinson talks with Bipin Desai. The picture is taken from my seat. In front of me, on the first row, 1937, 1949 and 1945. Behind, two monsters, 1921 and 1899. To have these glasses in front of me is incredible.

 

The Kobe beef was a pure marvel with the old Yquem. The Stilton was OK but the Roquefort was too intense.

 

Wolfgang Puck the brilliant chef and Bipin Desai exchange nice words.

 Pierre Lurton joins the group. Wolfgang is always so moving that I was unable to take a picture with him being quiet.

A fantastic lunch (see report).