qu’aimez-vous dans le vin ? mardi, 23 octobre 2007

Je chattais sur le web en regardant le film « Sideways ». Deux amis qui enterrent la vie de garçon de l’un d’eux visitent les vins californiens. Une belle serveuse de restaurant est attirée par le célibataire qui lui pose à un moment la question : « qu’aimez-vous dans le vin ? ». Elle se lance dans une réponse purement romantique où le travail du vigneron a sa place.

Pendant ce temps, sur le forum « la passion du vin », nous dissertions sur le concept de « lubrifiant social » joué par le vin, selon l’expression de Jean Clavel. Et je me suis demandé ce qui conférait au vin ce statut particulier où se mêlent le romantisme, la nostalgie, la bienveillance et la revendication sociale.

Et j’y vois trois raisons. La première, c’est qu’il fait partie de trois liquides nourriciers qui sont indissociables de notre vie, l’eau qui nous baptise, le lait qui crée un lien fusionnel avec la mère et le vin, antichambre des paradis artificiels. La seconde, c’est qu’il n’est pas périssable. Si le vin avait la courte vie du beaujolais nouveau, on l’oublierait assez vite. Alors que lorsqu’on déniche dans la cave un vin du grand-père, tout un monde de nostalgie, de souvenirs, assaille l’esprit. Lorsque j’ai bu un vin de 1780, je n’ai pas pu m’empêcher de penser à l’avenir du monde. Je buvais un vin élaboré quand l’automobile, le train, l’électricité, le téléphone, l’avion, l’informatique n’étaient même pas envisageables. En deux siècles l’homme a transformé la planète mais aussi son mode de vie. On pense forcément à cela lorsque l’on absorbe le témoignage vivant des époques révolues. La troisième raison est que le vin fait partie à la fois des produits bon marché et des produits chers. L’argent barre l’accès aux plus rares d’entre eux ce qui conduit naturellement à projeter ses idées sociales.

De ces trois raisons, celle que je trouve la plus intéressante, c’est l’absence de péremption du vin qui permet de goûter des jalons de l’histoire, autorisant tous les romantismes. Ce n’est pas demain que le vin cessera d’être prétexte à discuter en société de la vie, de l’histoire et de rêver.

oursins, langouste et chapon sur des vins du Rhône dimanche, 21 octobre 2007

Le lendemain, nous allons déjeuner avec d’autres amis au restaurant d’Yvan Roux. Le soleil est puissant, la visibilité est d’une rare précision et le spectacle qui s’offre à notre vue est particulièrement souriant.

Selon la tradition, nous commençons l’apéritif avec un champagne Laurent-Perrier Grand Siècle et du Pata Negra. Le champagne a une tranquillité parfaite, plaisant en bouche sans faire d’histoire inutile.

A table, ce sont des beignets d’anémones de mer combinant judicieusement acidité et douceur qui titillent gentiment le champagne. Nous recevons ensuite deux monticules d’oursins fraîchement pêchés, dont les langues glissent en bouche d’une trace marine. Le champagne est à l’aise, mais quand c’est le tour d’une brouillade d’oursin, j’ai envie de vin rouge, et le Chateauneuf du Pape Clos de Panisse de Madame Fournis à Courthezon non millésimé, que je situe vers 1971, vin fort simple qui a pris de la rondeur, de l’opulence veloutée se marie fort bien à cette préparation.

Le vin joue une partition très douce et chantante sur les deux demi-langoustes  que chacun reçoit, d’une cuisson idéale comme seul Yvan sait les faire. Le chapon fait les yeux rouges au Chateauneuf qui s’adapte comme il convient. Comme nous buvons peu, l’autre vin que j’avais apporté, un Côtes du Rhône Vinsobres 1985, mis en bouteille par la « Vinsobraise » des vignerons de Vinsobres, un peu fatigué mais puissant comme un jeune fou sera à peine entamé. La glace à la vanille minute d’Yvan ponctue souvent ces agapes. Encore un beau repas chez cet expert de la cuisson des poissons.

 

deux vins du Rhône sur la belle cuisine de Matthias Dandine samedi, 20 octobre 2007

L’ami gastronome, écrivain du vin et de la gastronomie, qui m’avait attiré à juste titre au restaurant Hiramatsu, me signale qu’il va passer un week-end à l’hôtel des Roches à Aiguebelle au Lavandou, avec l’intention d’écrire sur la cuisine de Matthias Dandine. Je n’allais pas laisser passer une telle occasion de le revoir dans un lieu si proche de mes bases méridionales. Au lever, devant chez moi, la mer est calme, les nuages sont bas et la pluie s’annonce. En arrivant à l’hôtel des Roches, c’est une mer grossie par des vents de Sud Est qui nous accueille. La plage aménagée devant l’hôtel, qui accueille des naïades aux peaux hâlées pendant l’été est ici balayée par une houle de plus en plus forte.

De la plateforme du bar, je vois sur la terrasse de sa chambre mon ami, coiffé d’une casquette d’étudiant anglais aux couleurs de gyrophare, qui écrit face à la mer.

Nous descendons. Le restaurant qui surplombe la mer est battu par les vagues qui projettent de l’écume par-dessus les vitres. L’émoi du personnel devant la violence des flots me fait penser à ces hôtesses de l’air qui blêmissent lors d’une turbulence particulièrement forte : il n’y a rien de moins apaisant.  C’est donc dans une ambiance Titaniquesque et non titanesque que nous allons passer ce déjeuner qui fut une réussite à tous égards.

Mon ami annonce qu’il ne boira que du vin rouge. Il sort de sa musette un Hermitage La Chapelle Jaboulet 1996 qu’il veut nous faire partager. Pressentant que ce ne serait pas suffisant, je commande à Fabien Dandine un Château de Beaucastel 1990. Fabien ouvre les deux vins. Un premier Beaucastel est bouchonné, ce qui est d’une grande tristesse. Le second ne l’est pas, au nez superbe, mais je sens que cette bouteille a vieilli plus qu’elle n’aurait dû, ce qui sera confirmé par l’abondance du dépôt. Matthias Dandine, souriant, vient nous proposer de prendre des rougets et du rouquier, un poisson blanc qui vit en symbiose avec le rouget et par ailleurs, vu le temps, un chevreuil dont il traiterait séparément le filet, accompagné d’un farci traité à la royale. Ce programme nous convient. L’épouse de mon amie nous rejoignant et désirant une coupe de champagne rosé, c’est un Louis Roederer rosé 2002 qui lui est proposé. Pour trinquer et par curiosité, je prends une demi-coupe et nous restons sur notre soif, car ce champagne manque d’émotion.

Le choix de l’ordre des vins se pose pour le repas. La logique voudrait que le Beaucastel vienne en second, mais il est plutôt d’un naturel calme quand le Jaboulet est encore tout fou. Tout indique qu’il s’exciterait avec passion sur le chevreuil. Nous commençons par une brandade de morue sans ail, avec une émulsion au thym des collines, qui est délicieuse, aérienne, goûteuse. Ce plat roturier est toujours un plaisir gustatif. Le Beaucastel est relativement peu expressif, coincé si l’on pense à l’éclatante sérénité que je lui connais.

Le rouget accompagné de son copain de nage, le rouquier de roche, est posé sur un lit de topinambours remarquablement exécuté, et l’on a adjoint une crème de cresson aux petits croutons, très intense. Le tout est rehaussé par une vinaigrette légère aux truffes d’automne. Le Beaucastel commence à s’ébrouer et plus les gorgées passent et plus son réveil devient sensible. Il est bien en phase avec la chair des poissons. Mon ami ne tarit pas d’éloges sur la cuisine de Matthias Dandine et se prononce de nombreuses fois sur un niveau de deux étoiles. Je sens ce couple d’amis qui se délecte de la cuisine de Matthias. 

Le chevreuil est impeccablement traité. Le filet de gigue est saignant, sur une compote de coing. La sauce poivrade  du filet est divine. La logique voudrait que l’Hermitage La Chapelle, fringant, intense, joyeux, soit le compagnon idéal de cette viande goûteuse. Tout prêcherait pour lui et mes amis lui trouvent toutes les vertus. Mais je préfère en fait le Beaucastel même si je me réjouis de l’accord avec l’Hermitage. Car les notes sucrées, cacaotées, que l’on retrouve aussi bien dans la chair que dans le farci façon Royale à l’écume de genièvre, se lovent avec le Beaucastel enfin épanoui et d’une sérénité extrême. Les deux accords se conçoivent, l’Hermitage faisant ressortir le côté gibier du plat, pendant que le Beaucastel révèle l’élégance subtile du traitement des chairs par Matthias Dandine. Alors, disons que les deux accords se justifient.

Même si la tarte au chocolat se prête bien au Beaucastel – là, plus qu’à l’Hermitage qui ne s’embarrasse pas de ce plat – et même si l’exécution est parfaite comme notamment la glace au cacao pur, c’est une fin qui eût pu être évitée. On déguste la petite macération de fruits rouges au poivre au coulis langoureux pour mettre le mot « fin » à ce festin.

Je comprends l’enthousiasme de mes amis qui ont donné de pertinents conseils pour que Matthias pose son pied sur la marche de la deuxième étoile. Je laisserais peut-être faire le temps pour que ces étapes ne soient pas trop rapides, quelles qu’en soient les envies. Ce que je constate c’est qu’à chaque visite, la cuisine de Matthias gagne en maturité et en sérénité. C’est cette promesse de grands moments qui me séduit le plus.

En sortant du restaurant, la mer montrait de plus belle ses gros biceps de rugbyman. Sur deux grands vins du Rhône, nous avons vécu un beau moment de gastronomie. 

Encore un Chambertin Armand Rousseau jeudi, 18 octobre 2007

Un déjeuner de travail pour préparer le Grand Tasting, ce grand salon de dégustations de haut niveau ouvertes au public. Je choisis le restaurant « les Muses », de l’hôtel Scribe. La salle est en sous-sol ce qui est toujours étrange. D’imposants poteaux masquent la vue ce qui demande au personnel une attention particulière pour que les clients ne se sentent pas ignorés. Etant en avance, j’étudie la carte des vins fort avenante, aux prix encourageants. Je repère une pépite, et dans ce cas, il est assez rare que je me prive. A voir la réaction du sommelier quand j’annonce le vin, on sent le respect. Il s’agit d’un Chambertin Armand Rousseau 1999. Quel vin ! Il suffit d’une gorgée pour que le décor soit planté : c’est parfait. Et on ne passe pas son temps à analyser, à chercher la trace de pellicule sur un col de veste. Ce vin est parfait, se boit comme il est, sans autre forme de procès.

La cuisine du chef qui a succédé à Yannick Alléno qui m’avait fait aimer ce lieu est vraiment agréable. Franck Charpentier n’en fait pas trop, il joue juste. Pas de chichi, quel bonheur. Le service est très convenable mais devrait surveiller tous les recoins. C’est vraiment une table à recommander.

deux bordeaux présentés lors d’un cocktail jeudi, 18 octobre 2007

Le soir, cocktail organisé par une banque. C’est l’occasion de présenter deux vins : Fleur de Boüard 1999 et Pontet-Canet 2001. La présence de Stéphanie de Boüard m’avait fait espérer que l’on aurait de l’Angélus, mais elle parle avec compétence et conviction du Lalande de Pomerol de sa famille fait avec les conseils de Michel Rolland. J’ai un faible pour l’élégance du Pauillac par rapport au boisé sensible du Fleur de Boüard. Mais on en reparlera dans quelques années.

A l’Astrance, je suis en trances ! mercredi, 17 octobre 2007

Le lendemain midi nous déjeunons en amoureux, ma femme et moi au restaurant l’Astrance, pour nous remettre en mémoire le monde culinaire de Pascal Barbot. Les libations de la veille imposent de l’eau, et ce n’est pas plus mal, car cette cuisine subtile serait moins bien perçue avec un vin. La variété des mets imposerait sans doute un champagne, dont la discrétion suivrait le talent du chef sans jamais lui voler la vedette.

Disons-le tout net, je suis très sensible au style de Pascal Barbot. Il y a une recherche de sincérité, de sensibilité dans la mise en œuvre des produits, presque idéalisés dans l’assiette. Le goût de chaque ingrédient est élégant, presque fragile comme une porcelaine rare. Je ne suis pas totalement convaincu que chaque recherche japonisante soit nécessaire, car un produit n’est pas meilleur parce qu’il est japonais, mais on est embarqué avec Pascal comme en un tableau de Watteau.

La crème de potiron ne m’a pas convaincu.

La grosse crevette perdue dans un champ d’herbes folles est une merveille. Le saint-pierre avec des copeaux de châtaignes est particulièrement goûteux, la chair du poisson aspirant avec envie les arômes du marron, l’ormeau sur un navet serait délicieux si une crème japonaise ne venait troubler leur danse, tandis qu’une petite tranche de sardine est succulente comme le péché. Un thon rose presque cru sur des petits haricots exprime tout ce que Pascal sait faire avec grâce. Le veau sur des cèpes est aussi frais que la joue d’une jeune fille qui a couru par un grand froid.

Il y a dans cette cuisine une légèreté voulue, une délicatesse polie et une élégance unique, toute dans la personnalité de ce chef attachant. On aura compris que j’en suis fan.

 

Clos du Barrail, Cérons 1943 mardi, 16 octobre 2007

Nous allons dîner chez un ami et nous boirons quelques vins fort sympathiques. Il m’annonce que le dernier vin sera bu à l’aveugle, et que je le connais. Lorsqu’arrive le moment de le boire, il me donner une indication supplémentaire : ce vin, tu es le seul à l’avoir bu, car lorsque je mets son nom sur Google, ce sont tes écrits et eux seuls qui sont mentionnés. Je goûte, et je sens un vin étrangement sec alors que nous sommes au dessert. Je cherche et ne trouve pas. Il s’agit du Clos du Barrail, Cérons 1943. J’adore les Cérons mais c’est la première fois que je bois un Cérons aussi sec. Le témoignage est de toute façon très émouvant car j’aime ces vins simples au message direct, qui ne prétendent pas impressionner le monde, mais sont d’une justesse rassurante.

l’Union des Grands Crus de Bordeaux. lundi, 15 octobre 2007

Au même moment, à peu de distance, se tient la présentation du millésime 2005 par l’Union des Grands Crus de Bordeaux. La brochette de grands vins est spectaculaire, et c’est le road show de l’élite du vin bordelais. Je fais d’abord un premier tour de « politicien », serrant des mains amies et distribuant des sourires. Puis, bravant mon appréhension d’aborder des vins si jeunes, je me livre à une dégustation quasi systématique, ce qui noircit les dents, tant l’année est tannique. Michel Bettane, qui est ici dans son élément, me donne de temps à autre de bons conseils pour aller déguster des vins que j’aurais peut-être oubliés. Une anecdote mérite d’être soulignée. Je goûte La Conseillante 2005 que je trouve remarquable et je dis à Michel : « j’adore La Conseillante 2005 alors que je n’avais pas aimé le 2004 ». Et Michel me reprend en disant : « le jour où tu as goûté le 2004 tu ne l’as pas aimé, et le jour où tu goûtes ce 2005, tu l’aimes ». Cette mise en perspective de la relativité des dégustations m’a beaucoup plu. Il faut ne pas être définitif. Une autre anecdote m’amusa, car elle me rappela des souvenirs d’enfant. Lorsque je préparais le bac, il était de bon ton, dans le petit groupe de chiadeurs que nous formions à Louis-le-Grand, d’être le premier à quitter la classe lors des examens blancs, en rendant sa copie où tout était bon, pour montrer aux autres que l’on est le meilleur. Là, je rencontre dans les allées Alexandre de Lur Saluces que j’avais salué plus tôt et je lui demande s’il reste une goutte de Fargues 2005 que je n’avais pas encore tenté. Il me répond : « tout ce que j’ai apporté a été bu ». C’était le premier de la classe. Je n’aurai pas l’outrecuidance de donner un jugement sur les 2005 à Bordeaux, car d’autres en font métier. C’est une année spectaculaire, qui va donner des vins de haute garde et de forte personnalité. Il aurait fallu être particulièrement peu doué pour rater son 2005. Très peu l’ont été. Ce sera, toutes régions bordelaises confondues, un millésime d’anthologie. Savez-vous quels sont les vins que j’ai préférés ? Ceux que je préférais déjà !

Club des Professionnels du Vin lundi, 15 octobre 2007

Denis Garret, truculent sommelier, a repris les destinées du Club des Professionnels du Vin. Des vignerons de nombreuses régions, tous passionnants, se retrouvent deux fois par an au Pavillon de la Porte Dauphine à Paris. En cette période marquée par le rugby, Denis a invité sept arbitres de la Coupe du Monde et personne ne siffle lorsqu’on présente les arbitres anglais, quelques jours à peine après notre défaite d’une magnitude proche de Trafalgar, ce qui prouve que le rugby est un sport de gentlemen. Des cavistes gagnent des places pour la petite finale et pour la grande finale de la coupe du monde. Dans cette ambiance bon enfant, la dégustation des vins est joyeuse. J’aime beaucoup les champagnes Mailly, Bonnaire, et cet Amour de Deutz 1999 qui coule en bouche de façon expressive. Je passe plus de temps à bavarder avec des vignerons amis qu’à boire ces vins bien jeunes, mais je remarque avec plaisir le Côtes du Rhône Domaine Duseigneur 2005, vin dont Philippe Faure Brac est l’associé, première cuvée qui me semble une réussite dans sa catégorie « Villages ». Le Chablis Moutonne Long-Dépaquit de la maison Bichot 2002 est particulièrement agréable. Beaucoup d’autres vins, dont beaucoup de vins étrangers (messieurs les français, réagissez vite, prenez des stands), attirent une belle affluence de professionnels, sommeliers, cavistes, restaurateurs et journalistes.

dîner impromptu chez l’amie d’un ami dimanche, 14 octobre 2007

Un ami comédien à la sensibilité que j’adore organise un dîner. Le contenu est assez vague, car il se tiendra chez une de ses amies que je ne connais pas, les convives que je ne connais pas devront apporter les vins et je ne sais donc pas quel sera le niveau de leurs contributions. La cuisine sera faite par Michel Orth, restaurateur à Brumath, et son menu n’est pas une mince affaire. Jugez plutôt : rosace de saumon mariné aux herbes, bortsch de betteraves et raifort / tartine au pain six céréales, saveurs de sous-bois, foie de canard cru au sel romain et jambon de chevreuil / grosses crevettes au garum et cicerona (recette romaine) / filet de loup de mer poché au lait anisé, marinière d’huîtres et échalotes / ris de veau Saint-germain, béarnaise de foie gras / jeune cerf rôti aux coings et gnocchi / foie gras d’oie et canard sur toast « Hutzelbro » / dessert surprise de Pierre Hermé.

Nous arrivons à l’heure dite et nous apprenons que Michel Orth est dans un TGV venant de Strasbourg qui aura deux heures et demie de retard. Si nous n’avons rien à manger, nous aurons à boire, car il y a dans ce groupe une particulière générosité. Michel arrive après 22 heures, ce qui nous entraînera au-delà de 2h30 du matin pour égrainer son intense repas. Voici ce que nous bûmes.

Un Champagne Duval Prétrot brut à Fleury la Rivière de bienvenue, simple et de bon aloi est suivi d’un Champagne Grande Année Bollinger en magnum 1997 qui fait se lécher les babines. C’est profond, goûteux, fruité et d’une longueur rare. Le Corton Charlemagne Bonneau du Martray 1996 ne connaîtra pas la cuisine de Michel Orth, car il est tellement bon que la bouteille est asséchée avant qu’on ne s’en aperçoive. Ce fut joué ainsi : « on lui en laisse un peu ? », suivi de « trop tard ». Le Château Bouscaut Graves blanc en magnum 1970 que j’avais apporté m’a particulièrement plu (normal, c’est le mien) par sa fraîcheur, une acidité très agréable et une belle rondeur, une longueur à signaler et une maturité respectable. Le Saumur Château Yvonne 1997 est un vin simple qui se boit bien. Le Condrieu Mathilde et Yves Gangloff 2004 n’est pas aussi typé que je l’imaginais, mais c’est un vin à la palette gustative très large, vin de sourire. Le Corton Charlemagne Bouchard Père & Fils 1999 a encore un peu de temps devant lui avant de s’ouvrir vraiment, mais il se signale par une définition d’une rare pureté.

Ce n’est qu’au-delà de minuit que l’on attaque les rouges avec un Pommard Catherine et Claude Maréchal 2003 très élégant et délicat, charmeur dont nous aurons deux bouteilles, comme du Château de Beaucastel Chateauneuf-du-Pape 1998, impérial, sûr de lui et dominateur, d’un travail parfait. Ce qui est amusant, car c’est tellement naturel, c’est que l’apporteur généreux des Corton Charlemagne et des Beaucastel défendait bec et ongles son Chateauneuf quand je jubilais de la perfection éblouissante de la Côte Rôtie La Turque Guigal 1998 que j’avais apportée, trompette de Jéricho gustative, qui enrobait le cerf de son charme incontournable. Les deux vins du Rhône ont chacun leur personnalité et sont grands. N’est-ce pas cela qui compte ?

Le Riesling Rittensberg Bernhard Reibel 2003 est beaucoup trop sec avec le foie gras et c’est le Riesling Vendanges Tardives Zinnkoepfle René Muré 2004 qui est strictement adapté, subtil et délicat. Le Maurydoré Caves Estève, Paule de Volontat 1932 est d’une puissance à faire trembler les murs. Il faut cela pour soutenir le choc des macarons de Pierre Hermé qui sont la combinaison irréelle d’une puissance évocatrice provocante avec une légèreté diabolique. Une merveille, servie par un vin envoûtant. Il fallait cela pour conclure cette longue, longue soirée amicale.

Michel Orth est un perfectionniste de la cuisine qui cherche à faire revivre des recettes très anciennes, allant même jusqu’au temps des romains. Cette recherche conduit à des saveurs très intéressantes, mais la complexité des plats n’est pas l’amie naturelle des vins. Sa générosité, son talent compensent le chemin parallèle euclidien que suivent mets et vins, sauf sur quelques fulgurances, comme le cerf et la Turque, le Riesling vendanges tardives avec le délicieux toast au foie gras, et le Maury sur les variations gustatives géniales de Pierre Hermé. Il y a toujours quelque chose à prendre dans ces happenings. Ce soir ce furent quelques vins splendides, la gentillesse d’un chef passionné et des convives généreux.