Romanée Conti et Yquem pour Lise mardi, 3 juillet 2007

Je remonte à Paris pour aller voir la petite Lise, nouveau membre de la famille. L’avion a une heure de retard, la circulation parisienne est bloquée et la température quasi polaire quand on la compare à l’éden du Sud. Mon gendre a ouvert Château Laville Haut-Brion 1979 pour trinquer à la beauté de Lise, mais ce vin est extrêmement sensible à la température de service. C’est lorsqu’il fut bien froid que sa grâce se révéla, les trois quarts de la bouteille ne nous ayant montré qu’une pâle image de ce vin que j’adore. Un Riesling Domaine Weinbach, Faller frères 1979 ouvert pour se consoler des prémices du Laville, lorsqu’il fut bien froid lui aussi, révéla un talent alsacien très sympathique, sans trace d’âge et un beau fruit. La vedette est évidemment la petite Lise, qui connaîtra le 22ème siècle, si les errements de l’espèce humaine ne conduisent pas à des dérèglements irrémédiablement mortels.

Le lendemain, je reviens chez ma fille, avec des munitions cette fois. On ne dira jamais assez à quel point les tirebouchons sont cruciaux. N’ayant pas mes instruments, j’ouvre le Château d’Yquem 1976 avec un limonadier à un seul levier. Le bouchon de très grande qualité se brise net et je vois le reste du bouchon jouer les grands jaunes et non pas les grands bleus, succombant à l’appel des abysses, et j’assiste impuissant à cette plongée. Lorsque je découpe la capsule de la Romanée Conti Domaine de la Romanée Conti 1980, il y a très peu de poussière noire sur le bouchon. L’odeur est terreuse, comme d’habitude, mais discrète cette fois. Ayant réussi à trouver un autre ustensile, je lutte avec le magnifique bouchon sans pouvoir trouver de prise, car il est fort serré dans sa gaine, mais au bout de vingt minutes je réussis à extraire un beau bouchon entier, qui libère l’odeur du vin la plus romantiquement bourguignonne qui soit. Il reste environ quatre heures avant que je ne puisse mettre mes lèvres à ce grand vin, mais j’ai le sourire, car je sais qu’il sera grand.

Entre temps, passant à ma cave pour préparer les vins d’un futur dîner, je repère un Château L’Evangile 1964 qui a perdu du volume. Je le prends avec moi pour ce soir, pensant que démarrer le dîner sur la Romanée Conti serait brutal, mais mon raisonnement est idiot, car lorsque j’ai ouvert le vin à l’odeur fort désagréable, j’ai compris que le vin ne renaîtrait qu’après plusieurs heures, ce qui rendait illusoire qu’il serve de mise en bouche. Il fut donc laissé sur la touche. Je ne connaîtrai pas son retour à la vie. Ce fut donc un champagne Dom Pérignon 1998 qui débuta la célébration de Lise. Pas assez froid, il ne déploya son charme qu’en fin de bouteille, lorsqu’il fut suffisamment frappé.

Sur un gigot d’agneau du pays d’Oc et des pommes de terre en robes des champs, la Romanée Conti DRC 1980 nous transporte sur des territoires émotionnels infinis. Elle décide de parler la langue de l’agneau. Quand la viande montre une trace d’amertume, le vin prend la même. Quand la viande suggère un goût salin, le vin fait de même. Ce mimétisme est passionnant, mais le vin vaut plus que cela. Son parfum est austère, subtil, ascétique puis se fait matois, enjôleur, cajoleur. En bouche, c’est une montée au ciel. C’est la Bourgogne telle que je l’aime, terrienne, travailleuse, qui expose les souffrances du travail bien fait.  On n’est pas du tout sur le terrain de la séduction mais sur un exposé de toutes les facettes de la grandeur du vin de Bourgogne. On boit ce vin comme on visite un musée de la perfection vinicole. Je suis aux anges, cherchant à capter à chaque gorgée de nouvelles subtilités. Les premières gouttes versées étaient plus claires, les dernières plus foncées, et en mangeant la lie dont la mâche est la même que celle d’une myriade de pastilles de zan, je croque un morceau de bonheur. Ce vin est-il à mon goût ? Assurément et je me complais de ses complexités bourguignonnes. Suis-je influencé par le nom du vin pour le trouver bon ? Assurément aussi, et alors ! Le plaisir d’ouvrir ce vin devenu quasiment inaccessible participe au panorama général. Quand la bouteille est finie, c’est un vide qui se fait tant on est triste que ce moment soit terminé. Mon gendre est subjugué, tétanisé et sans voix par la découverte de sa deuxième Romanée Conti.

Lorsque le Château d’Yquem 1976 est servi, il remet toutes les pendules à l’heure. Yquem, c’est le David de Michel-Ange. On peut le regarder sous tous les angles, l’aborder sous tous les aspects, il est toujours parfait. Ce vin a la couleur d’un abricot doré, et en bouche, il est abricot. Ne cherchons pas ailleurs, il est abricot. Avec un stilton bien mûri, l’Yquem révèle toutes les facettes de son charme, la suavité étant exacerbée par la salinité du Stilton. Nous allons nous livrer à une expérience passionnante. Sur des tranches de mangue crues, l’Yquem est un fruit. La continuité est spectaculaire. Il renie à peine son abricot pour devenir lentement mangue. Et avec des tranches de mangue juste poêlées, qui fondent dans la bouche avec une incroyable douceur, l’Yquem devient thé, Yquem sec, et l’accord est diabolique. C’est ce deuxième accord que je préfère.

Alors, que conclure ? L’Yquem, c’est la solidité la plus affirmée, la plénitude du charme assumé. La Romanée Conti, c’est la folie du charme énigmatique et romantique, qui requiert une attention de chaque instant pour ne rien perdre du drame qu’elle nous joue. Mais Lise s’adresse à nous, en quête de lait maternel. Son insistance nous rappelle que la vraie vedette de cette émouvante soirée, c’est bien elle.

visites du blog en juin 2007 dimanche, 1 juillet 2007

Voici le résultat :

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C’est le meilleur résultat en nombre de visites. Mars 2007 a donné lieu à plus de pages lues.

Merci à tous les lecteurs et visiteurs.

Lise jeudi, 28 juin 2007

à 14h59 ce jour, une petite Lise est née.

Fille de ma fille Agathe et de Guillaume, elle agrandit le cercle de famille.

Cette nouvelle n’a rien à faire sur un blog sur le vin, mais comme je raconte mes aventures avec un ton très personnel, il ne me paraît pas déplacé d’annoncer cet événement qui réjouit toute ma famille.

de nouveau des cigales, mais à l’hôtel des Roches mercredi, 27 juin 2007

Ma femme est restée près de ma fille qui va accoucher sous peu. Le sport, c’est bien, mais il y a aussi des moments d’ennui. Je décide d’inviter des amis au restaurant de l’hôtel des Roches.

Sur la belle terrasse au dessus du restaurant, un trio joue des chants brésiliens aux accents joyeux et entraînants. Il est tentant de prendre à l’apéritif un champagne Krug Grande Cuvée particulièrement arrondi et chantant comme ces airs gracieux.

Nous passons à table et le bon plan semble être de prendre artichauts et truffes d’été en entrée, puis des belles et grosses cigales. Je choisis un Domaine d’Ott blanc Clos Mireille 2004 qui est un vin fort agréable, riant d’un fruit complexe, qui déride l’artichaut et se love à la truffe. Un mariage fort agréable et un vin de belle longueur fruitée.

Pour les cigales, je n’avais pas envie de recommencer l’accord brillant avec Yquem tenté aussi bien sur la cuisine de Matthias Dandine que sur celle d’Yvan Roux. J’ai cédé à une envie en commandant un Richebourg Anne Gros 1997.

Ce vin est un pur bonheur. Dès la première gorgée, on est bien, ravi de retrouver le charme bourguignon interprété sur un instrument bien accordé. Car chaque note de ce vin est d’une justesse rare. On se sent bien, rassuré de constater qu’Anne Gros travaille si bien. J’avais aimé son 1996 plus tonitruant, mais j’aime la finesse qu’offre en ce moment l’année 1997.

La cigale de Matthias est évidemment goûteuse, mais je lui préfère la tendreté de celle d’Yvan Roux. C’est évidemment une remarque à la marge, car la cuisine de Matthias est d’un raffinement qui se mûrit chaque jour.

Dans le cadre à la décoration motivante, avec le sourire de Sébastien de plus en plus à son aise dans son rôle de sommelier, avec toute une équipe dynamique et attentionnée, nous avons passé une excellente soirée.

Le trio continuant d’égrener ses mélopées il fallait un armagnac pour les écouter. Ce fut un Bas-Armagnac La Fontaine de Coincy 1973 d’une pureté exemplaire. L’armagnac, quand il est de cette sincérité, rend la nuit lumineuse. Une halte chez Matthias Dandine est un grand moment de bonheur.

 

publicité pour le champagne; est-ce une idée ? samedi, 23 juin 2007

Cette photo m’a suggéré une idée de publicité :

Au fond, la mer, en arrière plan, la piscine intérieure, des reflets de lumière qui font comme des étoiles, une bougie qui est soleil, et les bulles de Laurent Perrier Grand Siècle.

Ce pourrait être une idée de publicité pour le champagne, avec ce thème : "Laurent Perrier, jusqu’au bout de la nuit".

Je ne suis pas du tout publicitaire, mais cela m’a amusé.

un chapon chez Yvan Roux samedi, 23 juin 2007

Quittant la fête de la fleur, je tourne ma route vers ma maison du Sud. L’ordre du jour est au sport. Leçon de gymnastique, marche sur une colline qui fait pousser les pulsations, cinquante longueurs de piscine le tout finissant sur une table pour un massage tonique, tout était sérieux jusqu’alors. Le mistral pousse des moutons sur une mer agitée. C’est trop tentant. Je prends mon jet ski et je vais faire des montagnes russes à des vitesses insensées. Je reviens cassé et trempé mais ivre de ma folie. Le programme n’allait pas s’arrêter là, car je vais chez Yvan Roux.

Comme l’habitué du café qui reçoit sans l’avoir demandé son ballon de Muscadet ou son petit crème sans sucre, c’est Laurent Perrier Grand Siècle / Pata Negra qui est mon badge d’accès. Ce Pata Negra est un peu plus sec, filandreux et salé que le précédent, mais quelques morceaux du cœur ont un gras moelleux qui fait sourire le champagne.

(la photo est prise alors que j’avais déjà largement entamé ma portion).

Les anémones de mer frites sont les plus réussies depuis que je viens en ce lieu.

Ce qui est hallucinant, c’est qu’en mangeant ces lamelles panées, j’ai la représentation visuelle des anémones, sortes de cannelés tentateurs prêts à user de leurs tentacules. Il n’est pas interdit au lecteur de tenter des anagrammes, voire des contrepèteries dans cette phrase.

Les anémones accueilleraient volontiers un rouge ou un liquoreux tant on peut exciter la saveur dans le sens de son iode ou de son sucre.

Un chapon se présente sur une assiette où sa tête semble prête à faire douter de qui mangera l’autre. Yvan Roux a traité la chair du chapon d’une façon brillante au point que je me plais à penser que c’est le meilleur chapon que j’aie jamais mangé. Là aussi, un rouge serait à son aise, mais le grand Siècle, imperturbable, a pris la devise de Pierre Dac et Francis Blanche dans le sketch du sar Rabindranath Duval : « vous pouvez le faire ? Mesdames et messieurs, il peut le faire ». Oui, le champagne est ici à son aise comme je le suis.

Une glace à la vanille et mascarpone est devenue un rituel comme la câpre avec la raie ou le cumin avec le munster. Il me la faut. La bouche apaisée, le champagne Laurent Perrier Grand Siècle délivre des notes florales qui démontrent sa justesse jusqu’au bout du repas.

Vinexpo : le final, la fête de la Fleur jeudi, 21 juin 2007

Le point culminant et final de Vinexpo est la « Fête de la Fleur » qui tient sa 56ème édition au Château Smith Haut Lafitte. C’est aussi l’occasion de célébrer le 20ème anniversaire de l’appellation Pessac-Léognan. L’événement a de l’importance, aussi ce seront 1.500 personnes qui participeront, avec un nombre de prétendants déçus bien supérieur. Beaucoup de nations sont représentées, mais la fine fleur (c’est le cas de le dire) du vignoble bordelais est fidèle au rendez-vous.

Florence et Daniel Cathiard ont fait un gigantesque travail d’organisation car le dîner se tient dans les chais vidés de leurs 1.500 barriques déplacées pour peu de temps dans le hall de stockage des bouteilles.

Quel joli couple, exemplaire, qui a fait un travail exceptionnel pour que cette fête soit une réussite.

Lorsque l’on dépasse une certaine taille, les problèmes deviennent exponentiels. Les parkings sont très éloignés et c’est en petits trains comme ceux du jardin d’acclimatation du Bois de Boulogne que l’on rejoint le lieu de réception des invités. Malgré un petit balai passé sommairement sur les bancs en skaï, la poussière pénètre partout. Dans la cour d’entrée, des stands sont tenus par de ravissantes hôtesses habillées comme de carrés Hermès avec des couleurs vives toutes différentes, qui ne semblent pas apprécier qu’on les ait affublées d’espadrilles aux longs lacets. Sous une immense tente, les crus de Pessac-Léognan, beaucoup plus nombreux que lors de la soirée à Haut-Bailly où il n’y avait que les crus classés, sont offerts à cette belle assistance. Je goûte quelques vins déjà bus il y a cinq jours et Haut-Brion 2004 me semble refaire une partie significative de la différence que j’avais trouvée avec La Mission Haut-Brion 2004, alors à l’avantage de ce dernier. De délicieux canapés et petits toasts permettent de mieux déguster ces grands vins en dilettante, car l’important est de bavarder avec les personnes que l’on connaît : Sir Michael Broadbent et son épouse, mon idole dans le domaine des vins anciens, Andrée Médeville et son mari, Pierre Lurton et Carole, Olivier Bernard et Anne, Charles Chevallier et son épouse, Bernard Magrez que je vais saluer car je n’avais pu converser avec lui lors du dîner à Haut-Bailly alors que nous étions à la même table, Michel Bettane, très décontracté, Thomas Duroux de Palmer, et le Comte von Neipperg dont l’épouse ferait pâlir de jalousie toutes les impératrices Sissi, de très nombreux vignerons et des professionnels que je connais.

Pendant ce temps, sur une pelouse, la Commanderie du Bontemps, Médoc et Graves, Sauternes et Barsac sous l’efficace houlette de son président Jean-Michel Cazes, intronise à tour de bras de nouveaux Commandeurs. Il faut prononcer plusieurs fois avec des accents différents les noms de plusieurs impétrants asiatiques qui ne réagissent pas quand on les appelle.

J’ai vanté le sourire légendaire de Véronique Sanders, dans le compte-rendu du dîner à Haut-Bailly. N’ai-je pas raison ?

Jeff Leve, chez qui j’étais allé à Los Angeles pour partager des vins, est ému d’être intronisé. A ses côtés, le souriant Olivier Bernard qui nous avait reçus au Domaine de Chevalier

Cette cérémonie répétitive comme les mariages à Reno n’intéresse en fait que les petits groupes de gens concernés. On annonce qu’Alain Juppé et son épouse viennent d’arriver et tout devient plus fébrile, les journalistes et photographes sentant que c’est cela qui est important. Philippine de Rothschild, Patrick Poivre d’Arvor sont photographiés à qui mieux mieux ainsi que le prince du Danemark intronisé ce soir.

Tout cela prend un temps considérable.

Faire entrer mille cinq cents personnes qui bavardent dans un chai et les faire s’asseoir prend bien une heure et demie. A ma table il y a plusieurs journalistes, mais ce sera peine perdue de chercher à communiquer avec eux car le traiteur étant le même qu’à Haut-Bailly, ce sont les mêmes tables qui ne permettent de parler qu’à ses seuls voisins immédiats. Il y a là sans doute une piste de progrès. Je discuterai plus particulièrement avec un ami collectionneur qui a des séries impressionnantes de quelques vins de prestige et avec lequel nous avons bu quelques grands flacons dans de beaux endroits et je ferai connaissance avec un sympathique et dynamique jeune courtier en vin de la place de Bordeaux.

Jean-Michel Cazes fait un discours tonique et efficace (c’est-à-dire pas trop long) d’introduction tandis que le président de l’appellation Pessac-Léognan, moins entraîné à cette gymnastique, fait un discours particulièrement convenu qui se perd dans le brouhaha. Le Prince du Luxembourg conclut ces introductions par un speech précis et fait lire les remerciements du Prince Albert de Monaco au sujet du don que cette soirée fera pour les œuvres caritatives du Prince. Il est à noter que lorsque l’on annonça la présence d’Alain Juppé les applaudissements furent insistants, certains allant même jusqu’à vouloir lancer une standing ovation, ce qui fit dire à mon voisin de table : « la France aime les perdants, ce n’est pas gagné ! ».

Les vins viendront aux tables en processions rythmées par un jeune tambour. Voici le menu : tartare de bar en surprise au caviar d’Aquitaine / jarret d’agneau « oublié au four » / l’ardoise du maître fromager / diagonale sucrée. Donner du poisson cru à une telle table et par une telle chaleur est un risque certain. Comme l’air circulait mal dans les chais, les bougeoirs brûlant tout l’oxygène, j’eus peur de ressentir les symptômes des mêmes maux que ma femme à El Bulli, mais les vins de Bordeaux font des miracles. Nous avons bien dîné.

Le Smith Haut Lafitte blanc 2000 a un nez d’une puissance invraisemblable, presque excessive. En bouche, le vin est plus civilisé et c’est un agréable blanc fruité à consommer avec modération car il pourrait être entêtant. Dans cette atmosphère chaude et moite, le Château de Pez 2001 ne me parle pas. Je ne vois aucune aspérité à laquelle m’accrocher. Le Smith Haut Lafitte rouge 2000 pourrait m’attirer plus, mais décidément, après cette semaine, je n’ai pas l’esprit à ces vins là, à rejuger dans d’autres occasions.

Le Rauzan-Ségla 1996 ne m’attire pas beaucoup plus ce qui montre bien que la lenteur obligée du service, la chaleur des chais, pèsent sur mon jugement.

C’est en fait le Château Haut-Brion rouge 1998 qui marque mon retour à la vie, car je me dis, sans autre forme de procès : « ça c’est du vin ». Qu’on ne se méprenne pas, c’est l’observant qui n’est pas en forme, pas les observés, tous vins de qualité. Les fromages sont délicieux, les serveurs très attentifs, la vie est belle. Comme l’on finit le repas sur Yquem 1998 je vois à ma table mais fort loin car il est impossible de se parler une journaliste au visage fermé pendant le repas qui s’anime enfin comme une gamine qui aurait gagné le titre de Miss Léognan, car pour elle Yquem, c’est un vrai cadeau du ciel. Elle a cette réflexion que j’ai entendue souvent lorsque certaines personnes atteignent enfin de tels vins de légende : « c’est peut-être la seule fois de ma vie que j’en boirai ». J’espère qu’elle l’aura trouvé à son goût. Yquem sera toujours Yquem, il est toujours présent au rendez-vous, même dans une année qui n’est pas la plus célébrée.

Le dessert est en trois parties dont une est un ennemi déclaré des sauternes (boule de glace enserrée dans une coquille en chocolat) mais est-ce important quand ce qui compte, c’est l’immense générosité de toute une profession.

A noter, car c’est plus amusant que critique, qu’à ma table, l’enveloppe en chocolat a été délaissée par tous.

On remonte les marches en constatant l’incroyable écart de température pour assister à un feu d’artifice absolument spectaculaire et d’une rare émotion car la musique ponctue les envolées irréelles qui nous font redevenir de tout petits enfants pendant qu’une danseuse crée elle-même un feu d’artifice par ses mouvements gracieux. Le serveur qui officiait à notre table est près de moi et me dit qu’il emmagasine tous ces souvenirs pour les raconter à ses enfants. Son enthousiasme et sa fraîcheur, ses yeux qui brillent me ravissent le cœur autant que la féerie qui embrase les vignes. Si le Smith Haut Lafitte 2007 a un goût de pierre à fusil, on saura pourquoi !

Les discussions vont bon train avec du champagne Gosset délicieux qui sera vite épuisé tant il provoque une soif d’en reprendre et avec un cognac Tesseron 1953 absolument remarquable de maturité. Je bavarde avec mes amis de Las Vegas et avec une jeune femme qui m’interroge sur certains de mes récits. Je crois qu’il s’agit d’une journaliste qui s’informe. La rusée joue de mon ignorance, car c’est la fille d’un des vignerons emblématiques de Bordeaux. Nous avons discuté pendant de belles heures pendant qu’un orchestre jouait très fort des hits d’une autre époque pour des danseurs courageux. Son intelligence est aussi brillante que la réussite de son vigneron de père, entrepreneur de génie. Le retour aux voitures est une expédition qui fait de Livingstone un explorateur de square. Quand je me jette dans mon lit à l’heure où le soleil se demande pourquoi il doit se lever si tôt uniquement parce qu’il est écrit sur le calendrier que c’est le jour le plus long, j’ai un sourire heureux car en une semaine j’ai rencontré de grands vignerons que j’apprécie et dont j’adore les vins. Se trouver au milieu d’un secteur économique qui se porte bien, qui innove et garde ce sens de l’accueil unique au monde, c’est un plaisir que je ne boude pas.

Quels sont les flashes que j’aimerais mettre en avant de cette riche semaine ? C’est tout d’abord le sourire de Véronique Sanders et son discours élégant, c’est la générosité souriante d’Olivier et Anne Bernard, avec de beaux vins de toutes régions, c’est l’éblouissante présentation des premiers grands crus classés de 2001 dans le musée d’art contemporain, c’est le raffinement d’Alexandre de Lur Saluces, c’est l’Yquem 1954 au charme d’une rare subtilité, c’est le rayon de soleil qui se couche sur les vignes d’Yquem, le charme de Bérénice Lurton, la grâce de May Eliane de Lencquesaing, le sourire d’Andrée Médeville, la tonicité de Florence Cathiard qui aura organisé une fête spectaculaire où chaque détail a participé à la réussite, c’est ce feu d’artifice et cette discussion finale avec une jeune femme à qui je prédis un grand avenir dans le monde du vin ou le monde qu’elle se choisira.

Bordeaux sait recevoir, Bordeaux sait faire vivre son image de perfection. Tout aura contribué en cette semaine à faire aimer encore plus ses vignobles, ses vins, et les hommes et les femmes qui créent les nectars qui embellissent notre vie. Merci, mille mercis à ces vignerons généreux qui font l’excellence française.

Bordeaux, enfer des automobilistes mercredi, 20 juin 2007

Rien n’est trop beau pour le tramway. Tous les automobilistes qui restent coincés pendant une heure sur les quais en sont persuadés.

 

Voici l’objet de mon ire.

Vous trouvez que j’exagère ? Regardez :

Un kilomètre en 20 minutes, cela fait du 3 km/h et une consommation de 40 litres aux cent. Merci tramway !

 

Vinexpo : Chateau de Fargues et Chateau d’Yquem le même soir ! mercredi, 20 juin 2007

C’est une nouvelle journée de repos ponctuée de longueurs de piscine. Est-ce un hasard, est-ce une nécessité, le Château de Fargues et le Château d’Yquem reçoivent l’un et l’autre le 20 juin, jour de l’été.

Je suis le premier à me présenter au château de Fargues où Alexandre de Lur Saluces me reçoit avec un large sourire.

je suis vraiment le premier !

Il me montre les transformations récentes d’un goût exquis. François Amiraut travaille encore dans un bureau somptueux d’où l’on voit tout et je plaisante en lui disant qu’il aura du mal à aller là où le vin se fait s’il dispose d’un bureau aussi luxueux. Alexandre a envie de restaurer l’immense château médiéval qui domine le site d’exploitation.

Est-ce raisonnable ? On sait qu’Alexandre est capable de transformer les rêves les plus fous en réalités et réussites. Je serai bien curieux de voir ce qu’il fera de ce vestige.

Les invités arrivent sous un ciel bien sombre et Alexandre me présente à beaucoup de personnalités bordelaises du monde des arts, de l’éducation, de la recherche et de l’armée. Je reconnais des universitaires qui avaient organisé et participé au colloque sur le verre et le vin, et je salue le sourire de ce jeune normalien qui avait réuni Alexandre et moi-même pour une soirée vineuse à l’école Normale Supérieure. Andrée Médeville et son mari propriétaires de Gilette sont venus en voisins et nous évoquons leur fille qui gère de façon tonique le Château Les Justices. May Eliane de Lencquesaing est une fois de plus tout sourire et l’atmosphère de cette réception est à la bonne humeur et aux échanges policés et raffinés. Un champagne Bollinger glisse en bouche pour faciliter les discussions et un Château de Fargues 2002 me plait beaucoup. Son nez est incisif et sa trace en bouche présente et confortable.  Je cherche en mémoire le goût de l’Yquem 2002 pour peser les similitudes. Je serais tenté de préférer le Fargues mais l’expérience est faussée car je bois ce Fargues sans référence aux années voisines alors que l’Yquem 2002, coincé entre un 2001 himalayesque et un 2003 follement romanesque se fait discret et timide alors qu’il est un Yquem serein. On ne tranchera donc pas, mais je signale toutefois la réussite de ce Fargues.

Heureux de l’ambiance qui a le raffinement de l’hôte des lieux je me rends au château d’Yquem sous une pluie qui commence à devenir insistante. Lorsque l’on veut m’orienter vers un parking, je cite un nom qui sonne comme un sésame, ce qui me permettra de garer mon véhicule non loin du château.

La pluie a regroupé tous les invités dans les salons du château. Nous serons quelques fanatiques à aller admirer le soleil tardif qui sous la pluie rase les vignes d’Yquem. Dans le compte-rendu que j’avais fait du même cocktail lors de Vinexpo 2001, j’avais signalé ce moment magique où le soleil de solstice, pour son coucher le plus lointain vers le nord,  envoie des rayons perpendiculaires aux  vignes qui caressent le vert des feuilles d’un rose rare. Aujourd’hui, le ciel plombé d’humidité est d’une couleur envoûtante qui évoque des fleurs carnivores prêtes à dévorer mon cœur.

Une coupe de Dom Pérignon 1999 est nécessaire pour toaster avec les personnes présentes. Je suis plus réservé que Richard Geoffroy sur ce millésime qui n’a pas encore décidé de se livrer. Sandrine Garbay est plus ravissante que jamais, Valérie est souriante, et les personnes qui ont contribué au succès du récent dîner que j’avais organisé à Yquem en ont encore un frais souvenir. Je vais saluer Marc Demund, le traiteur d’Yquem qui a concocté des canapés très adaptés à Château d’Yquem 1996 au nez précis, à la belle présence, mais qui n’a pas l’excitation des plus séducteurs. Nous en parlons avec Francis Mayeur qui aime beaucoup ce millésime et dit fort justement qu’il prendra sa place dans l’histoire comme celle d’un Yquem dans la définition d’Yquem. Je rencontre avec un infini plaisir Bérénice Lurton, propriétaire de Château Climens pour lequel j’ai les yeux de Chimène. Je pourrais aussi écrire « pour laquelle », car notre conversation fut certainement la plus plaisante de toutes celles que j’ai eues durant cette semaine. Nous avons parlé liquoreux bien sûr mais aussi longuement de gastronomie et nous avons commenté Yquem 1954 généreusement offert par Pierre Lurton. Ayant eu vent de ce choix j’étais allé voir Pierre pour lui dire : « tu prends un risque avec ce 1954 qui n’est pas facile à comprendre ». J’avais hélas pressenti ce qui se passerait car des distributeurs étrangers d’Yquem ont dit à Pierre que ce 1954 était passé, alors qu’il s’agit d’un cadeau du ciel. L’attaque de ce vin en bouche est très fluide, aqueuse, comme l’eau d’un ruisseau qui rebondit sur des pierres qu’elle lèche. Puis le vin s’installe en bouche et ne veut plus la quitter, avec un final renversant et pénétrant. Et ce qui est passionnant, c’est que l’on hésite entre les évocations de fruits oranges bruns et celles de thé, d’infusion, de feuilles trempées dans une concoction d’alchimiste. Ce vin extrêmement typé envoûte par son charme énigmatique et j’étais ravi que nous le comprenions, Bérénice et moi, avec la même grille de lecture. La pluie insistait et servait à tous d’excuse pour rester un peu plus longtemps. Sur le chemin du retour, la trace indélébile de l’Yquem 1954 est le plus précieux des réconforts.

Avec un ami collectionneur d’Yquem.