El Bulli – dîner – 3 samedi, 2 juin 2007

Ce filet de raie évoque par son dessin des aventures diaboliques. Voici le vin qui devait compenser la soudaine décrue de Salon 1982 : Amantillado O?ana Garvey Jerez-Manzanilla de Sanlùcar.

 

Quelle belle couleur !

 

A droite ce qui sera l’esquisse d’un jus de lièvre. Pas évident mon cher Watson !

 

plat éblouissant de lièvre, rehaussé par le vin.

le lièvre et le vin

 

magnifique grenache : Dom Berenguer Solera 1918 De Muller Priorat

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une fontaine de bonheur

une pipette pour la mûre 

la couleur du 1918 comparée à celle du Salon 1982

 

merveilleux dessert

la fiche de service de notre serveur

 

les mignardises

 

« Wine » Australian Gourmet Traveller jeudi, 31 mai 2007

In its issue of April/May, the magazine "Wine" has its page 40 with this title :

"Breath of Fresh Air"

This is an article made by Nick Stock, a journalist whom I have never met, but who wrote probably with the help of Sabine Schmitz  with whom I was in contact, about what is now called the "Audouze method" to open old wines and let them come back to life.

As I received in my house in the South an Australian wine lover and his family in May, there is now a bridge between my activity and this lively Australian continent.

déjeuner au Bistrot du Sommelier mercredi, 30 mai 2007

A peine réveillé, je me rends au rituel déjeuner de conscrits qui se tient au Bistrot du sommelier. Nous sommes dans le petit salon au fond de la cour ce qui permet de débrider nos propos. Je suis en charge de choisir les vins même si je n’invite pas. Connaissant bien l’ami qui invite, je laisse libre cours à mon voyage dans l’intelligente et solide carte des vins de Philippe Faure-Brac.

Le Champagne Zoémie de Sousa cuvée merveille 50% chardonnay, 40% pinot noir et 10% pinot meunier dégorgé en octobre 2005 est d’une maison d’Avize que j’aime particulièrement. Mais cette cuvée merveille ne m’émerveilla pas. Son discours est plutôt banal. Est-ce mon humeur qui n’était pas à l’apprécier ? Je ne l’exclue pas.

Le Château Laville Haut-Brion 1983 au contraire chante à mes papilles. Voilà un immense vin de Bordeaux avec un fumé délicat qui me réconcilie après le pâle 1958 que j’avais apporté au dîner chez Laurent. Ce vin blanc intensément expressif est un compagnon de folle gastronomie.

Le Château Rayas Châteauneuf-du-Pape 1996 que Mona, jeune sommelière dont je dirai un mot, me fait sentir, a l’expression d’un bourgogne. Je hume, je réfléchis, et l’image bourguignonne ne cesse de se renforcer. Ce vin d’une subtilité infinie, est un monde en soi. Car il montre qu’il existe un autre Châteauneuf-du-Pape, plein d’un charme exquis.

J’ai une inclination particulière pour l’année 1997 pour les grands vins de Marcel Guigal. Et la Côte Rôtie La Landonne Guigal 1997 ne fait pas mentir cet amour. Ce vin est absolument immense. D’emblée, il séduit le palais par un envoûtement terriblement sensuel. Et ce que j’aime de l’année 1997 c’est qu’elle est de faible puissance. Et cette Landonne chante un fado qui me prend au plus profond de mon être. Ce vin subjugue mes convives. C’est de la sensualité écorchée sous un discours politiquement mesuré. Un vin à reboire et reboire sans modération. C’est Mona qui nous suggère le Château Les Justices Sauternes 1999 et j’acquiesce car j’ai une amitié particulière pour la famille Médeville qui fait de si grands sauternes. Ce Justices est un chef d’œuvre d’équilibre joyeux. On est évidemment encore dans les limbes d’une année qui n’est pas la plus spectaculaire, mais ce vin joyeux se boit avec bonheur.

89ème dîner de wine-dinners au Grand Véfour mardi, 29 mai 2007

A peine revenu du Sud et sa mer agitée, je viens ouvrir les vins du 89ème dîner de wine-dinners au restaurant le Grand Véfour. Patrick Tamisier, facétieux sommelier à l’humour direct et sympathique sait aussi écouter, échanger, et c’est un plaisir toujours renouvelé de construire avec lui. L’opération d’ouverture se passe avec une extrême facilité. Un vin constitue une énigme renouvelée. Alors que le bouchon du Véga Sicilia Unico 1960 est sec, plein, souple et efficace, celui du Grands Echézeaux Domaine de la Romanée Conti 1963, enfoncé de cinq millimètres a produit dans cet espace vide une considérable poussière noire qui sent la terre, la tourbe et le sous-bois feuillu. Le vin lui-même sent la terre acide et je m’imagine que tout client qui commanderait ce vin dans un restaurant le renverrait ad patres. On sait depuis que je le raconte que ces vins reviennent à la vie et sont souvent brillants comme la suite de ce récit le montrera. Mais un tel aspect me surprend toujours, car on le comprendrait d’un vin de trente ans de plus, mais pas de cet âge là. C’est sans souci que j’ai laissé les vins pour aller saluer mes amis des Caves Legrand et pour flâner dans les jardins du Palais Royal. Je suis entré dans le magnifique écrin de la boutique de Serge Lutens où j’ai acheté le parfum Ambre Sultan, un must de ce créateur. Si je cite cette anecdote c’est en rapport avec le vin. Comme c’est la coutume, les parfumeurs ajoutent au petit paquet fort coûteux des échantillons. Peu de jours plus tard, j’essaie « Chypre rouge ». Et ce parfum a des notes prononcées de réglisse ce qui est incroyable, car mes vins de Chypre de 1845 ont une caractéristique fondamentale, c’est une note intense de réglisse. J’aime ces coïncidences, mais revenons à nos convives.

Notre table de huit a été formée par un de mes amis qui invite des clients. Je m’attends donc à ce qu’il y ait des retardataires. Aussi fais-je ouvrir en plus des vins prévus un Champagne Delamotte 1997 qui doit servir d’intermède ou d’ouverture. Le retard est effectivement au rendez-vous, si je peux oser cette image et le Delamotte joue parfaitement son rôle. 1997 est une année très réussie pour Delamotte, et ce que j’apprécie, c’est la claire définition de ce champagne. Agréable champagne de soif, il rassure par la lisibilité de son message.

Guy Martin a composé un menu qui est l’expression de sa personnalité : Pizza d’asperges vertes, crème de coque et caviar / Bouchées de crevettes « bouquet » / Langoustines juste saisies, d’autres crues assaisonnées aux fruits de la passion / Pigeon rôti au sautoir, patate douce et mangue, jus au bois sucré / Comté 16 mois / Compote et émulsion de mangues, sorbet pomelo / Café et mignardises. Certains plats sont véritablement adaptés aux vins, d’autres sont plutôt des créations personnelles où son talent s’expose sans relation réelle avec le vin. On sait que j’aime quand les chefs épurent leurs recettes au service du vin. Mais retrouver le talent de ce chef dans ce lieu chargé d’histoire est un plaisir qui ne se boude pas. Nous avons le joli salon du premier étage parfaitement calibré pour notre table de huit.

Le Champagne Dom Ruinart rosé 1986 a une couleur peau de pêche d’un charme rare. Comme il y a bien longtemps que je n’ai pas cité Laetitia Casta, il faut bien que je le fasse. Cette couleur est aussi belle que la peau de notre idole. Messieurs, en parlant d’elle, c’est de la République que je parle. La pizza complètement réinterprétée par Guy Martin est un cocktail éventail de goûts créatifs, disparates mais délicieux. Aussi, cet immense champagne de gastronomie est parfaitement à l’aise dans tous les compartiments du jeu, même lorsque Guy Martin, à l’instar de Pierre Gagnaire, repousse les limites de son talent. Ce champagne est un des plus grands rosés que je connaisse, car il sublime la notion même de rosé.

Il y a à notre table un grand amateur de Chablis. Le Chablis Grand Cru "Grenouilles" Louis Michel 1984 est subjuguant, car personne ne l’attendrait à ce niveau d’accomplissement. Il faut dire que les cinq heures d’oxygène lui ont donné de l’ampleur et un gras fort sympathique.

D’une façon assez générale, les vins de Mouton Rothschild ne laissent pas indifférent et il est de bon ton de le toiser dans les milieux de la critique du vin. Je me souviens que mes voisins de table à la dégustation des 1949 hésitaient avant de se rendre compte de la réussite extrême de Mouton 1949. Ici, le Château Mouton Rothschild 1975 est très au dessus de toute image que l’on aurait de ce vin. Là aussi l’oxygène joue un rôle crucial, épanouissant des arômes timides. Il s’agit d’un vin franc, aimable, subtil, dans le pur style de Mouton. A côté de lui le Château Grand La Lagune 1934 est une belle surprise pour mes convives, comme cela arrive souvent, car il brise tous les schémas convenus sur l’âge du vin. La majorité d’entre eux ne pouvait pas soupçonner qu’un vin de 73 ans puisse avoir une telle couleur de jeunesse et un tel allant en bouche. Les détails qui trahissent son âge sont infimes. C’est un vin fort agréable à boire qui confirme une fois de plus que 1934 est une année taillée pour une garde encore longue.

Patrick me donne à goûter le Grands Echézeaux Domaine de la Romanée Conti 1963. J’ai dans mon verre la partie la plus pâle du vin et lorsque Patrick a fait son tour de table je lui demande de me resservir un peu « pour homogénéiser ». Cette expression fait rire l’ami qui a organisé cette table. Dès le premier nez, je sais que c’est gagné. Ce vin qui aurait été refusé à son ouverture a retrouvé sa beauté première. Très bourguignon, subtil comme pas deux, ce vin m’enchante par ses complexités sous-jacentes. Il forme un contraste particulièrement intéressant avec le Vega Sicilia Unico 1960 qui est un vin d’un ravissement absolu. Puissant, clair, droit dans ses bottes, ce vin expose directement son message et s’y tient alors que le 1963 minaude. Je deviens de plus en plus amoureux de ces Vega Sicilia Unico anciens. Vins de soleil et de plaisir premier. J’apprécie d’avoir face à moi deux tendances qui m’enchantent : le vin pur apparemment simple mais complexe sous son message franc et le vin qui se drape dans des voiles de séduction, qu’il faut déchiffrer à chaque mouvement de ses graciles épaules. La confrontation méritait d’être faite. Ce Grands Echézeaux est délicat et envoûtant.

Le plus gradé des invités de mon ami avait clairement annoncé son manque d’intérêt pour les vins du Jura, aussi me fallut-il prodiguer des conseils précis pour que le Vin Jaune Arbois Bouvret Père & Fils 1967 soit correctement apprécié. J’avais fait changer le Comté pour un plus jeune, car les 16 à 18 mois sont idéaux et je demande à chacun de mâcher ostensiblement le Comté en secrétant un excès de salive. Ensuite il s’agit de boire le moins possible du vin afin que l’alcool ne domine pas. Cela donne une autre perspective à la combinaison, qui fut agréée par le plus grand nombre.

Le Château d’Yquem 1939 a un nez qui se suffit à lui-même. Il fait partie de ces vins dont le parfum tétanise. Le plaisir du nez est si grand que le bras est paralysé et l’on n’éprouve pas le besoin de boire le vin. Les plus anciens lecteurs se souviennent sans doute de ce Suduiraut 1928 que nous avions gardé en main plus de dix minutes lorsqu’il nous fut servi en compagnie de Guy Savoy assis à notre table, tant l’odeur était paralysante. Nous sommes ici dans le même cas avec des évocations de pamplemousse, de mangue et d’ananas. Tous les fruits de la même gamme de couleur que l’or serein de ce vin sont appelés à s’exprimer dans nos narines. Je fus bien inspiré de faire orienter le dessert vers la mangue, car ce fruit merveilleusement traité fit chanter cet Yquem immense. Je n’aurais jamais soupçonné que le 1939 d’Yquem ait ce charme là. Il n’a pas la solide présence du 1955 récent, mais il a un équilibre de ses composantes qui est assez spectaculaire car ici aucun trait n’est forcé. Yquem sait jouer de son charme dans ces années moins tonitruantes.

La beauté du lieu et l’envie de parler nous poussèrent à goûter un original Rhum du Venezuela Santa Teresa (Ron Antiguo de Solera) pendant que  nous votions. Tous les vins ont eu au moins un vote à l’exception du vin d’Arbois, sans doute à cause de sa position dans le repas entre deux vedettes. L’Yquem 1939 a reçu cinq votes de premier sur huit votants, le Vega Sicilia Unico 1960 a eu deux votes de premier et le Mouton 1975 a eu un vote de premier. Le vote du consensus serait : 1 – Yquem 1939, 2 – Vega Sicilia Unico 1960, 3 – Mouton Rothschild 1975, 4 – Grands Echézeaux Domaine de la Romanée Conti 1963.

Mon vote a été : 1 – Yquem 1939, 2 – Vega Sicilia Unico 1960, 3 – Grands Echézeaux Domaine de la Romanée Conti 1963, 4 – Mouton Rothschild 1975.

Egoïstement, je serais heureux que la mise au point du menu donne l’occasion d’un échange avec le chef ou que nous fassions une analyse a posteriori pour orienter de nouvelles pistes. Car si tout fut marqué d’un grand talent, il est des goûts qui s’accordent moins naturellement avec les vins anciens. Mais le charme du lieu, l’extrême implication d’une équipe motivée par l’excellence, ont fait de ce dîner un grand dîner. La mangue avec cet éblouissant Yquem et le pigeon avec le Vega Sicilia forment des souvenirs impérissables. Ce fut un grand dîner.

dîner wine-dinners du 29 mai 2007 – les vins lundi, 28 mai 2007

Champagne Dom Ruinart rosé 1986

Chablis Grand Cru "Grenouilles" Louis Michel 1984

Château Mouton-Rothschild 1975

Château Grand La Lagune 1934

Grands Echézeaux Domaine de la Romanée Conti 1963

Vega Sicilia Unico 1960

Vin Jaune Arbois Bouvret Père & Fils 1967

Château d’Yquem 1939

 

Curieux habillage de cet Yquem 1939 qui a pourtant une capsule qui provient de l’embouteillage au château.

pause dans le Sud entre dux dîners de wine-dinners samedi, 26 mai 2007

Le cœur encore enflammé par les délicieux vins du dîner chez Laurent, je vole vite vers le Sud car un autre dîner de wine-dinners m’attend dans cinq jours. Je ne me consacre qu’à mon bateau et à un nécessaire repos, juste troublé par une Côte Rôtie La Mordorée Chapoutier 1998 que je trouve absolument charmante. Facile à vivre, facile à lire, ce vin donne un plaisir franc. Que demander de plus. Ces vins du Rhône ont une approche qui me convient.

dîner de wine-dinners du 24 mai 2007 – les vins jeudi, 24 mai 2007

Champagne Napoléon à Vertus, probablement des années 70 ou 80

Champagne Krug Clos du Mesnil 1982

Château Laville Haut-Brion 1958

Château La Mission Haut-Brion 1957

Pétrus mise Jules Van de Velde 1953

Pommard « Grand vin d’origine » 1929

Châteauneuf-du-Pape Clos du Roi, Bourgogne Vieux 1955

Hermitage La Chapelle Paul Jaboulet Aîné 1964

Tokay Pinot Gris Vendanges Tardives, sélection de grains nobles Hugel 1976

Château de Fargues 1989

Château d’Yquem 1955. Sans la capsule, il serait difficile de dire de quel vin il s’agit.

dîner de wine-dinners au restaurant Laurent jeudi, 24 mai 2007

Le 88ème dîner de wine-dinners se tient au restaurant Laurent. J’ai l’habitude de revenir dans les endroits que j’aime avec une certaine périodicité. J’ai précipité le retour chez Laurent pour deux raisons. L’une, conjoncturelle, c’est qu’au printemps, dîner dans l’agréable jardin est un vrai bonheur. L’autre, plus profonde, c’est de vouloir marquer à Philippe Bourguignon, Alain Pégouret et toute l’équipe que la perte d’une étoile au Michelin n’est pas justifiée. L’expérience de ce soir l’aura confirmé de façon éclatante.

J’arrive un peu avant 17 heures et Daniel, jeune sommelier qui nous servira ce soir avec beaucoup de sens de l’à-propos m’a aidé, sous la supervision amicale de Patrick Lair. Les bouchons s’extraient avec une rare facilité. Les odeurs sont authentiques, saines. La seule qui me fait un peu peur, c’est celle du Laville Haut-Brion, dont la fatigue est certaine. Il y a une chose dont Yquem pourra faire l’économie. Pour vanter de grands parfums, on fait des ponts d’or à Sharon Stone, Charlize Théron ou Monica Bellucci. Yquem n’a pas besoin de cette aide là. Le parfum de l’Yquem 1955 est un danger mortel. On perd son âme devant cette séduction. L’odeur du Tokay m’évoque tellement le litchi que je voudrais qu’on en trouve. Cela eût pris trop de temps, et le foie gras prévu sera encore meilleur.

J’ai le temps d’aller au Cercle Interallié ou quatre vignerons présentent leurs vins de 2006. Pensant retarder le moment où j’enfilerais mon costume car le temps est très lourd, je m’y rends en jean et chemisette. Mais dans ce cadre féerique, et aussi bien dans les jardins qui valent bien ceux dont hérite Nicolas Sarkozy, c’est en cravate qu’il faut être. Je reviens en costume de scène, et l’on m’offre Château Rouget 2006 fort fringant et plaisant et un joli Château Rouget 2001 plein d’élégance. La comparaison n’est pas très favorable au Château la Conseillante, dont le 2006 manque de longueur, et le 2001 manque de vigueur. Le Clos Fourtet 2006 est plaisant, et le Clos Fourtet 2004 est dans une phase renfermée. Le Château Angélus 2006 est absolument brillant, joyeux, et se dévorerait dès maintenant avec un grand plaisir. L’Angélus 2004 est aussi très coincé, dans une phase de discrétion. Ce qui est intéressant, c’est de constater que les 2006 sont à ce moment précis de leur élevage dans une forme éblouissante et se boivent avec une joie goulue. On les mettrait volontiers à table, alors qu’ils sont loin de leur mise en bouteilles. Et les quatre vins de comparaison, soit 2001 soit 2004 sont dans une phase ingrate. Est-ce voulu pour mettre en valeur le 2006 ? Je ne le crois pas.

Je cours vite pour accueillir mes premiers convives. Il y a des habitués et des nouveaux en nombre égal. On compte des origines italiennes, grecques, allemandes en plus des françaises. Les échanges se font parfois en anglais, lorsque le sujet s’y prête.

Le menu, créé par Philippe Bourguignon et Alain Pégouret a toujours une intelligence de la mesure : Toasts au thon fumé et nems croustillants au curry / Salade d’écrevisses aux légumes primeurs, crème acidulée / Flanchet de veau de Corrèze braisé, blettes à la moelle et au jus / Poitrine de pigeon cuite en cocotte, raviolis d’abats, artichauts « poivrade » et fèves / Foie gras de canard poché, bouillon de poule relevé à la citronnelle / Gaufrette fourrée à la crème de lait d’amandes et rhubarbe / roquefort.

Dans le coquet jardin, nous sommes debout dans le bel espace qui nous est réservé quand je donne les recommandations d’usage. Daniel nous sert le Champagne Napoléon à Vertus vers 1975. J’avais donné cette indication d’année, mais le goût et la forme du bouchon me font penser qu’on est plutôt proche de 1966. La couleur est d’un cuivre patiné, la bulle est absente, le nez est délicat. En bouche, il faut une gymnastique intellectuelle aiguisée pour accepter ce champagne, car on est absolument loin de tout goût actuel. Lorsque l’on a admis qu’il s’agit d’un objet champagnisant  non identifié, on commence à comprendre son charme, qui ferait un « malheur » avec du foie gras. Car ce sont ces champagnes évolués (et évidemment non madérisés) qui sont les meilleurs amis du foie gras. Un de mes amis ne cessait de faire part de son étonnement. Et d’un coup, il embrassa ce goût étrange et devint conquis.

La salade a beaucoup de goûts, ce qui égare un peu pour comparer deux vins que tout oppose, le majestueux Champagne Krug Clos du Mesnil 1982 et le Château Laville Haut-Brion 1958. Le Krug est impérial, mais après le Napoléon, il fait presque classique, alors qu’il est d’une complexité qui est l’apanage des grands. Le Laville a une magnifique couleur dorée, d’un or joyeux. Alors que le Napoléon faisait évolué mais sain, celui-ci fait évolué mais fatigué. Je constate que cependant ce vin plait beaucoup autour de moi (il aura même un vote !). Je n’y reconnais pas assez la beauté flamboyante des grands Laville.

Le flanchet goûteux met en valeur deux vins que tout oppose. Le Château La Mission Haut-Brion 1957 est solide, presque noir de couleur, dense comme un fort café, légèrement torréfié, caramel au premier abord. Mais il s’ébroue dans le verre et sa puissance se civilise. La densité est très colorée. C’est un vin beaucoup plus solide que ce que son année évoquerait.

Lorsque j’avais senti à l’ouverture le Pétrus mise Jules Van de Velde 1953, j’avais la narine en éveil, car le risque de faux n’est jamais écarté. Mais l’étiquette d’une banalité à pleurer ne peut être le fait d’un faussaire, et le nez en est une preuve. Cette signature de truffe ne peut tromper. Dans le verre, le vin paraît rose clair si on l’oppose au noir Mission. En bouche le vin est fruité, jeune, joyeux, et ce n’est que progressivement qu’il déclare sa complexité. Ma voisine se pâme tant elle apprécie ce vin raffiné. Il s’agit d’un beau Pétrus. Sans doute pas du niveau du sublime 1959, mais c’est un grand vin.

Le moment de joie le plus intense de ce dîner, c’est d’avoir devant soi trois verres de vins d’un grandissime plaisir. A ma droite, comme on dit dans les combats de boxe, le Pommard « Grand vin d’origine » 1929 bouteille de négoce au niveau irréellement haut dans le goulot, au centre, le Châteauneuf-du-Pape Clos du Roi, Bourgogne Vieux 1955 qui, comme certains princes de la politique de la même longitude, n’a pas su choisir sur son étiquette s’il est bourguignon ou rhodanien. A ma gauche, le vin que j’ai ajouté pour accueillir un convive de plus, Hermitage La Chapelle Paul Jaboulet Aîné 1964. La couleur du Pommard est invraisemblable. Ce rouge vif appartiendrait à un vin des années 80, soit cinquante ans plus tard. En bouche la clarté du message pur, la joie de vivre évoquent un vin réussi des années 60. Or on est en 1929. Le Châteauneuf-du-Pape est clairement un Châteauneuf-du-Pape. Il a des complexités qui me ravissent, même si sa trame est loin de valoir celles de ces deux voisins. Et l’Hermitage est tout simplement exceptionnel. J’avais bu dans une verticale des 1949 un éblouissant Hermitage la Chapelle 1949. On est dans cette même veine de vins purs joyeux, faciles à vivre, mais capable de titiller les papilles en ajoutant une palette riche en saveurs délicates. Pendant que mes convives s’extasient en faisant des « oh » et des « ah » comme font les enfants les jours de feux d’artifice, je pense que j’ai fait de bonnes pioches en achetant des vins inconnus aussi bien que des connus, qui brillent avec autant de bonheur.

La chair du foie gras est sans doute ce qui se fait de mieux dans ce genre. Et le Tokay Pinot Gris Vendanges Tardives, sélection de grains nobles Hugel 1976 est époustouflant dans son rôle de mise en valeur. Ce vin est éblouissant de complexité. Et il joue aussi bien avec le foie qu’avec le bouillon ce qui laisse pantois mon petit monde. Car il faut essayer le bouillon seul et boire ensuite le Tokay pour comprendre que le vin est capable de mille perfections.

Le dessert à la rhubarbe ne pouvant attendre, nous décidons de le goûter avec Château de Fargues 1989 et de faire, à l’anglaise, l’entrée du roquefort en fin de repas, avec Château d’Yquem 1955. Je n’aurais pas fort parié sur la rhubarbe et le Fargues mais j’ai bien tort. Car l’association dérangeante, surprenante, entraîne dans un tourbillon enivrant. Fargues 1989 est de plus en plus solide. C’est une valeur sûre du sauternais. Mais qui peut oser parler quand sa majesté Yquem 1955 entre en scène. C’est Alain Delon sur scène. C’est l’Yquem parfait qui crée un équilibre entre toutes ses composantes. Il n’et ni trop puissant, ni trop typé. Il est l’expression sereine de ce qu’Yquem doit être. Le niveau dans la bouteille était parfait, le bouchon sain, la couleur de bois de rose, ou de peau de pêche d’une belle vantant les crèmes solaires modérées. En bouche c’est le dixième mouvement de la cantate « Jésus que ma joie demeure ». Dans de tels cas, je ferme mes paupières, je range les osselets de mes oreilles, et je jouis de la perfection de ce qui se fait de plus grand dans le monde du vin.

Toute la table se rend compte que nous avons vécu des moments inoubliables. Le Pétrus 1953 pour certains, la conjonction de trois vins rouges idéaux pour moi, ainsi que l’irréalité de l’accord foie gras, bouillon et Pinot Gris.

Il est temps de voter pour ces onze vins. D’abord,je constate avec un goût de miel suave 9 vins sur onze ont figuré dans les quartés. Je me répète mais je ne cache pas mon plaisir, car cela prouve que l’on apprécie la diversité des vins que je choisis pour ces dîners. Ensuite, et c’est assez extraordinaire, cinq vins ont été votés en numéro un, ce qui est encore plus étonnant, surtout si l’on sait que l’Yquem 1955 a recueilli sept votes de premier sur onze votants. Ainsi, Mission 1957, Pétrus 1953, Hermitage La Chapelle 1964 et Fargues 1989 ont chacun conquis un convive qui aura voté pour eux en premier. Le vote du consensus serait : 1, Château d’Yquem 1955 – 2, Hermitage la Chapelle 1964 – 3, Pétrus 1953 – 4, Pommard 1929.

Mon vote fut : 1, Château d’Yquem 1955 – 2, Hermitage la Chapelle 1964 – 3, Tokay Pinot Gris Hugel 1976 – 4, Pétrus 1953.

Alain Pégouret a travaillé avec talent, le flanchet de veau ayant un goût rassurant confortable et le foie gras surpassant tout ce qui peut se faire. Philippe Bourguignon, Patrick Lair et toute une équipe motivée ont montré un sens du service qui ressemble à s’y méprendre à celui légendaire de Taillevent. La prestation de ce soir vaut largement le nombre d’étoiles qu’on a inopportunément rétréci. La troupe des fidèles de Laurent ne s’y est pas trompée car ils sont tous là. Lorsqu’on y a joute des vins d’une émotion d’un niveau très rare, on se trouve, comme nous le fûmes, au sommet de la gastronomie.

dégustation de 2006 au Cercle Interallié jeudi, 24 mai 2007

Devant organiser l’un de mes dîners, le 88ème, au même restaurant Laurent je peux accepter une invitation de vignerons à venir goûter leurs vins au Cercle Interallié. Le nombre de vignerons est limité mais le lieu est magique lorsqu’il fait beau. Je vais donc goûter des 2006 présentés à des journalistes et des professionnels. Ayant ouvert les bouteilles et le cœur en paix, je vais à pied au Cercle Interallié dans ma tenue d’ouverture des vins : jean et polo. J’imaginais que le protocole du Cercle se détendrait lorsqu’il s’agit de vin, mais pas du tout. Ce que j’ai apprécié, c’est qu’André Fournet, le directeur du cercle, traite le sujet avec humour. Il me fit traverser le jardin somptueux, très semblable à celui qui abrite les canards du Président de la République, et je sortis par une porte dérobée pour revenir quelques minutes plus tard dans mon costume de scène, avec cravate, pour aller déguster quelques grands vins.

Il y a ici quatre producteurs de saint-émilion et Pomerol, Château Rouget, Château La Conseillante, Clos-Fourtet et L’Angélus. Les 2006 sont présentés avec un aîné qui est 2001 pour les uns et 2004 pour les autres.

Ce qui m’a frappé dans cette dégustation c’est que pour chaque domaine, le 2006 est nettement meilleur que le même vin de l’autre année. Nous sommes en mai, les vins ont sept à huit mois et mûrissent en barriques. Cet instant de leur parcours est peut-être celui d’un épanouissement spontané de printemps. A ce stade en effet non seulement ils sont buvables, mais on les verrait bien à table, confrontés à des plats généreux.

Le Château Rouget 2006 est fort agréable, et le 2001 me fait une belle impression. En revanche le Château La Conseillante, vin que j’apprécie énormément et présenté par sa charmante propriétaire paraît assez ingrat aussi bien dans sa version 2006 très courte que dans sa version 2001 qui me semble inachevé en ce moment. On sait que je ne prétends pas être un expert de ces vins infantiles. Il faudrait que je me replonge dans des La Conseillante d’un autre âge.

Le Clos-Fourtet 2006 est plaisant, sans être explosif, et le 2004 me semble sur la réserve.

Si l’on parle de réserve, toutes tombent avec Angélus, dont le 2006 est de loin le plus épanoui et de belle structure et dont le 2004, même s’il n’atteint pas la pétulance de son cadet, est d’un message charmant.

Je mettrais comme gagnant des 2006 le Château Angélus et comme gagnant des années accompagnatrices le Château Rouget 2001. Cette dégustation était surtout pour moi l’occasion de rencontrer des vignerons que j’apprécie et de retrouver comme au point d’eau des professionnels avec lesquels j’aime partager des idées ou des vins.

S’il est un vin que, j’achèterais après cette expérience, c’est Angélus 2006. Mais, convenons-en, ces vins sont tous en formation. Quel candidat embaucheriez-vous pour votre entreprise sur la foi de ses carnets scolaires en classe de 5ème ? Tant de choses peuvent se passer dans les années qui viennent.

C’est cette incertitude qui rend le monde du vin si passionnant et engendre une quantité infinie d’experts, d’analyses et de propos définitifs qui sous-tendent des polémiques. A quoi servirait de faire du vin si l’on ne pouvait se disputer à son sujet ?