Salon Professionnel des Vignerons indépendants de France lundi, 12 février 2007

Le Salon Professionnel des Vignerons indépendants de France se tient au Carrousel du Louvre. Beaucoup de vignerons souvent inconnus viennent faire la promotion de leurs vins à des cavistes, sommeliers, restaurateurs et journalistes. L’ambiance est très professionnelle. Bien que je n’achète pas de vins jeunes, j’aime venir saluer des vignerons qui défendent leur vin avec courage. Château Caillou qui fait un très joli Barsac, Clos Haut-Peyraguey, un très joli sauternes, Mas Amiel, présent à tous les salons. Je commente avec Olivier Decelle son achat récent du château Jean-Faure, idéalement placé le long de de Château La Dominique, à une portée d’arbalète de Château Cheval Blanc. Je bavarde avec Philippe Tissot du domaine Jacques Tissot de la Percée du vin jaune, et il m’offre un de ses vins, geste sympathique et apprécié. Je ne goûte pratiquement pas, mais je découvre un joli Château de Beaulieu en Côte du Marmandais, pour lequel l’adjonction de syrah aux cépages bordelais donne un vin intéressant, Le Château les Palais, Corbières des coteaux de Cabrerisse, dont le Randolin 2001 est très expressif. Je reconnais avec plaisir Christian Landreau producteur de cognac qui me fait goûter un cognac millésimé 1990 d’une grande pureté. Voilà un passionné.

Ce salon est aussi le prétexte d’aller déjeuner au restaurant Dauphin dont j’ai déjà vanté les qualités. Un abondant foie gras en terrine est un accueil roboratif. Un assortiment de viandes du boucher fait briller un Sassicaia Bolgheri 1997, vin italien chaleureux, direct, franc, à l’équilibre rare, souriant en bouche. Un très grand vin au charme naturel comme une Laetitia Casta.

visite à la cave Jean Bourdy à Arlay lundi, 5 février 2007

La cave Jean Bourdy possède une très belle collection de bouteilles anciennes. Ici, une bouteille de plus de 200 ans de la manufacture de Vieille Loye, disparue depuis des siècles.

Un espace de très vieilles bouteilles vides :

 J’ai acheté l’une des bouteilles de Chateau Chalon Bourdy 1895 ce jour. C’est celle de la deuxième rangée à gauche. La verrerie est très ancienne.

 

Deux vins de paille qui ne sont pas à vendre. J’espère un jour y mettre mes lèvres.

 

Les deux plus vieilles pièces de la cave Bourdy ne sont pas à vendre. La fine 1784 et le Chateau-Chalon 1781.

D’après Jean-François Bourdy, ce Chateau Chalon est le plus grand qu’il ait jamais goûté. Or il a tout goûté !!!

Percée du vin jaune, le deuxième jour dimanche, 4 février 2007

Au petit déjeuner, lecture des journaux qui racontent la Percée du samedi. Je suis abondamment cité. Les femmes ayant peu d’envie d’affronter les navettes et la foule nous partons visiter Château Chalon, pèlerinage obligé, et l’abbaye de Baume-les-Messieurs, où l’on se retrempe dans une atmosphère mystique qui ramène un millénaire en arrière. Nous déjeunons au restaurant Le Grand Jardin, étape sans prétention mais très sympathique où une tarte aux oignons et des raviolis de champignons au foie gras ont accompagné un Château Chalon de la Fruitière Vinicole de Voiteur 1997 qui nous a réchauffé le cœur. Bel accord sur un vin flexible et accueillant.

Dans une belle salle voûtée de l’hôtel, il est temps de faire une belote. Quand on a Dom Pérignon 1998 et des toasts au foie gras, on pousse mieux la carte. Nous avions commandé la veille deux poulardes de Bresse cuites en terrine lutée, suprême sur un gratin de pommes de terre au vin jaune, cuisse en salade comme un lendemain de pot au feu. Le jeune sommelier que je consulte m’oriente évidemment vers les vins jaunes. Mais la carte n’en a que de jeunes. Une intuition m’impose de commander un vin qui se révélera absolument fabuleux sur la poularde : Château d’Yquem 1989. Le vin est sublime, d’un caramel tendre, et la chair de la poularde chante avec lui. L’accord est magique sur la première chair, mais ne convient pas au deuxième service. Qu’importe. Le sommelier ayant douté de la pertinence de l’accord, je vais voir le chef en cuisine pour lui faire goûter le sauternes avec un peu de chair blanche. C’est une révélation pour le chef qui avait le même doute que le sommelier.

Je demande au chef pâtissier de poêler quelques tranches de pamplemousse rose pour l’Yquem. Mais ça ne marche pas, car cet Yquem est caramel et miel et n’est pas agrume. Tant pis.

Le lendemain matin, je me rends aux Caves Jean Bourdy pour acheter de très vieilles bouteilles. Je prends une des dernières Château Chalon de 1865 et de 1895 qui seront les vins vedettes de futurs dîners. Le séjour dans un Jura baigné de soleil est un souvenir de grand bonheur.

 L’assassin revient toujours sur le lieu de ses crimes…..

Percée du vin jaune, le premier jour samedi, 3 février 2007

Après notre nuit à Dôle, par un beau soleil, nous retrouvons le Château de Germigney, délicieux hôtel à la décoration raffinée. Les femmes resteront à l’hôtel et nous allons à la première journée de la Percée du Vin Jaune qui se tient à Salins. Les navettes sont attendues par une foule dense dans un froid attisé par le vent. La ville est toute occupée par près de 70 stands de vignerons qui font goûter leurs vins. Nous allons voir les 356 lots de la vente aux enchères de ce jour, objet principal de ce voyage. Il y a relativement peu de Château Chalon, et seulement deux bouteilles du 19ème siècle, estimées à des prix que je trouve insensés. Je le dis aux organisateurs et j’insiste. Je retrouve mes compétiteurs traditionnels, amateurs comme moi de ces vins passionnants. Un ami suisse sera un calme adversaire alors que nous avons souvent lutté dans de précédentes éditions de cette vente.

Ayant scruté les lots, nous flânons en ville mangeant ici du Comté en barquette de plastique, là les saucisses de Morteau offertes par des jeunes chrétiennes. Dans une cour, une femme du Morbihan propose des huîtres. Mon gendre commande six huîtres. Nous passerons bien vite à douze, puis à 24, car entre-temps, j’ai dégoté un Château Chalon 2000 de Salins (vigneron que je n’ai pas noté) qui révèle la noix des huîtres de la plus belle façon. Ce 2000 un peu fumé est très expressif.

Nous retournons prendre place dans une église désaffectée de toute beauté qui sert d’écrin à cette vente qui attire une foule de curieux. Je viens lire à nouveau ce qui est écrit sur les deux bouteilles du 19ème siècle.

Sur celle de 1893 : « 1893. oui 1893. Cave de M. J. B. Guyon à Perrigny. Reçue en été 1955 et remis un bouchon : le 25 septembre 1995 ». Tout ceci est écrit sur un papier d’écolier avec une improbable machine à écrire.

Sur celle de 1865, il y a une vieille étiquette et une étiquette analogue à celle de la 1893. Sur la première étiquette : « 1865. 1865. Cave de M. Guyon de Perrigny. Remis en bouteille en 1955 ». Sur l’étiquette plus récente : « 1865. oui : 1865. Cave de M. J. B. Guyon – Perrigny. Remis en bouteille par moi dès la bouteille reçue le en été 1955 et donc bouchon neuf. Vu le 26/10/95 ». Pour acheter ainsi, il faut la foi du charbonnier.

La vente commence. Mon gendre fait ses premières armes. J’achète quelques lots, voyant que les prix grimpent à des hauteurs rares. Des journalistes viennent m’interviewer et me demander ce que je viens chercher.

Vient le moment de se placer sur les deux bouteilles phares qui intéressent les organisateurs et les journalistes. Je fais quelques tentatives sur la première bouteille, la 1893, puis je décroche. Sur la deuxième, je suis plus pugnace et je l’obtiens. Ce sera le grand titre des journaux du lendemain. La vente se poursuit sur des vins plus jeunes. Tout s’arrête. Les organisateurs sont gentils car ils retiennent les acheteurs pour déguster des vins qui n’ont jamais été revendiqués par ceux qui les avaient acquis dans des ventes anciennes. Et nous goûtons des vins fort bons dont un vin de l’Etoile du Château de l’Etoile 1961 délicieux. Un vin de l’Etoile 1972 et un Château Chalon 1972 sont intéressants à essayer et un Côtes du Jura rouge 1964 me plait énormément.

Pendant ce temps là, on fait les décomptes des acheteurs qui prennent leurs lots. Je passe en dernier, car mon bordereau est copieux et je constate que plus de la moitié des vins sont encore sur la table. Ce qui s’est passé, c’est que les vendeurs ont fixé des prix de réserve déraisonnables. Beaucoup de lots qui m’intéressaient sont restés invendus, faute de réalisme. La 1893 n’a pas été vendue. Et la 1865 que j’ai achetée a atteint son prix de réserve parce que je me suis battu contre un fantôme. Il n’y avait dans la salle aucun enchérisseur contre moi. Je ne suis évidemment pas content de cette tentative qui a été faite et que j’avais signalée longtemps avant la vente, de surestimer les vins du Jura.

J’ai acquis la 1865. Elle est à moi. Je la voulais. Je suis donc responsable de ce que j’ai fait. L’âme heureuse, nous rentrons à l’hôtel, et c’est d’un Dom Pérignon 1998 que nous avons besoin. Dans la belle salle à manger où une vaisselle rouge sang anime la décoration aux tons pastel, le chef Pierre Basso Moro fait une cuisine bien exécutée mais qui devra gagner en sensibilité. Le sablé à la fleur de sel cohabite vraiment bien avec la noix de coquille Saint-jacques, pomme verte et vieux comté, mais le jus de carotte cannelle et citron vert fait chambre à part. Ces deux parties du plat ne se parlent pas, ce qui ne gêne en rien le Dom Pérignon aux accents floraux qui parade avec bonheur. La poitrine de porc confite de longues heures, gâteau de blettes et cardons, chips de betterave et vitelotte, jus aux truffes noires écrasées est un plat délicieux. La poitrine a un goût d’une pureté extrême. Et le Dom Pérignon lui convient. Les portions étant petites, il faut du fromage. Une moelleux au chocolat et praliné, croustillant de pâtissière impose un Mas Amiel 15 ans d’âge, Maury de belle qualité, même si je le trouve un peu assagi. Ses accents de griotte ravissent l’âme.

restaurant « Le Bec Fin » à Dôle : y courir ! vendredi, 2 février 2007

Départ à la Percée du Vin Jaune où, pour une fois, ma femme et moi serons rejoints par notre fille cadette et son mari. L’hôtel où nous avons nos habitudes, le Château de Germigney à Port-Lesney a pris l’habitude fâcheuse de n’ouvrir que le soir de la Percée. Il nous faut donc nous loger la veille. L’internet nous suggère un hôtel à Dôle. Je réserve près du centre ville. La description parait convenable. La réalité est toute autre. Dans cette jolie ville touristique, j’imagine ce que des touristes étrangers peuvent penser de l’état de sous-développement de notre hôtellerie. Car pour ouvrir et fermer la porte des toilettes de ma chambre, je ne vois que des trapézistes du cirque Bouglione. Si l’on décide de rester debout, c’est le couvercle métallique du distributeur à papier qui vous sectionne les jambes quand on veut sortir. Si on décide de monter sur la lunette pour ouvrir la porte, à quel étage va-t-on tomber ? Et si l’équipement doit s’appeler décoration, il faut mettre au musée du Louvre les calendriers des pompiers et des postes, car ce sont des œuvres d’art. J’avoue avoir une certaine tendresse pour les paravents de douche qui transforment la salle de bain en une annexe des Niagara Falls.

La ville est sauvée par un restaurant où je vous conseille de courir au plus vite : Le Bec Fin, où Romuald Fassenet, meilleur ouvrier de France, a obtenu une étoile largement méritée, et où Catherine Fassenet, accueillante, a concocté une carte des vins intelligente.  Dans une rue piétonne où Pasteur a vu le jour, c’est une maison ancienne qui nous offre une salle agréable. Je commande un champagne Henriot Cuvée des Enchanteleurs 1988, champagne de grande qualité que je connais déjà. Je lui associe une noix de Saint-Jacques en croûte de noisette et curry, émincé fin de betterave rouge, vinaigrette au jambon cru du Doubs. L’association terre et mer est aussi un sujet pour Christian Le Squer de Ledoyen, et le champagne s’y complait. Il a une plénitude rassurante, une race évidente. Il fait partie des très grands champagnes de 1988, avec un charme envoûtant, ensoleillé.

L’heure étant de partager avec mon gendre quelques moments de folie, c’est sur un lièvre cuisiné à la royale, pulpe de châtaignes et mousseline de topinambours que nous voulons profiter de l’explosion de joie de la Côte Rôtie La Mouline Guigal 1999. Quel immense vin. C’est Roger Federer en bouteille. Montée au filet, passing-shot, on a tout cela en bouche. La plénitude gustative sur un fond de simplicité du discours est totale.

Sur un moelleux noisette de ma maman (c’est le titre), crème glacée vin jaune curry, un Marc du Chapitre  des Caves des Echansons offert par le chef est fort agréable, avec ce râpeux propre aux marcs virils. Romuald est venu bavarder avec nous. Il a les pieds sur terre, sait ce qu’il veut. Ce sera l’un des grands chefs de demain. Courez-y. Mais volez une tente Delanoë à un SDF. C’est plus sûr.

 

dégustation de Châteauneuf-du-Pape à Mechelen (Belgique) mardi, 30 janvier 2007

Voici les photos de l’un des participants de ce dîner :

https://www.pixagogo.be/7870934100

Voici mon compte rendu :

Un habitué du forum de Robert Parker lance l’idée d’un dîner avec de vieux Châteauneuf-du-Pape. L’idée m’excite. Nous échangeons des mails. Je sais que je vais rencontrer deux ou trois personnes qui assistaient au très agréable dîner organisé à Anvers où j’avais apporté un Chypre 1845. Les mails s’échangent. Je ne lis pas beaucoup toutes ces mises au point. Je capte au passage un mail où l’un des participants annonce un vin du 19ème siècle dont il ne veut pas dévoiler le nom. Tout cela sent bon.

En fait, la notion de « vieux » n’est pas la même pour tout le monde, et celui qui avait proposé une bouteille du 19ème siècle ne vint pas. La définition n’était plus la même. Ce qui n’empêcha pas que je passe une bien agréable soirée avec des passionnés.

Arrivant en avance, j’ouvre les vins dans le restaurant Folliez à Mechelen au nord de Bruxelles, restaurant à la délicieuse décoration comme seuls les belges savent le faire, et doté d’une étoile Michelin qui sera confirmée dans l’assiette intelligente.

Nous démarrons par le champagne Dom Pérignon 1998 qui est parfait, fait de fleurs et fruits frais. Le Condrieu La Bonnette Rostaing 2005 est fait d’épices, de bacon, de litchi et de légume vert sec comme l’artichaut. Le Condrieu Les Terrasses de l’Empire de Georges Vernay 2005 est plus souple, doté d’une fin poivrée. Il est très différent, et sent la fleur d’oranger. Le Rostaing est plus brutal, le Vernay plus fluide. Je préfère le plus brutal mais le fluide est joli. Le Vernay s’ouvre sur le thon presque cru, s’épanouit. Ce sont deux grands vins à qui un peu d’âge ira bien.

Nous avons ensuite des rouges par séries de trois. Un Châteauneuf-du-Pape Arthur Barolet négociant à Beaune 1979, un Châteauneuf-du-Pape Raymond Usseglio 1986 et un Châteauneuf-du-Pape Château de la Gardine 1973. Le 1986 a un nez de pétrole. Le 1979 fait bourguignon ancien, avec des pruneaux, des fruits rouges brûlés. Son alcool est fort. Le 1973 que j’ai apporté est déjà un vin ancien. Je l’aime beaucoup sur le flétan. Je classe en tête le 1979, puis le 1973 et enfin le 1986 dans cette série peu convaincante.

Viennent ensuite un Châteauneuf-du-Pape La Bernardine Chapoutier vers 1960 (année illisible), le Châteauneuf-du-Pape J. Mommessin 1933 que j’ai apporté (il s’agit de la maison bourguignonne fondée en 1865, célèbre pour son Clos de Tart) et un Châteauneuf-du-Pape Domaine de Beaucastel rouge 1954 dont la bouteille soufflée à la main et lourde est très ancienne. Le Chapoutier est très beau. Toute cette série est vraiment très belle. On attend très longtemps que le plat arrive, et le 1933 est éblouissant, nettement plus jeune que le 1954. Son niveau parfait et son bouchon remarquablement intact impressionnent mes convives.

Nous avons ensuite trois Châteauneuf-du-Pape Clos des Papes, le 1988, le 1983 et le 1985. Le 1988 est un peu strict, limité, sévère. Le 1983 est brillant. Le 1985 est entre les deux, puis me plait plus. Les trois sont assez âpres, au goût de poivre et de tabac. Ils représentent le Châteauneuf-du-Pape dans sa maturité.

Nous suivons avec trois Châteauneuf-du-Pape Domaine du Pégau Cuvée Laurence, le 1983, le 1995 et le 2001. Ce Châteauneuf-du-Pape est extrêmement célèbre et à la mode sur tous les forums. J’avais eu extrêmement de mal avec son da Capo 2003, vraiment loin de tout vin habituel. La densité du 1983 est superbe. C’est beau, dense, franc, fait de poivre, de cassis, de tabac et de bois. Le 1995 est strictement identique avec simplement un peu plus de fruit rouge. Le 2001 est une promesse de grand vin, mais pour mon palais, c’est encore trop jeune. Le 1983 est éblouissant sur la viande de veau.

La dernière série est : Châteauneuf-du-Pape Bonneau 1996, Châteauneuf-du-Pape Beaucastel 1989 et Châteauneuf-du-Pape Clos du Caillou 1998. Le 1996 est un peu coincé, le 1989 n’est pas encore ouvert et le 1998 est magnifique, d’une structure précise. C’est un beau vin. Quand le 1989 s’ouvre, il prend le pas sur les deux autres. Je fais mon classement et l’un des convives demande qu’on fasse notre tiercé.

Le 1933 Mommessin obtient 3 places de premier, 2 places de second et 2 places de troisième. Le 2001 Pegau emporte 3 places de premier et 1 place de troisième. Le 1983 Pégau reçoit 1 place de premier, 2 places de second et 2 places de troisième. Le 1989 Beaucastel gagne 1 place de premier, 1 place de second et 1 place de troisième. Le classement final des huit convives dont deux britanniques, cinq belges et un français est : Mommessin 1933, 2001 Pégau et 1983 Pégau. Je suis assez content que mon vin, le plus ancien de la soirée, ait été apprécié par des palais plus enclins à boire des vins jeunes, et placé en vainqueur. Le plus ancien et le plus jeune ont été couronnés. Une belle prestation de vins de Châteauneuf-du-Pape de grand talent qui démentrent qu’ils savent braver le temps. On était loinde ma définition des vins « vieux ». L’ambiance fut amicale, décontractée, sans étalage d’érudition. Une soirée épuisante, car il me fallait rentrer à Paris, mais réussie, dans un restaurant qui mérite le détour.

J’ajouterai deux remarques : le Mommessin 1933 plaisait tellement à tous que nous avons dit, à titre de plaisanterie : "il doit y avoir du bourgogne dans ce Chateauneuf pour qu’il soit si bon !", ce qui est amusant, car à l’époque, les baptêmes se faisaient plutôt dans l’autre sens. Et la deuxième est que je pensais que dans l’engouement pour Pégau, il y avait un peu un effet de mode ou un effet Parker. Or, si un 1983 est aussi bon, c’est la preuve irréfutable que ce domaine a une grande valeur, au delà des effets de mode. Et ça m’a plu.

de beaux vins en famille samedi, 27 janvier 2007

Nous allons déjeuner chez ma fille cadette. Le niveau des vins est sérieux. Un Château Laville Haut-Brion 1979 est absolument serein. L’image qui me vient en goûtant ce plaisir si naturel, c’est l’échauffement de champions de tennis. Sans le moindre mouvement apparent ils sont sur la balle, la propulsent avec force sans avoir l’air d’y toucher, et elle arrive là où il faut pour que le futur adversaire enchaîne dans une belle fluidité. Le Laville c’est ça. Il a du citronné, il a du miel et du beurré, et ça s’emboîte comme par magie. Qu’on lui présente du parmesan, du jambon espagnol ou du céleri, il est là, et renvoie des goûts qui font mouche. Le Château Léoville Poyferré 1967 est beaucoup moins détendu. Il arrive assez froid, tendu, et il faut la belle chair de la lotte aux morilles pour qu’il prenne des couleurs et devienne sociable. Il devient confortable, plaisant, sans grande complexité. Le Château Gilette crème de tête 1982 est le croupier du casino : tout passe par lui et il ramasse la mise. Malgré sa jeunesse il a une belle assise, et comble joyeusement nos papilles. Le lendemain mon fils vient déjeuner. Nous descendons en cave pour dénicher des vins qu’il faudrait boire. Un Corton Charlemagne Paul Bouchard 1971 a mauvaise mine. Malheur, le bouchon est tombé dans le vin. Anormal pour un 1971. Notre esprit de sacrifice cesse en voyant une bouteille de Vega Sicilia Unico 1991 que j’avais oublié de ranger. Elle n’était pas en casier. Elle n’ira pas.

Nous goûtons le Corton Charlemagne très foncé, et pendant quatre à cinq secondes, c’est assez plaisant. Puis c’est horrible. Nous n’irons pas plus loin que deux gorgées, la deuxième pour vérifier. C’est trop tard. Sur un filet de biche, le vin espagnol est éblouissant. De belles évocations nous viennent. Mon fils pense à la violette. Je vois des fruits rouges pâles comme la framboise ou la groseille. Ce vin est naturel, franc, simple dans l’expression, étonnamment porteur de bonheur. Il a la finesse des grands vins de Bordeaux et le sourire ensoleillé des grands vins du Rhône. C’est peut-être une synthèse parfaite des vins de plaisir. L’accord avec la biche est extraordinaire, car le vin s’amuse à imiter les petites baies de montagne qu’on ajoute parfois à cette chair. Nous nous regardions, mon fils et moi, conscients de la grandeur de ce vin quasiment idéal.