Dîner au château de Beaune avec des vins de Bouchard du 19ème siècle vendredi, 17 novembre 2006

Nous nous rendons au château de Beaune où l’apéritif nous permet d’évoquer nos impressions sur les vins de 2005 que nous avons goûtés à la cuverie. Nous goûtons un champagne Henriot Cuvée des Enchanteleurs en magnum 1988. Ce champagne a une personnalité imprégnante. Vineux, typé, il passe en force. C’est un très grand champagne envoûtant. Serena Sutcliffe avec qui je bavarde me confirme l’impression d’un saut qualitatif majeur de la maison Bouchard Père & Fils avec cette nouvelle cuverie.

Nous passons à table dans l’orangerie et Stéphane Follin Arbelet présente les salutations de Joseph Henriot, triste de ne pas célébrer avec nous ce symbolique 275ème anniversaire. Le menu est très raffiné : émulsion de potimarron aux truffes / terrine de foie gras de canard légèrement fumé au pain d’épices / bar de ligne rôti aux fruits secs et au beurre citronné / suprême de volaille aux morilles, riz sauvage et petits légumes / noisette de chevreuil, superposé de pomme Golden à la crème de céleri / Comté et fromage de Citeaux, pain aux noix / manon aux poires, coulis de framboise.

Le Chevalier Montrachet en magnum Bouchard Père & Fils 1992 a un nez très beurré. En bouche, le beurré est très clair. Il y a une astringence minérale qui me gêne un peu, qui sera confirmée sur un deuxième magnum. Je suis troublé par la combinaison du citron vert et du crémeux. Cela limitera un peu mon plaisir. C’est peut-être une phase actuelle de ce vin que j’ai connu plus rond.

Le Montrachet Bouchard Père & Fils 1939 a été vendangé en partie sous la neige. Peut-on imaginer cela ? Yann me sert un fond de bouteille. Le nez est phénoménal, fait de thé, de fruits comme la grenade, de poivre et de piment. En bouche, c’est sublime. Le bois est un bois de pin sur un fond crémeux. C’est onctueux, combinant le gras et le sec. Eblouissant sur le plat. Le vin est profond et sa complexité apparaît sur la figue. Un deuxième verre est plus strict, mais l’émotion est intacte. Je sens le thé. Le nez devient éblouissant quand le vin s’ouvre. La bouche devient somptueuse. Ce vin aurait besoin de beaucoup plus d’oxygène.

Je connaissais déjà le Meursault Charmes Bouchard Père & Fils 1846 que j’ai commenté dans un bulletin. Il se présente avec un nez d’ananas, d’un équilibre rare. Quelques traces de fruits confits. En bouche, il y a des notes d’agrumes, une acidité absolument élégante qui montre que ce vin a un avenir infini. Le final est d’un équilibre absolu, avec des fraîcheurs de fruits jaunes. Il grandit encore quand il s’oxygène, prenant des notes magiques d’agrumes qu’équilibre une petite trace de vanille. Habitué maintenant à ces vins qui dépassent les 150 ans, je trouve « normal » qu’ils aient cette perfection. Mais, convenons-en, c’est totalement renversant. Stéphane me demande de commenter ce vin. Je rappelle mes notes précédentes que j’avais apportées et lis mes notes de ce soir. Le journaliste du New York Times spécialiste du vin est venu me demander de lui communiquer ces commentaires pour un futur article. Ça fait plaisir.

Le Corton Bouchard Père & Fils 1990 est totalement charmant, tout en douceur. Le boisé est bien organisé. On sent la truffe. Il tient en bouche remarquablement. Il y a quelque chose de magique dans Le Corton par la gestion très raffinée du boisé. Tout ici est en retenue. C’est une grande promesse pour demain.

Le Volnay Caillerets ancienne cuvée Carnot Bouchard Père & Fils 1929 est une invraisemblable surprise. Sa couleur est irréelle. Le nez est très jeune et animal. Un voisin de table évoque l’after-eight, chocolat et menthe. J’y vois plutôt du café. Ce vin est une surprise par sa pétulance endiablée.

Beaune Grèves Vigne de l’Enfant Jésus Bouchard Père & Fils 1865 a un nez très pur. Je l’avais déjà goûté en même temps que le 1947, et la constance de personnalité m’avait impressionné. Une fois de plus ce vin est jeune, avec une sorte d’évidence. Il y a un petit côté Porto qui me rappelle le Cheval Blanc 1947 bu il y a seulement deux jours. Un peu de fumé, de tison. Sa jeunesse éblouit. C’est un vin légendaire à la trace alcoolique très nette. Un voisin de table me pose cette question : « si vous cherchez dans ces vins de la jeunesse, pourquoi ne pas boire plutôt des vins jeunes ? ». Je lui réponds que ces vins anciens existent. Il faut donc les boire. De plus, la jeunesse, on la constate, on ne la recherche pas. On recherche plutôt la complexité aromatique.

la cave de Bouchard n’est pas nettoyée au plumeau !

Le

Si la jeunesse insolente de ces vins m’impressionne, car aucune autre cave privée n’a les mêmes conditions idéales de conservation, ce qui m’enthousiasme ce sont les saveurs invraisemblables et les synthèses  intégrées de ces vins. Aucun vin de dessert n’ayant été prévu, je servis discrètement à mes voisins de table le Bourbon 1900 que j’avais pris dans ma musette pour ce voyage pour le partager avec des amateurs. Il s’accorda très bien avec le dessert.

Une fois de plus la féerie des vins extraordinaires de la collection Bouchard a impressionné de très grands spécialistes des vins. J’ai pensé au plaisir que j’aurais eu à partager ces trésors avec Joseph Henriot.

En rentrant à l’hôtel, je me suis fait la réflexion suivante : dans une cave privée, on trouve des 1928 et 1929 brillants de vie. Cela arrive fréquemment si la cave est bonne. La cave Bouchard dispose de conditions de température et d’hygrométrie qui permettent au vin de se conserver plus longtemps. Mais de là à ajouter 80 ans, je ne crois pas que l’effet lié à la cave ait cette ampleur. J’en déduis la réflexion suivante : si l’on constate avec plaisir que la cave Bouchard permet à des vins de 160 ans de prouver qu’ils ont encore de l’avenir, je ne vois pas pourquoi l’on mettrait en doute qu’une bonne cave privée ait des vins de 80 à 100 ans qui aient aussi un bel avenir. Il faut croire en ce patrimoine français beaucoup plus vivant qu’on ne l’imagine. La maison Bouchard lui apporte sa percutante démonstration.

78ème dîner de wine-dinners au restaurant l’Astrance mercredi, 15 novembre 2006

Le 78ème dîner de wine-dinners est vraiment très spécial. Je cherchais une occasion pour faire un dîner au restaurant l’Astrance, car j’ai une sympathie très forte pour le talent de Pascal Barbot et l’intelligence de Christophe Rohat. Il fallait une table qui ne dépasse pas huit convives. Il y a quelques semaines, un ami m’appelle et me demande : « je voudrais faire regretter à un ami de vivre au Chili et pas à Paris. Il faut que tu fasses un dîner tellement extraordinaire qu’il ait des remords de repartir chez lui ». Je cherche un niveau de dîner dont il se souviendrait toute sa vie. Je parle à peine à deux ou trois autres amis de ce projet, et la table est vite formée. Je suis heureux que ce dîner s’organise aussi vite. Aussi, je décide d’ajouter deux bouteilles au programme pour récompenser leur fidélité. Nous nous embarquons dans le grandiose.

Je suis venu déjeuner un mois à l’avance à l’Astrance pour travailler avec Pascal Barbot sur l’adéquation de sa cuisine aux besoins des vins anciens. Nous mettons au point les grandes tendances du menu dans une ambiance studieuse et sympathique.

Le jour dit, j’arrive à 16h30 pour ouvrir les bouteilles, et Pascal, Christophe, et l’attentif Alexandre, sommelier qui avait participé au service, lors du précédent dîner avec une Romanée Conti, vont assister à l’ouverture, sentir les vins, ce qui va nous permettre de changer radicalement le plat qui accompagne le Cheval Blanc 1947. Tous les bouchons viennent entiers, les odeurs très variables n’indiquent aucun risque majeur. Tout se présente bien.

Le menu créé par Pascal Barbot et Christophe Rohat est d’une extrême sensibilité.  Huître au naturel, Caviar / Galette de champignons de Paris, foie gras mariné au verjus, huile de noisette / Rouget, fondue de trévise aux câpres / Quasi de veau grillé, poireau et soja / Pigeon cuit au sautoir, jus de cuisson, potiron / Foie gras chaud, zestes d’agrumes / Stilton crémeux / Mangue tiède et pamplemousse tiède et coing / Madeleines.

Nous sommes tous fébriles, car nous connaissons le programme des vins. Le Champagne Dom Pérignon 1966 est d’un or intense. Sa bulle est très active. Le parfum est envoûtant, et en bouche, c’est d’une intensité et surtout d’une longueur quasi insoupçonnable. Un convive dira qu’il le préfère sans plat. Il est vrai que sa longueur est plus belle quand on le boit seul. Mais l’huître lui fait développer une autre personnalité, et le champignon de Paris tire de lui des accents romantiques. Ces trois situations permettent de voir à quel point ce Dom Pérignon est un vin de gastronomie.

Le Château Lafleur Pétrus 1945 a une couleur qui nous stupéfie. Le rouge est beau, intense, d’un jeune vin. Il est très peu pomerol. Un convive dit Pauillac. En fait les caractéristiques de pomerol se révèlent quand le vin s’épanouit. C’est un grand vin, mais les choses sont difficiles pour lui à côté de Château Latour 1947. J’ai bu de grands Latour, mais je crois volontiers que celui-ci est le plus grand. Sa perfection est impressionnante. Il ressemble au Bordeaux parfait. Une onctuosité, une intégration de toutes les saveurs, une lisibilité parfaite. C’est un vin quasi intemporel. Le vin parfait au bon moment. Avec le côté aérien et romantique des grands bordeaux. Les deux vins ont nagé de jolie façon avec le rouget à la chair très adaptée au pomerol. La trévise était moins à son affaire.

Le vin qui suit est un de mes deux cadeaux, une des légendes absolues de l’histoire du vin : Château Cheval Blanc 1947. J’avais beaucoup d’anxiété. Ce vin allait-il être conforme à sa légende ? Le niveau dans la bouteille était à mi-épaule. Le vin a une couleur d’un rouge de sang en train de sécher, d’une densité extrême. Le nez est sublime, et la légendaire évocation de Porto est là. Plus au nez qu’en bouche. Et  quand on boit, c’est un embarquement vers l’infini. Ce vin n’a aucun équivalent. Pas de repère bordelais. On est conquis par sa densité. Il impressionne, et le quasi de veau était bien le bon choix, décidé seulement à l’ouverture cinq heures avant. Ce vin est grand, dense. J’ai bu quatre fois Cheval Blanc 1947 auparavant. Il est très probable que celui-ci est le premier ou le deuxième des cinq.

Sur le pigeon, je demande à Alexandre, attentif et efficace, de servir d’abord le Vosne Romanée producteur inconnu 1934, pour boire chaque vin séparément. Mais quand je constate qu’il a commencé à servir la Romanée Conti Domaine de la Romanée Conti 1967, je le laisse faire.

Le 1934 a été mis dans ce dîner car je souhaite qu’il y ait toujours un fantassin dans des dîners de grands vins. Etiquette de négoce sans indication de vigneron, ce 1934 est de la plèbe. Mais quel bonheur ! Tout en lui est simple, calme, serein, et complètement équilibré. C’est beaucoup plus franc et convivial que les bordeaux. Il n’y a pas l’astringence titillante de certains bourgognes. Ici le message est d’une lisibilité totale. Un ami qui suit mes commentaires savait que j’avais l’intention que ce roturier soit dans mon quarté. Je lui trouvais donc de belles qualités. Mais il y a trop de légendes dans ce dîner. La tâche sera rude. Quand je trempe mes lèvres au vin de la Romanée Conti, je pousse un ouf de soulagement, car j’attendais une bonne Romanée Conti après deux ou trois expériences frustrantes. C’est une grande Romanée Conti, totalement conforme à ce que Romanée Conti doit être. L’année est considérée au Domaine comme délicate. Mais c’est dans ces années là que la Romanée Conti montre son talent. La couleur est assez pâle, le nez est d’une complexité rare, et en bouche, toute l’énigme que doit représenter ce vin est affichée. Les dégustateurs qui auscultent chaque épice d’un vin pourraient couvrir des pages entières pour décrire tout ce que ce vin délivre. C’est impressionnant, mais c’est surtout émouvant. J’y vois de jolis fruits rouges frais, des escarpolettes que l’on pousse en chantant, une partie de cache-cache dans les bosquets du jardin du château de Versailles. Mon bonheur est à son comble, car ouvrir Cheval Blanc conforme à sa légende et la Romanée Conti qui donne tout ce qu’elle doit exprimer, c’est une réussite merveilleuse.

Mes convives se demandent vers quels sommets nous allons voyager. Pour tous, l’irréalité de ce que nous vivons est plus enivrante que le vin. La salle le sent aussi car les regards sont insistants autour de nous. Christophe fait disposer les bouteilles vides sur un guéridon visible de tous. Ça en jette !

Arrive alors un de ces accords qui clouent sur place. Qu’un plat et un vin puissent se multiplier avec tant de force est presque insoutenable. Le Montrachet Domaine de la Romanée Conti 1999 est une bombe aromatique. Mon voisin chilien n’en revient pas. Tout ce qu’on peut imaginer dans le registre des agrumes et des épices est là, avec une puissance dévastatrice. Et le foie gras dompte toute cette fougue pour créer une suavité diabolique. Le dosage de la sauce aux zestes est l’une des créations les plus réussies que j’aie jamais goûtées.

Bon, on pourrait se dire que ça suffit maintenant. Non, il n’y a pas de limite à l’irréel. Le Château Climens 1929 est servi, et je suis prêt à m’évanouir. C’est le sauternes le plus éblouissant que l’on puisse imaginer. Le Château d’Yquem 1929 est un immense vin. Sa couleur est celle d’un vin de grande race. Mais il provient d’un rebouchage récent, quand le Climens 1929 n’a jamais été  rebouché. Et la différence est sensible. Mon amour des vins anciens est né le jour où j’ai goûté Climens 1923. Avec ce Climens 1929, c’est la perfection la plus inimaginable du sauternes. J’avais demandé des petites assiettes séparées pour la mangue poêlée en dés et les tranches pelées de pamplemousse. Pascal y a ajouté une assiette de coing. L’accord des dés de mangue avec le Climens 1929 est tellement fort que j’appelle en urgence Pascal bien qu’il soit en plein travail. Il constate que cet accord est d’une pureté académique et d’une jouissance sensorielle unique.

Mon deuxième cadeau, c’est le plus grand vin de ma vie : Vin de Chypre 1845. Je l’ai bu de très nombreuses fois, aussi, je n’ai pas la même surprise que mes hôtes subjugués. Le nez de ce vin est un parfum où se mêlent les épices riches et la réglisse. Ce parfum précis est rare. En bouche c’est du bonheur en lingot liquide. Magique, infini, complexe et raffiné, c’est le plaisir pur. Pascal, très passionné par cette expérience, nous apporte une petite crème légère à la réglisse qui s’amuse avec le Chypre.

Nous allons voter, alors que nous n’avons encore fait le plein de surprises. Pour huit votants, cinq vins ont eu l’honneur d’être classés premier, ce qui, compte tenu des vins en compétition, est particulièrement remarquable. Le chouchou de mes chouchous, le Chypre 1845 a été plébiscité, puisqu’il a eu droit à quatre votes de premier, sans le mien ! Dom Pérignon 1966, Cheval Blanc 1947, Romanée Conti 1967 et Climens 1929 ont eu chacun un vote de premier. Peut-on imaginer, dans un dîner où l’on vote pour quatre vins, qu’Yquem 1929 et Lafleur Pétrus 1945 n’aient recueilli aucun vote. C’est inimaginable. C’est renversant. Et c’est pour moi le signe le plus tangible du caractère exceptionnel de ce dîner. Le vote du consensus serait le suivant : Chypre 1845, Cheval Blanc 1947, Romanée Conti 1967 et Climens 1929 (quelle liste !). Mon vote a été : 1- Château Climens 1929, 2 – Romanée Conti 1967, 3 – Château Latour 1947, 4 – Château Cheval Blanc 1947. Je n’ai pas mis dans mon vote le Chypre 1845 car je le connais trop. Ce sont les sublimes surprises que j’ai couronnées. Quelle brochette de vins historiques !

Mais l’histoire ne s’arrête pas là. Un américain avec qui je converse sur des forums avait réservé une table pour dîner avec son épouse. Il m’avait indiqué qu’il apporterait un Bourbon de 1900. C’était le prétexte à faire une troisième surprise.

Le Bourbon whiskey, Boone & knoll Kentucky 1900 est particulièrement éblouissant. Il y a toujours cet effet de l’âge, comme pour les grands cognacs qui vieillissent si bien. Les saveurs s’assemblent, s’imbriquent, et le résultat est d’un charme fou. Magnifique breuvage long, typé comme un Bourbon habillé en dandy. Pour répondre à cette générosité, j’ai apporté la plus belle bouteille que j’ai acquise de la cave du Duc de Windsor. La bouteille est carrée à sa base, et les parois verticales se courbent en haut pour rejoindre le goulot. Sur un écu, le sceau du Duc de Windsor est frappé dans la cire. L’étiquette manuscrite indique : the finest scotch whisky, very great age, John Dewar and sons ltd, Perth rs. Tout me laisse penser que c’est un whisky qui doit dater de 1860 environ. Le whisky sent la tourbe de façon intense. Son nez ne serait pas fade s’il était comparé à des tourbés de notre époque. Mais il n’est plus flamboyant comme il a dû l’être. Ce qui compte, c’est l’échange des générosités. Le Bourbon a gagné. Vive le Bourbon.

Que dire de ce dîner ? Il représente pour moi quelque chose de fort, car on ne prélève pas en cave tous ces flacons historiques sans une grande émotion. Quand on trouve des convives, qui plus est des amis, qui savent apprécier ces vins, même si certains sont inconnus pour eux, la joie est encore plus belle. Quand on sait que chacun des vins était exact au rendez-vous et s’est montré sous son plus beau jour, c’est une satisfaction. Et quand un chef créatif et une équipe attentive réalisent des accords parfaits, alors, on se dit qu’une belle page de la gastronomie la plus fine a été lue ou écrite ce soir par huit amoureux des vins.

les vins de wine-dinners à l’Astrance mercredi, 15 novembre 2006

Les vins :

dans l’ordre : Climens 1929, Yquem 1929, Montrachet DRC 1999, Romanée Conti 1967, Vosne Romanée 1934, Cheval Blanc 1947, Lafleur-Pétrus 1945, Latour 1947, Dom Pérignon 1966, Chypre 1845, whisky cave du duc de Windsor vers 1860.

L’année du Cheval Blanc n’est pas facile à lire. Mais c’est 1947, et un "vrai" 1947.

Un Latour 1947 à la sensibilité unique :

Le Vosne-Romanée, à l’étiquette standard d’un négociant caviste, est ici entouré de Romanée-Conti 1967 et Cheval Blanc 1947. Quel voisinage !

Le goût le plus brillant, cotoyant un champagne de rêve :

Le whisky de la cave du duc de Windsor :

 

Climens 1929 et Yquem 1929 mercredi, 15 novembre 2006

Boire au même repas Yquem 1929 et Climens 1929 est un bonheur rare.

Climens 1929 a été le vin nommé premier dans mon vote. Quand on sait qu’il y avait une Romanée Conti, Cheval Blanc 1947 et Yquem 1929, ainsi que mon chouchou des chouchous, le vin de Chypre 1845, on mesure la perfection de ce vin.

les vins de Jean-Marc Boillot au George V mardi, 14 novembre 2006

Nouveau dîner littéraire à l’hôtel George V avec deux vedettes. Bernard Pivot et son « dictionnaire amoureux du vin », et les vins de Jean Marc Boillot. Nous sommes accueillis par un Puligny-Montrachet Champs Canet 1er cru Jean Marc Boillot 1992. Quand on arrive à 20 heures, sans avoir mangé, c’est un choc gustatif beaucoup plus grand qu’avec un champagne. Mais les amuse-bouches permettent la prise de contact. On peut mieux constater l’ampleur de l’année 1992 et le travail du vigneron. Ce Puligny a une très belle définition.

Le menu concocté par le Cinq est toujours aussi précis et bien exécuté : tourtière façon landaise à l’aubergine poivrée et aux cèpes / foie gras poêlé aux coquillages / lièvre de Beauce à la Royale / pomme de terre cuite au four à la crème de reblochon et au lard de Toscane / tarte façon Tatin, sauce au cidre et crème glacée à la vanille. L’intelligence des plats fut expliquée par Eric Beaumard, bondissant et primesautier, au savoir encyclopédique.

Le Pommard-Rugiens 1er cru JM Boillot en magnum 2003 a un nez exceptionnel, comme d’un vin sortant de fût. La surprise est forte, car en bouche le vin est court. C’est un beau vin très complexe qui évoque la prune, le clou de girofle, le piment et le cassis. Mais il reste court. Il s’ouvrira sans doute dans une heure.

Le Pommard-Rugiens 1er cru JM Boillot en magnum 1991 a un nez fondamentalement différent, domestiqué. Ce nez est calme et beau. En bouche il est très accueillant. Sur la sauce du foie gras, c’est un vrai bonheur. Je trouve ce vin d’un confort total. C’est l’équilibre absolu.

Le Pommard-Rugiens 1er cru JM Boillot en magnum 1990 a un nez magnifique. Il y a de la puissance et on retrouve les épices du 2003 mais avec un bel épanouissement. En bouche, c’est beau comme la rosace de la cathédrale de Chartres. Il est mis en valeur par le lièvre à la Royale très fort, très intense. Le Pommard surfe sur cette difficulté gustative avec brio. Son fruité est immense. Ce vin a un équilibre rare.

Le Pommard-Rugiens 1er cru JM Boillot en magnum 1999 a un nez éblouissant. En bouche c’est un peu court, mais c’est calibré pour la pomme de terre et le fromage. L’accord est brillant. Ayant gardé un peu de Puligny, je pensais que l’accord avec ce plat serait évident. Eh bien pas du tout. C’est bien le Pommard qui convient à cette composition à base de fromage. Chapeau bas à Eric Beaumard. Revenant sur mon jugement premier sur la longueur du vin, je prédis plus d’avenir pour le 1999 que pour le 1990. Ce qui me permet de faire un classement un peu iconoclaste : 1999 / 1991 / 1990 / 2003. La pureté de ce Pommard est assez exceptionnelle. Jean-Marc Boillot est très sympathique, discret, très concerné par la performance de ses vins qu’il élève avec compétence. Bernard Pivot est présenté par Olivier Barrot qui parle de lui avec admiration. Bernard Pivot jubile de parler de vin et donne des anecdotes aussi joyeuses que le vin de jean-Marc Boillot. De telles soirées marquées par une joie communicative sont précieuses.

Demain, « mon dîner du siècle à moi » mardi, 14 novembre 2006

Tomorrow, I will have a dinner of only 8 people, as I want to have a significant pour of the wines which come from my cellar (and what works for me will work for every guest ).

Here are the wines and the reasons why I have put them in a dinner :

Dom Pérignon 1966, because this year is probably the best that I have drunk of Dom

Latour 1947, because I want to try

Lafleur Pétrus 1945, because I want to see what it is. The experiences with this wine are not very numerous for me

Cheval Blanc 1947, because it is the legend, and I have added this bottle after everyone had registered. This is my gift, and, what a gift.

Vosne Romanée 1934, producer unknown, because in every dinner that I organise, I want that there is a "foot soldier" which is included. I trust in this bottle, and I would not be surprised if it were ranked very well, which is a way for me to keep cool and not stuck to the adoration of labels.

Romanée Conti DRC 1967, because a dinner without a Romanée Conti is not a dinner 

Montrachet Domaine de la Romanée Conti 1999, because I could be thirsty at that time 

Climens 1929, because it is certainly one of the greatest Sauternes ever

Yquem 1929, because Climens could need a companion

Cyprus Commandaria 1845, because it is the best taste ever in my life. This is the second gift, added after the table was fully registered.

That could be finished, but an American man and his wife who hesitated to register for this dinner will have a dinner in the same restaurant, l’Astrance, one of the best in Paris.
And he will bring, to share with us, a 1900 whisky. So, it could happen that I take a 19th century whisky coming from the cellar of Duke of Windsor (but magnified by the time in my cellar ), just to compare the two very old whiskies.

So, I am preparing myself for an event which could be one of my own century dinners.

( I made this an announcement with a funny tone. It’s just because I am excited. I count the hours !)

verticale de Barolos Monfortino à Castiglione Falletto samedi, 11 novembre 2006

Je suis dans un avion en partance pour Turin. Le dîner où je vais me rendre, je n’en sais pas grand-chose. On m’a dit qu’il y aurait un groupe rare de vieux Barolo. J’avais tant entendu – pour autant qu’on entende sur internet – que les Barolo sont les plus grands vins du monde, qu’il me fallait m’y rendre. Survoler les Alpes en constatant que les neiges éternelles sont devenues très rares est assez impressionnant. Je comprends les craintes de Yann Arthus-Bertrand. Je me dirige vers Alba où c’est jour de marché puis vers le Ristorante « Le Torri » de Maria Cristina Rinaudi à Castiglione Falletto, petit village perché, proche d’Alba, dominant des vignes de Barolo. Revenant à Alba pour acheter un tirebouchon plus propice aux vins anciens que les outils du restaurant, j’assiste à la vente de truffes blanches sur des étals de circonstance. Il parait qu’elles ne sont pas très belles cette année : « ah, si vous étiez venu en 2004 !», phrase qui rappelle le grand classique des pêcheurs : « vous seriez venu hier, on avait à peine le temps de lancer la mouche qu’une prise était faite ».

Je suis accueilli par deux suisses, organisateurs de l’événement, qui me connaissaient par des forums et avaient lu mon livre. Décidemment, après le dîner belge, j’ai plus de lectorat hors des frontières qu’en leur sein. De retour de notre promenade en Alba, nous déjeunons à « Le Torri » et je peux constater la générosité et la motivation de ce jeune couple. Tout aura été fait, à ce déjeuner mais surtout au dîner, pour que nous soyons satisfaits.

Le dîner a pour thème les Barolo Conterno Monfortino aussi à midi nous prendrons des Barolo Conterno qu’on pourrait appeler « ordinaires » puisqu’il ne sont pas Monfortino, mais sont de grands vins. Le Barolo Conterno 1998 est une bonne entrée en matières pour comprendre ce monde fascinant. Le Barolo Conterno 1997 est très différent, plus typé même si moins direct. Lequel préférer ? La difficulté de la réponse préfigure les dilemmes de ce soir.

J’ai tellement parlé de mes méthodes d’ouverture des vins qu’on me demande d’officier. Je le fais bien volontiers et l’un des organisateurs est impressionné que l’on puisse sortir intégralement des bouchons qu’il imaginait se désagréger entièrement. C’est le nez du 1955 qui est le plus éblouissant. Sentant le nez des deux vieux sauternes, je demande à Maria Cristina si elle peut faire un dessert de quartiers d’oranges juste poêlés. Sa gentillesse n’aura pas de limites.

Nous serons treize à table. Je reconnais un ami suisse avec lequel j’avais participé à une historique verticale d’Yquem, un membre du Grand Jury Européen, ce jury qui classifie des vins dans des confrontations célèbres. Le propriétaire du domaine, Roberto Conterno, est là au milieu de suisses, italiens, monégasques auxquels s’ajoute un sommelier américain. Je suis le seul français. Roberto a imposé la formule, qui ressemble plus à une dégustation thématique qu’à un dîner.

Le temps de se présenter et de regarder les bouchons que j’ai présentés dans de petites assiettes, nous dégustons un champagne Substance Jacques Selosse dégorgé en octobre 2005. Ayant été conquis par ce champagne en Savoie, à Jongieux, je bois du petit lait. La bulle s’éteint très vite. Mais le vin, d’une élégance hors du commun est remarquable. Combinant le vineux et le floral, je l’imagine volontiers s’associer à des coquilles Saint-jacques.

L’entrée dans le monde de Conterno commence par le Barbera Cascina Francia 2001. Ce vin sera très bon dans quinze ans, mais pour l’instant, c’est trop fort, très fruité, voire agressif. Trop envahissant pour moi.

Roberto Conterno avait insisté pour que l’on ait devant soi dix verres, comme s’il fallait faire une dégustation professionnelle. L’esprit des convives était plus à vagabonder de l’un à l’autre autour d’un repas. Grâce au talent de Maria Cristina, nous avons pu trouver un juste équilibre entre l’examen œnologique et le plaisir gastronomique.

Nous passons à table. Voici le menu : tartare de veau piémontais et saucisse de veau de Bra / œuf poché et sa fondue de fromage / pâtes « Tajarin di Bruna » à la viande de Bra / cochon de lait et poireaux de Cervere / fromages régionaux / tranches d’orange juste poêlées / tourte au citron / tarte aux pommes à la crème / mignardises et café.

Le premier service de vins comprend les Monfortino 1993, 1990, 1988, 1985 et le Barolo Cascina Francia 1982. Le compte-rendu qui va suivre provient des notes prises à la volée. Ces vins riches changeant perpétuellement dans le verre, les impressions ne cessent de changer.

Au nez, le 1985 est le plus brillant. Le 1982 est dans des gammes d’odeurs qui me correspondent. Le 1990 a un nez très brillant. En bouche, le 1993 est très astringent, très vert, pas ouvert. Le 1990 commence par être austère, tannique. Le 1988 s’oriente vers des saveurs de Porto. Le 1985 est grand, long, son amertume est élégante. Un voisin fait remarquer que tous les vins ont des notes de cacao. Le 1982 a énormément de dépôt. Il est agréable, même s’il a évolué et vieilli. J’aurais volontiers commencé à classer le 1985 devant le 1990, mais ce dernier s’impose. Comme tous ces goûts changent presque à chaque gorgée tant ces vins s’épanouissent, à un moment le 1988 passe en tête, malgré son léger goût de bouchon. Le 1982 fait trop « brûlé », le 1993 s’anime. Le 1990 a une structure d’une noblesse rare, le 1985 fait plus évolué. L’onctuosité du 1990 me plait énormément. Mon classement à ce stade est 1990 / 1985 / 1988 / 1993 / 1982, alors que j’entends beaucoup de convives mettre le 1982 en premier. Roberto Conterno nous demande : « s’il y avait une seule bouteille à acheter maintenant, laquelle prendriez-vous ? ». La majorité penche pour 1985 puis pour 1982. Je suis le seul à indiquer 1990 qui représente pour mon palais la structure la plus raffinée. Pour mon goût, les 1990 et 1985 se détachent du lot.

La deuxième série comporte les Monfortino 1978, 1971, 1961 et 1958 et le Barolo Cascina Francia 1964. Il y a une nette séparation des couleurs. Les 1978 et 1971 ont un beau rouge foncé. Les trois plus vieux ont un rouge très clair tendant parfois vers le tuilé et vers des robes de bourgognes vieux de plus de cinquante ans. Le nez du 1978 est très pur, brillant. Le nez du 1971 est grand, presque parfait. Celui du 1964 fait nettement avancé. Le nez du 1961 est plus intéressant même s’il trahit son âge. Le nez du 1958 est encore plus avancé avec des tendances animales.

En bouche, le premier contact avec le 1978 est celui d’un vin fruité, très beau, qu’une légère acidité rétrécit un peu. Cette caractéristique va disparaître. Le 1971 est un peu amer mais a plus de longueur. Il n’est pas opulent, mais sa trame est belle. Le 1964 est très étonnant, car il apparaît sur l’instant flamboyant. Il est loin d’être parfait, il a une petite fatigue, mais il est rond, joyeux, alcoolique. Le 1961 est très exact. Rond, fruité, équilibré, structuré, il remplit bien la bouche. Le 1958 ressemble à un armagnac. C’est plaisant, mais ce n’est plus du Barolo. Noter des vins si différents va devenir difficile car chacun a sa personnalité. Le 1978 qui fait plus jeune a gagné en longueur. C’est vraiment le Barolo dans la définition que j’imagine, n’en étant pas expert. Le 1971 reste amer, le 1964 perd de son charme. Le 1961 reste beau, le 1958 garde une structure très forte et atypique. Je classerais volontiers 58 / 78 / 61 / 71 / 64 malgré le charme initial du 64. Après plusieurs approches, mon classement de cette série sera 1978 / 1961 / 1971 / 1958 / 1964. Dans la première série, il y avait deux vins au dessus du lot. Ici, c’est le 1978 seul qui émerge.

Roberto demande à nouveau quelle bouteille serait achetée parmi les dix bues jusqu’à présent. Une grande majorité de désirs se tournent vers le 1978. Vient ensuite le 1971, que je ne trouve pourtant pas parfait. Je suis le seul à voter pour le 1990.

Il faut vite laver des verres pour accueillir les vins suivants et chacun hésite sur les verres à rendre, car beaucoup des amateurs présents voudraient suivre les odeurs de ces grands vins qui évoluent toujours. Le Barolo Conterno Monfortino 1955, qui avait l’odeur la plus belle à l’ouverture et pour lequel j’avais dit avant le repas et sans l’avoir goûté : « vous verrez, ce sera le gagnant », délivre maintenant une odeur parfaite. Je suis amoureux de son goût, fait de terre et de truffe. Il est chaud en bouche. Il est de la trempe du 1961, avec un équilibre très supérieur. Petit à petit il va perdre ses racines terriennes. Je me demande s’il n’eût pas fallu l’ouvrir au dernier moment.

Le Barolo Conterno Monfortino 1943 dont le niveau dans la bouteille était assez bas par rapport aux autres a une couleur trop tuilée. Au nez, l’alcool domine, et en bouche, il y a des inflexions animales. Ce vin a dépassé les limites de sa vie, même s’il est buvable. Il n’a plus de réel intérêt. Le 1955 continue d’être fort, alcoolique, puissant.

Tous les vins anciens avaient été carafés avant le service pour éviter le dépôt. Voyant la fragilité du Clos de Vougeot Liger-Belair 1919, je décide de prendre les choses en mains, et je sers treize verres sur une autre table, en homogénéisant pour chaque verre des gouttes du début, du milieu et de la fin de bouteille. Ce vin n’aurait pas résisté à un carafage. Le vin a perdu une partie de ses pigments, car le dépôt en fond de bouteille est fort noir. Mais le nez est subtil et la bouche charmante. C’est un vin plaisant, même si l’on voit bien qu’on est loin de ce qu’il pourrait être.

A ce stade, fatigué car je m’étais levé à 4h45 ce matin pour prendre le premier avion, mon vote est le suivant : 1 – Monfortino 1990, 2 – champagne Substance de Jacques Selosse, 3 – Monfortino 1955, 4 – Monfortino 1978, 5 – Clos de Vougeot 1919.

Je constate avec effroi qu’il reste deux magnums de Monfortino à servir, ainsi que deux sauternes. Mon intention est de faire l’impasse du Monfortino 1998. Je la fais. Mais quand mon voisin me fait sentir le Monfortino 1987, je ne peux résister, car c’est celui-là qui est le plus parfait. Ce Monfortino a tout pour lui. Le nez est intelligent, spirituel, et en bouche, il est d’une pureté irréelle. C’est le plus grand de tous.

J’avais demandé à Maria Cristina quelques tranches de quartiers d’orange pelés et poêlés. Avec le Cru Labonade Peyraguey Sauternes 1949, l’association est excitante et sera plébiscitée par plusieurs convives. Le Sauternes n’est pas puissant mais il est expressif. Il est délicieux. C’est un petit cousin, en très discret, de l’éblouissant Lafaurie-Peyraguey, un de mes sauternes préférés. Un Sauternes générique de négoce 1919 est bouchonné, avec un goût de poussière. Mes nouveaux amis constateront avec étonnement à quel point ce vin va s’améliorer, sans revenir toutefois à ce qu’il devrait être. Mais il devient « presque » bon. Mon vote final, qui satisfera Roberto Conterno, est le suivant :

1 – Monfortino 1987, 2 – Monfortino 1990, 3 – champagne Substance de Jacques Selosse, 4 – Monfortino 1955, 5 – Monfortino 1978, 6 – Sauternes Cru Labonade Peyraguey 1949, 7 – Clos de Vougeot 1919.

A noter que le 1955 que j’avais repéré au nez à l’ouverture des vins fut le vin préféré de l’un des deux organisateurs.

Je descendis les rues de ce village pour rejoindre ma chambre d’hôte suffisamment confortable pour une nuit réparatrice. Je retrouvai les organisateurs pour un petit déjeuner à l’hôtel « Le Torri » où ils logeaient. Nous déjeunâmes ensemble, mais à l’eau cette fois. Le patron, mari de la sympathique cuisinière nous offrit le repas, ce qui confirme encore l’impression chaleureuse de ce restaurant où il faut revenir. Tant de générosité culinaire et humaine mérite d’être encouragée.

Que retenir de ce dîner ? Je ne connaissais pas bien les Barolo. Cette verticale aura levé le coin d’un voile. Il est assez significatif qu’aimant les vins anciens j’ai préféré en ce dîner des vins très jeunes. Est-ce parce que Monfortino vieillit mal ou est-ce dû aux bouteilles présentées ? Je crois que ce vin s’exprime mieux quand il a vingt ans. Il peut vieillir, comme le montre le 1955. Mais le plaisir sera plus grand pour un vin de quinze à vingt ans.

Je retiens l’accueil plus que sympathique des deux organisateurs, suffisamment discrets pour laisser chacun s’exprimer. Je retiens l’atmosphère amicale qu’ont créée les deux restaurateurs, ce qui donne envie de revenir vite. Je retiens la beauté des sites piémontais qu’un brouillard m’a empêché de contempler, identique à la fatigue qui embrumait les plus anciens barolos. Il me reste encore à découvrir des barolos âgés qui rivaliseraient avec leurs contemporains français. Et je retiens les propos intéressants échangés avec des amateurs talentueux, expérimentés et passionnés.

Ce fut un bien beau voyage, dont le souvenir sera aussi tenace que le parfum d’une truffe blanche d’Alba.

dîner de wine-dinners au restaurant Laurent jeudi, 9 novembre 2006

Le 77ème dîner de wine-dinners se tient au restaurant Laurent, complice de ces dîners pour la 11ème fois. La belle table habituelle est préparée avec un soin jaloux, et Patrick Lair, partenaire actif des ouvertures de vins officie avec moi avec une minutie exemplaire. Les parfums du Suduiraut 1955 sont si puissants dans des arômes d’agrume qu’après en avoir discuté avec Philippe Bourguignon, je demande un autre dessert, que nous déterminons avec le chef pâtissier.

Le menu élaboré sous l’autorité de Philippe Bourguignon et le talent d’Alain Pégouret : Rouelles de pommes de terre et pied de porc / Trompettes de la mort juste rissolées, crémeux d’œuf de poule et jaune coulant sur un sablé fin au parmesan / Saint-jacques et cèpes saisis à la plancha, jus aux fines herbes et purée d’ail / Épaule d’agneau de Lozère confite aux épices d’un tajine, haricots risina / Râble de lièvre rôti, sauce « royale » et tagliatelles / Vieux Comté / le dessert initial était : Mousseline peu sucrée de marrons ardéchois en mille-feuille croustillant, brisure de châtaignes grillées il fut remplacé par une cuiller aux marrons et un feuilleté de dés de mangues au piment d’Espelette. Cette solide cuisine, dans des directions semblables à celles de Taillevent, fut intelligemment propice aux vins.

Avant que n’arrivent mes convives, on m’avait fait goûter au bar une cuvée spéciale de Duval-Leroy 2001 presque non dosée, que j’ai trouvée d’un grand agrément. Toujours au bar, les premiers arrivés ont préparé leur palais avec un champagne Deutz. Après les consignes d’usage, nous passons à table. 

Ma charmante voisine, seule femme devant dix hommes, peu intimidée de son infériorité numérique adora le champagne Ruinart « R » Brut NM du fait de son équilibre harmonieux où la bulle active titille un goût expressif. Ayant porté un toast avant que l’entrée n’arrive, nous avons pu mesurer à quel point le champagne chante encore plus sur le pied de porc. Il prend une sensualité extrême.

Le champagne Krug 1988 est d’un raffinement rare. Sa structure est d’une précision remarquable. Le plat de trompettes de la mort est une nouveauté très originale. L’œuf, qui n’est pas l’ami des vins, est bien domestiqué par le parmesan. Mais c’est surtout le champignon de belle texture qui fait briller le Krug, en l’allongeant élégamment.

Il n’est pas fréquent que l’on présente deux vins identiques dans ces dîners. C’est la générosité d’un convive qui permit cette comparaison. Le Chevalier-Montrachet Bouchard Père & Fils 1988 avait à l’ouverture un nez beaucoup plus joyeux que le Chevalier-Montrachet Bouchard Père & Fils 1983. L’écart était très net. Servi à table, la balance penchait encore pour les arômes du 1988. Mais en bouche, la maturité acquise par le 1983 le rend plus agréable. J’aime beaucoup plus le 1983 de mon ami que la belle rigueur classique du 1988. Mais la table n’a pas cette analyse. Les préférences s’équilibrent entre l’un et l’autre. La richesse et la profondeur du 1983 m’ont conquis. Car l’âge a donné une suavité qu’un convive rapproche de Barsac.

Le Château Ausone 1966 se présente au nez d’une spectaculaire façon. Un fidèle convive dit qu’on pourrait ne pas boire tant le parfum enivre, procurant un plaisir complet. C’est assez éblouissant. Le Château Latour 1er GCC 1952 a un nez nettement plus discret. En bouche, l’Ausone est délicieux, classique, très typé Saint-émilion. Mais c’est le Latour qui me transporte au septième ciel. Quel vin immense. Ce qui est intéressant, c’est qu’un vigneron ami présent à la table me dit qu’il préfère de loin Ausone. Mais quelques minutes plus tard, il révisera son jugement et conviendra de l’incroyable perfection d’un Latour qu’on n’attendrait jamais à ce niveau en considérant son millésime. C’est certainement l’un des plus grands Latour que j’ai bus. J’ai demandé au vigneron bourguignon de fermer les yeux en buvant Latour, en pensant à un Chambertin 1929. Et, si l’on admet de ne pas s’arrêter à la définition stricte du cépage, on a un velouté en bouche qui évoque les plus grands chambertins. L’épaule d’agneau est un compagnon idéal pour que ces deux bordeaux s’expriment bien.

L’Hermitage La Chapelle Paul Jaboulet Ainé 1980 fait partie de mes bonnes pioches. L’année étant mauvaise en bordelais, on n’imagine pas aisément que ce vin puisse être bon. Or il l’est. Il n’a pas une palette sensorielle aussi étendue que des grandes années, mais il est rassurant.

La Côte Rôtie L. de Vallouit 1966 est solide, confortable, avec un final en bouche joyeux. Ces vins ont un charme fondé sur la simplicité et la franchise. On en tire la quintessence avec le râble.

Quand on croque un morceau de Comté en prenant soin de bien le marquer de salive, le Château Chalon Jean Bourdy 1955 fait exploser son goût de noix, pour un plaisir indicible dont je ne me lasserai jamais.

L’Anjou Rablay Maison Prunier 1928 est la curiosité absolue de ce dîner. C’est lui que je veux découvrir. Quel plaisir, quelle surprise, quel dépaysement. Ce vin fait partie de ma recherche. Car aucun Anjou de moins de cinquante ans ne peut approcher de près ou de loin de cette complexité de goûts. Ce vin est d’une richesse rare, d’une subtilité sensuelle, d’une complexité enthousiasmante et d’une longueur extrême. J’étais heureux. La petite cuiller au marron glisse bien sur l’Anjou.

Le Château Suduiraut Sauternes 1955, c’est le vin le plus rassurant qui puisse exister. Il a tout ce qui fait la grandeur de Suduiraut, une jeunesse insolente et un aplomb de marlou. Les agrumes dansent une farandole joyeuse. On est bien. Le piment d’Espelette délicatement dosé donne un joli coup de fouet à la mangue pour un bonheur parfait.

Tout paraissait si naturel, facile, qu’on pourrait se demander si chaque repas ne devrait pas être comme celui-là. Les discussions sont animées, et la cérémonie des votes allait être une occasion de plus de voir à quel point les goûts et les préférences sont dissemblables. Sur onze vins, neuf ont figuré au moins une fois dans les quartés, ce qui est toujours sympathique. Six vins ont eu droit à un vote de premier. On sait que cela me plait. Le plus couronné est de loin le Suduiraut 1955 avec cinq votes de premiers. Le Château Latour 1952 récolta deux votes de premier et quatre autres vins eurent un vote de premier : le champagne Ruinart, le Château Ausone 1966,  la Côte Rôtie Vallouit 1966 et l’Anjou Rablay 1928. Le vote du consensus serait : Suduiraut 1955, Latour 52, Ajou 1928 et Château Chalon 1955.

Mon vote fut : Château Latour 1952, Anjou Rablay maison Prunier 1928, Château Suduiraut 1955 et Côte Rôtie L. de Vallouit 1966. Mon ami vigneron n’avait pas le même ordre mais la même sélection de quatre vins ce qui nous réjouit. Ce dîner de bonne humeur a réuni des passionnés. Chez Laurent, c’est toujours un succès.