un beau Chambertin chez Jacques Le Divellec mercredi, 18 octobre 2006

J’invite à déjeuner un journaliste gastronomique pour le simple plaisir de parler de gastronomie. Je réserve chez Jacques Le Divellec, car l’assassin revient toujours sur le lieu de ses crimes : j’y ai fait un des plus mémorables de mes dîners. Subodorant que notre expert en restauration, auteur d’un guide connu, n’est pas forcément un accro des vins anciens, je fais déposer une bouteille ancienne, mais pas trop, pour que ma persuasion soit efficace.

Après de délicieuses crevettes grises (la crevette grise partage avec quelques produits, dont le saucisson une propriété : « quand c’est pas bon, c’est pas bon, mais quand c’est bon, qu’est-ce que c’est bon ») et deux petits amuse-bouche marins, de belles huîtres fines de claires d’Oléron d’un petit calibre vont cohabiter avec champagne Bollinger Grande Année 1997. Ceux qui ont de l’année 1997 une image de tendresse délicate vont devoir réviser leur calendrier. Ce champagne est impérieux, puissant, vineux. Son année lui donne effectivement une caresse particulière. Mais c’est imposant. Avec l’huître, la cohabitation est parmi les plus pacifiques.

Nous goûtons ensuite un des plus classiques de Jacques Le Divellec, le foie gras en terrine fourré de langoustine. Cette ajoute ne s’impose pas, car le mariage avec le Bollinger, qui marche agréablement, n’est pas nécessaire à ce stade.

Pour mon vin, Jacques a adapté la recette de son bar en créant une sauce légère au bourgogne (un Marsannay). Le Chambertin Clos de Bèzes Pierre Damoy 1961 ouvert depuis quatre heures, au niveau parfait, au bouchon exceptionnel d’homogénéité, à l’étiquette de vin à deux sous, est absolument phénoménal. Son nez est impérial. Il attaque sur un fruit de bambin, s’impose par sa puissance, et montre, comme par magie, combien les vins anciens ont un structure inégalable. Ce vin a un équilibre, un fruité qui sont inimaginables. Olivier, le sommelier et Jacques, le chef, le boiront avec un plaisir indicible. Notre journaliste aura senti que les certitudes des sceptiques des vins anciens sont à remettre en cause. Ai-je réussi ma démonstration ? J’ai pris avec ce vin à l’aspect roturier un plaisir de première grandeur.

MONTRACHET BOUCHARD 1988 lundi, 16 octobre 2006

J’ai la chance d’avoir bu des années mythiques de ce vin de légende de la maison Bouchard Père & Fils :

1864 – 1865 – 1923 – 1953 – 1961 – 1980 – 1983 – 1988 – 1990 – 1999 – 2002 – 2003 – 2004

Je teste un nouveau logiciel de traitement de photo en ajoutant cette photo du dernier Montrachet bu en Belgique.

 Apparemment je ne suis pas encore très doué car la taille de la photo dépassait la feuille.

Cette bouteille a été bue lors du dîner en Belgique raconté ci-dessous.

vins de Massandra lundi, 16 octobre 2006

Je me suis rendu à un dîner en Belgique pour boire notamment quatre vins de Massandra.

L’histoire de ces vins est assez étrange : en Crimée, un tsar a voulu reconstituer des vignes de vins parmi les plu grands du monde. Nous avons goûté un Muscat rose, un Pedro Ximenez, un Tokaj faits en Crimée.

L’histoire de tout cela est fabuleuse voire chimérique, car on parle de vins versés dans la mer qui ont coloré la mer de sang, on parle de caves murées pour éviter que les vins soient pillés.

Et, tel le chevalier blanc, Sotheby’s est là, reconnaît

La Crimée était presque parfait(e)

les vins et les années, fait de belles étiquettes et elles atterrissent sur notre table.

Quelle que soit l’addition de rêve et d’aventures à ce récit, ce que nous avons bu ressemble à mes plus beaux désirs. Alors …

un compte-rendu de dégustation de notre ami Laurent Gibet de Ganesh a été mis sur le forum de Bettane et Desseauve (cliquez sur le mot "compte-rendu").

ces saveurs complètement exotiques sont envoûtantes

 

Le dîner avec les vins de Massandra lundi, 16 octobre 2006

Sur le forum de Robert Parker, des affinités se nouent, poussant à des rencontres où le vin qui réchauffe  nos veines n’a rien de virtuel. On me propose de déguster des vins de Massandra, rarissimes vins de Crimée. Je n’hésite pas une seconde.

J’arrive dans un petit patelin près de Namur au restaurant l’Air du temps, où un jeune asiatique (mais est-il si jeune que cela) compose une cuisine d’un raffinement délicat. Ayant une bonne connaissance des vins, comme j’ai pu le vérifier en échangeant quelques mots avec lui, il avait décidé de composer sa cuisine au dernier moment, lorsqu’il pourrait sentir les vins ouverts. Sa cuisine se veut zen. Elle fut d’une subtilité rare.

Le menu : Les mises en bouche apéritives (nombreuses et variées) / Queue de Langoustine bretonne sur une mousseline de choux fleur et caviar / Filet de Saint pierre, gel de palourdes et Meijiki, hollandaise mousseuse /  Bar de ligne cuit sur peau, jus d’olives noires, chair de pamplemousse rose / Noix de saint jacques, une raidie, l’autre saisie, foie gras poêlé, mousse de châtaignes, fenouil croquant / Du ris de veau, sur une purée citronnée, voile de poivron  / Aiguillette de pigeonneau de Waret, deux textures de consommé, pois frais et girolles / Composition de poire et fourme d’Ambert, balsamique de cassis / Figues rôtie à la menthe, compote de coing, pain d’épices et réduction de porto. Tout ceci fut d’un raffinement aérien et d’une sensibilité extrême. L’épouse du chef, une femme dont la douce beauté vient d’une paix intérieure, nous a présenté les énoncés des plats. Bien souvent, un serveur peu attentif et soucieux de sa mémoire ânonne un texte quasi inaudible. Ici, je me plais à écouter le discours mélodieux ressemblant à un chant d’amour, tant cette femme semble éperdument amoureuse du talent de son mari.

Etant arrivé avant tout le monde j’ai eu le temps d’ouvrir presque tous les vins pour qu’ils prennent une oxygénation suffisante. Je ne connaissais personne, je n’y avais aucune autorité, mais je l’ai prise.

trois petites tomates

Le champagne Jacquesson 1996 en magnum est un extra brut dégorgé au premier trimestre 2006. Sa couleur est déjà très ambrée. Un amuse-bouche au fruit de la passion et soja permet de découvrir sa belle bulle. Trois tomates traitées comme en un tableau villageois de Jérôme Bosch mettent en valeur son goût très pur. Potiron et huître font apparaître comme il est peu dosé Un œuf et confit de courge finissent d’exposer la finesse de ce champagne.

Le Riesling Clos Sainte Hune Trimbach 1985 a depuis longtemps cessé de m’étonner tant je me plais à le déguster. Une magnifique combinaison d’acidité et de gras excite le palais quand on sait donner au vin la température qui le met en valeur. Ce vin puissant, de caractère, dispose d’une persistance aromatique peu commune.

Le Château Grillet cuvée renaissance 1976 est très fumé. On sent la pierre à fusil. Ce vin très typé m’envoûte. J’écris sur mon petit carnet de notes : « c’est soufflant de perfection ». Il est immense sur le Saint-pierre. Longueur, concentration, équilibre, tout y est.

Le Montrachet « réserve du château » Bouchard Père & Fils 1988 a une étonnante couleur ambrée pour son âge. Après le remarquable 1985 que j’ai bu il y a seulement trois jours, on ne peut pas être laudatif pour ce Montrachet manquant de souffle et de faible longueur.

J’avais proposé de venir avec une bouteille. En fait, j’en avais cinq, ce qui autorise à en prendre d’incertaines. Je déclare un peu trop vite que le Chassagne Montrachet blanc Soualle & Baillencourt vers 1930 est abîmé et qu’il faut le laisser de côté. Je vide même mon verre dans un seau. Quand un convive plus patient me dit de réessayer, je me sers au plus vite. Décidément, il m’arrive à moi aussi de condamner trop vite ! Le vin avait perdu cette désagréable trace glycérinée et devenait propret. J’avais trouvé du madère, du sherry, de la noix, de l’amontillado, et voilà qu’il y avait du Chassagne ! Et je me mets à fondre de bonheur sur l’accord de ce vin blanc avec une mousse de châtaigne de pur raffinement.

A propos de Chassagne, mais rouge cette fois, le Chassagne Montrachet rouge « réserve » Jean Lamy vers 1959/1961 présente sur la coquille Saint-jacques tout le talent de ce que peut-être la Bourgogne absolue. Je suis aux anges quand je reconnais ce message.

Le Château Beychevelle 1931 avait un bas niveau dans la bouteille. Il paraît acide mais surtout salé, ce qui affadit son message. Le Château Petit Gravet Saint-émilion 1934 sur le ris de veau est magnifique de velouté. Très doux, très équilibré, c’est un vin de grande maîtrise sur le ris, que le contraste avec le 1931 met largement en valeur. Mes convives s’extasient. Est-ce pour me faire plaisir de l’avoir apporté ? J’ai cru déceler que le vin leur plaisait.

Le Château Lafite Rothschild 1955 au beau niveau dans la bouteille a une très jolie robe et un nez bien dessiné. Le Château La Conseillante 1955 a un nez magique. Le Lafite est possible sur le pigeon mais c’est La Conseillante qui ramasse la mise, tant il est brillant.

Il n’en va pas de même du Château Latour 1967 qui a un goût de civette selon mes voisins. Il est plutôt tout simplement bouchonné pour moi. Il est âcre en bouche. Le Lafite ne tourne pas à plein régime, le Latour est au ralenti avec un final qui me dérange. Seul La Conseillante offre ce qu’on peut attendre d’un grand Bordeaux d’une année que j’adore.

Le Picardon vin de liqueur 17° distillé à Saint-Céré dans le Lot vers 1950 fait partie de ces curiosités que j’ai amassées au fil des âges. Le définir précisément, je ne sais pas le faire. Il est assez sec, exprime son alcool et ressemble à un cognac léger plutôt qu’à un vin doucereux. C’est une plaisante expérience car on découvre toujours des saveurs inconnues. Et c’était une bonne introduction pour affronter des saveurs infiniment plus énigmatiques.

Il faut d’abord expliquer en en faisant une version courte, qu’un tsar a voulu reconstituer sur les terres de Crimée tous les vins qu’il aimait, implantant les cépages et cherchant à recréer les plus beaux vins du monde. Après cela, l’histoire se romance. Qu’en est-il de ces vins versés dans la mer Noire qui la colorèrent d’un rouge sang révolutionnaire, de ces vins murés dans des caves pour ne pas être pillés par de méchants barbares ? Et la découverte impromptue de ces bouteilles rares qu’on retrouve identifiées, datées, reconnues et mises en vente par Sotheby’s à Londres. Il faut aux vins mystérieux une pincée de rêve. Lorsqu’en plus les goûts sont ceux des mille et une nuits, sur son tapis volant, on est prêt à tout croire.

Le Massandra muscat rose Gurzuf 1939 a un nez invraisemblable de plantes médicinales et de macaron à la framboise. Ajoutons à cela un nez de thé au fruit. En bouche, c’est très troublant. Il y a des évocations de confitures de mûres raffinées.

Le Massandra Tokaj Al Danil 1923 est un Pinot gris. Il a le nez exact d’un tokay.  En bouche, c’est du rêve. Je plane. Ces deux vins sont totalement exceptionnels. Dans le tokay, il y a du litchi, de la poire. Le muscat rose a un équilibre inouï. Il est rond, sucré. Le tokay fait plus muté, plus déstructuré, mais il bouge tellement en bouche qu’il fascine.

Le Massandra Pedro Ximenez 1945 a un nez de caoutchouc. Il n’est pas très net en bouche et son message s’estompe. Il ressemble à un porto assez amer marqué par l’alcool. La sucrosité n’est pas très élégante. Ce n’est pas assez structuré à mon goût.

Le Massandra Cahors (cabots) Ayu Dag 1933 est de couleur rouge. Son nez fait penser au tokay, mais en plus sec. Ce vin déroutant est sublime.

Sachant qu’il y aurait des Massandra et un Beychevelle 1931, j’ai voulu faire un petit clin d’œil avec ce Malaga Scholtz Hermanos réserve Lagrima 1931. Il est de la même race que le Pedro Ximenez. Son nez de café est très dense. J’aime beaucoup ce vin plus lourd que les Massandra.

Le Cahors 1933 est très grand, fruité de fruits frais, le muscat rose sent la mûre, le Malaga plus viril évoque le caramel et le café.

Chose fort rare, la moitié de ces gens, dont je ne connaissais aucun, avaient apporté mon livre pour que je le dédicace. Ils connaissaient mes aventures, mes théories et se réjouissaient de mes anecdotes. Je quittai ce groupe de solides buveurs, joyeux, plaisantins, en me demandant quels vins j’avais préférés sur cette cuisine si subtile. Je me risquai pour moi-même à un classement : 1 – Massandra muscat rose Gurzuf 1939 – 2 – Chassagne Montrachet rouge « réserve » Jean Lamy vers 1959/1961– 3 – Massandra Cahors (cabots) Ayu Dag 1933 – 4 – Château Grillet cuvée renaissance 1976 – 5 – Malaga Scholtz Hermanos réserve Lagrima 1931.

La Belgique est un pays où l’on aime le bon vin.

des Krug magistraux chez Marc Veyrat samedi, 14 octobre 2006

Le but de notre voyage commencé il y a deux jours, c’est le déjeuner chez Marc Veyrat à Veyrier du Lac. Notre groupe de douze ne comporte que des aficionados. Embrassades, joie de se revoir. L’absence de Samuel, le sommelier guide de nos précédentes aventures est mal vécue, mais Jérôme va s’acquitter de sa tâche fort élégamment. J’apprends que le Krug 1973 est bouchonné. Le remplacement par un beau champagne sera fait.

Nous nous installons sous la haute bienveillance d’Hervé, l’homme qui est l’âme du lieu à côté du maître. Marc Veyrat vient nous saluer. On sent la souffrance, sous un masque de bonne humeur, d’un homme handicapé par son vilain accident de ski. La table se constitue d’abord en terrasse, par une journée ensoleillée qui donne au lac, aux herbiers, à la belle montagne une vraie joie de vivre. L’entrée sur une palette de peintre donne des saveurs charmantes, dont ce carpaccio étonnant et se ponctue – après le Krug – sur le soda Veyrat, classique boisson d’introduction à de féériques agapes. Le champagne Krug 1988 en magnum me parait trop jeune, trop vert, trop coincé. J’entends autour de moi des louanges qui me paraissent excessives. Peu importe. A table, c’est sur un yaourt de foie gras, escalope de foie, mikado de myrrhe odorante que l’on commence à aborder le champagne. Il reste pour moi toujours coincé et la preuve de ce que j’avance sera donnée une heure plus tard. Libéré, aéré, ce champagne dira tout ce qu’il a en lui. Il lui fallait prendre de l’air pour réciter son texte. L’œuf au plat virtuel, cumin des bois d’ici, lait de coco est un plat nouveau, dont nous explorons une version inédite. Le plat n’a pas l’assise des recettes mille fois interprétées. Je suis sous le charme, car cette créativité spontanée,  qui se cherche et essaie ses dosages, c’est comme une épreuve d’artiste, parfois plus émouvante qu’un tableau définitif. Je suis très sensible à sa recherche.

L’habitude aidant, on comprend de mieux en mieux l’art de Marc Veyrat. Comme tout grand créateur, il est unique. Je vois en lui du Léonard de Vinci, tant certaines voies explorées sont en avance sur son temps. Bien sûr, comme pour un grand vin, chacun y voit ce que sa culture et son histoire lui permettent de déchiffrer. Jean Philippe, l’ami qui nous cornaque, y voit certainement beaucoup plus de choses que moi. Mais je me sens assez proche de ce que chaque plat évoque. Il y a les rêves de l’enfant, le respect de la terre et des herbes que l’on a cueillies quand le père apprenait les saveurs que la terre nous donne. Il y a du rebelle dans certaines sauces, avec des cris lancés dans l’espace qui attendent un écho, retour de compréhension. Il y a la souffrance du moment. Mais il y a aussi le profond respect des produits comme le montrera tout à l’heure l’exécution magistrale de l’omble chevalier. Alors, en mangeant, on a Marc Veyrat sur un divan, exposant sa volonté de faire comprendre tout ce qu’il ressent, qui transcende largement le cercle parfois brisé de l’assiette posée devant chaque convive. Et l’on comprend mieux que sur les dix dîners organisés par Jean-Philippe en cet univers, il y en a eu trois avec le champagne Krug. Car quel autre vin aurait la faculté de s’adapter aussi complètement à ce monde créatif infini ? Je n’en vois pas. Chacun des Krug a servi la cuisine, a su montrer sa personnalité, a su rebondir sur un goût sur une invite lancée à nos papilles.

Le  Krug grande cuvée en magnum apporte une démonstration supplémentaire, si elle était nécessaire, de la timidité du 1988. Car on a ici la vraie définition du Krug. Relativement récent, ce champagne gagnerait des galons avec des années de plus. Mais il est là, serein, joyeux, prêt à combattre avec beaucoup de saveurs aventureuses comme celles de ce merveilleux univers culinaire. La flûte inversée, pois cassés tièdes, mélisse, citronnelle, humus, c’est tout l’univers d’enfance du savoyard. Le ravioli velouté, carottes, céleri, concombre, gelée de pommes, c’est toute sa dextérité créatrice.

Krug Collection 1981 en magnum est éblouissant de rondeur, d’accomplissement, et dépasse de très loin tout ce qu’on pourrait imaginer de cette année. Mais on est avec Krug ! Dans un repas comme celui-ci la description pure du champagne est impossible. C’est la souplesse d’échine qu’il faut signaler, car le champagne a fait bonne figure pendant toutes les combinaisons qu’il a suscitées. Et ça ne manquait pas : œufs de caille au caramel clair, polypode, cornet d’oxalis. Puis hostie virtuelle du 21ème siècle, jus de cannette, sorbet safrané. Ce qui est éblouissant, c’est qu’une branche de pin a été fortement imprégnée de la fumée d’un feu de cheminée. Et l’on remue le jus avec cette branche, qui donne un parfum inoubliable au plat.

une brochette de magnums particulièrement rare

Le

Le Krug Clos du Mesnil en magnum 1988 est évidemment une première, car le Clos du Mesnil est déjà rare. Mais en magnum, il l’est infiniment plus. Ce champagne est l’enfant chéri de la victoire, le vin béni des dieux. L’omble chevalier des lacs alpins, filandre de citronnelle, épicéa est un grand classique de Marc Veyrat, avec une cuisson immortelle. Avec ce Clos du Mesnil, ce ne sont que des saveurs d’une pureté cristalline qui s’offrent à nos papilles. Une darne de homard breton, vin jaune, bonbon d’herbe de maggy (acha) est une forme aboutie du goût du homard.

Le Krug Clos du Mesnil 1982 est magistral. Avec la crème brûlée à la reine des prés et la confiture d’écrevisses nous comprenons deux choses : que Krug s’adapte à toutes ces difficultés gustatives et que nous n’avons aucune lassitude. Un champagne de ce niveau, sur une cuisine de ce niveau, c’est un plaisir rare. Le ris de veau poêlé, beignet de pommes génépi, démontre si c’était nécessaire, que Marc Veyrat est aussi à l’aise sur une cuisine plus classique où la chair principale est mise en valeur dans son orthodoxie.

Le Krug collection 1964 en magnum nous fait entrer dans un univers d’exception. Ce champagne dépasse tous les autres. Je suis évidemment plus sensible que d’autres à l’apport de l’âge au goût de ce champagne. Mais il n’est nul besoin d’entasser les expériences pour saisir la perfection de ce champagne sensuel, accompli, totalement arrondi, expressif, vivant. L’ercheu des fromages de nos talentueux paysans (ce n’est pas moi qui parle) rencontrait nos appétits encore présents. « L’avalanche de délicatesse de ma fille Carine » rencontra une demi-bouteille de château d’Yquem 1989 que j’avais apportée pour l’anniversaire d’une des convives. Cet Yquem est d’une perfection exemplaire, d’une profondeur inégalable qui surclasse nettement le 1976 de la veille.

Un reste de faim fut comblé le soir par un spaghetti virtuel plaisant, par un pigeon traité de façon classique avec talent et par un « macaron raté » dont j’adore le clin d’œil.

Quand on est plongé comme ici dans l’univers créatif d’un homme de ce talent, on est embarqué dans une aventure où tous les goûts se justifient. On découvre, on retrouve, on comprend. Parfois c’est un peu plus dur, tant le chef a une imagination qui nous dépasse. C’est magique. On est comme Alice au-delà du miroir. Et l’on est heureux. Le champagne Krug, dans des expressions très différentes, a montré son adaptabilité et sa classe. Nous sommes prêts à remettre le couvert.

L’auberge les Morainières à Jongieux avec des vins de rêve vendredi, 13 octobre 2006

Le lendemain, huit personnes se retrouvent à l’auberge les Morainières à Jongieux. La route qui fait se rejoindre le lac d’Annecy et le lac du Bourget traverse de magnifiques contrées. L’auberge est plantée sur une pente raide où les vignes ont les couleurs les plus belles : du vert encore, beaucoup de jaune, un peu de rouge, voire du rouge sang. La vue est magnifique, le Rhône louvoie paresseusement, attendant en aval de grossir son débit. Les convives partagent tous d’écrire sur un même forum sur le vin. Une solidarité est née entre eux lorsqu’une méchante cabale a agité le site. Ils sont heureux de faire connaissance, car peu d’entre eux se sont déjà vus. Cette connivence va se transformer en amitié. Chacun a été généreux, la palme revenant au régional de l’étape, qui nous a régalés de vins de gros calibres.

Un jeune couple tient cette auberge éloignée de tout. Il faut vite qu’ils obtiennent une étoile – nous écrirons tous au guide qui fait référence – pour couronner un talent et un courage remarquables. Chacun venant avec plus de vins que nous ne pourrons boire, nous sélectionnons ce qui sera bu et avec Jean-Philippe, le cornac de Veyrier du Lac, je décide de l’ordre d’entrée en scène.

La Roussette Marestel Dupasquier 1995 est le vin local, puisque ses vignes nous enserrent presque. Aussi aura-t-il l’honneur d’ouvrir les festivités. On sent les grains surmaturés. Il y a une très belle profondeur, un léger fumé. Quand il s’épanouit dans le verre, on a même des fruits confits.

Le champagne Dom Pérignon 1992 accompagne une délicieuse crème aux champignons et brioche de girolles. Le champagne attaque la bouche sobrement, avec la noblesse de Dom Pérignon. Puis, installé en bouche, il souffre d’un évident manque de coffre. La crème beurrée l’anime, mais cette année de Dom Pérignon est essoufflée.

Sur un foie gras très pur présenté sur une ardoise avec un persil plat caramélisé, le Grain Doux de Marie-Thérèse Chappaz, vin du Valais 2005 plait beaucoup à mes convives. Ils en font de beaux compliments. Je leur confesse que ce type de goûts est hors de portée pour moi. J’ai un blocage mental pour ces vins doux. En revanche, je n’arrête pas de glousser, je m’agite sur mon siège, tant le champagne « Substance » de Jacques Selosse, vin de mélange de plusieurs millésimes, composé ici en 2003 et qui titre 12,5° convient à mon palais. Il ne se décrit pas, il est éblouissant de profondeur, de race, de personnalité, d’expressivité. Je suis absolument sous son charme. C’est un immense champagne.

La langoustine juste saisie est d’une grande délicatesse. Le Montrachet Domaine Ramonet 1985 est impérial. Son nez me suffirait tant le parfum est captivant, dense, sensuel. En bouche, la longueur est infinie, la concentration pèse lourd sur la langue. Ce vin intense, imposant est une leçon de chose. Il y a du citron vert, puis, quand le vin s’épanouit, de la réglisse. Ce vin de grande concentration appartient à la perfection bourguignonne.

L’omble chevalier est goûteux et cuit audacieusement, ce qui lui convient. Trois vins très différents vont être bus ensemble. Le Chinon Varennes du Grand Clos, Charles Joquet 1990 provient de vignes pré phylloxériques.  Il a une belle attaque, expressive comme jamais on ne l’attendrait d’un Chinon. On est stupéfait devant cette précision et cette profondeur. Hélas, le final ne suit pas le rythme. Il délivre une vilaine trace animale qui gâche un peu le plaisir. Cela ne diminue pas la valeur absolue de ce grand vin. Le Cos d’Estournel 1986 a déjà vingt ans. Mais sa couleur est celle d’un enfant de cinq ans. Et en bouche, comment est-ce possible qu’il ait tant de jeunesse ? On se dit qu’il eût été opportun de le garder encore dix ans de plus. On sent quand même comme il sera grand. Je regarde les têtes lorsque l’on goûte le Château La Gaffelière-Naudes 1953. Ce vin est venu en voiture de Paris. Il a louvoyé sur les routes sinueuses de Savoie et n’a pas eu toute sa dose d’oxygène. Aussi le premier contact est rude. Fort heureusement il s’ébroue vite, et délivre enfin ce message de joie, de plénitude, de rondeur que je lui connais. Il est absolument magnifique et j’ai eu la joie que toute la table le comprît.

La chair du cerf est, une fois de plus, délicatement révélée, montrant la sensibilité romantique de ce jeune chef. La Mondeuse Arbin de Charles Trosset 1990 est un vin qui m’épate, car je n’attendrais jamais ce niveau. Je le trouve extrêmement floral, aux épices astucieusement dosées. La Côte Rôtie La Mouline Guigal 1989 est un monument. Je vois notre généreux ami qui s’agite sur son siège. Il rêvait d’ouvrir une Turque. Je l’y encourage. Aussi, une Côte Rôtie La Turque Guigal 1990 vint s’ajouter à ce festin. La première attaque de la Turque, c’est la brutalité. La Turque fonce, quand la Mouline affiche une fraîcheur fabuleuse. Avec un peu de temps, puisque la Turque est juste ouverte, le 1990 s’épanouit. Il étale son boisé, quand le 1989 est rond, fruité et beau. Nous avions eu La Landonne hier soir, voici la Mouline et La Turque ce midi (si l’on peut dire midi, car le lever de table se fit à l’heure où les bêtes rentrent à l’étable), quel florilège des plus beaux vins de cette région du Rhône ! Celui qui coule en bas sait-il qu’il va lécher bientôt des terres qui produisent parmi les plus grands vins du monde ?

Les desserts seront désassortis, soit aux pommes, soit au chocolat. Vous avez dit chocolat ? C’est un appel à l’un de mes vins de réserve. Il va venir. Nous avons en face de nous trois vins : un Ruster Rültander Ausbruch autrichien 1991 qui titre 12°, un « a » ambre, Christophe Abbet, vin du Valais 1997 et Château d’Yquem 1976. L’Ausbruch a une acidité spectaculaire. Il est séduisant au possible. Une fois de plus, j’ai du mal avec le vin du Valais et je ne m’y attarde pas. Ce n’est pas le vin qui est déficient, c’est mon palais qui n’est pas accueillant. Aussi je me concentre pour essayer de comprendre cet Ausbruch diablement tentateur. Mais quand quelqu’un dit qu’il surpasse Yquem, je réagis. Car Yquem, c’est Yquem, et nous verrons bien quand les verres auront donné de la respiration à chacun des deux vins que la concentration d’Yquem et sa structure sont conformes à sa légende. L’année 1976 est belle pour Yquem.

Le Maury La Coume du Roy de Madame de Volontat 1932 est l’ami du chocolat. Ce vin délicieusement arrondi a une trace pérenne en bouche. Il conclut ce repas comme un précieux bonbon.

Quel serait mon classement ? Montrachet 1985 très en avance, suivi par le champagne de Jacques Selosse. Je mettrais la Mouline 1989 puis La Gaffelières 1953. Des amis suggèrent d’inverser l’ordre du troisième et du quatrième. Peu importe. Il y avait tant de grands vins.

L’atmosphère du repas fut magique. Une communion d’idées, d’attitudes nous a tous marqués. Point besoin de juger, d’analyser les vins, de montrer sa science. La volonté de tous était de communier. Noël Dupasquier et le maire de Jongieux nous ont rejoints en fin de repas. Nous sommes allés chez Noël Dupasquier faire le plein de nos coffres avec quelques uns de ses vins. L’un des convives étant de Roanne, le petit groupe devrait se retrouver bientôt autour d’une table de cette cité où l’on compte des étoilés, et promesse fut faite de se retrouver aussi à Paris pour un repas de vins anciens. Nous avions tous le sourire aux lèvres et l’esprit chargé de souvenirs tant le partage généreux entre amateurs forge les amitiés.

Une bien jolie Landonne sur le lac d’Annecy jeudi, 12 octobre 2006

L’ami qui nous a fait découvrir le monde créatif de Marc Veyrat, véritable cornac de nos découvertes et émerveillements organise un déjeuner au restaurant d’Annecy dont le thème sera les champagnes Krug. Ce sera l’occasion d’aller rencontrer la veille des partenaires inconnus, dialoguistes virtuels d’un écheveau de partages d’expériences sur un forum sur le vin. Nous arrivons sur les rives du lac d’Annecy en un lieu qui pousse au romantisme et à la poésie. Une petite commune s’est installée sur une boucle du lac. Une congrégation religieuse s’y était abritée il y a quelques siècles. Nous y dormirons, face à ce bras du lac surplombé d’une dentelle de roches qu’un soleil presque couchant à notre arrivée teinte d’un rose hollywoodien.

Notre ami nous rejoint en ce lieu pour dîner. En l’attendant, je contemple avec effroi la liste des vins dont on nous dit (c’est écrit) que c’est une cave exceptionnelle. Il n’y a pas de quoi faire une telle déclaration. Mais c’est surtout l’extrême incohérence des prix qui me chagrine. Pourquoi Palmer 1966 serait il plus de quatre fois plus cher que Palmer 1990 ? Pourquoi Mouton 1954 serait-il plus cher que Mouton 1955 ? Et pourquoi les prix seraient-ils dix fois plus chers que ce que j’ai payé lorsque j’ai acquis ces mêmes bouteilles ? J’ai choisi les vins de ce soir surtout en fonction des prix, même si j’aime évidemment les vins que nous allons boire, en exploitant soit de bons achats, soit des erreurs de calcul. Le menu est bien écrit et laisserait penser que l’on dînerait bien. Hélas, il y a loin d’une description alléchante à une cuisine bien faite. Il eût fallu du talent. Ce soir, il était tombé dans le lac. Les coquilles Saint-Jacques avaient des saveurs de cantine (j’exagère bien sûr), le râble devait provenir d’un lièvre qui avait échappé à toutes les battues depuis au moins un siècle. Rajoutons à cela un service balbutiant comme celui du premier mois d’une école hôtelière. On comprend pourquoi je ne cite pas le nom de cette belle demeure aux chambres magnifiques, issues du goût que l’on avait au 17ème siècle, où les espaces étaient intelligents. Il y a la volonté de bien faire dans cette prestigieuse étape. Il faudrait simplement que cette abbaye se souvienne que le repas n’est plus, comme au temps des moines, un sujet de pénitence.

Et le vin ? Le Château Grillet, Neyret Gachet 1997 est conforme à ce que j’en attends. Il a le fumé classique de ce viognier dont l’année tempère l’ardeur, ce que j’adore. Loin de la puissance des Roussane et autres Hermitage, il est subtil, construit, mesuré, équilibré. Intense mais bien poli, il accompagnerait beaucoup de beaux plats de son ananas confit, de son vineux beurré, de son exotisme raffiné. Ce vin ne cherche pas les complications, et je trouve que son expression de 1997 me convient bien. La Côte Rôtie La Landonne Guigal 2000 est sans doute un vin qui pourrait encore attendre en cave avant d’être abordée. Mais c’était la seule année de la carte des vins. Ce vin ravit l’âme. Tout ici est calibré, mesuré, travaillé avec la plus extrême des intelligences. C’est juteux, c’est fruité, c’est terriblement simple d’apparence mais profond dans l’âme. Si l’expression : « le bon vin réjouit le cœur de l’homme » devait s’appliquer à un vin, c’est à celui-ci. Car tout en lui est naturellement joyeux.

Rien que pour ces deux vins je vais réviser à la hausse mon jugement sur le restaurant. Ils ont essayé de bien faire. Souhaitons-leur de savoir progresser. Ils l’ont d’ailleurs fait le lendemain car leur grenadin de veau avait belle allure ainsi que la joue de bœuf servie à mon épouse. Un jugement sur un restaurant ne peut pas être définitif après un seul essai.

un Bonnes Mares Louis Latour 1937 exceptionnel mercredi, 11 octobre 2006

Lorsque je suis allé en Californie pour rencontrer des amoureux du vin d’un forum, c’est une charmante Christine qui avait organisé la dégustation de 68 vins anciens de Californie. Tout le monde était venu en se disant que ce serait bien si la moitié des vins n’étaient pas morts. Aucun ne le fut. J’ai déjeuné avec Christine et un autre contributeur du même forum chez Patrick Pignol.

Nous avons commencé par un Stony Hill Chardonnay Napa Valley 1984 qui sur le premier goût m’évoquait du jus de pomme (chardonnay évolué), mais qui s’est animé sur des cèpes merveilleux pour prendre une belle patine. J’ai fait remarquer à mes convives que ce vin avec les cèpes prenait facilement 4 points Parker !

L’autre ami américain avait apporté un Corton Louis Petitjean propriétaire 1967 qui faisait un peu aigrelet au premier contact. Mais le Corton sur un Saint-Pierre, c’est un accord parfait. Car avec la chair délicieusement cuite (une cuisson d’une dextérité absolue), la légère acidité s’estompe.

Sur un miraculeux pigeon dont la sauce aigrelette avait un léger sucré, le Bonnes Mares Louis Latour 1937 a été spectaculaire. Ouvert à 10 h du matin, bu à 14 h, sa bouteille soufflée à la main impressionne, d’autant que l’étiquette est d’une rare beauté. Niveau très satisfaisant (pas plus de 5 cm sous le bouchon), odeur très agréable (le sommelier Nicolas m’a dit que l’odeur était splendide à l’ouverture, or je n’aime généralement pas trop quand c’est trop bon dès l’ouverture). En bouche, une rondeur, une plénitude fabuleuse. Le fait de prendre en bouche la sauce du pigeon, puis le vin faisait qu’on ne savait plus qui était qui de la sauce ou du vin. Un vin objectivement exceptionnel.

Nous avons fini sur un champagne de Sousa blanc de blancs 1996 que j’adore. Un champagne d’une jeunesse insolente et d’une exactitude de ton absolue.

Je ne sais pas si mes amis américains se sont rendu compte de la réelle perfection du Bonnes-Mares. Je dois dire que ce vin, d’un aspect remarquable, m’a complètement époustouflé.

vin d’une splendeur unique