Dîner de wine-dinners au restaurant de Guy Savoy jeudi, 19 janvier 2006

Dîner du 19 janvier 2006 au restaurant de Guy Savoy

Bulletin 168 – les vins et le menu

 

Les vins de la collection wine-dinners

Champagne Bisinger (Avize) 1953

Champagne Léon Camuzet SA # 1990

Champagne Salon « S » 1982

Puligny-Montrachet Boillot 1959

Château Haut-Brion 1976

Clos Sainte Hune Riesling Trimbach 1996

Cos d’Estournel 1954

Mouton-Rothschild 1938

Grands Echézeaux Domaine de la Romanée Conti 1976

Nuits Saint Georges « les Cailles » Morin Père & Fils 1915

Château Loubens, Sainte-Croix-du-Mont 1926

Château Guiraud, Sauternes 1893

 

Le menu composé par Guy Savoy et Eric Mancio

Mer…

Mosaïque en bouillon d’hiver à la truffe noire

Cabillaud à l’œuf, en salade et soupe

Ragoût de lentilles aux truffes noires

Soupe d’artichaut à la truffe noire, brioche feuilletée aux champignons et truffes

Suprême de palombe « potiron-cresson » à la mode d’hiver cuisse à la manière classique

Fromages affinés

Terrine de pamplemousse et thé

 

 

dîner de wine-dinners au restaurant Guy Savoy jeudi, 19 janvier 2006

Lors du dernier dîner que j’avais organisé chez Guy Savoy, l’un des plats avait joué à contre-emploi. Une telle occurrence ne me gêne pas, car au contraire elle met encore plus en valeur les accords parfaits. Mais le chef est fier. A Bourgoin-Jallieu, on n’aime pas les mauvais scores. Le prochain repas se fera en vérifiant la pertinence de chaque accord. Je suis donc le jour même, à l’heure du déjeuner, pour vérifier les thèmes de ce soir.

Petit amuse-bouche au foie gras et vinaigre de truffe. Cela fond dans la bouche. Deux préparations d’encornet exposent avec clarté les vertus de ce curieux animal qui change ici de goût comme il change de couleur selon ses humeurs. Ces petites portions expressives sont idéales pour rêver de ce qui va suivre.

Le chef de cabine de la « fonction » pain se présente. Il s’appelle Jonathan mais son accent est italien. Il se propose d’apporter un pain à chaque plat et commente ses choix. Le pain aux algues va « servir » le plat de mer. C’est délicieusement poétique. La mer accueillante, qui offre une bouffée d’iode avec le carpaccio de turbot aux algues, s’oppose à la mer cruelle, celle qui engloutit les marins naufragés, avec l’oursin et sa crème de potiron. Ce plat est extrêmement suggestif, comme une marine. Je réfléchis au vin qui lui irait bien. Ce n’est pas facile. Attendons.

Le pain à l’huile d’olive arrive avec le bel canto de mon guide en pain. Le plat qu’il annonce est de ceux qui charment mon cœur. L’élégance est brillante. Poulet, bouillon de volaille, foie gras et truffe sont dosés avec un talent fou. Pour quel vin ? Le Puligny sans doute. Mais pourquoi pas le Nuits Cailles ? Comme je navigue à vue, ne sachant ce qu’on veut me faire essayer, je suppute. Comme je suis seul, je pense. Ce serait le moment de créer une phrase à la Audiard comme celle des Tontons Flingueurs : « c’est curieux chez les marins ce besoin de faire des phrases ». Ce serait ici : « c’est curieux ce besoin chez les gens qui mangent seuls d’avoir des pensées ». L’idée qui me vient : « c’est quand même lui le plus grand ». Et lui, c’est Guy Savoy.

Dès que je vois le plat de cabillaud, c’est sûr, ce sont les deux bordeaux qui s’imposent. Je résume à ce stade : la mer et Salon 1982, foie gras et Haut-Brion 1976, cabillaud et les deux bordeaux anciens. Mais où va le Clos Sainte Hune. Or la deuxième partie du plat de poisson, à l’étage du dessous de l’assiette, exclut les bordeaux. On va donc démarrer le cabillaud sur le Haut-Brion 1976, suivre par le Clos Sainte-Hune 1996. Mon mentor ès pain se fait plus discret. Son pain ne va qu’avec la deuxième partie du plat. Il ne me l’a pas dit !

Le ragoût de lentilles et truffes, c’est solide, tranquille, et ça ira avec tous les vins. Il va se marier aux bordeaux d’années incertaines, un Cos 1954 et un Mouton 1938. Comme le marin qui fait des phrases, je pense que ramasser les miettes à chaque plat, au moment où l’on dresse les couverts du plat suivant, c’est très astucieux. Et changer le beurre en milieu de repas, c’est raffiné. La soupe aux artichauts et truffe, avec sa brioche au beurre de truffe ira évidemment avec le Grands Echézeaux du Domaine de la Romanée Conti 1976. Mais, toujours marin, je commence à avoir peur. Si après tant de plats on en est encore à la soupe, j’espère ne pas devoir goûter tous les plats de la carte ! La palombe appelle le Nuits Cailles 1915 par une évidente référence ornithologique.

Le roquefort du chariot de fromages n’ira pas avec Loubens 1926. Nous convenons de prendre des culs de fourme d’Ambert, la partie la plus dense de ce fromage, que l’on ira chercher chez le fromager attitré. Les différents desserts que j’essaie ne conviennent pas à l’image et au souvenir que j’ai du Château Guiraud 1893. Nous verrons par la suite, car il est temps maintenant que j’ouvre les bouteilles et que Guy Savoy les sente.

Eric Mancio observe mes gestes et mes réactions, sent avec moi les vins. Il n’y a que des bonnes surprises. Le Mouton 1938 est incertain. Car la densité fait penser à du caramel. Mais son nez indique qu’il va se réveiller. A ce stade, il sent exactement le plat qui est prévu pour lui. Le Puligny 1959 que j’avais annoncé « probablement madérisé » l’est. Mais on a parfois de belles surprises. Je ne peux pas piquer le tirebouchon dans le bouchon du Guiraud 1893, car il s’enfonce. Il tombe. Le niveau était parfait, la couleur magique. L’odeur invraisemblablement belle. Le vin sera transvasé dans une autre bouteille. Cette opération fait perdre quelques gouttes sur une assiette, ce qui permet à Guy Savoy de faire une analyse précise. Il avait prévu, lorsque nous avions fait le point à la fin du repas, de mettre beaucoup plus de thé pour adoucir son dessert d’agrumes. Là, il prédit le coing, fera appel aux gelées faites par son épouse, pour adoucir encore ce qu’il pressent d’un accord parfait. Il évoque la pomme ce qui ne me parait pas aussi évident. Je remballe mon matériel. Tout se jouera se soir.

Les convives arrivent avec une ponctualité remarquable. Deux hommes sont présents car ils bénéficient d’un cadeau de Noël de leur épouse. L’une n’est pas là, ayant envoyé son bordelais de mari seul en capitale, l’autre est là mais ne boit pas. Je la fais applaudir, puisque les portions de chacun seront plus généreuses. Un ami vigneron qui fait des Richebourg qui se vendent au prix de lingots tant il a de succès, un « ancien » de mes dîners qui a invité des amis bibliophiles, et un couple d’américains venus de Chicago vérifier si ce que je raconte sur un forum américain est aussi féérique que ce que j’écris. Sept inconnus pour deux connus, huit novices purs, se sont quittés cinq heures plus tard comme s’ils se connaissaient depuis toujours. Car l’ambiance fut animée, dynamique, passionnée, et certains ont connu des émotions qui marqueront leur vie. Brian et Lisa n’arrêteront pas de dire « oh, my God », tant les découvertes ont dépassé tout ce qu’ils ont imaginé.

Le menu avait été composé ce midi. Le voici : Mer… / Mosaïque en bouillon d’hiver à la truffe noire / Cabillaud à l’œuf, en salade et soupe / Ragoût de lentilles aux truffes noires / Soupe d’artichaut à la truffe noire, brioche feuilletée aux champignons et truffes / Suprême de palombe « potiron-cresson » à la mode d’hiver cuisse à la manière classique / Fromages affinés / Terrine de pamplemousse et thé.

Le champagne Bisinger (Avize) 1953avait été annoncé comme probablement madérisé. Je l’annonce imbuvable. Certains veulent tenter leur chance et confirment mon diagnostic. Je fais ouvrir un champagne Léon Camuzet non millésimé datant probablement du début des années 1990. Ce champagne est le champagne historique de ma famille fait par une cousine de Vertus, nom qu’il était tentant, pour de jeunes gamins, de faire précéder de l’adjectif « petite ». Beau champagne facile et fort goûteux, très adapté au foie gras poivré. La mer, ce plat aux évocations émouvantes accueille le Champagne Salon « S » 1982. Quelle perfection invraisemblable ! Le champagne est délicat, élégant, il a le grain de peau de Laetitia Casta, dont le lecteur aura compris au fil de ces bulletins que comme Obélix à l’égard de Falbala, je suis littérairement amoureux. Il ne me parait pas possible d’imaginer un plus beau champagne. Une distinction, une élégance sans égales, et Brian, mon voisin, se pâme, glousse de bonheur. Et les deux composantes du plat révèlent de belles nudités du champagne, comme l’odalisque de face et de profil. C’est l’oursin qui le provoque le plus suavement.

Le Puligny-Montrachet Boillot 1959 avait été annoncé aussi comme probablement madérisé. Mais là, l’expérience se justifie. On peut essayer et même aimer car le plat d’un équilibre serein accepte toutes ses composantes. Vin fumé, insistant, que le bouillon et le foie gras complexifient. A ce stade, je vois un ou deux convives qui se disent (j’imagine), un champagne mort, un champagne de petite extraction, même s’il est bon, un Puligny dont le ticket n’est plus vraiment valable, ça démarre sous de fâcheux auspices. Leur sourire final va gommer cet instant de doute.

Le choix d’un rouge et d’un blanc sur le même plat est osé. J’en suis assez fier. Car le Château Haut-Brion rouge 1976 est exactement adapté à la chair du cabillaud qui lui apporte en retour une grâce, une puissance rassurante. C’est un beau Haut-Brion que j’ai rajouté pour compenser les risques des premières bouteilles. Et la crème virile de la deuxième partie du plat navigue bien avec le Clos Sainte Hune Riesling Trimbach 1996 qui est décidément un Riesling parfait. Un peu trop puissant pour le plat, il trace son empreinte en bouche sans que le plat ne la fasse dévier, comme un supertanker coupant le sillage d’un dinghy. L’expérience est belle, car les tons des deux parties du plat sont respectés par ces vins disparates.

Lentilles et truffe, c’est un plat de haute sécurité, car c’est un faire-valoir idéal. C’est Michel Drucker faisant une interview. Le Cos d’Estournel 1954 est une immense surprise. Le nez est absolument idéal. On se demande comment c’est possible pour un 1954, mais ce vin est là, devant nous, d’un nez parfait. En bouche il est joliment accompli, mais l’on sent quand même la limite logique de l’année. Le Mouton-Rothschild 1938 qui l’accompagne a un nez plus ingrat mais convenable. En bouche on sent une matière beaucoup plus forte que celle du Cos d’Estournel. Malgré l’âge et la petite année, le vin est charnu, soyeux, velouté. Un vin très intéressant, même si sa longueur n’est pas celle des belles années. Mon ami vigneron l’apprécie beaucoup.

Guy Savoy venu nous saluer suppute que l’accord le plus beau sera celui du dessert. Je lui dis que je suis persuadé que c’est celui qui va venir. Je le pense encore maintenant qu’on a jugé. La soupe aux artichauts est magique. Et le Grands Echézeaux Domaine de la Romanée Conti 1976, au charme interlope ramasse la mise. Il accroche chaque molécule du plat pour en faire son complice. Le vin est charmeur, complexe, envoûtant et le plat le conforte magnifiquement.

A voir la facilité, l’aisance du Nuits Saint Georges « les Cailles » Morin Père & Fils 1915, vin que j’ai souvent mis dans mes dîners, on aurait tendance à penser que tous les vins de 1915 ont la même jeunesse que des vins de 1989. C’est tellement facile. La palombe est évidemment calibrée pour mettre en valeur ce vin lourd et long en bouche. Ce qui me frappe, c’est sa sérénité, sa facilité. Autant les vins du Domaine de la Romanée Conti s’amusent à compliquer le message en bouche pour un plus grand plaisir, autant ce vin explicite rassure le palais. C’est magnifiquement beau. Ce vin banalise l’exceptionnel.

Le Château Loubens, Sainte-Croix-du-Mont 1926 est certainement la plus grande surprise de la soirée pour moi, et chacun ressent le même étonnement. Comment un Sainte-Croix-du-Mont peut-il être aussi exceptionnel ? J’ai acheté cette bouteille au château, d’un conditionnement récent. Elle a la complexité de grands sauternes, ce qui est paradoxal, et une typicité d’agrumes rare. Son nez m’avait impressionné à l’ouverture. Ce liquide doré, soutenu par une fourme très exacte a enchanté tous les convives.

Le Château Guiraud, Sauternes 1893 est un monument. Son bouchon très beau et d’origine avait glissé dans la bouteille à l’ouverture. J’ai dû transvaser le vin dans une autre bouteille discrètement avinée au Tokaji, et cet afflux d’oxygène a encore renforcé ce liquide incomparable. C’est la définition d’un sauternes de charme, allant vers des teintes de thé, des arômes de coing et d’agrumes. En bouche, c’est d’une complexité absolue où le thé abonde avec les fruits les plus complexes. Une trace immense de charme et de variété. Le dessert n’a pas correspondu à l’intention de Guy Savoy. Il ressemblait plus à ce qui me fut présenté ce midi qu’à ce que Guy avait envisagé. Un peu trop brutal, le dessert n’a pas atteint son but. Le Guiraud a brillé seul, impérial, magistral.

Huit vins de suite ont brillé, effaçant l’éventuelle crainte instantanée d’un ou deux des convives. Les votes se concentrèrent sur les vins de la deuxième partie, le Grands Echézeaux DRC 1976 étant le plus couronné de votes avec trois places de premier et trois places de second sur neuf votants. Il est suivi du Nuits Cailles 1915 avec deux votes de premier, le Cos d’Estournel récoltant un vote de premier sur sept votes, le Guiraud 1893 une place de premier sur deux votes et le Haut-Brion 1976 une place de premier sur un vote. Je fus le seul à mettre le Guiraud en premier, car je suis sensible à ce message lourd d’énigmes et de subtilités insoupçonnées.

Mon vote fut : Château Guiraud, Sauternes 1893, Château Loubens Sainte-Croix-du-Mont 1926, car je n’ai jamais vu un vin de cette appellation à ce niveau, Nuits Saint Georges « les Cailles » Morin Père & Fils 1915, et Grands Echézeaux Domaine de la Romanée Conti 1976.

Les accords furent d’une belle justesse, la truffe servant de fil conducteur. L’accord le plus excitant est celui de la soupe d’artichaut avec le Grands Echézeaux, je le savais d’instinct. Le mariage le plus sûr est celui de la chair du cabillaud avec le Haut-brion car chacun apporte quelque chose à l’autre. Le plat de mer donne des frissons de joie gastronomique. Chacun a pu trouver une saveur qui sera sa madeleine de Proust.

Mes hôtes américains jubilaient, entrant dans une forme de gastronomie inconnue avec des vins introuvables, mes convives français constataient que la pièce qui était jouée devant eux était d’une histoire plus riche que ce qu’ils avaient imaginé. L’atmosphère était si belle que personne ne quittait la table. Je rentrai chez moi à deux heures du matin, fourbu de cette lourde semaine, heureux d’avoir montré à ces esthètes attentifs l’intérêt de cette planète des vins anciens et de haute gastronomie où je les ai entraînés. L’envie de revenir chatouillait déjà le plus grand nombre. Mes vins n’attendent qu’eux.

 

Dîner de wine-dinners au restaurant le Pré Catelan mardi, 17 janvier 2006

Dîner du 17 janvier 2006 au restaurant  le Pré Catelan

Bulletin 167 – les vins et le menu

Les vins de la collection wine-dinners

Champagne Pâques Gaumont (Trépail) Brut SA (vers 1970 ou avant)

Champagne Dom Pérignon Œnothèque (dégorgé en 2002) 1988

Château Rayas blanc Châteauneuf du Pape 1997

Domaine de Chevalier blanc 1947

Château La Conseillante Pomerol 1947

Grand Chambertin Sosthène de Grévigny 1919

Léoville Las Cazes 1979

Vosne Romanée Cros Parantoux Henri Jayer 1979

Château d’Yquem 1960

Gewurztraminer Sélection de Grains Nobles Hugel 1997

Le menu composé par Frédéric Anton et Olivier Poussier

Chateau La Conseillante 1947

Amuse-bouche, Royale de foie gras

Oursin, fine gelée au paprika, aromates vinaigrés, Zéphyr

Langoustine, préparée en ravioli, servie dans un bouillon à l’ huile d’olive vierge, au parfum « Poivre et Menthe »

Os à moelle, l’un parfumé de poivre noir et grillé en coque, l’autre farci d’une compotée de chou à l’ancienne, mijotée dans un jus de rôti

Truffe, tarte croustillante, petits oignons confits

Chevreuil, poêlé, sauce poivrade « Poivre et Genièvre », pâtes au beurre demi-sel et truffe noire

Fromages bleus

Mangue aux épices

dîner de wine-dinners au Pré Catelan mardi, 17 janvier 2006

Grand Chambertin Sosthène de Grévigny 1919, Château La Conseillante Pomerol 1947, Gewurztraminer Sélection de Grains Nobles Hugel 1997, Léoville Las Cazes 1979 et bien d’autres

J’arrive au restaurant du Pré Catelan pour ouvrir les bouteilles du 62ème dîner de wine-dinners. Une chose me trotte dans la tête. Je venais de déjeuner chez Laurent il y a quelques jours et j’y avais rencontré par hasard Olivier Poussier, meilleur sommelier du monde, conseiller du groupe Lenôtre. Il m’avait dit alors : je vais mettre les deux rouges de 1979 ensemble et les deux anciens ensemble. Surprise, car si je ne l’avais vu par hasard, je ne le saurais pas. Opposer sur un plat un bordeaux et un bourgogne, et ce deux fois de suite, j’accepte, car on apprend de chaque expérience. Ce sera une première. J’en tirerai des leçons. Mais finir le repas sur un Gewurztraminer quand il y a Yquem au programme, là, on ose !!!

Je veux vérifier à l’ouverture si cette innovation se justifie. Le Gewurztraminer est une explosion d’odeurs. Pour moi c’est du litchi alors qu’on lui destine un dessert à la mangue. Voilà qui va encore compliquer les choses. L’Yquem dégage un parfum d’une telle distinction qu’on ne voit pas pourquoi ne pas lui donner le mot de la fin. D’autant qu’un fromage calmerait l’ardeur du tout fou Hugel, quand la mangue irait logiquement au cœur d’Yquem, avec ces arômes de mangue et abricots si rassurants. Comme j’aime les découvertes, les innovations, nous verrons.

La plus belle bouteille, malgré la déchirure de l’étiquette, c’est celle de Domaine de Chevalier blanc 1947. Et les senteurs les plus éblouissantes sont celles de La Conseillante 1947, d’une pureté de ton invraisemblable, et celle du Grand Chambertin, odeur prodigieuse. Ces deux vins seraient à montrer dans les écoles,pour qu’on puisse apprendre ce qu’est une odeur parfaite. Assis devant ces deux flacons d’immédiat après-guerre, La Conseillante 1947 et le Grand Chambertin qui est de 1919 et non de 1929 comme annoncé, je songe : j’ai devant moi ce qui peut se rêver de mieux, si l’on parle de l’odorat. Et ça me suffit. Je n’y trempe pas mes lèvres, ce sera pour ce soir, mais ces senteurs quasi irréelles suffisent à mon bonheur.

Le Henri Jayer attend son heure et n’en révèle pas trop. Le Las Cases lui aussi cache ses cartes (il a un joli bouchon efficace). Le Rayas a déjà le pied sur l’accélérateur.

Frédéric Anton est venu plusieurs fois sentir ces vins magiques et cela me plait qu’un chef s’y intéresse. Ce fut sans doute une des plus belles séances d’ouverture des vins, moment que j’apprécie, car je vois comme chaque vin se présente, dans le simple appareil olfactif de sa sortie de sommeil, et je m’en souviendrai quand il fera son exposé, orateur à la voix posée quand le plat le lui demandera. L’émotion des ouvertures est enrichissante et très forte pour moi.

Le menu mis au point par Frédéric Anton et Olivier Poussier est le suivant : Amuse-bouche, Royale de foie gras / Oursin, finegeléeaupaprika, aromates vinaigrés, Zéphyr / Langoustine, préparée en ravioli, servie dans un bouillon à l’ huile d’olive vierge, au parfum « Poivre et Menthe » / Osàmoelle, l’unparfumédepoivrenoiretgrilléencoque, l’autrefarcid’une compotée de chou à l’ancienne, mijotée dans un jus de rôti / Truffe, tarte croustillante, petits oignons confits / Chevreuil, poêlé, saucepoivrade « PoivreetGenièvre », pâtes au beurre demi-sel ettruffe noire / Fromages bleus / Mangue aux épices. C’est une très large palette des talents de Frédéric Anton.

L’assemblée est composée d’un couple de luxembourgeois amateurs de vins, d’un ami grec et armateur, ce qui est presque un pléonasme, accompagné d’un autre armateur mais canadien, une journaliste qui travaille pour une revue américaine de luxe, la plus fidèle participante de ces dîners arrivée la première pour une fois (incroyable) et son ami qui accueillaient un autre couple. A part mon amie, huit novices de ces dîners ont repoussé de très loin l’année du plus vieux vin qu’ils aient jamais bu.

 

dîner chez des amis samedi, 14 janvier 2006

Chez des amis, un champagne Bollinger RD 1975. La première bouteille est un peu fatiguée. La deuxième est immense, témoignage d’un savoir-faire rare. Sur des joues de porc au pain d’épices, jus au thé, accompagnées de légumes oubliés, je suis incapable de reconnaître à l’aveugle un Hermitage la Chapelle Jaboulet 1985 alors que je l’ai souvent bu. Une Côte Rôtie La Turque 1997 Guigal est toujours aussi agréable, car l’année calme lui va bien.

Un Richebourg DRC à multiples facettes vendredi, 13 janvier 2006

Une réunion d

Une réunion de banque au Jockey Club. On apprend des choses définitives sur l’évolution financière du monde. Un participant semble sympathique : « on devrait déjeuner ensemble / on partage /j’apporte une bouteille ». On se retrouve au restaurant Laurent.

J’arrive en avance

J’arrive en avance pour ouvrir une bouteille de Richebourg du Domaine de la Romanée Conti 1956. Décidément, certaines années sont propices aux niveaux bas. Je m’attends à sentir l’odeur de terre de la cave de la Romanée Conti. Nenni. Le haut du bouchon est sec et sent la poussière. Le corps du bouchon est gras, et sent atrocement le vinaigre. Le vin senti au goulot exhale des senteurs qui promettent d’intéressantes perspectives, complètement opposées au message du bouchon. Nous verrons.

Mon convive commande tête de veau et pied de porc, la tête et les jambes, je commande escargots et pieds de porc, tout cela est particulièrement français. J’appelle à la barre, puisqu’il faut un témoin de poids un Riesling Clos Sainte-Hune Trimbach 1976. L’odeur est magnifique, d’une classe folle. La couleur est d’un or jaune réjouissant. Je suis un peu étonné qu’en bouche, la trace citronnée appuyée occulte le message de Riesling. Je n’en dis rien, mais le vin est effectivement un peu limité, loin des perfections que ce millésime m’a déjà réservées. Le cromesquis servi en amuse-bouche est absolument délicieux.

Quand apparaissent les pieds de porcs, il serait peut-être temps de penserau Richebourg, mais je voudrais que le Riesling ait l’occasion de briller, car je le sens – rien qu’en voyant l’assiette – fait pour le plat. Et c’est un accord de rêve. Sur le dernier quart du plat (un porc a toujours quatre pattes), je verse le Richebourg. Un nez assez envoûtant de bourgogne ceint d’une tenture lourde. Le vin est objectivement fatigué, mais il raconte des histoires de Bourgogne. Il y a de la poussière, surtout du sel, mais on sent en filigrane l’autiste qui voudrait parler. Il y a un message qui ne demande qu’à être lu. Alors, selon que l’on sera rigoriste ou bienveillant, on aura un bourgogne fatigué ou un parchemin qui guide vers un trésor. Ce message balbutié m’a plu.

J’avais promis à Patrick Lair de lui faire goûter, mais le service n’attend pas. Aussi, après le service, nous voilà, Philippe Bourguignon, Patrick, Guislain, devant le dernier vestige, le plus concentré, et Olivier Poussier, qui était de passage, nous rejoint. J’avais pris la précaution de dire : « voici le témoignage d’un vin en fin de vie ». Or à ma grande surprise, chacun de ces grands palais va vanter les mérites de ce vin, l’un lui trouvant un beau fruit, l’autre s’extasiant devant la pureté du message. Philippe est manifestement surpris de le voir si beau. Le vin avait survécu, et bien. Il faut bien se méfier des impressions hâtives.

J’avais donné rendez-vous à un ami expert en vins après ce déjeuner. Je lui fais goûter le Riesling. Comme moi, il trouve le parfum d’une race immense, mais le palais un peu court, pas assez à l’image de cette icône. Et l’odeur du Richebourg, puisqu’il ne restait plus que ça, l’a subjugué. Ce vin, en dégustation comparative, serait mis au placard. Seul, on l’écoute, et l’on voit qu’il raconte de belles histoires bourguignonnes. N’est-ce pas le principal ?

dégustation de vins de Nicolas Joly mercredi, 11 janvier 2006

Manifestation des caves Legrand. Exposé sur la biodynamie

Gérard Sibourd

Gérard Sibourd-Baudry m’annonçant le programme des prochaines dégustations des Caves Legrand, j’entends le nom de Nicolas Joly. Instantanément ma réponse fuse : « je viens ». Nous avions échangé des mails et des propos au téléphone. Je voulais donc enfin voir ce personnage du monde du vin.

Nicolas Joly venait de tenir la réunion annuelle de son groupe de vignerons qui pratiquent la biodynamie, au cours de laquelle sur 25 candidats, huit avaient été agréés dans ce saint des saints. Aussi eûmes-nous l’impression très vite que Nicolas Joly continuait avec les 17 participants de cette soirée dégustation le conseil d’administration qu’il avait tenu peu avant. Orateur infatigable, au verbe précis et volontiers poétique, aux phrases belles et sensées, au débit et aux tics de Fabrice Luchini, Nicolas Joly a captivé un auditoire de jeunes amateurs acquis à ses thèses, dévots de ses conceptions.

J’ai été captivé pendant les dix premières minutes – mes voisins pendant plus longtemps – car je n’aime pas trop que l’on affirme ses convictions en stigmatisant « les autres », qui n’auraient rien compris, détruiraient la planète, feraient des mauvais produits, etc. Le message aurait plus porté, à mon sens, sans cet excès ayatollesque. Mais le corps du message m’a emballé, et c’est le principal, parce que, mine de rien, on remet à l’honneur des pratiques ancestrales moins théorisées, mais pratiquées. L’exergue de mon livre comporte cette phrase : « ce livre est dédié aux vignerons des années 1000 à 1500 qui ont inventé les vins d’aujourd’hui ». Ce message gentiment provocateur voulait indiquer que ce sont mille ans d’expériences qui ont conduit au vin d’aujourd’hui et non pas seulement les trente dernières années où certains pensent que tout a été inventé. A ce titre, le message de Nicolas Joly, doté d’une belle dose de bon sens, d’une écologie saine, mérite l’intérêt et le respect.

Nous devions goûter huit vins, quatre de Nicolas Joly et quatre de vignerons biodynamiciens. Notre orateur étant arrivé au moment de faire sa conférence, les vins n’ayant pas respiré, ce que nous avons bu se présentait de la pire des façons. Il eût fallu cinq heures d’oxygène pour qu’ils délivrent le message attendu. Je ne les décrirai donc pas, pour ne pas critiquer de bons vins. Je signalerai seulement que les vins de Nicolas Joly lui ressemblent : ce sont des vins militants. Ils dégagent une personnalité extrême, sans concession, où le charme n’est pas recherché, mais une tonalité de terroir brutale, poussée à l’extrême. C’est certainement le temps qui donnera raison à ses choix, car j’imagine ses vins au sommet de leur art quand ils auront une vingtaine d’années de bouteille. Sur les huit vins, ce furent les deux derniers les plus beaux, signe de l’importance déterminante de l’oxygène. Le Vouvray « le Mont » demi-sec de Huet 2002 raconte des milliers d’histoires, c’est un bouquet de fleurs, un panier de fruit blanc. Ce vin est joyeux.

Le vin Les Calcinaires de Gauby de 1999 m’a poussé à écrire sur ma feuille de notes : « ça, c’est du vin ». Ça respire le vin joyeux, simple, un peu limité, mais tellement sincère.

C’est la première dégustation à laquelle j’assiste au cours de laquelle le conférencier ou l’animateur n’a pas dit un seul mot sur aucun des huit vins présentés. Je suis un peu resté sur ma faim, car ce personnage passionnant a de belles choses à dire. Son discours est affaibli par la critique systématique de tout ce qui n’est pas sa voie. La jeune assistance a adoré ses propos Bovéiens. C’est sans doute eux qui ont raison.

Deux phrases que j’ai glanées au sein de propos sur les champs magnétiques, l’influence des planètes, les forces de gravité et de vie : « la vigne adore la présence des animaux », et « la cave n’est pas une usine quand la vigne a bien travaillé ». On ne se lasserait pas d’écouter de tels propos s’ils n’éreintaient pas tout autour. C’est un homme à suivre.

galerie 1916 lundi, 9 janvier 2006

Chateau Malartic Lagravière 1916 éblouissant, qui a subjugué tous les convives.

 Chateau Latour 1916 sans étiquette, de très beau niveau, au bouchon d’origine. Sera bu le 25/01/2007 chez Jacques Le Divellec.