Chateau Haut-Brion 1922 bu en janvier 2006. Etonnant au delà de l’envisageable. Aussi grand que des 26 ou 28.
Romanée Conti DRC 1922
Chateau Haut-Brion 1922 bu en janvier 2006. Etonnant au delà de l’envisageable. Aussi grand que des 26 ou 28.
Romanée Conti DRC 1922
Soirée thématique aux Caves Legrand. J’en avais informé les lecteurs du bulletin que je touche par email, sans réellement savoir ce qui allait se passer. Des fidèles d’entre les fidèles m’ont fait le plaisir de m’y retrouver. Certains, constatant qu’il s’agissait de musique, et venus pour me dire un petit coucou, ne sont pas restés. Qu’ils m’excusent. Le thème central était un trio, piano, basse et trompette qui fut rejoint en cours de route par un saxophoniste particulièrement brillant. Très belle émotion d’interprètes de talent, aidés par une salle de connaisseurs. Musique et vin font bon ménage. De grands standards d’un bon jazz classique communiaient avec un Sancerre blanc 2003 très pur et une belle cuvée 2000 d’Alphonse Mellot. Il y a de l’expression bourguignonne dans ce Sancerre. Le Sancerre rouge 2004 Alphonse Mellot correspond moins à mon goût. Trois auteurs signaient leurs livres. J’en étais. Je retrouvais quelque trente à quarante ans plus tard des amis de jeunesse. Discussions passionnées avec des grands amateurs qui se poursuivirent au petit bistrot d’à coté qui avait fermé sa cuisine. Mais on pardonne tout aux serveuses belles comme des déesses quand elles vous l’annoncent. Ces jeudis de Legrand sont de frais moments de détente.
Lorsque j’ai créé le site de wine-dinners, il fallait faire de belles photos. Pour mettre des bouteilles "en situation", j’ai ouvert cette bouteille et le liquide dans les verres est bien du Chypre 1845. Qu’on ne s’inquiète pas. Ce fut bu !
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Dîner de wine-dinners du 20 octobre 2005 au restaurant Laurent
Bulletin 157
Les vins de la collection wine-dinners
Magnum de champagne Rothschild à Epernay Réserve Vintage 1973
Laville Haut-Brion blanc 1976
Saint Saturnin rosé grande sélection, VDQS de l’Héraut cuvée 1959
Château Ausone 1955 (le deuxième 5 est supposé)
Magnum de Château Grand Lambert, Veuve Blanchet Ména, Pauillac 1924
Nuits les Cailles, Morin 1915
Sauternes Joanne, appellation contrôlée vers 1950
Château d’Yquem 1949
Le menu composé par Alain Pégouret et Philippe Bourguignon
Saint-Jacques marinées dans un lait crémeux au goût fumé, folichonne de concombre et raifort
Cuisses de grenouilles et haricots coco façon blanquette, jus en écume et noix de muscade
Jarret de veau de lait cuit doucement, légumes de chez Joël Thiébault rehaussés d’un jus acidulé
Râble de lièvre rôti au genièvre, mille-feuille de pomme gaufrette au chou rouge
Poire pochée au tilleul de Carpentras, mont-blanc et meringue mi-cuite
Le 59ème dîner de wine-dinners se tient au restaurant Laurent. Je me dirige vers cette belle rotonde que l’on voit de l’entrée, donnant sur le beau jardin aux marronniers complices. Une supernova m’aveugle. Patrick Lair, en m’attendant, a disposé les bouteilles du repas face au jardin, et Yquem 1949 brille comme un lourd diamant jaune sur les doigts d’une fée. Les niveaux des bouteilles sont tous exceptionnels, alors que toutes sauf une n’ont jamais été rebouchées. Le Château Grand Lambert 1924 a été rebouché en 1984. Les bouchons sortent facilement. Celui de l’Yquem s’effrite car il est très imbibé, celui du Nuits 1915, d’origine, fait tomber le monopole qu’avaient les vins de la Romanée Conti, car sous la capsule un fort sédiment sent la terre comme le constatera Christèle, charmante sommelière de précédents dîners, qui s’intéressait, comme Patrick Lair, aux odeurs de ces merveilles. Tous les parfums sont idéaux, pas de menace d’évanouissement et au contraire, il se dégage tant d’envoûtement de la bouteille d’Yquem que je referme bien vite afin que ces senteurs enivrantes soient partagées par tous mes convives. Tout s’est si bien passé, dans l’ambiance amicale de ceux qui préparent un chef d’œuvre, qu’un observateur de passage aurait dit : « c’est si simple que cela ? ».
Je me promène dans le quartier lourd en antiquaires et en boutiques de mode exhibant des robes portées par des déesses de plastique et je reviens pour accueillir les convives. Il y a un journaliste japonais qui rapportera sans doute l’événement à des connaisseurs qui ont une érudition rare, un journaliste d’un grand hebdomadaire qui racontera le dîner (certains d’entre vous l’auront lu), le rédacteur en chef d’une revue professionnelle sur la viticulture qui aura approché une autre vision du vin, des jeunes mordus de mes dîners qui étranglent une nouvelle fois leur cagnotte, mon frère et son épouse qui voulaient voir enfin ce dont on parle souvent en famille car je ne peux m’empêcher de raconter ces aventures, un ami de quarante ans, à l’époque où l’on se disputait les prochaines danses dans des rallyes, entre deux épreuves de mathématiques, et la plus fidèle de ces dîners, qui a probablement assisté à un bon tiers d’entre eux, dont l’enthousiasme est l’un de mes forts encouragements.
Nous prenons au bar une coupe du magnum de champagne Rothschild à Epernay Réserve Vintage 1973 qui surprend par la jeunesse de sa bulle. La couleur est belle et dense, les petits toasts au saumon glissent en bouche avec bonheur et excitent cette belle bulle. Le goût s’est arrondi, concentré, et c’est un vin qui s’est simplifié, mais a gagné une longueur et une expressivité vineuse rares. Je ne m’attendais pas à tant d’élégance de ce champagne que je ne connaissais pas. Nous reprenons ce champagne à table. Il est donc opportun que je vous en donne le menu.
Le menu composé par Alain Pégouret et Philippe Bourguignon : Saint-Jacques marinées dans un lait crémeux au goût fumé, folichonne de concombre et raifort / Cuisses de grenouilles et haricots coco façon blanquette, jus en écume et noix de muscade / Jarret de veau de lait cuit doucement, légumes de chez Joël Thiébault rehaussés d’un jus acidulé / Râble de lièvre rôti au genièvre, mille-feuille de pomme gaufrette au chou rouge / Poire pochée au tilleul de Carpentras, mont-blanc et meringue mi-cuite. Nous nous connaissons tant avec Philippe Bourguignon que j’ai approuvé sa proposition sauf sur un plat. Malgré mon amour inconditionnel du lièvre à la royale et malgré la confiance indéfectible que j’ai pour mon Nuits Cailles 1915, j’ai demandé un râble. Là aussi, l’observateur de passage de tout à l’heure, s’il était revenu pour ce dîner aurait encore dit : « c’est si simple que ça ? », tant tout apparaissait naturel, facile, sans la moindre question.
Entre temps, la bulle du champagne s’évanouissait petit à petit, le champagne devenait plus vineux, et avec le sucré des coquilles Saint-Jacques, l’accord était magique, perturbé par cette folichonne de concombre excentrique mais pas par le raifort qui donnait une excitation justifiée au champagne.
On allait goûter deux vins sur les cuisses de grenouille. Le Saint Saturnin rosé grande sélection, VDQS de l’Héraut cuvée 1959 a une couleur d’un beau rubis raffiné, un pâle de Ceylan. Le nez est renversant de pureté, et j’ai adoré au-delà de l’imaginable ce rosé qui arrivait à exister à coté d’un des monstres sacrés de Bordeaux, le Laville Haut-Brion blanc 1976 qui dans cette année sèche et chaude explose de puissance alcoolique et de complexité. L’émulsion et les haricots coco formaient avec le rosé un accord qui prenait au ventre. Objectivement le rosé allait mieux avec le plat que le Laville, puissant, sûr de lui, qui méritait les vivats pour son talent intrinsèque. Le plat est une merveilleuse mise en valeur des vins.
Comme dirait un présentateur télé, c’est sous un tonnerre d’applaudissement que trois cheminées de centrales atomiques, trois jarrets de veau cuits vingt heures apparaissaient à notre table. J’avais annoncé dans le programme : Château Ausone 1955 avec cette mention : le deuxième 5 est supposé. J’avais bien supputé car le bouchon impeccable et d’origine révéla Château Ausone 1955. L’odeur d’emblée était sensuelle. Ausone nous annonçait : ce coup-ci, je ne joue pas les rosières pudiques, je vous montre ce que je sais faire, et sur la délicieuse viande, un chaud vin de plaisir, rond en bouche, profond comme seuls les grands savent l’être ravit chacun des convives. Et le Magnum de Château Grand Lambert, Veuve Blanchet Ména, Pauillac 1924, comment se comporterait-il ? Il évolua grandement dans nos verres. La première odeur fut plus sensuelle que celle de l’Ausone, le palais étant plus frêle. Puis, on commence à comprendre un peu plus le vin au message subtil. Dire que c’est un Pauillac n’est pas aisé. J’ai eu peur en milieu de bouteille car je sentais le vin qui se fermait, mettant en avant son acidité. Et tout est revenu, le vin s’améliorant encore pour délivrer en fin de bouteille un message de pur charme à la longue trace raffinée. C’est du velours, du tissu délicat à coté d’un Ausone conquérant, une magnifique et rassurante réussite de cette année.
Ma belle-sœur qui a vécu toute sa jeunesse à Bordeaux, a tété le Bordeaux à sa source, allait avoir un de ces chocs tragiques, quand des vérités que l’on croyait intangibles s’effondrent sur une gorgée de vin. Le Nuits les Cailles, Morin Père & Fils 1915, le même que celui qui avait séduit Alain Senderens il y a quelque temps (bulletin 45), est tellement parfait qu’on ne peut plus ignorer la grandeur de la Bourgogne. Le râble lourd, goûteux forme avec ce vin extraordinaire un accord viril. Comment expliquer quand un vin a tout pour lui. C’est George Clooney invité dans un pensionnat de jeunes filles. C’est Catherine Zeta-Jones arrivant dans une réunion de collectionneurs de timbres. Toutes les dentelures vont s’écorner. Jeune de couleur dans sa bouteille soufflée très ancienne et lourde, au nez précis de pur bourgogne, ce vin a tous les dons, dont celui de l’exactitude de ton. Difficile d’ajouter des caractéristiques quand on a la définition précise du bourgogne que l’on désire.
Le sauternes Joanne, appellation contrôlée, que j’ai situé vers 1950 a été l’objet d’une question que Patrick Lair a posée à Olivier Castéja, en lui décrivant l’étiquette au téléphone. De recoupements effectués on peut penser qu’il est de 1950 à 1955, avec cette jolie inscription : « expédié en cercles par Joanne ». En cercles, on peut supposer à bon droit que c’est en fûts. Le vin a une couleur qui ne pâlit pas à coté de celle d’Yquem, mais par précaution on va le boire avant, sur un délicieux dessert qui répond à mes désirs, car il n’y avait que trois saveurs, toutes complémentaires. Une poire délicate qui montrait tout le coté virginal et frêle du Joanne, une crème de châtaigne qui le renforçait et un marron glacé qui lui, allait affronter l’Yquem. Beau sauternes générique de pur plaisir comme le fut le rosé du début de repas. Quand Château d’Yquem 1949 arrive, on se tait. Cet or profond comme de l’acajou blond, ce parfum inimitable que seul Yquem possède, et puis en bouche, ce lourd jus de pure jouissance à la persistance infinie. C’est précis comme la Vénus de Milo, attirant comme le sourire de Laetitia Casta, et solennel comme le couronnement de Napoléon 1er. Il y a tout dans ce vin là.
Les votes de premier couronnèrent cinq fois Yquem, trois fois le Nuits Cailles, une fois Ausone et une fois le Laville Haut-Brion. Les plus votés furent Yquem, Nuits Cailles, Ausone et le champagne.
Mon vote personnel fut dans l’ordre : château d’Yquem 1949, Nuits Cailles Morin 1915, Champagne Rothschild 1973 et le rosé Saint-Saturnin 1959. Bien sûr, le rosé n’a pas la classe ni d’Ausone, ni du Laville Haut-Brion. C’est donc par pure coquetterie que je veux honorer ce sans grade du fait d’un accord merveilleux avec les grenouilles. De même, l’émotion était plus rare avec le Nuits Cailles 1915 qu’avec l’Yquem. Plus inespérée, plus inattendue. Mais l’Yquem est tellement parfait que je voulais primer cette forme ultime de l’accomplissement du vin.
Des plats merveilleux d’une simplicité sereine, un service du plus haut niveau. L’un des plus beaux accords de dessert et sauternes, puisque c’est souvent la partie qui pèche le plus, quand le pâtissier fait un dessert comme un dessert et non pas comme un goût adapté au sauternes. Des vins sublimes, une atmosphère joyeuse. Comme après chaque dîner on se dit que ce fut le plus grand.
Les hommes politiques ont compris que l’on n’est plus jugé sur son efficacité mais sur des postures. Alors, la France est morose car elle n’est plus gérée. On ne cherche plus la pertinence d’un plan de relance mais ce qui taraude les dîners en ville, c’est la compétition entre des dauphins (c’était écrit avant les émeutes, je l’ai laissé). Ce climat se ressent au Club des Professionnels du vin où l’assistance est clairsemée et attentiste, malgré la qualité des domaines représentés. J’y vais plus pour croiser des amis que pour faire des études thématiques. Comme j’ai la chance que l’on m’indique de bonnes pistes, je découvre ici et là de grands vins. Citons-en quelques uns. Le champagne rosé Deutz 1996, les champagnes Bonnaire et Clouet deux familles liées de Buzy et Cramant, dont un 1992 qui aurait pu figurer dans le peloton de tête du concours du « Spectacle du Monde » (bulletin 154). Le Chablis Moutonne Grand Cru Long Dépaquit de Bichot 2000 se boit bien, un fort intéressant Corton Charlemagne de Chanson égaya le buffet de cochonnailles du Pavillon Dauphine, le Chambertin Bichot 2003 promet beaucoup. L’Armagnac 1945 de Laubade, généreusement offert à la dégustation m’a moins convaincu. Trop torréfié, réglissé à mon goût. Autour des stands, des cavistes, restaurateurs, agents et journalistes ont une approche moins papillonnante que la mienne. Ces salons sont nécessaires.
Le lendemain, une autre « rencontre vinicole 05 » à l’Espace Cardin rassemble une foule plus dense avec des vins de beau calibre, dont plusieurs sont les mêmes qu’au Pavillon Dauphine. Les délicieux champagnes Diebolt-Vallois que j’ai déjà racontés dans des millésimes rares (bulletin 138), de très orthodoxes blancs et rouges de Smith Haut Lafitte qui sont très bien faits, des vins originaux, typés, de Puech Haut, petites bombes d’épices, le Meursault 1999 du château de Meursault, bien marqué Meursault, et le Banyuls de l’Etoile 1993 séducteur comme pas deux.
La foule était dense pour la signature par Apollonia Poilâne de son livre sur le pain, avec de goûteuses tartines toastées, à la tomate, au jambon ou au chocolat, sur un fort courtois champagne Gosset en magnum. Le personnel tartinait avec une belle constance et un entrain joyeux pour satisfaire de voraces appétits. Une galerie des arcades des jardins du Palais-Royal, emplie de sculptures de pain du musée Poilâne était un écrin bien trop petit pour contenir une foule venue témoigner à Apollonia l’immense sympathie pour son père et l’encouragement à sa propre réussite.
Présentation de perspectives économiques et financières à l’initiative d’une banque d’affaires dans les locaux du cercle Interallié. De temps en temps, ce n’est pas mauvais de se remémorer que de grands agrégats commandent plus sûrement le destin du pays que les gesticulations de coqs aux egos tranchants comme des ergots. Un champagne Philipponat de belle soif vient consoler l’émoi après les hauts le cœur que donnent les montagnes russes de graphiques plus explicites les uns que les autres.
Un repas s’organise chez Senderens. Exit Archestrate, exit Lucas Carton, exit Alain, on est ici chez Senderens. Et le sigle montre un papillon qui s’est lové dans le serpent du « S », pour signifier que le maître s’offre une pause buissonnière. Les délicates boiseries de Majorelle, depuis longtemps « out of date » mais classées se sont offert une petite folie très fashion qui rajeunira le lieu.
Nous sommes dans un salon de l’étage où j’ai de beaux souvenirs d’émotions gastronomiques. Les couleurs très recherchées, les effets théâtraux séduisent l’œil, mais c’est relativement froid. L’ambiance de cette pièce n’est pas décontractée. Je reconnais avec plaisir une belle équipe souriante et la qualité du service reste au plus haut niveau. L’élégance aérienne d’un trois étoiles, ça ne s’oublie pas comme cela.
L’amuse bouche standard est proposé à tous. Je serai le seul à le bouder car manifestement il n’ira pas avec le premier vin qui est un Montrachet Jacques Prieur 1986. J’attends donc le plat. L’entrée, des raviolis de ricotta et d’herbes, bâtonnets de cèpes, beurre fouetté à la sauge, est délicieuse. Une trace trop citronnée va attrister le Montrachet, alors que paradoxalement, les câpres ne le défrisent pas. Ce Montrachet est puissant, riche, chaud en bouche, doré. Il n’a pas la complexité aromatique de certains de ses voisins, sans doute à cause de cette trace citronnée, mais il est solidement structuré et réjouit pleinement car c’est un très grand vin. Ses presque vingt ans lui vont à ravir. Je bois avec un infini plaisir ce grand vin.
La tourte de gibier et foie gras, mesclun à l’huile de truffe et jus de rôti est magistrale. Parfaitement exécutée, elle démontre qu’un grand chef sait être parfait même quand il simplifie sa cuisine. Ici, pas de chemin de traverse. La tourte est pure, voire épurée, mais goûteuse comme un plat de grand-mère, traité par un artiste. Le plat accueille deux vins. Un Hermitage Chave rouge 1998 et un Hermitage Chave rouge 1996. Immédiatement, le 1998 coincé, serré, sert de faire valoir et renforce la conviction d’un 1996 superbe. Fruité, juteux, d’un charme accompli, le 1996 joue un numéro de parade avec la tourte. Le 1998 ronge son frein dans son coin, et tout à coup, il se débride, enlève sa doudoune et révèle un corps de danseuse liane. Il offre une autre expression de l’Hermitage qui renforce celle du 1996, et l’on pianote de l’un à l’autre cherchant à savoir lequel est le plus beau. A mon palais le 1996 gagne ce soir là, mais le 1998 promet.
Sur un Maury 1937, sorti de fût il y a très peu de temps comme Vénus sort de l’onde, une délicieuse fourme d’Ambert d’un crémeux à se damner, mise en valeur par une brioche épicée toastée aux cerises Amarena va montrer à quel point, quand le vin et le plat s’emboîtent, le plaisir grimpe à des sommets sidéraux. Et le Maury s’adapte avec une faculté qu’on ne soupçonne pas. Pour moi, c’est dix fois plus subtil qu’un Porto.
Comme la tourte et le fromage étaient servis en des portions largement excessives, le dessert au chocolat, une petite merveille, un coulant de « SAMANA » millésimé 2003, pur cacao de Saint-Domingue, cerises Amarena, transforme définitivement nos entrailles en semelles de scaphandriers. Là encore le Maury est pour le chocolat la flûte du charmeur de serpents. Le plomb fondu marron qui coule dans nos palais pourrait paresser. Mais le Maury réussit à le faire chanter. Accord une fois de plus magistral.
Le service est toujours impeccable, attentif et efficace. La cuisine a la maîtrise sereine d’un grand. Alain Senderens, pardon, Senderens, s’est offert un coup de jeune au décor, une simplification des plats et une réduction massive des additions. Saluons le courage d’un grand que son talent mettait à l’abri de toute contestation. Les structures, les concepts évolueront sans doute car cet homme bouillonne d’envie de créer. Mais une chose est sûre, c’est que je le suivrai dans tous les chemins qu’il décidera.
Nous allons en famille au théâtre « L’européen » 5 rue Biot voir « aujourd’hui c’est Ferrier », one woman show de Julie Ferrier où je vous recommande de courir dare-dare car cette pétulante Fregoli a un talent d’interprétation original. Si vous faites comme nous, la soirée se poursuivra à la brasserie Wepler où les huîtres Gillardeau n’attendent que votre fourchette. Voulant réitérer le choc gustatif du Ruinart sur les mêmes huîtres, je commande Pommery Cuvée Louise 1995 que j’oppose à un Chablis premier cru Fourchaumes la Chablisienne 2001. L’émotion est moins grande que dans les locaux de Ruinart, mais l’impression gustative est forte avec le champagne qui sait jongler avec l’iode et le sel de papillons n°5. Le Chablis est possible, mais le plaisir est avec Louise.
Je m’émerveille toujours du ballet des serveurs des brasseries historiques. Pas un geste n’est perdu. L’assiette de coquilles vides est-elle pleine ? Elle est immédiatement changée. Un désir ? Il est immédiatement comblé avec efficacité. Pourquoi les préposées aux cigarettes – baptisées ici hôtesses – espèce en voie de disparition, ont-elles toujours des décolletés profonds comme des canyons ? La précision des serveurs me fait penser à celles des cafetiers qui, à l’heure du « petit café » du midi enchaînent les gestes comme en un ballet. Il faudrait qu’on leur dise qu’une tasse, comme un mauvais élève, ça se prend par les oreilles, et pas comme une boule de pétanque. Ai-je envie que mes lèvres connaissent leurs empreintes digitales personnalisées par un reste de la gomina d’un matin au réveil chiffonné ?
La perfection est une attention de tous les gestes et de tous les instants.
Tours-sur-Marne est une coquette bourgade de la champagne, perdue au milieu des vignes. Au cœur de l’automne, quand les ceps ont fini de livrer leurs trésors, les feuilles se parent de mille couleurs pour un dernier spectacle de pure beauté : le vert bien sûr, pour rappeler que les vignes furent jeunes, le jaune doré et le rouge sang pour suggérer les liquides magiques qu’elles ont donnés et le noir d’encre pour que l’homme qui dompte ces lianes se souvienne que tout ici est mortel. Un joli soleil fait briller cette féerie. Nous arrivons au siège de Laurent Perrier, devant une devise comminatoire : « ne buvez pas d’eau ». Le jury du concours du meilleur caviste indépendant du monde se retrouve après la préparation que nous avions faite au « Petit Verdot » (bulletin 152). Les dix candidats cavistes sont de sérieux phénomènes pour avoir passé l’épreuve d’un questionnaire qui aurait certainement éliminé bon nombre de membres du jury (moi bien sûr) du fait de l’extrême complexité et de l’étendue des sujets. Ils sont tous fébriles, anxieux, car l’épreuve qui vient est la description et la reconnaissance de sept vins. Le jury les goûte en sachant ce qu’ils sont et prend des notes pour pouvoir jauger la pertinence des descriptions. Chaque caviste a le choix entre trois réponses pour un vin, ce qui est déjà une précieuse indication. Malgré cela, l’épreuve est si difficile, même pour des gens très doués, que le taux de découverte des vins ne dépassera pas 50%. Les descriptions sont amusantes. Parfois d’une exactitude remarquable, souvent d’un lyrisme scolaire, et quelquefois totalement à coté du vin goûté. La palme revient à un candidat qui a trouvé de la tige de pivoine (pas la fleur, la tige) dans un vin. Les réponses furent globalement très compétentes pour des vins difficiles : Jasnières Domaine Renvoisé 2001, Mendoza, Torrontes Santa Julia 1999, Brouilly domaine Longuefay 2004, Amarone della Valpolicella domaine Righetti 2001, Carmenere Tabali reserva, Chili 2002, Moscato di Pantelleria liquoroso « Tanit » domaine Miceli Sicilia, single malt Scotch Whisky caol-ila Dun Bheagan 12 ans. Inutile de dire que ce n’était pas simple.
Un succinct déjeuner avec les candidats et nous dépouillons les réponses pendant que l’épreuve d’un questionnaire se déroule. La partie la plus passionnante sera la présentation du coup de cœur. Chaque caviste a apporté un vin qu’il aime et le justifie au jury. Certains vins furent des découvertes assez époustouflantes car ces malins gaillards ont déniché des petits trésors. J’en cite deux ou trois.
Un Saumur 2000 Clos Rougeard « Brézé » qui titre 12,5°. Ce blanc a un nez d’une puissance rare, beurré de mille fleurs, presque salin. En bouche très floral, iodé, passionnant. Le Grasberg 2002 de Marcel Deiss titre 13° et se compose de trois cépages alsaciens. Le nez de fruits exotiques précède une amplitude en bouche élégante, florale, saline qui finit en bonbon acidulé.
Un caviste a apporté une Commandaria de Chypre St John non millésimée absolument délicieuse évoquant au nez les Banyuls les plus délicats. Il eut cette phrase admirable : « sentez ce vin, il sent le billet d’avion qui vous emporte vers d’autres mondes ».
Le Jurançon 1991 cuvée la Quintessence du Domaine Bru-Baché titre 13,5°. Un nez très opulent, franc, séducteur. En bouche, le coing, le fruit élégant, frais, à peine sucré. Quelle présence en bouche ! Fort et imprégnant, c’est un exemple du beau Jurançon.
Une des présentations, très technique, insista sur un jeune vigneron atypique qui fait tout à contrecourant, soignant ses allées à la pince à épiler, chouchoutant ses bourgeons à la lampe à bronzer. Le résultat est un jus de cassis poivré moins bon que s’il était fait avec du cassis. Je ne citerai pas ce vin du pays de l’Héraut, dont seul l’intitulé « garance » avait une gueule d’atmosphère.
La lecture de la liste des quatre finalistes est aussi cruelle que lors de la désignation de Miss France. On dit aux jeunes et jolies filles : « même si tu n’es pas nommée, tu souris ». Le sourire forcé de ces beautés est presque insoutenable de souffrance intime. Là, les déçus ne cachent pas leur sentiment d’injustice. Ils font bonne figure peu après, mais on sent la blessure profonde du candidat écarté.
La dernière épreuve est un jeu de rôle. Le candidat a cinq minutes pour conseiller Enrico Bernardo, mis à contribution car il reste deux italiens en piste qui s’exprimeront dans leur langue, qui veut acheter des vins pour un dîner. Voir le meilleur sommelier du monde 2004 répondre à un caviste : « vous savez, je n’y connais pas grand-chose, je m’en remets à vous » vaut le détour. Le gagnant fut un caviste italien au charme certain soutenu par une connaissance extrême car il avait entre autres gagné l’épreuve de la description et reconnaissance des vins à l’aveugle.
Comme dans tous les albums d’Astérix l’histoire se finit par un festin, mais là, contrairement aux ripailles gauloises, on laissa les bardes chanter à tue-tête, puisque Georges Lepré, chanteur au talent achevé, montra au lauréat que le bel canto, c’est en France qu’on sait le pratiquer. Et le président de la fédération des cavistes troussa joliment un air d’opérette, en duo avec Georges.
Un médaillon de lotte, un carré de veau de lait sous la mère, un millefeuille de framboises mettent en valeur les champagnes de la maison Laurent Perrier dont un très intelligent ultra brut, un brut millésimé 1996 en magnum délicat et une opportune cuvée Laurent Perrier rosé brut en magnum. Cela ponctuait une bien belle journée qui a mis en valeur la compétence de cavistes brillants.