galerie 1923 dimanche, 9 octobre 2005

Ce Loupiac 1923 à l’étiquette d’une rare simplicité fut un grand souvenir.

Très belle et simple étiquette aussi pour ce Chasse-Spleen 1923

 Cette photo est mise au tout début du blog. Pour moi, c’est un symbole. C’est un vin extraordinaire, et rien n’indique ce qu’il est. Il est tout à fait dans ma démarche : ce qui importe, c’est le goût, pas l’étiquette.

C’est mon soldat inconnu.

Riquewihr jeudi, 6 octobre 2005


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Visite rendue au Domaine Hugel à Riquewihr jeudi, 6 octobre 2005

Le village de Riquewihr est une merveille absolue. Des maisons du seizième siècle plus belles les unes que les autres et au centre de la zone piétonne, une noria de camions vient décharger les raisins des vignes de la maison Hugel, forte de quatre siècles dans la même famille. Jean Hugel, qui vient de fêter ses 81 ans, est devant le portail pour m’attendre. Après que j’ai capté sur un fil téléphonique ma moisson de mails qui ne peuvent pas attendre – signe des temps – il me conduit à son domicile pour déjeuner. On entre par la porte de derrière où des cadavres de canettes montrent qu’on ne boit pas ici que du Riesling. Pas de chichis, c’est l’amitié pure. Jean me montre des souvenirs de dégustations prestigieuses pendant que nous nous rafraîchissons d’un Muscat Hugel 2004, floral, léger, vin simple très agréable, et Jean va engager une croisade verbale, comme ces missionnaires à Tombouctou qui voulaient imposer la religion catholique. Là, il s’agit de me prouver l’Alsace que Jean trouve sous-représentée dans mes dîners. Le Léoville Barton 1982 bu sur la cuisine de Simone son épouse – qui adore le Muscat 2004 – est destinée à montrer que l’alsacien n’est pas sectaire. Le bordeaux est fort pénétrant et boisé, au final un peu sec et au discours assez monolithique mais il convient bien à la cuisine familiale de madame Hugel. Le Gewurztraminer Hugel vendanges tardives 2000 est beau, riche, bien adapté à une délicieuse tarte aux pommes saupoudrée d’un soupçon de cannelle. Visite des caves en centre ville. On a du mal à imaginer les flux de grappes, de liquides et de bouteilles qui grouillent dans les entrailles de coquettes maisons de cinq cents ans. Les foudres ancestraux sont impressionnants comme celui qui arbore un brevet d’inscription au Guinness Book of Records, le plus ancien fût toujours en activité, qui aura connu des récoltes de près de trois siècles et porte une date historique majeure : 1715. Jean a préparé une liste de quatorze vins tous récents qu’il me faudrait goûter. Voyant que je m’effraie de cet exercice il me proposera de me limiter à un examen des rieslings, et ce sera bien. Le Riesling Hugel Classique 2004 a un nez encore fermé. Il est à peine perlant. Bien citronné il a une longue trace. Mais il faut le laisser s’arrondir. Le Riesling Jubilee Hugel 2001 a un nez de riesling plus franc. Ce qui frappe, c’est sa définition précise. Citronné, encore acide au premier contact. Les épices et les fleurs arrivent en fin de bouche. Le Riesling Vendanges Tardives (VT) Hugel 1998 a un nez subtil. Et pour un VT, il joue dans la discrétion. Chaud, doux, vin de plaisir très pur et élégant. Evoquer les litchis ou les pamplemousses roses serait restrictif. Le Riesling SGN (sélection de grains nobles) 2000 a un nez ingrat. En bouche, c’est du pur miel fondu. Très sucré, pâte de fruit, bonbon acidulé, c’est peut-être à faire vieillir, mais ce n’est pas mon goût. Je veux remettre ma bouche en place avec le VT puisqu’un grand programme m’attend, mais Jean Hugel me dit : « gardez cette impression en bouche. Si mon « Gentil » est bon après un SGN, c’est qu’il est bon. Le Gentil, c’est un vin de mélange, comme l’Edelswicker que j’aimais jadis. Bien sûr c’est simple. Mais ce gentil « Gentil » passa bien l’examen. Il ne faudrait pas passer sous silence la visite des vignes en pleines vendanges. Jean n’est pas le premier vigneron à me raconter son attachement à l’histoire, son souci de comprendre la terre, de maîtriser l’indiscipline de la vigne, cet insoumis qui préfère l’école buissonnière et la paresse que lui offre une terre trop facile. Mais c’est toujours émouvant, comme la vibration que dégage cette ville de Riquewihr très touristique, dont les maisons ancestrales (histoire, toujours l’histoire) offrent une beauté à la taille de l’homme. Je pense aux vignerons de l’âge de Jean, dont les grands parents leur ont raconté les vendanges de la fin du 19ème siècle, eux qui ont connu les ruptures que les guerres ont causées au travail de la vigne. J’aimerais parfois que le temps s’arrête pour qu’on ne perde pas le souvenir de périodes où, avec dix fois moins de techniques qu’aujourd’hui, on a fait des vins qui m’ont fait presque pleurer. Les pieds crottés nous revenons dans les murs de la société, et descendant les marches d’une cave qui ne paie pas de mine, de vilains casiers de plastique cachent quelques trésors. Jean prélève un Riesling VT (vendanges tardives) Hugel 1935. Belle couleur au brun cuivré. Le nez est très pur et séduisant. En bouche, c’est merveilleux. La belle acidité porte le vin, extraordinairement expressif. On pourrait évoquer la noix ou la cire d’abeille, mais ce qui compte, c’est la profondeur du message. Un couple de suédois venus acheter une bouteille n’en revenaient pas qu’on leur propose de goûter un tel nectar puisque nous étions assis tranquillement dans la boutique, Jean ne pouvant s’empêcher de faire l’article à tout arrivant. Alsace, quand tu nous tiens ! Sentant qu’il y avait un goût de trop peu, Jean m’invite à redescendre en cave. Je saisis un 1934. « Ce sera pour la prochaine fois, pour que vous ayez envie de revenir ». Un Gewurztraminer VT 1943 remonta de cave, avec un autre cadeau : un Kummel de 1943 qu’un soldat allemand avait demandé à Jean ou l’un de ses frères de garder pour lui. Quelle saveur aura ce qui est paradoxalement l’inverse d’une prise de guerre ? Le Gewurztraminer VT 1943 a un nez d’une élégance rare. Surprise en bouche, le vin est très léger. Il y a une petite amertume épicée qui limite le plaisir. Un couple d’américains eut la bonne idée de passer là au bon moment. La surprise de ce vin léger explique, mieux que tout commentaire, celle qu’ont eue les académiciens du 4 octobre qui ont été surpris par le VT 1961 qui leur fut donné de boire. La bouche séduite encore par ce Riesling 1935 d’immense charme je regagnai ma chambre pour me reposer le corps et les oreilles, car le Jean, quand il a quelque chose à dire – et il en a tout le temps – vous entraîne dans un tourbillon verbal impressionnant.

dîner avec Jean Hugel à l’auberge de l’Ill jeudi, 6 octobre 2005

Simone Hugel, Jean et moi allons dîner à l’auberge de l’Ill. C’est ici qu’il y a près de quarante ans j’ai le souvenir impérissable de ma première truffe entière. J’étais peu revenu en cet endroit, car ayant dans cette région plusieurs filiales du groupe que je présidais, c’était une halte interdite au comptablement correct. Jean et Simone sont comme en famille et Serge Dubs, meilleur sommelier du monde est le gardien d’un beau trésor de cave de la famille Haeberlin.
Nous avons débuté par un Riesling Jubilée 1998 Hugel que Madame Hugel et moi avons apprécié sur une sardine au caviar. Heureusement qu’elle lit mes bulletins, car elle aurait trouvé étrange qu’à sa table on se pâme, se trémousse, glousse, jubile : l’accord était parfait. Et quand un accord est parfait, l’alchimie est si forte que le plat et le vin s’envolent. Et mon plaisir se voit. Délicat Riesling raffiné, frêle et distingué propulsé par une sardine presque crue que le caviar met sur son trente et un. Plat magistral – Alain Senderens n’aurait plus le monopole de la sardine ? – et vin transcendé par cette association.
Quand le maître d’hôtel prend les commandes, généralement, la puissance invitante ordonne en dernier. La truffe n’est pas un plat pour les classes moyennes, celles qui font l’objet de toutes les séductions politiques, aussi Simone et moi ordonnâmes des plats qu’on ne peut pas pour autant qualifier de plats de pauvres. Et voilà Jean qui nous dit : « et bien moi, ce sera la truffe ». « Scandale ! » crie Simone, bien sûr pour rire. Taraudé que j’étais par une irrépressible lutte des classes, je fis jouer l’ascenseur social et choisis de suivre Jean dans son appétit de luxe. Autant dire que le souvenir de quarante ans revint immédiatement avec cette truffe sous la cendre d’un plaisir absolu. Là-dessus, le Pinot Noir Hugel « les neveux » 1990 est tout simplement éblouissant. Je savais ce qu’il y avait dans la carafe mais je me suis amusé à penser à l’aveugle. C’est immédiatement le Bordeaux qui vient à l’esprit, et un grand. Quand j’évoquais par la suite la Californie, Simone le prit comme une injure. J’expliquai que non. Ce vin à l’équilibre joyeux, remplissant la bouche de goûteuse façon et que la truffe n’écrase pas, est irréel. Intemporel. Nous nous dîmes avec Serge Dubs que personne ne reconnaîtrait un tel vin, piège absolu. Dans lequel je suis prêt à souvent retomber, s’il reste encore de ce nectar.
Trouver un dessert pour le Gewurztraminer SGN Hugel 1967 est un exercice difficile. J’essayai la poire, mais c’est son feuilleté qui convenait le mieux. Un liquide à l’or rose, presque comme un flash de boîte de nuit. Un nez séducteur, intense. En bouche, j’eus plus de mal à trouver mon bonheur. Ce vin est parfait, mais j’ai trop en tête les sauternes de 1967 dont le récent Yquem, pour que je puisse en faire abstraction et me laisser séduire par ce grand vin. J’avais ce soir beaucoup plus de plaisir avec les deux vins précédents, de pure originalité. L’ambiance de ce restaurant familial est enjouée, la cuisine est bonne. C’est une halte de plaisir.
On indiqua à Jean une table d’anglais qu’il alla saluer. L’un d’entre eux se leva alors pour venir à son tour me saluer. C’était un des participants de la folle dégustation des 38 millésimes de Montrose qui m’approcha avec une attitude toute britannique : « j’étais avec vous à cette belle dégustation. Je n’ai pas votre expérience de ces vins, mais j’ai beaucoup apprécié les remarques pertinentes que vous avez faites ». Le monde, à l’anglaise, est délicieusement agréable, n’est-il pas ?
Je quittai cette belle région où Jean Hugel m’a renforcé dans mon amour des vins d’Alsace. Sa générosité, son immense dynamisme et sa conviction sont un bonheur pour toute sa région.

dégustation de champagne Delamotte au nouveau siège de Fogon mercredi, 5 octobre 2005

La presse qui compte dans le domaine du vin et de la gastronomie se retrouve au nouveau siège de Fogon, délicieux restaurant espagnol inventif et raffiné pour accorder des tapas aux champagnes de la maison Delamotte. Beignets de poisson, jambon gras qui est excité par une bulle altière, chips légères, pomme de terre trempant dans une sauce épicée, sobre riz, et j’ai un déclic. Alors que je déguste le délicieux Delamotte 1997, blanc de blanc expressif, on me tend une minuscule tartelette au poivron façon Tatin. Et je pense que ce poivron est fait pour du champagne rosé. Intuition très liée à la couleur rouge tendre du poivron. On me tend à nouveau l’exquise galette quand j’ai en main le Delamotte rosé. L’accord est parfait. Souvent l’harmonie des couleurs accroche bien entre mets et vins. Sauf pour la truffe et le caviar, évidemment, qui réclament des couleurs contraires.

première séance officielle de l’académie des vins anciens mardi, 4 octobre 2005

Dans une belle salle de l’hôtel Crillon, avec une équipe que l’on sent rôdée, attentive, efficace s’est tenue la première séance officielle de l’Académie des Vins Anciens, forte, malgré les grèves de transport handicapantes, de 43 académiciens de la première promotion.
J’ai ouvert tous les vins apportés parfois tard, ce qui fait que tous n’ont pas bénéficié du repos nécessaire avant une belle dégustation. Mais globalement la tenue des vins fut remarquable. Nous étions répartis en six tables de six à huit personnes et chaque bouteille était affectée à deux tables et quatre tables pour les magnums. Après le discours de bienvenue rappelant les objectifs de l’Académie, nous avons goûté une bonne douzaine de vins chacun sur les excellents et goûteux fromages de Bernard Antony et des chocolats de Oriol Balaguer, le El Bulli du chocolat. J’ai goûté un peu plus de vins que d’autres, car lorsque j’allais vérifier que tout allait bien, on me tendait souvent un verre pour que je partage l’émotion d’une table. Voici quelques rapides impressions sur les vins de cette soirée.
Magnum de Moët & Chandon Brut Impérial 1964. Dégorgé en 1994. Champagne magistral. Intense au nez, c’est sa longueur en bouche et sa plénitude qui marquent le palais. Du champagne Salon 1983 je n’ai eu qu’un demi centimètre cube, insuffisant pour me faire une idée, mais il fut apprécié, comme ce magnum de champagne Diebolt-Vallois 1976 millésime que j’avais déjà goûté dans la cave de Jacques Diebolt, et dont la seule gorgée que j’eus ici n’était pas très expressive, silhouette entraperçue, qu’un examen, s’il avait été à ma table, eût mieux située, car j’en aurais bu plus. Je suis un fan des ces champagnes de Cramant.
Le « Y » d’Yquem 1962 en demie bouteille avait à l’ouverture un nez de liquoreux, au cousinage avec Yquem affirmé. Un voisin de table n’accrochait pas à ce vin dans les premières gorgées mais il fut conquis dès que cet or fondu magistral fut pleinement ouvert. Grand sec devenu plus doux. Très belle expression gustative.
Riesling Clos Sainte Hune Trimbach 1986. Une générosité, un envahissement en bouche par la pureté du riesling absolu. Une leçon de chose. Le 1976 m’avait ému récemment car c’est un chef d’œuvre du riesling et le 1990 hier. Celui-ci est de la même lignée. Le Riesling VT Hugel m’avait été annoncé par Jean Frédéric Hugel comme de 1953. Je l’avais gardé en cave dans son emballage. Au moment de l’ouvrir, je constate que l’étiquette dit 1961. J’ouvre, et le bouchon me dit 1981. Les académiciens qui l’ont bu pensent que c’est plutôt 1981. Et quant aux vendanges tardives annoncées, on ne les a pas retrouvées dans le verre. Voilà un bien joli mystère que je suis allé vérifier sur place en répondant à l’aimable invitation du généreux donateur de cette bouteille au goût fort bon, élégant, mais assez loin, selon la table, de ce que dit son étiquette. Je glisse ici l’explication qui m’a été donnée par Jean Hugel lui-même, corroborée par ce que j’ai vu. Cette bouteille provient de la réserve personnelle de Jean Hugel. Ce qui exclut une erreur d’étiquetage. Le vin a été rebouché en 1981. Les sucres se sont fondus comme je l’ai constaté en dégustant quelques trésors de Riquewihr. Il est compréhensible et presque normal que le doute ait existé quand les académiciens l’ont goûté.
Le Montrachet maison Bichot 1935 n’était pas à ma table, comme le Corton Charlemagne Bouchard Père & Fils 1955. Je n’ai fait que sentir le 1935, superbe, dans une évolution évidente mais fort racé. J’ai eu un verre rescapé du Corton Charlemagne éblouissant de présence aromatique au mûrissement élégant. Un immense vin.
Le magnum de Gruaud Larose 1975 avait une légère trace de poussière au nez, mais quand on attendait suffisamment, le vin reprenait de la rondeur fruitée, sans être véritablement puissant. Le Mouton-Rothschild 1990 fut apprécié à une autre table plus qu’à la notre, alors qu’il s’agit de la même bouteille. Ce vin que j’ai plusieurs fois aimé lors de dîners chez moi, sujet de controverses sur des forums de vins, m’est apparu ce soir limité. Je crois qu’il y eut un peu la même impression avec le Sociando Mallet 1975 qui a un beau nez, une belle attaque et finit en sourdine.
Le Pichon Longueville Comtesse de Lalande 1975, d’après ce que j’ai entendu, était fort bon et le Château Fombrauge 1962 selon des sources forcément autorisées en a surpris plus d’un par sa belle qualité. Le Lafite Rothschild 1964 que nous avons goûté était magnifique. Il est en pleine évolution vers sa séniorité. Mais il est tellement typé, expressif, roué comme un bourgogne que j’ai pris un plaisir intense en le buvant.
Le Vega Sicilia Unico 1966 était extrêmement bouchonné, très probablement à cause d’une période trop longue où son auteur l’aura gardé après avoir ôté la capsule. Même si le vin accusait moins de faiblesse en bouche, nous n’avions pas le vin qu’il fallait avoir. Je n’ai pas écouté aux portes du Lynch Bages 1964, donc je n’en sais rien. Les deux Santenay Clos de Tavannes Fauconnet 1959 apportés par un académicien fort aimable et compétent qui m’assista lors des ouvertures de bouteilles avaient un niveau franchement trop bas. Des nez très fatigués dont l’un s’est révélé un peu bouchonné. Je ne les ai qu’à peine goûtés, sans pouvoir porter un jugement, car c’est la « bouteille à moitié pleine ou à moitié vide ». Objectivement, des vins usés, mais un académicien m’a dit le lendemain qu’en ayant attendu que l’oxygène le réveille, on découvrait un délicat bourgogne. Un convive m’a fait une farce en m’arrêtant du bras, en me tendant un verre : « goûtez comme ce Palmer 1961 est sublime». C’était le Santenay. Je ne suis pas tombé dans ce piège souriant.
Le Monthélie 1947, apporté au dernier moment alors que nous étions en plein « travail » fut un vin éblouissant. Ce qui prouve que si l’oxygène joue un rôle crucial, il n’a pas de monopole. Pas d’étiquette, pas de propriétaire recensé. Mais un de ces goûts virils de forêt, de champignon, voilà pour la fatigue, mais aussi de vrai charme. Un beau vin de découverte.
Le Palmer 1961 a décoché à l’ouverture son parfum inimitable en un temps qui frôle le faux départ au 100 mètres. C’est spectaculaire. Riche, puissant, de longueur infinie, c’est un vin immense que mon abnégation sans bornes m’avait poussé à affecter à deux tables autres que la mienne. Le Palmer 1959 était très différent. J’avais en tête que je préférais le 1959 au 1961. Or ici, ce 1959 objectivement intelligent, romantique à souhait, ne peut rivaliser avec la puissance insolente du 1961.
Le Pape Clément 1929 était ma bouteille officielle d’académicien, officielle puisque j’en avais ajouté d’autres. Je suis naturellement plus critique envers une bouteille dont je suis l’auteur et ce vin, dont on sent les qualités potentielles, que j’aurais sans doute révélées en procédant comme pour mes dîners (présence sur place huit jours avant contre un voyage le jour même), ne m’a pas plu. Le message est là, mais caché, voilé. C’est dommage.
Le Martha’s Vineyard Heitz Cellars Cabernet 1990 de Californie n’était pas à ma table. Son parfum diffère fortement de nos senteurs hexagonales. La goutte que j’en eus sans préparation gustative ne m’a pas parlé comme elle aurait dû. On m’a dit que le Château Talbot 1934 fut grand. L’odeur quand je l’ai ouvert était splendide.
Des cierges devraient être mis dans toutes les chapelles de la capitale puisque j’avais décidé de ne pas être à la table où apparaîtrait cette bombe sexuelle absolue : le Château Chalon Marius Perron 1959. Le Seigneur m’a récompensé car j’en eus un petit verre. Quand je bois cela avec un sublime Comté de 2001, plus rien n’existe autour de moi, même pas les charmantes académiciennes, minoritaires de notre académie.
Le cadeau de François Mauss empêché d’être avec nous fut une surprise colossale pour les participants de quatre tables puisque nous avions deux bouteilles de Montlouis « Les Bâtisses » Domaine Deletang « Grande Réserve Tris » Moelleux 1989 invraisemblable de puissance ensoleillée. Chaud, sensuel, charmeur et long en bouche, un vin de pur plaisir. Jamais personne ne croirait qu’un Montlouis puisse atteindre ces sommets là. La goutte d’Yquem 1994 à ce stade de la soirée me parla peu, alors que le château Filhot 1929 trompetait de bonheur. Quel vin raffiné tout en délicatesse élégante ! Un de mes plus grands plaisirs de la soirée fut de voir le sourire de son auteur, ravi de constater que sa bouteille était bue par des convives heureux de la boire et suffisamment connaisseurs pour en saisir les finesses. L’académie trouvait sa justification par la seule grâce de ses yeux rieurs, émus, joyeux d’avoir partagé un de ses trésors.
Le château Rabaud 1947, réunion à cette époque de Sigalas Rabaud et de Rabaud Promis causa une émotion similaire à son apporteur assis à ma table. Une couleur comme j’ai rarement vu de plus belles, comme les chaussures de Berluti quand elles sont sages (est-ce que cela arrive ?) et une profondeur en bouche absolument charnelle.
Les deux Fargues 1989 que j’avais apportés chantaient une chanson que j’aime car je retrouve la patte de ceux qui faisaient Yquem aux mêmes moments. C’est un grand Sauternes, même très grand. Deux Banyuls 1949 de ma cave ont accompagné les chocolats au café. Bois mouillé, pruneau sont des caractéristiques du Banyuls paraissant comme ouillé tant il ne fait pas son âge. Diabolique combinaison de pur plaisir.
Les discussions se prolongeaient, les cartes de visite s’échangeaient, les impressions d’avoir participé à un grand moment éclairaient tous les visages. Il va falloir maintenant tirer les leçons de tout cela, réfléchir au nombre de participants, nombre de bouteilles, mets d’accompagnement, fréquence, bouteilles à rassembler. Cette première séance semble d’un équilibre qui s’est trouvé spontanément. Comme avec un vin, ne forçons pas le talent. Les buts de l’Académie ont été atteints : connaissance et partage.
Quand c’est bon, on ne change pas grand-chose. Alors, à la prochaine séance…

dégustation de vins de Trimbach à la maison de l’Alsace lundi, 3 octobre 2005

L’avenue des Champs-Élysées abrite la Maison de l’Alsace, qui sert d’écrin idéal pour promouvoir le meilleur de cette belle région. Et aujourd’hui, le meilleur c’est Trimbach. Une panoplie des vins de ce domaine est mise en valeur par des huîtres délicieuses et par des fromages de Bernard Antony qui nourrira demain la première promotion de l’académie des vins anciens. De toute cette belle brochette de grands vins j’en retiens deux, incontournables : le Riesling Clos Sainte Hune 1990 Trimbach d’un équilibre serein et d’un goût plein bien assumé. C’est le petit frère du 1976 si beau et si vert que j’ai plusieurs fois dégusté, réussite de cette appellation et que je venais juste de revisiter chez Laurent. L’autre est un Gewurztraminer SGN 1967 Trimbach à la couleur d’un jaune vert doré éblouissante. Le nez raconte à quel point les vins mûrs ont une dimension de plus. Et en bouche, c’est un bonheur rare, joyeux et chantant. C’est beau le vin d’Alsace quand il est bien fait. Hubert Trimbach, comme Jean Hugel, que je raconte dans les prochains numéros, sont porteurs d’une histoire du vin, où, avec moins de science qu’aujourd’hui, on a produit certains des plus beaux breuvages que l’homme ait jamais faits.

Le jury de champagnes du Spectacle du Monde déjeune au bistrot du sommelier vendredi, 30 septembre 2005

Le jury se réunit à nouveau le lendemain matin pour la finale. J’apprends que nos amis suédois qui ont classé de jour des champagnes ont aussi testé les nuits parisiennes. « Oh, la, la !» comme on dit en suédois. J’arrive au sein d’une assemblée studieuse au Bistrot du Sommelier. J’ouvre les bouteilles que j’ai apportées pour remercier ce gentil groupe de m’inclure en son sein. Et aussi pour une autre raison. Richard Juhlin, grand expert de champagnes de renommée mondiale, a considéré que le Latricières Chambertin Pierre Bourée 1955 que j’avais ouvert avec lui fait partie des dix plus grandes bouteilles de sa vie (bulletin 107). Je voulais lui montrer des bourgognes qui peuvent escalader encore l’échelle des enchantements.
A l’ouverture mes deux vins sont splendides. Tout se présente bien. Rassuré, je rejoins le groupe des dégustateurs qui finissent les palmarès. Un photographe vient immortaliser l’événement, et Philippe Faure Brac nous retient à déjeuner. Un très agréable saumon à la sauce coco accompagne trois des champagnes de la sélection. Un blanc de blancs Tarlant Brut zéro, puissant mais assez court, un Benjamin Béranger blanc de blancs plus raffiné, élégant et fleuri et un blanc de noirs de Egly Ouriet un peu doucereux mais joliment expressif et intelligent. Tout le monde n’a d’yeux que pour mes deux bouteilles qui vont être accompagnées par une précise volaille au goût très pur, dans son ingénuité comme je l’avais demandé.
J’avais annoncé à tous que le premier vin est un Echézeaux Joseph Drouhin 1947, car j’ai saisi la bouteille en lisant le nom de ses voisines de case dans ma cave. Or en fait, un convive plus perspicace déchiffra après dégustation un Corton Grand Cru Joseph Drouhin 1953. Une couleur d’un rose frais bien séduisante, un nez parfait de vin de belle race, et en bouche, ce raffinement qui raconte l’histoire de la belle Bourgogne. Et après coup, nous comprîmes que le goût était effectivement plus cohérent avec un Corton qu’avec un Echézeaux. Et plus avec 1953 que 1947. Immense satisfaction de tous sur ce vin de grande classe dont je partageai la lie avec Gérald Olivier, courageux compagnon d’essai, journaliste organisateur de ce reportage.
Mais nous allions franchir une étape de plus avec un vin qui pourrait entrer dans mon Panthéon. L’année, elle, est sûre. C’est 1928. De ce que j’ai pu décrypter, je pense qu’il s’agit d’un Musigny, ce que corrobora l’aréopage de ces grands palais. Et je hasarde Coron, mais j’en suis moins sûr. C’est, désignons le ainsi, Musigny Coron Père & Fils 1928. Et c’est absolument renversant. Un nez de pur parfum, intense, de chocolat, d’épices, dense comme celui d’un grand bordeaux, annonce et précède une perfection gustative absolue. Rond, lourd, charnu, invraisemblablement long en bouche, ce vin est simplement divin. L’un de mes plus grands bourgognes à ce jour. Tout le monde était ému devant tant de pureté.
Philippe Faure Brac ouvrit au dernier moment et carafa un Mercurey Gérin 1952 nettement plus fatigué que le Musigny, pourtant son aîné de près d’une génération, mais d’une jolie rudesse campagnarde. Goût canaille fort plaisant. Un joli dessert léger fut accompagné par un aimable Doisy-Daëne 1991, gentille fin de voyage au Bistrot du Sommelier, vin que la jolie journaliste qui suivait aussi l’événement apprécia particulièrement.

Le jury de champagnes du Spectacle du Monde va diner chez Dom Ruinart vendredi, 30 septembre 2005

Un car affrété par la maison Ruinart prenait en charge ce joyeux groupe, qui n’avait pas fini ses explorations de la champagne. Nous sommes accueillis chaleureusement dans une magnifique salle où, dans un calme rassurant, nous allons goûter de magnifiques champagnes. Avant cela, j’avais visité les crayères à 35 mètres sous le niveau du sol où mûrit le champagne (voir photo). C’est beau et impressionnant à la fois. Le Dom Ruinart 1996 a un nez très intense, profond, très vineux. En bouche il est élégant, évoque la pamplemousse quand il devient plus chaud. A ce propos, j’ai constaté avec tous ces champagnes à quel point mon plaisir se situe entre la deuxième minute et la quatrième minute dans le verre. Le vin a besoin de s’installer dans le verre. Ensuite, il cumule la force de la bulle, la fraîcheur, et les arômes qui s’expriment. Au bout de quatre minutes, le réchauffement épaissit la bulle, empâte les arômes et le champagne perd de sa longueur. J’ai généralement tendance à aimer les champagnes moins frais que ce qui est servi dans les restaurants. Ici je me rends compte que la fenêtre de tir des températures pour les champagnes Ruinart est très étroite, phénomène que j’avais déjà constaté pour le Haut-Brion blanc, qui s’exprime avec le maximum de charme dans une plage de température qui n’excède pas deux degrés. Le Dom Ruinart 1993 a un nez déjà plus évolué. Il est très mûr, développé, expressif. Le 1990 est beaucoup plus doré, au nez avancé pas trop agréable. En bouche, il est exactement complet. On ne peut s’empêcher de penser à Roxane Debuisson, l’aficionado de Ruinart qui ne jure que par le 90, mais en magnum seulement. Le 1988 est moins doré que le 90, plus citron. Le nez est plutôt minéral. Au début, il est un peu coincé, un peu en dedans. Puis il s’ouvre et devient intéressant par une jeune agressivité. C’est lui que mes amis préférèrent des blancs. Le 1981 est ambré, déjà bronzé. Le nez me plait, fait de beurre et de pêche. En bouche, nettement évolué, il est intéressant car sa bulle est belle. Un champagne pour accompagner une belle cuisine. Je me suis rendu compte de l’autorité dont jouit Richard Juhlin, expert mondialement reconnu en champagnes, auteur de plusieurs livres qui font référence. Il a signalé que le 1981 ne lui convenait pas et immédiatement la bouteille fut doublée par un 1981 ravissant que je fus le seul à classer en premier des blancs, le 1988 étant acclamé par ces juges, même si le 1990 impose le respect. Alors que je suis assez peu fanatique des champagnes rosés, je suis interdit comme sur un uppercut par le Dom Ruinart rosé 1990. le nez est incroyablement séducteur et en bouche, quelle élégance après les blancs ! Passionnant. Mais le rosé 1988 allait me plaire plus encore par un fruité excitant. Je l’ai préféré au 1990, contre l’avis de mes amis qui ont plébiscité le 1990. Mais ce fruité m’allait bien. Le rosé 1986 moins ouvert, plus conventionnel, fut vite doublé, sur un froncement de cil de Richard Juhlin, par un magnum du même millésime. Malgré une nette amélioration, ce champagne ne me fit pas vibrer. L’impression générale qui restait en bouche, c’est que l’on avait bu de grands champagnes. Mais mon palais allait vivre une de ces excitations que j’adore. Après deux jours assez intenses, l’iode et le sel d’huîtres Gillardeau bien calibrées ont formé avec le blanc de blancs non millésimé Ruinart un accord absolument renversant. La bouche appelle cette combinaison où les deux composantes, l’iode et la bulle publient les bans pour une union où, selon le code civil, chacun doit apporter au mariage selon ses capacités contributives. Et ça contribuait.

J’ai l’air songeur en écoutant Philippe Faure Brac pendant ce dîner chez Ruinart

Dans une belle salle voûtée dont les murs sont ornés des panneaux de support des bouteilles en vieillissement, un dîner fort élégant : salade de homard au parmesan, poularde en demi-deuil et sa petite purée truffée, fromages frais et affinés, poire aux épices, tuile aux éclats d’amandes et sa glace au gingembre confit. Belle cuisine au homard résolument carpacchique, à la truffe délicatement et goûteusement glissée sous la peau, et au gingembre très consensuel. Sur ce beau menu Dom Ruinart 1996, évidemment plus vivant qu’en salle de dégustation, Dom Ruinart 1990 magnifique, « R » de Ruinart bien fait pour apaiser le fromage et le Dom Ruinart rosé 1990 qui marche évidemment très bien avec la poire et surtout le gingembre, mais que je verrais volontiers sur d’autres audaces. Il est certain que deux dîners de suite où il n’y a que du champagne, même d’une qualité irréprochable, donnent des envies de vins rouges, pour « mâcher » du vin. Une générosité remarquable de deux maisons de champagne, totalement libre puisque le jury a jugé à l’aveugle, sans possibilité de se tromper, comme j’en fus le témoin. Il faudra lire cette brillante analyse dans « le Spectacle du Monde », qui consacre séparément des grandes maisons de champagne et des petits propriétaires, dont un primé qui était inconnu de tout le jury, quand on a révélé son nom ! Ça fait plaisir qu’on consacre des vignerons discrets qui font bien. Pendant que je rentrais fourbu à Paris, mes compères infatigables ont poussé la chansonnette dans des karaokés endiablés jusqu’à l’heure du laitier. Ces deux jours m’offrirent de grands moments d’amitié.