galerie 1929 – 1 jeudi, 28 juillet 2005

Climens 1929 et Yquem 1929 bus en novembre 2006 à l’Astrance

L’une des plus jolies étiquettes d’un vin qui, je le pense, n’existe plus.

 

Un Jurançon 1929 provenant de la cave de Nicolas. La bouteille est si belle que j’avais mis cette photo sur la page d’accueil du site www.wine-dinners.com. J’ai déjà bu ce vin absolument charmeur.

 Très jolie étiquette de Chateau Batailley 1929.

Une belle brochette de 1929 : Chateau d’Yquem 1929, Chateau Gadet 1929 et un phénoménal Beaune du Chateau Cras et Theuron, Bouchard Père & Fils 1929 que j’avais ouvert pour honorer un ami, né en 1929, qui n’avait jamais bu un seul vin de son année de naissance, millésime légendaire.

 

La Bouillabaisse, petit restaurant de port mercredi, 20 juillet 2005

Au port de la Madrague de la presqu’île de Giens, il existe un petit bar restaurant qui n’a pas encore été touché par le tourisme. Les pêcheurs et pochtrons autochtones viennent siroter de répétitifs pastis. On y lit le journal et l’on y mange les poissons rapportés par des pointus locaux. Demandant à voir le plateau des poissons, je repère deux belles langoustes. Une anchoïade est le rituel démarrage qui nous installe dans l’atmosphère du bonheur estival. Rien ne vaut le chou-fleur cru que l’on trempe dans une sauce abondante et épaisse.
Le rosé de l’Aumérade 2003 a un joli nom, ce qui n’est déjà pas si mal. Rien n’inspire vraiment dans ce liquide qui a le même effet sur la soif que l’éponge sur un marathonien : c’est efficace, mais on ne va pas demander en plus que ça ait du goût. Le rouge de l’Aumérade 2003 joue dans la même ligue. La langouste au corail de plomb est tellement goûteuse qu’on ne se soucie pas de ces vins qui méritent bien évidemment d’exister, car je n’ai fondamentalement rien à leur reprocher. On est loin de la qualité de la cuisine du deux étoiles récent. Mais le plaisir est très grand car l’authenticité de cette table de pêcheurs est une récompense.

galerie 1929 – 2 mardi, 19 juillet 2005

Très jolie étiquette de Chateau Galan 1929 avec cette mention "land limited by Saint-Julien". A été bu le 25/01/2007 chez Jacques Le Divellec.

 Mission Haut-Brion 1929. A noter l’expression "Grand Premier Cru", qui de plus porte un accent circonflexe !

 Chateau de Tastes 1929, un Sainte-Croix du Mont délicieux.

un vin totalement inconnu « les vins réfrigérés » mardi, 12 juillet 2005

Ma femme aime chiner dans des brocantes où l’on peut constater que le génie humain n’a pas de limite. Je me demande parfois comment des gens ont pu oser dessiner et fabriquer des horreurs invraisemblables. Les lampes de chevet sur base de bouteille d’Orangina sont de l’art à coté de certains objets bucoliques (il faudrait savoir combien la biche a inspiré d’objets insupportables). Elle rapporte de sa chine deux bouteilles d’environ cinquante ans. Un Saint-Raphaël qui sera sûrement bon – j’en connais la saveur quand le quinquina est quinquagénaire – et une bouteille d’un litre, sérigraphiée de blanc, dont le titre est « Les vins réfrigérés », de la coopérative la Vidaubanaise. On y apprend au dos que la bouteille doit être rendue dans les trois mois à la coopérative. Nous n’avons donc que cinquante ans de retard. Le bouchon est rustre mais a joué son rôle car le niveau est beau. Le verre a été fortement imprégné par une lie sur l’ensemble de sa paroi comme si une acidité l’avait entamé. Je craignais un obscur vinaigre et voilà que ce vin exhale un parfum serein, assagi, de beau Côtes de Provence. Immédiatement je pense à ce Sainte-Roseline 1953 qui avait magistralement brillé lors d’un dîner (bulletin 111). En bouche, l’impression est moins forte qu’au nez, mais c’est plus que buvable, c’est plaisant. Et je me suis observé avec étonnement, me rendant compte que j’avais la fierté de ce vin, bu avec des amis, au moins aussi intense que si c’était une de mes plus belles acquisitions. Ce vin est comme mon enfant, et le voir se comporter comme un grand me fait un immense plaisir. La coopérative interrogée ne savait pas me dire ce qu’est un vin réfrigéré. C’est sans doute un Cotes de Provence vendu à la tireuse dans des cuves rafraîchies. Des vins, même à deux sous, quand ils ont quelque chose à dire, me remplissent de joie.

séjour au Chateau du Domaine Saint-Martin à Vence vendredi, 1 juillet 2005

Par un été naissant non caniculaire, quand les journées sont longues et les touristes encore peu présents, je pars explorer les paysages de Provence. La ville de Tourtour est joliment médiévale. Dans un réflexe citoyen et républicain, on a annexé la place forte locale au passé chevaleresque pour en faire la mairie et la poste. La socialisation rampante gagne même nos plus belles campagnes. Un restaurant tenu par une volontaire suissesse offre une cuisine bourgeoise de bon aloi. Le village d’Aups est attachant. Ça sent l’accent chantant du Sud. Les gorges du Verdon sont toujours aussi belles. Une pancarte « site classé » me laisse rêveur : je ne vois pas comment on pourrait modifier ce que la nature a mis des centaines de millions d’années à sculpter dans la pierre. Une construction peut être défigurée par un urbaniste, fol Néron destructeur. Pas cette sauvage beauté. Allant de splendeur en splendeur mes roues me portent au Château du Domaine Saint-Martin à Vence, ancien château aux quatre tours qui était un observatoire templier unique de toute la côte méditerranéenne. Ce lieu est d’un luxe total. Le jardin est dessiné par un véritable artiste et la piscine m’aguiche au point que je la possède de long en large. Le service est absolument parfait, surnuméraire comme on le voit à l’île Maurice. Tout est fait pour offrir un confort absolu. J’ai la chance qu’on me surclasse et ma chambre d’où la vue est infinie a un volume qui rassure. Rien n’est plus confortable que le luxe insensé.

dîner chez Jacques Maximin à Vence vendredi, 1 juillet 2005

J’ai réservé à la « table d’amis » de Jacques Maximin, dont le nom est une profession de foi : on veut faire plaisir, sans chichi. J’étais seul puisque mon épouse était retenue à Paris. Quand on est seul, on observe plus, et l’on passe sur moins de choses. Les remarques que je vais faire doivent être prises dans le contexte de mes bulletins. Je ne suis ni un guide, ni un juge. Ce qui est dit n’a pas prétention à être définitif.
J’entre dans un jardin où des tables sous des parasols donnent une agréable sensation d’été. Accueil par Madame Maximin souriante. Je demande la carte des vins car quand je suis seul, je mets généralement ma carte bleue en dangereux surrégime. Et là, le vide. Cette carte des vins, qui n’est pas sans intérêt, est chiche, sans domaine qui attire l’œil. Cette maison familiale ne voulant pas surinvestir dans la cave a décidé que l’on aurait une offre limitée. Ce fut une grande frustration. Ne trouvant pas d’objet de folie, je jette mon dévolu sur une bouteille que je n’aurais normalement pas commandée compte tenu d’un coefficient élevé. Je prends Mouton-Rothschild 1988. Non pas que ce vin soit sans intérêt, mais je n’ai pas l’habitude des bouteilles à cinq ou six fois mon prix de remplacement. On m’apporte la bouteille pour me la montrer et on va l’ouvrir à l’intérieur, loin de ma vue. Connaissant les prélèvements à la source qui sont parfois opérés par les sommeliers dans des restaurants, ce qui ne me plait pas, je me précipite pour vérifier ce qui se fait (vous imaginez la scène). Heureusement, Olivier Maximin, le fils du chef, souriant, sympathique, dynamique et diablement efficace n’a pas taxé ma bouteille. Je fais mon menu avec Madame Maximin, et me voilà embarqué dans un voyage puisque c’est la première fois que je viens, Christophe Colomb d’un soir lançant ses voiles folles.
Une petite soupe d’estragon à l’huile d’olive et crème au piment d’Espelette est absolument délicieuse. Elle me pose à nouveau la question : on doit repérer assez facilement les clients qui prennent des bouteilles de budgets respectables. On devrait toujours avoir sous le coude un amuse-bouche qui respecte le vin. Là c’est évidemment inadapté. Mais comme je suis têtu, j’ai attendu que ma bouche s’apaise et la mémoire de l’herbe et celle du piment sur la langue vont multiplier le charme du Mouton dont je parlerai dans un instant. C’est la rémanence du goût de cette petite entrée qui embellit le Mouton.
Le homard avec des truffes d’été est absolument goûteux et délicieux. Tout cela est de la bonne cuisine. Le Mouton est particulièrement à l’aise avec la truffe, et compagnonne bien avec le homard. Le plat absolument fabuleux, c’est la selle d’agneau. Pour réussir cette chair et surtout cette sauce, il faut du talent. Et il y en a à profusion. Bien évidemment le Mouton se sent bien. Il parade. Ce plat goûteux m’a ravi.
Je demande du fromage et une assiette toute prête arrive. Olivier m’explique que c’est composé avec les arrivages que son père a choisis. Je dis alors à Olivier quelque chose qui ressemble à ceci, en plus diplomatique bien sûr : « le menu que j’ai pris vaut deux fois le menu classique vins compris. La bouteille que j’ai prise vaut douze fois le menu. C’est donc comme si nous étions quatorze à table. Me donner du fromage sans avoir réfléchi à trouver ceux qui vont avec mon vin ne me parait pas convenable ». Je ne pense pas que cette assiette proposée sans penser au vin soit du niveau d’un deux étoiles. Je reconnais volontiers qu’en d’autres circonstances je n’aurais même pas réagi sur ce point. La solitude à table rend tatillon. Et la frustration de payer cher une bouteille par manque d’autres choix m’avait conditionné.
Pendant ce temps on entendait en cuisine Jacques Maximin pousser de graves coups de gueule contre son personnel. La carte des vins et cette assiette de fromage m’ont indisposé. Le talent du cuisinier n’est pas en cause car c’est un grand, et la sauce de sa selle d’agneau est une merveille. Mais je fus déçu. J’étais venu pour un deux étoiles. Je ne l’ai pas eu. La cuisine, oui, mais pas ce qui va autour. Rentrant en taxi à l’hôtel je fus accueilli par le directeur de la restauration. Nous parlâmes de mes constatations et il m’offrit un Bas Armagnac château Briat 1982 excellent, pour exprimer toute l’estime qu’il porte à Jacques Maximin qu’il ne considère pas comme un concurrent mais comme un grand. Beau geste d’une sympathique solidarité.
Et le Mouton dans tout cela. Il m’a fait sourire, car c’est le vin qui a tout, soit pour qu’on le dénigre, soit pour qu’on l’encense. Ce vin n’est pas complet. Si on veut le critiquer, on signalera ses absences. Si on veut l’encenser – et le budget que j’ai mis voulait que je l’adore – on a tout pour l’aimer. Il me suffit de dire que j’ai eu quelques fulgurances de grand vin. Mais honnêtement, il lui manque du génie.
Le lendemain matin, réveil, plongée matinale dans la piscine dont je suis le premier occupant, puis petit déjeuner dans une oliveraie fort accueillante. A cette époque, les seuls estivants sont étrangers. Le directeur me fait visiter sa cave creusée dans la falaise sous le château, où des bouteilles tentantes vaudront un autre séjour. C’est une cave qui est en devenir. J’ai senti que le directeur veut faire ce que Jacques Maximin n’a pas fait. Une étape où il fera bon revenir. Mais à deux.

arrivée dans la maison du Sud pour y passer l’été mardi, 28 juin 2005

Nous prenons nos marques dans notre maison du Sud et des amis nous rejoignent. Il fait chaud. Le champagne Charles Heidsieck mis en cave en 1996 est absolument délicieux. Il a commencé à adopter ce léger fumé qui traduit le début d’une prise d’âge. Et j’adore cette virilisation du message. Car l’intensité n’en est que plus belle. Le champagne raconte des histoires. C’est pour cela que le Cristal Roederer 1996 qui le suit, d’un raffinement certain, n’occulte pas le premier champagne. J’avais acheté un délicieux foie gras. L’association du foie gras avec la belle bulle du Cristal est une complémentarité indispensable.
Le Lafite-Rothschild 1981 est absolument délicieux. Un écart très significatif par rapport au Lafite 1979 bu au château d’Yquem. Comment l’expliquer au-delà des écarts de millésimes qui sont – sur le papier – plutôt faibles ? Il faut chercher sans doute du coté de l’oxygénation et de la température de service. La peur de servir des vins chauds à Yquem avait conduit à les engoncer. Ce Lafite 1981 de belle mâche a une jeunesse qui me séduit. Et une longueur ravissante par un des plus longs soirs d’été.

séjour et dîner à l’hotel et au restaurant de Anne-Sophie Pic à Valence mercredi, 22 juin 2005

Le temps de dormir quelques heures (cinq je crois), de rencontrer un journaliste et je pars vers mon Sud pour une trêve estivale XXL. L’arrêt se fait chez Pic à Valence pour la nuit. Denis Bertrand et toute son équipe, du moins ceux qui me connaissent et lisent mes bulletins sagement archivés par Denis, m’accueillent comme un ami. Nous allons explorer en cave quel vin pourrait accompagner notre repas. J’avais déniché une pépite dans l’épais livre de cave. Malgré les tentations que l’on étale de façon gourmande devant mes yeux, je confirme mon choix. Denis et l’un de ses collègues vont prélever aussi deux bouteilles de vins au niveau proche de la vidange. Nous verrons.
La crème brûlée au foie gras est d’un raffinement délicat. Le décor est déjà planté : ici on mangera bien. Les trois bouteilles arrivent sur notre table. Je prends des photos. Le Château Bouscaut blanc 1937 se qualifie sur l’étiquette de premier grand cru de Graves. Le vin est doré d’un or éblouissant. Le nez est celui d’un liquoreux, et l’attaque en bouche ferait dire Sauternes. Pendant toute sa dégustation, nous nous sommes demandé si le vigneron ne s’était pas trompé en botrytisant son Graves, car un vin madérisé devrait avoir des amertumes que ce vin n’avait pas. C’est une sorte de miracle que ce vin blanc ainsi transmuté. Sur une langoustine cuite à la perfection, le Bouscaut se trouve amplifié, magnifié, et donne un autre concert sur un tartare de lisette et de langoustine. Plus sobre, redevenant plus Graves, il accompagne ces chairs à ravir.
Le loup au caviar, légendaire institution de la maison Pic, et perpétuée avec brio par Anne Sophie, accueille un rescapé. Car ce Château Bouscaut rouge 1940 ne pourrait pas être servi à une table. Mais ici, son retour à la vie, et surtout son amélioration constante en prenant l’oxygène, en font un vin fort agréable, tutoyant bien le bar mêlé au caviar. Bien sûr, en creusant, on s’apercevrait que le mille-pattes a perdu une jambe sur trois. Que l’épineux est assez édenté. Mais c’est bon en bouche, à peine torréfié, et la rondeur acquise permet un message suffisamment clair pour qu’il y ait du plaisir.
Ce qui prouve qu’il était justifié, c’est que le vin extraordinaire qui se présente en même temps que lui ne le rejette pas. Si le Bouscaut n’avait rien à dire, l’autre vin le démontrerait. Or on peut passer de l’un à l’autre sans la moindre gêne. Et pourtant celui qui arrive maintenant est un combattant noble. Drapé dans sa tunique d’or, fièrement cambré, voici Vega Sicilia Unico 1965. Vin légendaire. Le nez est noble comme le toréador qui défie la foule avant de lancer sa coiffe vers une Dulcinée inaccessible. En bouche le vin est beau. Son élégance est extrême. Chaque goût est exposé en une faena de saveurs. Quel grand vin ! Je m’en régale tant avec la chair du loup qu’avec le pigeon fort traditionnel. Ce vin est de la race des très grands. On ne reconnaît pas qu’il est espagnol. Il a des accents de Rhône, de Bourgogne ou de Bordeaux bien faits. En fait, il a sa place à part, comme l’Opus One du dîner de la veille. Comme disait Louis de Funès quand il a immortalisé la dégustation à l’aveugle, sans odorat et sans palais dans « L’aile ou la cuisse », « c’est un grand vin ».
En cave, nous avions parlé des vins jaunes dont je fais tant la réclame. Un des sommeliers m’apporte un verre de Château Chalon 1979 dont une autre table a commandé un verre. Le vin arrive sans nez et il faut bien vingt minutes pour qu’il s’ouvre à la vie. Ce vin est vite à oublier, sans personnalité. C’est pour cela que je ne lui donne pas de nom.
Que retenir de ce dîner ? La chaude amitié de Denis Bertrand et l’enthousiasme des équipes. Une cuisine d’une précision affirmée, d’une belle personnalité. Dans la prochaine édition du Michelin on verra forcément les trois étoiles de Yannick Alléno. Comme Alain Senderens vient de lancer les siennes, il faudrait que ce soit le tablier d’Anne Sophie, qui s’arrondit, mais pour d’autres raisons, qui les reçoive, car il y a pratiquement tout pour propulser ce petit bout de femme au firmament de la gastronomie.
Même un Sumo ne finirait pas le plateau du petit déjeuner de chez Pic. On quitte cette étape avec le sentiment d’avoir passé un grand moment.

Dîner de wine-dinners au restaurant Carré des Feuillants mardi, 21 juin 2005

Dîner de wine-dinners du 21 juin 2005 au restaurant Carré des Feuillants
Bulletin 149

Les vins de la collection wine-dinners
Champagne Ruinart Brut
Champagne Bollinger grande année 1985
« Y » d’Yquem 1985
Montrachet Guy Amiot 1992
Château Margaux 1966
Château Gruaud Larose 1918 (Faure Bethmann)
Vosne Romanée Bouchard 1971
Grands Echézeaux Domaine de la Romanée Conti 1988
Opus One, Napa Valley California 1985
Château Filhot, Sauternes 1975
Château d’Yquem 1931

Le menu composé par Alain Dutournier
Crevette sauvage tiède dans sa « crème de tête », billes de melon en chutney et gaspacho safrané
Le bouillon parfumé du pêcheur de perles
Gelée d’écrevisses, foie gras et ris de veau, artichaut poivrade râpé, truffe d’été et févettes
L’asperge blanche des landes, les mousserons, et l’œuf en coque d’asperges
Turbot sauvage « vapeur », marinière de palourdes, lasagne printanière et tomates confites
Paleron de bœuf confit dans son jus, barigoule d’artichauts poivrades et carottes fanes
Jubilé de cerise burlat « façon forêt verte »

dîner de wine-dinners au Carré des Feuillants mardi, 21 juin 2005

Nouveau dîner de wine-dinners au restaurant le Carré des Feuillants où, avec la sympathique brigade, nous sommes maintenant bien rôdés. Le sommelier Christophe est toujours aussi attentif et perfectionniste. Avide d’apprendre les odeurs rares qui se dégagent des bouteilles à peine ouvertes il fera, tout au long du repas, un travail remarquable. Je l’ai vu plusieurs fois s’assombrir pendant le service et je me demandais quelle remarque aurait pu l’attrister. En fait, je m’obstinais à l’appeler Rodolphe – c’était le jour de la Saint Rodolphe – ce qui ne plait pas forcément aux Christophe. Nous en avons ri après le dîner.
Pas de problème à l’ouverture. Le bouchon du Gruaud Larose 1918 est léger, colle aux parois et sortira en miettes, mais il a joué son rôle comme il convenait. La bouteille soufflée est lourde et belle. L’odeur du « Y » est moins exubérante que celle que j’attendais. Les senteurs du Margaux, du Vosne Romanée et du Grands Echézeaux sont particulièrement belles.
Un jeune entrepreneur tonique et volontaire, déjà fidèle de mes dîners, avait réuni autour de sa ravissante épouse et lui-même des amis qui partagent tous la passion des chevaux. Au moins trois possesseurs de haras et des cavaliers titrés qui allaient s’affronter aux championnats de France de saut d’obstacles. Blagueurs, décontractés, ils avaient moins de discipline pour suivre mes indications que n’en ont leurs chevaux quand ils doivent franchir d’impressionnantes constructions de bois fragiles. Les femmes toutes ravissantes et bronzées ne cessaient de quitter la table pour téter de nécessaires cigarettes. Les champs de tabac de Virginie s’en essoufflent.
Le menu composé par Alain Dutournier est un kaléidoscope de maîtrise et de complexité : Crevette sauvage tiède dans sa « crème de tête », billes de melon en chutney et gaspacho safrané / Le bouillon parfumé du pêcheur de perles / Gelée d’écrevisses, foie gras et ris de veau, artichaut poivrade râpé, truffe d’été et févettes / L’asperge blanche des landes, les mousserons, et l’œuf en coque d’asperges / Turbot sauvage « vapeur », marinière de palourdes, lasagne printanière et tomates confites / Paleron de bœuf confit dans son jus, barigoule d’artichauts poivrades et carottes fanes / Jubilé de cerise burlat «façon forêt verte ». La mise au point du menu s’est faite sans que nous en parlions, ce que je regrette toujours. Je suis juste intervenu pour intervertir deux plats pour la logique des vins, ce qui fut un bon choix.
Le champagne Ruinart Brut est fort agréable pour se mettre en bouche. C’est l’échauffement du coureur de cent mètres, indispensable avant le jaillissement des starting-blocks. Coulant fort bien en bouche, il nous prépare bien. Le champagne Bollinger grande année 1985 montre une structure vineuse percutante. Il annonce le ton de la suite, et la crevette lui va bien, quand les autres saveurs du plat, qui iront souvent par trois presque pour chaque assiette, l’effarouchent.
Le bouillon complexe et délicieux n’appelle pas le vin. Le « Y » d’Yquem 1985 me parait nettement moins rayonnant que le souvenir que j’en ai. Il avait capté cette année-là des grains de raisin d’Yquem et je m’attendais à ce qu’un botrytis l’ait encanaillé. Or en fait ce blanc sec, fort bon, est sérieux. Et voici soudain qu’avec la truffe d’été, il devient splendide. C’est un accord de rêve. La bouche gardera longtemps avec le Y une forte mémoire de truffe. Le foie gras et ris de veau fort goûteux dansent bien avec l’Y mais la truffe est le bon mariage.
Le Montrachet Guy Amiot 1992 est un solide Montrachet rassurant. Ce n’est sans doute pas le plus puissant, mais il est bon. Le plat est goûteux. L’asperge et l’œuf sont réellement divins. On commence par se dire que le plat ne joue pas avec le vin. Et comme en diplomatie, en trouvant les mots qui rassurent, c’est-à-dire en lustrant ses papilles dans le bon sens, on arrive à ce qu’ils se parlent.
Le château Margaux 1966 et le château Gruaud Larose 1918 (Faure Bethmann) sont associés au même plat. La chair du turbot est sublime et va évidemment bien avec les deux rouges, mais c’est la palourde et surtout le jus de palourde qui fait du « dirty dancing » avec ces vins de légende. Le Margaux 1966 a le nez archétypal du château Margaux. Il en a aussi le charme. Le Gruaud Larose joue une partition d’un niveau encore supérieur. On est en face d’un vin remarquablement épanoui, structuré, sobrement beau. Une trace élégante qui sera couronnée dans les votes. Décidément la palourde est l’amie des vins rouges car nous avions eu une expérience aussi excitante chez Patrick Pignol.
Le délicieux paleron accueille trois vins, et non des moindres. Le Vosne Romanée Bouchard Père & Fils 1971 dont le nez à l’ouverture était délicieusement bourguignon, nous a joué un insolent jeu de charme. C’est un petit Vésuve en bouche. Alors que le Grands Echézeaux Domaine de la Romanée Conti 1988 s’en tient à son nez. Il n’y a pas de plus beau nez que ce nez là. Mais en bouche, il paresse. Il attend qu’on l’aime. Ou bien il se dit que sa puberté peut se prolonger. Le Opus One, Napa Valley California 1985 m’a surpris. Elégant, raffiné, il n’a aucune des exagérations des vins californiens. On sent qu’il n’est pas bordelais, on sent qu’il n’est pas bourguignon, et l’on succombe à son charme certain. C’est un vin bien fait, de belle race.
Les cerises, sur le papier, m’avaient laissé perplexe. En fait, astucieusement domestiquées par le talent du chef, elles s’accordent bien au château Filhot, Sauternes 1975. Le reste de l’assiette ne l’attire pas, mais croquer cette cerise ferme sur un Filhot est un bel exercice. Il faut de ces audaces quand le produit est bien traité. Je sentais que chacun s’impatientait, prêt à bousculer le Filhot tant l’Yquem était attendu. Magnifique château d’Yquem 1931 que j’ai trouvé moins sec que ce que j’imaginais. On avait en bouche une belle définition du Yquem historique où la mangue, le thé, le fruit délicatement caramélisé forment un éventail de saveurs à la persistance sans limite.
On vota bien sûr et les votes furent toujours aussi dispersés. Le Gruaud Larose 1918 fut le plus couronné, ce qui, on en conviendra, est un de mes motifs de fierté. Les plus votés ensuite furent le Vosne Romanée Bouchard 1971, le Montrachet Guy Amiot le Yquem 1931 et le Château Margaux 1966. Mon vote fut le suivant : Yquem 1931, Vosne Romanée Bouchard 1971, Gruaud Larose 1918 et Montrachet Amiot 1992.
Alain Dutournier vint nous saluer et évoquer, avec sa langue qui s’exprime d’un verbe coloré, chantant et diablement argumenté, les chemins qu’il suit pour créer des plats pour les grands vins. Il fut complimenté pour ce festival de saveurs. Ce que je voudrais signaler, car je compte bien en discuter de nouveau avec lui, c’est une remarque incidente qu’il glissa dans son propos. Il nous dit : «vous savez, quand on est entre copains et qu’on ouvre une grande bouteille, on ne fait que des plats simples. Une saveur, un point c’est tout ».
Je suis persuadé qu’il a raison, et il doit pouvoir le faire dans le cadre de ces dîners, car la démonstration de son talent n’en souffrira pas. Revenir aux racines du plat, à la saveur la plus proche du vin, c’est le cœur de ce que je souhaite. Nous sommes en effet dans un exercice très particulier où le plaisir sera magnifié si une saveur du plat colle parfaitement au vin. Alors, tous les chemins de traverse sont à éviter. La saveur primaire, voilà le secret. Et si c’est ce que fait tout naturellement Alain Dutournier, grand gourmet devant l’éternel, quand il est avec ses copains, c’est ce qui doit être fait. Les convives ont été subjugués par le brio et le talent. Ils le seront tout autant si la trame essentielle du plat les renverse de bonheur quand le vin et le plat s’enlacent de façon lascive.
Christophe fut un sommelier expert, la cuisine fut distinguée et belle de réalisation. L’ordonnateur de l’événement me téléphona le lendemain pour me faire part de la satisfaction des convives. Ce fut un grand 56ème dîner.