un dîner « littéraire » où je parle de mon livre jeudi, 19 mai 2005

Une amie, organisatrice fort enthousiaste de dîners littéraires et soirées théâtrales me demande de présenter mon livre à l’un de ses dîners. La différence fondamentale entre l’auteur d’un livre sur les vins et l’auteur d’un livre sur les épopées d’Alexandre le Grand, c’est qu’on peut plus facilement suggérer au premier de venir avec des échantillons. Quelques vignerons amis m’aident dans cette entreprise. Je m’aide moi-même pour les autres vins. La veille de la manifestation, appel angoissé de mon amie, la date, l’époque, le sujet, que sais-je, on ne se bouscule pas pour venir m’écouter. Le challenge devient intéressant, et en très peu de temps, moins d’une journée, on rassemble une brochette de gens passionnants, qui vont se substituer aux habitués de ces dîners. Des journalistes, des écrivains, un dessinateur célèbre, des assidus de mes dîners se placent autour de deux tables enjouées, prêts à profiter de l’instant. Le champagne Delamotte en magnum est manifestement agréable. C’est un blanc de blancs de belle facture. Pas de question, ça se boit avec plaisir, le message clair rassurant par sa précision.
Le Chablis Grand Cru les Vaucoupins William Fèvre 2001 est un Chablis de grande classe. Il démarre sur une note citronnée, puis rapidement prend du gras. Un Chablis de belle construction qu’un plat incertain de saumons crus ne comprit pas. Le Volnay Caillerets Bouchard Père & Fils 2000 est chaud en bouche, rond, déjà structuré. Un grand expert en vins anciens, passionné de l’histoire des techniques et du goût me demande quand il sera bon à boire. Je réponds : « mais, maintenant ! », puisque ce que l’on a en bouche coule de source. Bien sûr il va se civiliser. Mais c’est déjà du vin sérieux, solide, prêt à se comparer à d’autres si on le lui demande.
J’avais prévu ensuite un double magnum de Côtes du Roussillon village Cazes 1989, bouteille que j’avais apportée au salon des grands vins, qui fut ouverte mais ne fut pas consommée. Le débouchage / rebouchage d’il y a plus d’un mois avait vieilli le vin d’un bon dix ans. Et hélas, il avait attrapé un léger goût de bouchon. Mais il exprimait une forme de vin à maturité qui méritait qu’on l’essaie, pour toucher au vécu de ces vins patinés. Les deux rouges s’exprimèrent sur un poisson d’élevage potable.
Le dessert, composite comme souvent, fut accompagné par un vin que j’avais apporté, un Chardonnay de Jérusalem, vin d’Ormoz, vendanges tardives 1993, titrant 13° et légèrement sucré, d’un litchi agréable. Sur des fraises, ô miracle, le vin fut fort plaisant.
Il ne s’agissait évidemment pas d’un dîner gastronomique mais d’un dîner littéraire. L’apport du restaurant était un vin de l’île de Ré baptisé avec audace « Royal » dont le cousinage avec un vin buvable n’est pas forcément évident. Ce qui comptait ce soir, c’est la chaleur de discussions enflammées, sérieuses ou non, qui réunirent des gens de grande passion, et de grand intérêt. Belle initiative de mon amie, transformée en happening du plus bel entrain.

Grand dîner à Pichon Lalande avec la Bacchus Society mardi, 17 mai 2005

Un dîner que l’on peut qualifier d’historique va se tenir à Pichon Longueville. Je vais prendre position dans ma chambre de l’hôtel Cordeillan Bages pour revêtir mon smoking. Douche à surprise, comme à Saumur. Apprêté comme il convient, nœud papillon en place, je rejoins au château May Eliane de Lencquesaing qui fait visiter les chais à un groupe d’américains et asiatiques qui forment le club Bacchus. Il y a là l’élite internationale des collectionneurs de vins. Tous ces gens en smoking arborent un grand cordon bleu qui supporte une étoile dorée en forme de soleil. Je reconnais le grand collectionneur américain George Sape que j’avais rencontré à New York. Il a une expérience de la dégustation impressionnante. Et, plaisir immense pour moi, je retrouve Sir Michael Broadbent avec qui j’avais fait une dégustation folle que nous nous remémorons. Michael est « la » mémoire du vin. Personne ne pourrait se targuer d’avoir bu même le dixième de ce qu’il a bu. J’ai le plaisir de saluer Alexandre de Lur Saluces que je reverrai dans quelques jours, Antony Perrin, Franck Mähler Besse, Olivier Bernard, vignerons dont je révère les vins. Je bavarde avec Serena Suttclife, l’homologue de Michael Broadbent pour une autre grande maison d’enchères et bien sûr je complimente May Eliane de Lencquesaing dont nous fêtons les quatre-vingts printemps. Les femmes sont belles, Violaine de Lencquesaing est ravissante. Sur la terrasse d’où l’on contemple et surplombe les vins de Pauillac qui font rêver, un champagne Taittinger Brut Réserve ne faussera pas notre palais : il a la discrétion élégante des champagnes de soif. L’orangerie est apprêtée pour accueillir un dîner de 80 convives, au milieu d’imposantes pièces de verre sculptées ou colorées de la collection de May Eliane. Comme une enfant elle fait admirer à des amis sa dernière acquisition, car la plus belle pièce est toujours la plus récente. Nous passons à table et deux élégants artistes vont interpréter au piano et à la flûte une sonatine de Dvorak. Plus tard une nocturne et une sonate de bel entrain signeront le dessert. Discours de bienvenue, et célébration de May Eliane qui reçoit le « Lifetime Achievement Award 2005 » de la « Society of Bacchus America ». Un imposant bouclier de verre gravé d’or précisant sa nomination rejoindra la collection de May Eliane, ainsi qu’un double magnum artistiquement gravé. Je suis assis à la table d’un collectionneur d’Hawaï, d’un autre de Miami, d’un autre de Séoul et d’Olivier Bernard, l’homme qui fait Domaine de Chevalier, ce vin de qualité tant en rouge qu’en blanc. Les épouses sont radieuses. Nos discussions cosmopolites sont enjouées. Le Pichon Longueville Comtesse de Lalande 1978 est absolument ravissant. Et, ce qui me fait particulièrement plaisir, c’est qu’on le boit sur un bar qui lui va à merveille. Le 1978 est joyeux, facile, il coule en bouche avec une belle expressivité. Ayant bu il y a moins d’une semaine un Pétrus 1978 magistral, je constate comme 1978 est enjoué en ce moment. Le Pichon Longueville Comtesse de Lalande 1982 a beaucoup plus de mal. Il arrive coincé. Il manque d’espace. Il est comme la chauve souris qui a replié ses ailes. Bien sûr, le carré d’agneau, un peu trop épicé à mon goût, l’excite, car l’épice est toujours un faire-valoir. Mais on sent que ce vin à la structure splendide, riche d’immenses promesses, n’est pas au rendez-vous. C’est un vin puissant et solide qui va s’ébrouer un jour. Quand David Peppercorn, écrivain reconnu du vin fut prié de commenter les vins, il fut académique, caricaturalement britannique, signalant l’étroitesse du 1978 et l’opulente majesté du 1982.

un double magnum de Pichon 2000 sculpté, offert à notre hôtesse

Je ne fus pas du tout d’accord, car c’est un commentaire livresque et non pas de ce que l’on buvait. Il a plus en mémoire la climatologie de l’époque que les sensations de ses papilles expertes. May-Eliane offre à boire à cette docte et sympathique assemblée quatre jéroboams de Pichon Longueville Comtesse de Lalande 1959. Quel cadeau ! Quel grand vin ! Parfaitement oxygéné il montre de la force, de l’élégance, de la maturité, des aspects poivrés et soyeux. Moins pétulant que le 1978 en pleine force de l’âge, il raconte l’histoire émouvante d’un grand vin Il n’a pas une immense longueur, mais ses évocations sont riches, variées, d’une belle gaieté. C’est sa profusion qui m’enchante. Le dessert accueille un Krug Grande Cuvée plutôt jeune et frais, parfaitement adapté à la Nocturne de Max d’Ollone, parent de Gildas, le directeur de Pichon, et à un Francis Poulenc imaginatif et délicat. Apparemment le Pichon 1959 donne du talent musical aussi bien à ceux qui interprètent (puisque les artistes partagèrent les vins et le repas) qu’à ceux qui écoutent. Les discussions se poursuivirent fort tard, les promesses de se revoir fusant de toute part. La Bacchus Society va investir d’autres châteaux pour de nouvelles fêtes. Une immortelle et historique soirée de pure distinction.

mes analyses sur les bouchons lundi, 16 mai 2005

Mes analyses des bouchons des vins du dernier réveillon (bulletin 127) ont interpellé l’un des domaines concernés. J’ai reçu une lettre fort circonstanciée de la direction de Mouton Rothschild. Je me rendis dans des bureaux jouxtant, mais de loin, le magique château que je n’ai jamais visité. Les arguments de Philippe Dhalluin furent convaincants. Un de mes vins préférés vieillira protégé.

Alain Senderens rend ses trois étoiles samedi, 14 mai 2005

Je lis avec surprise l’annonce qu’Alain Senderens rend ses trois étoiles. La pression du statut de trois étoiles a touché beaucoup de chefs : Joël Robuchon prenant une retraite anticipée alors qu’il a atteint l’inatteignable puis revenant avec d’autres concepts, Alain Passard, décidant d’abandonner les viandes, le regretté Bernard Loiseau mettant brutalement fin au combat, et maintenant ce génie qu’est Alain Senderens, bien installé dans des formules qui innovent, décide de changer. Il est clair que les grands chefs ont été, ces derniers temps, surmédiatisés, trop racontés. Si le calendrier Pirelli va bien à Gisele Bundchen ou à Eva Herzigova, il va moins bien à nos rugbymen, mais franchement encore moins bien à nos chefs (ce n’est pas encore fait, mais ça vient, tant on les sollicite). On leur demande trop et ils s’écartent beaucoup trop de leurs fourneaux. La réponse du Michelin à cette décision est cohérente : « faites ce que vous voulez. Je donnerai mes notes en fonction de ce que je vois, pas en fonction de votre attitude ».
On en saura plus sur les motivations de cet immense chef, mais n’est-ce pas l’occasion de mettre à plat quelques questions sur la gastronomie d’exception ? Il n’est pas définitivement indispensable que l’on ait besoin du raffinement extrême qui pousse les prix à des niveaux stratosphériques. Les amuse-bouches d’une complexité folle, les pré-desserts, avant-desserts, post-desserts sont-ils toujours utiles ? Les coupes de champagne qui coûtent aussi cher qu’un honnête repas. Les plats que l’on sert avec un cérémonial d’opérette : un serveur qui apporte l’assiette, un serveur qui verse une sauce, un troisième qui vient broyer du poivre sur le résultat provisoire, un quatrième avec l’assiette d’un abat, un cinquième qui cherche désespérément à loger une assiette de salade et le sixième qui propose un pain fourré à l’olive et au belota qui fonctionne avec le plat. Il y a nécessairement matière à réflexion.
Il y en a une qui s’impose aussi sur la philosophie des cartes des vins. On ne peut pas laisser son invité pendant dix minutes se demander « alors, il y va ou il n’y va pas » quand le livre de cave, si lourd qu’il faut une table spéciale pour le poser demande un temps extrême de décryptage. La démarche d’Alain Senderens, que je ne vois pas abandonner son appétit de recherche et de création, devrait être l’occasion d’une réflexion fort utile.
On s’apercevrait sans doute que la direction qui est explorée aujourd’hui n’est pas forcément celle que souhaiteraient ceux qui fréquentent assidûment les lieux. Les restaurants du plus haut de gamme sont entraînés par les motivations de ceux qui, adossés à de grands hôtels, disposent d’un avantage de moyens inaccessibles aux maisons privées.
La décision d’Alain Senderens va susciter des questions qui seront utiles si on intègre bien que Paris compte aujourd’hui un groupe de chefs inventifs comme probablement jamais ce ne fut le cas auparavant. Paris doit rester la capitale absolue de la gastronomie mondiale. Il faut affirmer plus encore cette suprématie, car les retombées sur l’image de la France et sur la filière viticole seront considérables.
Comment mettre en valeur le patrimoine des vins anciens, c’est ma motivation actuelle. Comment mettre en valeur l’exception culinaire française est un autre combat. La prise de position d’Alain Senderens va être l’occasion d’y penser encore un peu plus. Ce beau sujet va certainement exciter mes neurones.
Nos vins, notre gastronomie, quel enjeu pour notre pays !

dîner de wine-dinners au restaurant Apicius jeudi, 12 mai 2005

J’arrive au magnifique palais Apicius pour ouvrir les vins d’un nouveau dîner de wine-dinners. J’ai déjà décrit le lieu (bulletin 136). Pour la première fois en 52 repas, je vais ouvrir les vins sans sommelier. J’aime qu’il y en ait un pour témoigner de ce qui se passe à l’instant où l’on découvre les mystères que les bouchons cachent. Fort heureusement l’ami qui avait réservé toute la table pour fêter son anniversaire avec quatre couples d’amis vint me retrouver, prenant ainsi connaissance de ces beaux accouchements. L’odeur du Pétrus est magique de perfection. Celle du Chambolle Musigny 1959 de Charles Viénot est éblouissante, plus belle encore que celle du Latricières-Chambertin. L’odeur du Haut-Brion est un peu incertaine et celle du Beaune tellement chaleureuse que je rebouche bien vite. L’odeur du Yquem est encore timide. Certains bouchons se sont désagrégés, d’autres ont résisté. J’eus toute la palette des situations possibles.
Ayant assez rapidement fini cette phase importante, je me rends dans un hôtel particulier du 7ème arrondissement où l’auteur d’un livre sur les plaisirs gastronomiques dédicace son ouvrage. On boit un champagne Philipponnat brut sans année de bien belle facture. Je serre quelques mains et échange d’agréables propos et retourne à Apicius pour l’apéritif partagé avec un joyeux groupe d’amis fort ponctuels. Je décline mes recommandations d’usage sur un magnum de champagne Pommery 1988 dont j’apprécie toujours autant le charme. Ce Pommery est particulièrement réussi.
Nous passons à table dans une salle magnifiquement décorée d’un goût subtil aux audaces coloristes de bon aloi. Sur un mur de couleur moutarde (il y a bien une moutarde de cette couleur là) les bras de Shiva Nataraja séparés de leur corps, tenant fébrilement leurs seize petits poings serrés veillent sur nous. La table est très étirée, ce qui a des conséquences : les discussions se séparent en petits groupes. Cela change l’atmosphère. Fort heureusement, cinq jolies femmes (merci printemps, toi qui donnes des fleurs aux marronniers et sais échancrer le cœur des femmes) soudèrent le groupe pour une collective communion.
Voici le menu créé par Jean Pierre Vigato : Amuse bouche / Chair et corail de homard de Guilvinec émulsionnés / Rouget grillé aux épices, compotée de joue de bœuf et jus tranché au beurre noisette / Ris de veau à la broche « tout simplement » / Tourte de canard rouennais « façon grande cuisine bourgeoise » (voir photo) / Bleu des basques et fourme d’Ambert / Gelée de clémentines en cappuccino / Mignardises. Le menu n’était pas imprimé par le restaurant, alors que c’est un souvenir que l’on aime montrer à tous ses amis. Mais Jean Pierre Vigato compensa par une sollicitude et des propos de bienvenue d’une belle élégance.
Comme avec Yannick Alléno tout récemment, le premier plat est à contre-courant. Le Meursault Coche Dury 1997 boude, il est en RTT. Ce que l’on constate avec une extrême netteté car c’est seulement après le départ des assiettes qu’il montre qu’il est Meursault. Un beau Meursault, mais à ce moment là on ne lui demande plus de l’être. Le rouget absolument délicieux et original puisque l’association avec la joue de bœuf est réaliste est accompagné par le Château Mouton-Rothschild 1993 et par Pétrus 1978. Comme on l’a déjà vécu, le premier désaccord transcende l’accord suivant. Ce fut absolument grandiose. Fort heureusement, le boisé délicat du Mouton, jouant dans une certaine discrétion, ne le condamne pas, alors que le Pétrus éblouissant, miraculeux presque, aurait pu le tuer. Si je ne me réfère qu’aux Pétrus bus en dîner et non en verticale, c’est probablement l’une des plus belles sensations que j’ai eues. Ce Pétrus expose en toute évidence pourquoi Pétrus est incomparable. Un équilibre, une rondeur, un charme sous-jacent, tout est en évocations subtiles, riches, complexes comme seul Pétrus en est capable. Un vraiment grand vin.
J’attendais beaucoup plus du Château Haut-Brion 1950. Car c’est une année splendide pour Haut-Brion et j’en ai des souvenirs mémorables. Le nez n’a pas attrapé la précision qu’il devrait avoir. En bouche, j’aime bien cette évocation de caramel, de lait brûlé sur le feu que l’on retrouve certaines années. Un des convives de l’autre moitié de table, celle où je n’expliquais pas, affirme : « je n’aime pas ». Ça ne se discute pas. Nous avions un vrai Haut-Brion, un peu plus torréfié qu’il ne devrait. Le ris de veau corrige bien sa déviance. J’ai apprécié, mais chacun est fondé à ne pas aimer, si c’est son impression.
La Côte Rôtie La Landonne Guigal 1993 est prévue comme un intermède. Elle le fait très bien, cette bouteille étant beaucoup plus chaleureuse que celle de La Turque que j’ai ouverte récemment (bulletin 139).
Le Beaune Camille Giroud 1928 est presque rose isabelle dans la partie haute et noir d’encre dans la partie finale de la bouteille. Un peu fatigué et mal à l’aise, il ne brille pas, malgré son année de légende, à coté de deux pépites extrêmes, le Latricières Chambertin Pierre Bourrée 1955 qui avait naguère tiré des larmes d’émotion à Richard Juhlin, ce suédois expert mondial en champagnes et le Chambolle Musigny 1959 de Charles Viénot, petite demi-bouteille que j’ai ouverte pour faire plaisir à mon ami, dont les senteurs, la suavité, la sensualité sont époustouflantes. Rien ne peut mieux que ce vin représenter la Bourgogne heureuse. J’ai en mémoire un splendide Chambolle-Musigny 1915. Celui-ci, c’est Dany Brillant jouant les crooners. Le Latricières a la même émotion que naguère (bulletin 107). Jean Pierre Vigato est venu découper lui-même les tourtes. Paraphrasant les Tontons Flingueurs je dirai : « ça c’est un plat pour homme ». Puissant canard, sauce lourde comme du bitume bouillant, c’est la cuisine que j’aime, évocatrice des festins de jadis.
Avec les deux fromages, le Château Doisy, Barsac 1966, que mon ami avait déjà bu et aimé, confirme sa solidité rassurante. Le Château d’Yquem 1941 au bouchon d’origine bien conservé garde longtemps des traces poivrées qui recouvrent ses tendances d’agrumes. Le dessert lui convient bien. Le Yquem se prélasse avant de s’étaler pleinement. Plutôt ascétique, c’est une belle démonstration des Yquem puritains. Vin de ravissement pour des convives peu habitués à ces Yquem anciens. Un peintre vivant de sa peinture, écrivain de surcroît, est un grand connaisseur de Rhums. Il sut au nez reconnaître l’origine du Rhum # 1890 que j’avais entamé au dîner où figurait le Latricières Chambertin Pierre Bourée 1955 que je viens d’évoquer. Nous profitons de ce Rhum martiniquais chaud en bouche, aux saveurs épicées de grand charme.
Tous les vins furent cités dans les votes au moins une fois. Le Chambolle ne figurant pas sur le menu que j’avais imprimé ne fut pas en compétition. Il aurait sans doute glané plusieurs places de premier. Pétrus fut plébiscité avec sept places de premier, figurant dans les onze votes. Les plus cités furent ensuite le Yquem 1941 et le Latricières Chambertin. Mon vote compta dans l’ordre (1) Pétrus 1978, (2) Latricières Chambertin 1955, (3) Doisy 1966 et (4) Yquem 1941.
Jean Pierre Vigato a eu l’intelligence d’exécuter ses recettes dans leur essence. Pas de chemin de traverse, pas de signature inutile. Je suis sensible à cette recherche de pureté. Un service précis, une gentillesse attentive de Hervé, sommelier d’une grande efficacité. Dans ce palais au charme particulier, nous avons tout rassemblé pour créer un repas mémorable. Le sourire d’amis venus célébrer l’anniversaire de l’invitant, sa gentillesse, sa sensibilité ont complété ce tableau d’une rare beauté.

Dîner de wine-dinners au restaurant Apicius jeudi, 12 mai 2005

Dîner de wine-dinners du 12 mai 2005 au restaurant Apicius
Bulletin 141

Les vins de la collection wine-dinners
Magnum de champagne Pommery 1988
Meursault Coche Dury 1997
Château Mouton-Rothschild 1993 (offert par Olivier Boulay)
Pétrus 1978
Château Haut-Brion 1950
Beaune Camille Giroud 1928
Latricières Chambertin Pierre Bourrée 1955
Chambolle Musigny Charles Viénot 1959
Côte Rôtie La Landonne Guigal 1993
Château Doisy Barsac 1966
Château d’Yquem 1941
Rhum # 1890

Le menu créé par Jean Pierre Vigato

Amuse bouche
Chair et corail de homard de Guilvinec émulsionnés
Rouget grillé aux épices, compotée de joue de bœuf et jus tranché au beurre noisette
Ris de veau à la broche « tout simplement »
Tourte de canard rouennais « façon grande cuisine bourgeoise »
Bleu des basques et fourme d’Ambert
Gelée de clémentines en cappuccino
mignardises

dîner impromptu au restaurant Guy Savoy mardi, 10 mai 2005

A l’initiative d’une banque, je me rends au cinéma Mac Mahon pour une séance spéciale où l’on projette le film « La Cage aux Rossignols » de 1944 avec Noël-Noël. J’avais vu ce film il y a bien longtemps, quand les petits chanteurs à la croix de bois étaient populaires. Je n’imaginais pas que les Choristes étaient une copie conforme de ce film (en français, « remake »). On a bien annoncé une parenté. Mais un mot à mot à ce point ! J’ai pleuré en voyant les Choristes. J’ai pleuré en voyant le film La Cage aux Rossignols qui dégage une émotion similaire, mais plus sensible car s’y mêle la nostalgie d’une France proche de celle de mon enfance, France définitivement disparue. Que faire quand on a pleuré et qu’on est avenue Mac Mahon ? On va chez Guy Savoy bien sûr. Prudent, j’annonce à Eric Mancio que je n’ai pas faim. Un plat suffira. Un stick au foie gras délicieux est mis dans ma main en signe de fraternité. Le blanc de blanc de la maison pétille sur ma langue. Des petits amuse-bouches mettent dans l’ambiance de la sophistication du lieu. Je demande à ne pas commander, confiant les yeux fermés à Guy Savoy le soin de décider. Une huître délicieuse, marine au possible, égaye mon palais. La marée de mon humeur remonte. Une entrée où un œuf est déposé sur un tapis de verdure dont les petits pois semblent pousser à vue d’oeil est absolument printanière et fraîche. On est bien. J’ai commandé une demie Krug Grande Cuvée parce que j’aime ce champagne. Sa personnalité est immense. J’ai offert quelques gouttes à deux jeunes voisines qui fêtaient leurs dix ans d’amitié et peut-être ( ?) de vie commune. La soupe d’artichaut au parmesan et à la truffe est toujours parfaite. Le champagne claque sur la langue avec ce plat, alors qu’il était sur le banc de touche au passage du petit pois. Un bar magique, avec sa peau craquante est un vrai plat roboratif. Le bar est goûteux. Là, le Krug ne se sent plus de joie. Il ouvre un large… éventail de saveurs intenses.
Si quelques esquisses de dessert sont plaisantes, c’est avec des madeleines minute (redoutables comme les serpents du même nom) que le Krug chante à tue-tête. Quel bonheur ! La cerise sur le gâteau fut de pouvoir bavarder de longs moments avec Guy Savoy qui se décontractait d’une soirée active. Des petites haltes impromptues, quand on les met dans les mains de tels artistes, deviennent des festins.

dîner d’amis avec des surprises à l’aveugle mardi, 10 mai 2005

Un dîner d’amis, où j’ai cherché à dérouter des amateurs aguerris dans une dégustation à l’aveugle. Une Clairette de Die, méthode champenoise Jean Algoud Demi-sec # 1970. Un goût de fruit à noyau, comme abricot ou pèche. On soupçonnait que j’avais pris un vieux champagne auquel j’aurais ajouté un sirop de fruit. Après quelques tentatives et une prise de position nette : « ce n’est pas un champagne », un convive a trouvé l’origine. Bien au contraire, un Eitelsbacher Karthäuserhofberg Kronenberg Kabinett 1985 Riesling Saar a vu son origine varier sur tout le territoire français. Il n’y a peut-être que la Bretagne (est-ce bien sûr ?) qui n’a pas été citée dans cette recherche impossible. Le plus rageant est que l’un des convives avait immédiatement cité Riesling à son épouse qui lui avait dit discrètement : « tais-toi, c’est faux ». Ce vin a remarquablement accompagné un foie gras au pain d’épice, avec cette gentille acidité citronnée, combinée à un aimable fruit. Le nez de vrai Riesling (quand on sait !) aurait dû guider les recherches. Autre difficulté gustative, un Vouvray Clovis Lefèvre 1959 accompagnait le même plat, et nous entraînait dans des saveurs bien différentes. Chaleureux, très jeune, bien rond, il enveloppait le palais avec une multitude d’arômes qui gênait la recherche. Normal de ne pas trouver, car la complexité de ce vin n’en faisait plus un classique Vouvray. Extrêmement intéressant de voir cette palette large dans le vineux, le fruité, la sécheresse mêlée à l’onctuosité, le sucré mêlé à l’acidité. Vin de grand plaisir. J’avais goûté le Vouvray sec 1961 du même propriétaire que je n’ai pas aimé.
Le Château L’Evangile à Pomerol 1967 avait la beauté des Pomerol, la jeunesse d’un vin des années 70, et une discrétion propre à l’année 1967. Ce n’est pas un vin qui en montre trop, mais c’est un vin orthodoxe, tranquille (sans être un vin tranquille !), gentil Pomerol plein de satisfactions. J’ai servi ensuite un vin dont le nom seul ferait pâlir d’envie tout dégustateur : quand on dit « Lafite 45 », tout le monde se pâme. En fait, c’était un « bâtard », une copie, un homonyme. Mais un vin qui méritait le détour : Château Lafitte Camblanes 1945, Premières Côtes de Bordeaux rouge Eschenauer. Je n’allais évidemment pas prolonger l’ambiguïté du nom longtemps. Mais le nez de ce vin était remarquable : senteur envoûtante, ronde, épanouie. En bouche, une forte acidité qui n’a pas gêné des convives, mais forçait des grimaces à un de mes amis. A chacun son palais. La diversité est la vie. Jolie bouteille que je mettrai au musée du site wine-dinners. Le Château Mayne-Bert, Barsac 1939 avait une merveilleuse couleur. Je crois me souvenir avoir bu un 1941 de ce château qui m’avait déçu. Celui-ci m’a ravi : nez magnifique de ces Sauternes accomplis, qui ont la force de l’âge que donne cette époque. En bouche, la rondeur, le gouleyant, et ces saveurs d’agrumes si agréables. Avec une pâte persillée c’est un régal. J’ai essayé de manger des quartiers de mandarine directement avec ce Barsac. Mais cela ne va pas. Il faut le talent d’un chef pour adoucir les agrumes, et ajuster les goûts. Il restait un verre d’une Muscat de Rivesaltes 1994 de Bernard Cazes. Avec la même mandarine, c’était un régal. Sur une crème brûlée, je demande : qu’aimeriez-vous que j’ouvre ? Tout le monde répond Yquem. Je carafe une bouteille en cave pour garder le secret. Personne n’a reconnu le Château d’Yquem 1991, aucun convive ne supposant que j’allais ouvrir un Yquem simplement parce qu’on me le demandait. Je l’avais évidemment prévu. Un Yquem bien jeune, un peu court, même si l’on a le plaisir d’Yquem. Mais on n’a pas la richesse définitive des grands Yquem.
Je suis en fait assez opposé aux dégustations à l’aveugle. Un fois de temps en temps, c’est amusant, mais cela détruit toute possibilité de conversation sur d’autres sujets. Et de plus, cela prive parfois du plaisir de savourer un vin de légende si on n’a pas immédiatement « mordu ». Cela me rappelle Pétrus 1961. Dégusté à l’aveugle, je goûte un solide gaillard. Intéressant. Mais dès qu’on me dit que c’est Pétrus 1961, immédiatement je reprends la dégustation en me disant que je suis en train de boire une légende. Or de tels vins méritent qu’on les boive avec dévotion. Que ma dégustation soit alors influencée par le nom n’a pas d’importance, car je suis là non pas pour le noter, pour en conseiller l’achat. Je suis là pour le déguster, en profiter. Alors, pas question de passer à coté d’un légende parce qu’on n’aurait pas su. J’ai encore le souvenir d’un ami qui dégustant avec moi Mouton 1870 à l’aveugle commence à dire « petit vin ». Il vaut mieux déguster en clair. On s’évite des contresens.

Vins divers mardi, 10 mai 2005

Nous avons cité un vin de 1960 de Louis Max (bulletin 30) dont l’étiquette était fortement déchirée. Il s’agit d’un Côtes de Beaune Clos les Topes Bizot 1960 Louis Max. Ce sont les représentants de cette belle maison de Bourgogne, aidés des quelques lettres déchiffrables, qui m’ont gentiment reconstitué ce puzzle.
Le hasard de la relecture de bulletins m’a fait penser aux « têtes de gondole ». Dans un grand magasin, le consommateur prendra plus volontiers des produits dans certains emplacements, fonction de la hauteur, de la visibilité et d’autres facteurs inconscients. C’est ainsi que je me suis rendu compte que lors d’un dîner (bulletin 21) j’avais ouvert un Monbazillac Château Le Chrisly 1965 suivi d’un Château Gilette Crème de Tête 1949. Or, lors du dernier dîner chez Laurent, j’ai ouvert un Monbazillac Château Le Chrisly 1965 suivi d’un Sauternes Château Gilette « doux » 1945. Est-ce à dire que lorsque je flâne dans les caves qui conservent ces vins, pour préparer les successions de goûts que des chefs vont mettre en valeur, je vais « forcément » vers ces vins là ? J’ai inconsciemment réagi en subissant l’automatisme de la « tête de gondole », arme marketing qui est bien loin du charme vénitien que suggère cette expression imagée. Dans les deux cas, le Chrisly a étonné plus d’un convive.

un dîner dans ma maison du Sud vendredi, 6 mai 2005

Je vais me reposer dans le Sud, où l’eau minérale est au programme. Mais un agneau de Sisteron où l’ail abonde réclame un vin. Pioche encore classique, car l’échantillonnage est rare dans cette petite cave, c’est un Mouton Rothschild 1987. J’avoue avoir à chaque essai la même naïveté, la même innocence. Je trouve cela bon, et même franchement bon. Le bois est intelligent. La trame qui suggère les forêts tropicales est longue. La trace en bouche est profonde et subtile. On se sent bien. Voilà un vin qu’il ne faut boire que pour lui-même, c’est-à-dire pas en comparaison comme on le fait trop souvent. Il a déjà près de 18 ans. Quel jeune bambin encore ! On en reparlera longtemps, plus, sans doute, que d’autres de ses conscrits.
Comment allait se situer un Château de Pibarnon, Bandol 1990 après cet élégant jeune homme ? Le nez a le charme du Sud. Une belle séduction. L’attaque est belle de plénitude, puis tout s’arrête en bouche. Le Mouton a encore trop de rémanence. Le souvenir du Mouton s’estompe et le Pibarnon s’ouvre comme une fleur d’été. Ce vin est chaud, chantant, ensoleillé. Bien sûr, il n’a pas la noblesse du Mouton, mais qui s’en soucie. C’est beau. Il évoque quelques amertumes bourguignonnes de grand plaisir. Voilà un vin simple à apprécier comme il est. Je chanterai encore longtemps comme ces vins de Bandol vieillissent bien.