je découvre le splendide nouveau site de Apicius vendredi, 25 mars 2005

La bonne humeur qu’avait créée la surprise du chasseur lecteur m’a sans doute poussé à rester dîner (voir bulletin 135) en improvisant une table à 19h55 ! Avant que mes convives n’arrivent pour ce dîner je cours saluer Jean-Pierre Vigato dans son palais de la rue d’Artois qui donne à toute son équipe un large sourire. C’est ainsi que l’on devrait concevoir de vivre à Paris : un parc de cinq mille mètres carrés et un hôtel particulier où l’on doit compter bien plus de mille mètres carrés de plancher. Et je ne peux m’empêcher de penser à Jean-Pierre Raffarin. Un ministre sans enfant a le droit de se loger dans 80 mètres carrés. Si l’on admet que la surface permise va décroître de deux mètres carrés par échelon hiérarchique dans la fonction publique, j’imagine volontiers que le garde barrière de la SNCF qui surveille la D 129 qui mène à Trifouillis les Pomponettes va se voir attribuer un logement virtuel de « moins » dix mètres carrés, concept mathématique fort intéressant où la logique raffarinienne créerait des surfaces dont les dimensions sont des nombres imaginaires purs, qui auraient passionné Salvador Dali s’ils avaient eu une couleur comme les voyelles rimbaldiennes. Je quitte le palais de la rue d’Artois joliment décoré d’un modernisme rassurant. Les arums y sont présentés dans de gigantesques soliflores garnis de belles ailes d’ange toutes blanches sans doute volées à Victoria’s Secret. Des peintures et sculptures d’une rare beauté, des coloris tendance, tout ici donne envie de festoyer. On le fera bientôt : pour le mois à venir, un dîner dans une suite où Dali a vécu, un autre dans le beau palais d’Apicius. Diriger les dîners de wine-dinners est un vrai sacerdoce. Je gagne mon paradis.

la suite Salvador Dali sera l’écrin du 50ème dîner de wine-dinners vendredi, 25 mars 2005

Comme dans les films, je vais faire un flash back sur le bulletin précédent. J’étais venu porter les vins du 50ème dîner au restaurant de l’hôtel Meurice. Des chasseurs règlent le ballet des voitures. L’un d’eux me dit : « bonjour Monsieur Audouze ». Je suis surpris car il est assez rare qu’on se nomme à l’extérieur de l’hôtel. Il continue : « j’ai lu votre livre. Très intéressant ». Et il m’explique que sa mère ayant travaillé au château Haut-Brion lui avait enseigné l’amour du bon vin.
Yannick Alléno me fait visiter la suite « Dali », suite que ce peintre a occupée de façon constante et avait taguée. Une rénovation studieuse l’aura fait redevenir civilisée. On aura peut-être perdu des trésors picturaux. Nous serons en salon privé car la télévision va filmer l’événement. Je repense à Dali. Jeune polytechnicien, j’avais dix-huit ans à peine, je dois, avec mes camarades, élire les représentants de la promotion. Une campagne festive doit attirer les votants. Un de mes camarades organise la venue de Marie Laforêt dont les yeux d’or font chavirer ces naïfs matheux qui pendant des années ont trouvé plus de charme à une sinusoïde ondulante qu’à un jupon caressé par un soleil de printemps. Un autre a invité Salvador Dali à tenir une conférence qui fut l’un de mes souvenirs de jeunesse les plus éblouissants. Le « maître » nous indique que les deux preuves de l’existence de Dieu sont l’oreille de Jean XXIII et la gare de Perpignan. Une logique qui ne figure dans aucun des manuels que l’on aura potassés pendant de studieuses années.

dîner impromptu au restaurant de l’hotel Meurice jeudi, 24 mars 2005

Je vais livrer les vins pour un prochain dîner (le 50ème) à l’hôtel Meurice. Discussions toujours passionnantes avec Yannick Alléno. L’ambiance, l’atmosphère, les odeurs. Je ne peux pas quitter l’endroit. J’y reste. Alors qu’il est vingt heures, un coup de fil me permet de constituer une table de trois. Un repas impromptu va s’organiser. Le menu dégustation nous tend les bras. C’est parti. La cuisine de Yannick Alléno dégage une passion, une exploration de saveurs, qui force l’adhésion. On ne peut pas ne pas approuver cette démarche. Mais pensant aux vins que j’associerais à ces plats, qui sont dans un registre ancien, je ne peux pas avoir un enthousiasme aussi libéré. La sauce qui accompagne les asperges à la moelle et au parmesan me ravit l’âme, tant j’y vois de lourds Chambertin se pâmer dans une chaude étreinte érotique. Les morilles juste exprimées me font crier de joie. Alors que les langoustines à la cuisson exacte, orientalisées avec charme, sont trop complexes pour les vins que je côtoie. Et le pigeon à la chair voluptueuse, plat magnifique, est trop riche dans ses accompagnements. Beaux exercices de maîtrise avec une pointe d’intellectualisme qu’il va falloir encanailler si l’on veut les mettre dans l’orbite de mes vins. Je sais que Yannick Alléno le ressent. Vous en aurez la preuve absolue dans le dîner 50.
Sur ce magistral menu, j’avais choisi des vins de grande sérénité. Le champagne Dom Ruinart 1990 est un champagne de sécurité. C’est goûteux, mais c’est aérien. La bouche en garde une belle trace de plaisir. L’Hermitage blanc Chave 1993 a la plénitude inexorable du blanc solidement assis. C’est chaud, c’est viril, c’est simplifié, mais c’est efficace. Et sur les anchois si délicatement traités, le Chave démontre que lorsqu’on attend de la subtilité, il répond présent. En fait c’est Porthos, ce solide mousquetaire : rustaud apparemment, mais galant homme assurément.
Le Château Rayas, Chateauneuf du Pape rouge 1998 est prodigieux. Quelle maturité pour un cadet ! Je n’arrive pas à m’enlever de l’esprit que ce vin parle le langage de la Bourgogne. On a de ces amertumes, de ces complexités, de ces provocations gustatives qu’on ne retrouve qu’en Bourgogne. Mais c’est un Rhône. Un grand. Et sur le foie gras, territoire où il chasse peu, il se révèle magistral. Ce fut de loin le plus bel accord de ce grand repas (on verra qu’il m’a inspiré pour le 50ème dîner). La saveur instantanée la plus belle fut la sauce des asperges. On est avec Yannick Alléno sur le terrain de la gastronomie qui ira loin.
Eric Fréchon plus Yannick Alléno, c’est, à coup sûr, six étoiles pour bientôt.

Quelques repas dans le Sud dimanche, 20 mars 2005

Partant en diète dans ma maison du Sud, je brisai une cure nécessaire pour des amis, convives d’un dîner récent. Je revisite évidemment des vins, car la cave est ici fort ténue. Un champagne Pommery 1987 me ravit toujours autant. Ce champagne à la bulle fort active, au jaune d’or bien jeune, a un charme auquel je succombe. Ses dix-huit ans l’ont rendu séduisant, enjôleur. Un champagne typé de grand confort.

Le Château Mouton-Rothschild 1987 n’a pas la puissance du 1978 bu au dernier dîner. Il a un bois bien présent et une trame élégante. Il montre très clairement qu’il est bien fait. Voilà un vin qu’il faut boire avec plaisir si on n’ouvre pas à ses cotés des vins d’une grande année. Il souffrirait d’avoir un concurrent, alors qu’il joue bien quand c’est son nom qu’on lit en gras sur l’affiche. Lorsqu’il est servi seul, sans compétiteur, il donne un grand plaisir. Et c’est bien ainsi.

Le Côtes de Provence Rimauresq 1985 est une rareté, car on ne trouve plus ces années, depuis longtemps disparues de tout circuit commercial. C’est un tort. On sait que ce vin vieillit bien. Sans avoir la complexité ni la longueur des grands vins, c’est un petit bijou de rondeur bien comprise. Vin de bonne soif dans un Sud accueillant. Sur un agneau pascal, c’est une association de grand plaisir.

galerie 1942 samedi, 19 mars 2005

Bouteille bleue, car sans plomb, comme souvent pour les bouteilles de guerre.

Richebourg 1942 Domaine de la Romanée Conti. Sera bu le 25/01/2007 chez Jacques Le Divellec.

Dîner de wine-dinners au restaurant de l’hôtel Bristol jeudi, 17 mars 2005

Dîner de wine-dinners du 17 mars 2005 au restaurant de l’hôtel Bristol
Bulletin 135

Les vins de la collection wine-dinners
Champagne Collery-Herbillon à Ay demi-sec (#25 ans)
Champagne Dom Pérignon 1993
Pouilly Fuissé, Château Fuissé M. Vincent Propriétaire 1959
Corton Charlemagne Grand Cru Verget 1991
Château Figeac 1960
Château Léoville Poyferré 1929
Pommard Rugiens Pierre Clerget 1961
Pommard Refène Domaine Charles Girard 1947
Château Chalon, « Vin Jaune » Marcel Poux 1949
Château Rayne Vigneau Sauternes 1947

Le menu créé par Eric Fréchon
Baba truffé et vacherin, imbibés au vin jaune, ailerons et bouillon de poule fumé
Macaronis truffés, farcis d’artichaut et de foie gras de canard, gratinés au vieux parmesan
Filets de sole farcis aux girolles, cuits au plat, parfumés au vin jaune
Anguille cuisinée en matelote, oignons caramélisés et lard fumé
Queue de bœuf cuite en pot au feu, chou farci de foie gras de canard et truffe noire
Comté millésimé 2001
La clémentine, quelques façons de la déguster
Vacherin aux marrons givrés et glacés, crème et succès aux noix

Dîner de wine-dinners au restaurant de l’hôtel Bristol jeudi, 17 mars 2005

Dès le lendemain, j’enchaînais un deuxième dîner, qui allait se dérouler au restaurant de l’hôtel Bristol. Nous sommes déjà largement rodés, et le tandem Eric Fréchon – Jérôme Moreau va créer un menu de pure subtilité.

A l’ouverture des vins, c’est une jeune stagiaire qui m’assiste. Lors de la mise en place des bouteilles elle a malencontreusement cassé un verre. Cela brisa aussi la joie qu’elle aurait pu connaître d’approcher de si belles bouteilles. J’espère lui donner une autre occasion, car cette apprentie volontaire et talentueuse mérite de garder de ces vins un souvenir positif. Les bouchons ont des résistances diverses. J’essaie la méthode Besson (pousser le bouchon vers le bas et non vers le haut pour le décoller avant de l’extraire) qui est efficace sur un vin et se révèle peu concluante sur un autre. Les odeurs sont assez franches ou évolueront bien. Le nez du Léoville Poyferré 1929 me fait peur. Saura-t-il revenir ? J’en doute, mais je préfère garder l’espoir.

Le menu créé par Eric Fréchon, mis au point avec son sommelier de grand talent, Jérôme Moreau, est un exemple brillant de subtile gastronomie : Baba truffé et vacherin, imbibés au vin jaune, ailerons et bouillon de poule fumé / Macaronis truffés, farcis d’artichaut et de foie gras de canard, gratinés au vieux parmesan / Filets de sole farcis aux girolles, cuits au plat, parfumés au vin jaune / Sandre de Loire cuisiné en matelote, oignons caramélisés et lard fumé / Queue de bœuf cuite en pot au feu, chou farci de foie gras de canard et truffe noire / Comté millésimé 2001 / La clémentine, quelques façons de la déguster / Vacherin aux marrons givrés et glacés, crème et succès aux noix.

Le champagne Collery-Herbillon à Ay demi-sec que j’ai annoncé âgé de 25 ans dans l’invitation en a, en fait, au moins 35. Ce qui le positionne vers 1970 ou avant. Il est rosé, et sa couleur évoque plutôt celle d’un kir dont il suggère le goût. De la fraise des bois, voire du chocolat, l’absence de bulles, tout cela déroute et désarçonne mes convives. Quand on a admis que l’on est en présence d’un vin qui n’a plus rien à voir avec un champagne rosé, on le goûte avec beaucoup de bonheur. C’est un « produit » inclassable qui évolue au nez de façon éblouissante, finissant par évoquer, vers le milieu du repas, la force d’un Armagnac !

Le champagne Dom Pérignon 1993 rassure. On est en terrain de connaissance. Beau champagne séducteur, sécurisant pour beaucoup, assez attendu pour moi. Champagne de plaisir.

Le Pouilly Fuissé, Château Fuissé M. Vincent Propriétaire 1959 a une jolie couleur dorée. Le nez est franc, capiteux, et en bouche, c’est un moment de plaisir. Tout le monde éprouve comme un choc l’accord sublime du bouillon avec le Pouilly. Ils se complètent et s’enjolivent l’un l’autre. Comme le premier champagne ce vin est hors repère, mais son équilibre et son épanouissement le rendent charmant.

On se retrouve de nouveau dans des zones rassurantes avec le Corton Charlemagne Grand Cru Verget 1991. Très joli Corton Charlemagne qui se range dans l’esprit des Bonneau du Martray plus que dans celui des Bouchard dont j’ai la mémoire récente. Les macaronis et le vieux parmesan lui donnent une belle réplique.

Le Château Figeac 1960 est assez exceptionnel. Il arrive épanoui par un oxygène adapté, et sur le filet de sole, se révèle magistral. Grand Figeac au moment où nous le goûtons, expressif, dense et charmeur. Je ne sais pas ce qu’en dirait Thierry Manoncourt, mais ici, c’est un saint-émilion éblouissant.

Le Château Léoville Poyferré 1929 n’aura pas eu la force suffisante pour revenir à la vie. Jérôme Moreau me verse toujours les premières gouttes afin que je vérifie l’état de chaque vin au moment du service. J’ai donc la plus mauvaise version du vin, celle qui a côtoyé le bouchon pendant des années. Ici, le vin ne mérite pas d’être gardé, sauf pour en suivre l’expérience, car sous la désagréable impression de serpillière on peut imaginer qu’il aurait pu être beau. Lorsque je propose alors à la studieuse assemblée, composée d’amateurs qui se connaissent professionnellement, d’ouvrir la bouteille de réserve, je sais qu’il y aura toujours un convive pour dire oui. C’est un résultat quasi automatique. Quand en plus c’est Mouton-Rothschild 1978, le oui est assuré. C’est plus facile qu’un référendum. Le vin fut demandé par un convive enthousiaste. Il fut ouvert. Ce qui est amusant, c’est que j’avais longuement parlé à cette studieuse et attentive assemblée de l’apport crucial de l’oxygène. Et voilà que ce vin ouvert sur l’instant est magnifique. Quelle personnalité, quelle trace gustative ! Ce qu’un convive résuma ainsi : « vous vous rendez compte, vingt ans de vos recherches sur l’ouverture des vins qui s’effondrent d’un seul coup ». Nous en avons ri, car effectivement ce Mouton s’ébroua de façon déconcertante, offrant un final d’une complexité rare. Un très grand vin. Le sandre qui avait remplacé au dernier moment une anguille qu’Eric Fréchon n’avait pas pu approvisionner fut élégant, goûteux et l’association au Mouton, faute de Léoville, fut très excitante.

Le Pommard Rugiens Pierre Clerget 1961 servi en premier, et le Pommard Refène Domaine Charles Giraud 1947 servi ensuite (c’est celui de la photo) furent les compagnons d’une grandissime queue de bœuf. La sauce, sorte de petit bouillon, puisqu’on savoure un pot au feu, fut un sublime complément des deux Pommard. Quel charme, quelle sensualité que ces deux Pommard complémentaires, le 1961 dans une belle expression jeune, le 1947 d’un épanouissement exceptionnel, avec une trace en bouche inextinguible. On prend conscience de ce qui fait le charme énigmatique de la Bourgogne quand chaque gorgée surprend.

Le Comté 2001 est particulièrement goûteux. Oserais-je dire aérien ? Avec un "Vin Jaune" Marcel Poux 1949, accord d’une évidence biblique, la bouche se remplit de saveurs rares, tant il faut un vin de cet âge pour compliquer la ronde des saveurs. Ce n’est certes pas le plus puissant des vins jaunes, relativement peu charpenté, mais le charme agit.

Sur de belles déclinaisons de dessert, c’est évidemment le Rayne Vigneau Sauternes 1947 qui accapare les flashes des paparazzi. Il est la vedette. Et la seule. La couleur de ce vin est absolument parfaite. C’est d’un or rose orangé qui paraît tellement naturel qu’on ne conçoit pas de plus belle couleur. Le nez est élégant, parfaitement distingué. Il n’en fait pas trop, il fait ce qu’il faut. Et en bouche la saveur est parfaite. Coluche avait coutume de dire : « plus blanc que blanc, ça n’existe pas ». Quelles nuances donner au mot parfait ? En un temps très court, je viens de goûter Guiraud 1893, Filhot 1908, Fargues 1945, la Tour Blanche 1943, Filhot 1929 et Rayne Vigneau 1947. Comment et où situerais-je le sauternes parfait ? De mémoire, puisque ces vins ont été bus dans des circonstances qui influencent forcément le jugement, je dirais que le Filhot 1929 fut le plus parfait (plus blanc que blanc), car il représente l’expression idéale du Sauternes absolu. Mais Rayne Vigneau 1947 est parfait pour un Sauternes que je qualifierais de « jeune », si l’on peut dire d’un vin de 1947 qu’il est jeune. C’est le Sauternes qui a commencé à acquérir toute la perfection des vins anciens, et qui est encore jeune premier. C’est Delon à vingt ans. C’est Jean Marais au même âge. Alors que Filhot est le séducteur consacré. C’est Gérard Philippe à quarante ans ou Clark Gable. A leurs cotés, les quatre autres sont des sauternes soit typés comme Guiraud ou Fargues, soit classiques comme le Filhot 1908 et La Tour Blanche 1943. Six immenses sauternes, et six expressions vraiment différentes. Le Rayne-Vigneau répond à des canons de beauté d’une exigence impitoyable. C’est un immense vin.

Le vote fut difficile encore une fois, et neuf vins sur onze eurent l’honneur d’au moins un vote, quatre d’entre eux ayant la reconnaissance d’être cités vainqueurs par l’un des convives. Les plus nommés furent le Rayne Vigneau 1947, le Pommard 1947, le Pommard 1961, le Figeac 1960 et le Corton Charlemagne 1991. Mon vote fut le suivant : Rayne-Vigneau 1947, Pommard 1947, Vin Jaune 1949 et Pouilly Fuissé 1959, qui méritait cet encouragement.

Le Bristol est une immense organisation qui tourne à un rythme exigeant. La clientèle veut de la perfection, et tout de suite. Malgré cette immense charge, Eric Fréchon et Jérome Moreau, qui forment une équipe efficace, auront élevé la cuisine ce soir à un niveau d’invention intelligente qui mérite les vivats. Les accords qui m’ont particulièrement ému sont les deux bouillons, celui qui communiait avec le Pouilly et celui qui baignait les deux Pommards. La chair de la sole avec le Figeac fut splendide. Le plat le plus sensoriel est la queue de bœuf avec son chou farci. Un plat très grand dans l’exécution.

Nous étions une assemblée d’hommes. Aucun ne pouvait vraiment ignorer, sauf s’il était de dos, une femme à la peau d’ébène d’une invraisemblable beauté, que l’on reconnaît dans les magazines sur des photos de mode, au luxe le plus exclusif. Avec la permission de la table, tel un roi mage, je vins déposer à ses pieds, ou plutôt pour ses lèvres, l’or, l’encens et la myrrhe de Rayne-Vigneau. Son sourire, quand elle l’eut goûté, m’a paralysé. Mes neurones étaient en survoltage et je ne savais plus qui était le plus beau, de ce vin de totale perfection ou de cet ange irréel qui m’avait souri. C’est à l’aveugle que je vins rejoindre notre table. Il fallut me tapoter la main pour que je me rende compte que le monde continuait d’exister. Apparemment j’ai survécu, puisque j’ai rédigé ce compte-rendu. La nature, les cathédrales, Mozart, une jolie femme, un sauternes … Dans cette vallée de larmes, Dieu nous a laissé quelques ermitages de consolation.

Dîner de wine-dinners au restaurant de Gérard Besson mercredi, 16 mars 2005

Dîner de wine-dinners du 16 mars 2005 au restaurant de Gérard Besson
Bulletin 134

Les vins de la collection wine-dinners
Champagne Pâques Gaumont à Trépail, brut vers 1985
Champagne Salon « S » 1985
Saint-Véran Bichot 1989
Château Haut-Brion blanc 1998
Château Croque Michotte 1971
Domaine de La Lagune, Barton & Guestier 1934
Corton Renardes Michel Gaunoux 1990
Beaune Avaux J. et M. Gauthey 1964
Château Rieussec 1965
Château Filhot 1929

Le menu créé par Gérard Besson
Caroline au salpicon de volaille truffée
Pompadour, foie gras, truffe
Noix de Saint Jacques et huîtres juste pochées sur un lit de laitue de mer
Queues de langoustines au court-bouillon et cœur de palmier
Filet de rouget sur un fond de sauce au vin rouge, macaroni duxelle
Agneau de Mauléon à l’Orientale
Suprême de canette de Challans rôtie, sauce groseille cassis
Feuilleté à ma façon, sauce salmis
Bleu de Sassenage, bleu de Termignon au coing confit
Mangue et ananas bouteille au parfum de cannelle
« interprétation » d’abricot Bergeron

Dégustation de vins de la maison Henriot mercredi, 16 mars 2005

La journée du 16 mars, racontée dans le bulletin 134, avait été particulièrement active. A midi, repas bimestriel d’amis. Je les quitte pour me rendre au Plaza où Joseph Henriot et Bernard Hervet présentent avec leurs équipes les plus belles productions de leurs domaines. Il y a beaucoup de professionnels, car tout a été fait pour les attirer. Je me borne (si l’on peut dire) à goûter le Chevalier Montrachet Bouchard Père & Fils 1988 que je trouve un peu en dedans de ce qu’il pourrait faire, et un Puligny Montrachet les Folatières 1955 dont je bois d’abord le fond d’une bouteille déjà largement aérée et le début d’une bouteille récemment ouverte. A mon grand plaisir, s’il y a effectivement un écart d’épanouissement, celui qui est encore fermé a aussi bien du charme. Deux expressions d’un blanc fort expressif, au nez de crème, de beurre et des saveurs assez exotiques qui ravissent le palais par une belle trace persistante.

Au rayon des champagnes, nul ne pourrait résister à deux fleurons de la maison. Le champagne Henriot Cuvée des Enchanteleurs 1990 a une personnalité affirmée, et une espérance de vie qui semble illimitée. On dirait que le sprinter ne fait que s’ébrouer avant l’appel du starter. Le champagne Henriot Cuvée des Enchanteleurs 1964 est tout simplement époustouflant. Là aussi je goûte le fond d’une bouteille et le début d’une autre. Contrairement à l’expérience faite avec le Puligny, il faut ici oublier le vin qui vient juste d’être ouvert pour ne savourer que celui qui s’est bien aéré. Sublime champagne à la trace en bouche infinie. L’imprégnation voluptueuse des papilles est un grand moment. Il fut suivi par le Salon 1985 du dîner chez Gérard Besson que j’ai raconté. On parle ici de champagnes d’exception.

Au sein de cette assemblée joyeuse j’ai retrouvé Yann, sommelier complice des belles bouteilles que l’on a vues sur France 2 à « Envoyé Spécial ». Comme deux combattants d’une guerre gagnée, nous étions heureux de nous remémorer les moments où nous obtînmes de fiers galons (Montrachet 1865 par exemple).

J’allais ensuite ouvrir les bouteilles du dîner chez Gérard Besson.

Dîner de wine-dinners au restaurant de Gérard Besson mercredi, 16 mars 2005

Je vais au restaurant de Gérard Besson pour ouvrir avec Alain, sympathique et efficace sommelier, les bouteilles de ce soir. L’accueil est chaleureux, amical. Nous savons que nous allons créer un événement, et tous les plans de bataille ont été faits dans la bonne humeur, avec l’avidité de création d’un chef comme je les aime : un pur amoureux du vin. En cours d’ouverture des vins on me fait goûter une sauce pour savoir si j’approuve le choix ambitieux du chef. Je demande qu’on adoucisse un peu, ce qui sera fait. Je lance les ouvertures en discutant avec ces deux esthètes, et Gérard Besson m’apprendra un petit truc que j’essaie immédiatement avec succès sur le Filhot 1929 : pour être sûr que certains bouchons remontent entiers, une petite tape amicale sur le tirebouchon déjà en place dans le bouchon fera descendre celui-ci vers le bas. Il descend un peu, ce qui est le contraire du sens qui est souhaité, mais permettra de lever le tout beaucoup mieux. L’essai est concluant. L’odeur du Filhot 29 est époustouflante. C’est la définition du sauternes idéal. Aucune odeur ne me cause le moindre problème, ce qui fait que nous pouvons deviser aimablement, juste interrompus par une sommelière japonaise à la visite impromptue qui vient offrir à Gérard Besson un saké dont il est friand (ce qui prouve que même les génies culinaires peuvent être aussi comme les autres humains, avec leur lot d’erreurs ou de folies), et un petit coq coloré dont Gérard fait collection du fait du  nom de sa rue : rue du Coq Héron.

Le menu concocté est une œuvre d’art. On aimerait qu’il en reste une trace pérenne puisque cette création disparut dans nos ventres. Reste au moins cette liste impressionnante : Caroline au salpicon de volaille truffée, Pompadour, foie gras, truffe, Noix de Saint Jacques et huîtres juste pochées sur un lit de laitue de mer, Queues de langoustines au court-bouillon et cœur de palmier, Filet de rouget sur un fond de sauce au vin rouge, macaroni duxelle, Agneau de Mauléon à l’Orientale, Suprême de canette de Challans rôtie, sauce groseille cassis, Feuilleté à ma façon, sauce salmis, Bleu de Sassenage, bleu de Termignon au coing confit, Mangue et ananas bouteille au parfum de cannelle, « interprétation » d’abricot Bergeron. Chaque vin aura eu son accompagnement. Ce fut délicat, intelligent, créatif et sensible. Ce qu’il fallait pour des vins fort intéressants.

La table rayonne de la beauté d’une jeune Maud. Seule frêle et jolie femme entourée de neuf mâles avides de bonne chère, elle sut montrer que le sexe dit faible ne s’en laisse pas compter, même si la force des bourgognes la brutalisa un peu. Un coiffeur célèbre que l’on voit souvent caresser les têtes des femmes les plus belles et les plus célèbres de la planète, plusieurs entrepreneurs dont le lien, cause de ce dîner, était la gestion financière de leurs avoirs. Parmi eux, quelques propriétaires de caves solides, comme leur culture sur le sujet du vin. On put ainsi parler d’aventures qu’il est agréable de se raconter. L’ambiance fut joyeuse, studieuse même, car certains découvrirent une façon de profiter des mets et des vins à un niveau qu’ils n’avaient pas soupçonné. Ce dîner a fait naître de nouvelles envies.

Le champagne Pâques Gaumont à Trépail, brut vers 1985 fit son entrée en scène. Doré, à la bulle bien active, c’est un champagne classique, sans type affirmé, comme le Grand Siècle de ce midi, qui plait énormément par son équilibre délicat. Joyeux champagne de plaisir, bien excité par les jolis éclairs à la volaille, belle mise en bouche. Le Champagne Salon "S" 1985 (il est sans doute inutile maintenant que je rajoute chaque fois au nom de Salon l’expression « mon chouchou ») est toujours un immense champagne brillamment mis en valeur par la truffe et la pomme de terre. Comme j’avais bu, il y a seulement quelques heures, le champagne Cuvée des Enchanteleurs 1964, il est intéressant de voir que beaucoup de points les rapprochent dans la perfection, le Henriot ayant pour moi l’attrait de la nouveauté puisque je connais par cœur le Salon 1985. Avoir le même jour ces deux perles est  un grand bonheur. J’aimerai les deux sans les opposer ni les hiérarchiser. A quoi cela servirait-il ?

Le Saint-Véran Bichot 1989 est un des vins que j’aime présenter, car avec l’oxygénation optimale que l’on a pris soin de lui donner, ce vin brille comme s’il était d’une appellation bien plus grande. Et je repense aux vins magistraux goûtés au salon des grands vins. Ils auraient tant gagné en suivant les méthodes qui prouvent ici de façon magistrale leur efficacité (je radote, mais comme je l’ai dit, c’est l’âge – au mieux, ma conviction). Les convives aux caves respectables m’ont posé beaucoup de questions sur ces méthodes. Ils ont été éblouis – je le dis et j’insiste – par l’effet déterminant de l’oxygène, pour la beauté des vins. Pour ce Saint-Véran, il n’y a pas que l’oxygène. Il y a son origine, bien sûr, mais aussi l’huître parfumée qui l’embellit efficacement.

Le Château Haut-Brion blanc 1998 est en classe de CP et sait à peine lire et compter. Mais quelle merveille ! Toute la complexité du bordeaux le plus beau est là dans ce remuant poupin. Cet aristocrate est rare. Il faut le mettre sur table plus souvent car il est divin. De plus, c’est un vin qui sera toujours complice de toutes les audaces culinaires. Là, sur le cœur de palmier gentiment adouci, c’est un exercice de style de grand talent.

Personne ne supposerait que le château Croque Michotte 1971 puisse apparaître aussi brillant que cela. Un vin agréable, gentiment épanoui, docile, facile, rond, délicat. Et le rouget le rend intelligent. Il devient docteur honoris causa ès rouget. Comme assez souvent des convives s’étonnent qu’on puisse associer un rouget à un vin rouge. Grâce au dosage de Gérard Besson ce fut un régal ainsi qu’avec les macaronis, plus faciles et attendus compagnons.

Qu’y a-t-il dans la bouteille du Domaine de La Lagune, Barton & Guestier 1934 ? C’est un Bégadan-Médoc expédié en fût par Barton & Guestier dont des experts pourraient sans doute m’indiquer pourquoi le vin est logé dans une bouteille bourguignonne extrêmement âgée puisque son cul profond a une boule bien ronde. Un convive reconnaît nettement que c’est la Lagune. Je repère nettement que c’est un grand 1934 qui plait à toute la table. Il fut plébiscité dans les votes. L’agneau lui allait bien.

Le Corton Renardes Michel Gaunoux 1990 est puissant, alcoolique, viril. Il asphyxia la belle Maud. La canette à la sauce hardie allait créer un ballet de natation synchronisée tant le mariage s’imposait comme une évidence. Encore jeune, ce vin se civilisera, sur fond de sa belle race. Le Beaune Avaux J. et M. Gauthey 1964 est d’une brutalité à l’état pur. C’est mâle. Ça effraie les jeunes filles dans les couloirs tortueux des saveurs canailles. Mais que c’est bon ! Le feuilleté est un peu sec. Problème de coordination des cuissons. Mais rien n’a empêché ce vin d’étaler une profusion de saveurs animales de la plus belle Bourgogne.

Le précédent château Rieussec 1965 que j’avais mis dans la même situation avec des pâtes bleues m’avait moyennement séduit. Celui de ce soir, beau liquide doré, simplifié comme le veut son âge, est chatoyant, enveloppant, confortable.

La Terre s’arrête de tourner, le tic tac des montres s’éteint. On change de galaxie. Le château Filhot 1929 est l’expression la plus absolue de la perfection du sauternes. On aura lu comme le Filhot 1908 d’un récent dîner était d’un charme fou (bulletin 132). Là, c’est la définition stricte de ce que doit être le sauternes idéal. Et il dépasse le Filhot 1908 de nombreuses coudées. Le nez est fort, enivrant. Le goût est celui d’un Sauternes chaud, intense, c’est « Jésus que ma joie demeure », c’est une supernova d’éblouissement. C’est comme si l’on était capable de fragmenter l’Etna en petits paquets cadeaux. Les épices, les poivres, les fruits confits, les agrumes, tout est là, et Gérard Besson venu nous rejoindre en fit la plus précise des démonstrations. Il nous demanda de commencer par l’ananas si joliment adouci. Puis la mangue qu’il a travaillée et retravaillée. Et enfin l’abricot si élaboré. Et chaque fois le Filhot, comme l’artiste que l’on bisse et terse, se plie poliment aux caprices de Gérard Besson pour délivrer de nouveaux concerts ébouriffants.

L’on vota, c’est une habitude. Huit vins sur dix sont dans les quartés, et cinq sur dix furent gratifiés d’une place de premier. Les plus nommés furent le Filhot 1929, le Haut-Brion blanc 1998, suivis de la Lagune 1934, Beaune Avaux 1964 et Rieussec 1965. Mon quarté fut : Filhot 1929, puis Domaine de la Lagune 1934, le Beaune Avaux 1964 et le Haut-Brion 1998.

Les plus beaux plats, s’il est possible de les classer furent pour mon goût le rouget, la noix de Saint-Jacques et l’huître, le cœur de palmier et ses langoustines, et le dessert. Le plus bel accord fut celui de la sauce de l’agneau avec la Lagune 1934, symbiose éblouissante.

Voilà un amoureux du vin, chef de talent qui avec son équipe soudée nous a produit un grand morceau d’anthologie gastronomique. Une leçon d’inventivité, de créativité, avec des vins appliqués et talentueux qui se présentèrent sans doute comme jamais ils ne pourraient le faire aussi bien.