La réunion pré-inaugurale de l’académie des vins anciens mardi, 7 décembre 2004

Dans les ors et les stucs de l’hôtel de Crillon, quarante amis s’étaient rassemblés à la demande de Nicolas de Rabaudy et moi-même pour parler du patrimoine des vins anciens. Il s’agissait d’évoquer la structure que je souhaite créer pour la mise en valeur et la compréhension des vins anciens. Ce parterre prestigieux, comptant des grands vignerons, des gens de presse, des habitués de mes dîners et des amateurs a accueilli avec chaleur ce projet, à mettre en place au courant de l’année 2005. J’y reviendrai sans doute. Mais parler de vins sans en boire eut été criminel. Se plaçant dès à présent dans l’esprit de ce que sera « l’Académie des vins anciens », qui publiera ses travaux, j’obtins que des dégustateurs bénévoles fassent le compte-rendu de dégustation de cette séance de travail pré inaugurale. Les rapports enrichiront les archives de cette Académie à naître.

Pour faire entrer chacun de plain pied dans un monde de saveurs ignorées, je fis servir d’abord un Saint-Raphaël des années 40. Les amertumes se sont estompées, les acidités se sont regroupées et on a en bouche un pur rancio de pleine maturité où l’écorce d’orange se fait discrète sur la finale en bouche. Un pur bonheur. Bernard Antony nous avait adressé des fromages de compétition : affinage parfait, maturité idéale. Mais ces fromages de haute personnalité occupent souvent le devant de la scène. Il n’était pas question ici de raffiner dans l’extrême détail mais de suggérer. Sur cet apéritif, une délicieuse fourme fut précieuse. De nombreux convives furent étonnés de l’extrême légèreté de cet apéritif pourtant puissant. La rondeur acquise était le signe que je voulais donner à cette docte assemblée.

Le Gewurztraminer Clos Zisser Sélection de Grains Nobles Klipfel 1976 a séduit toutes les tables. Quatre bouteilles furent ouvertes, fort heureusement assez homogènes de goût. Deux bouteilles avaient des robes très contrastées. L’une était de miel pur quand l’autre était dorée comme un coing. En bouche, une longueur extrême et des évocations subtiles où le pain d’épice, l’agrume mais aussi l’iode et le thé se mêlaient. Sur un cadeau royal, un Comté de l’automne 2000, donc de quatre ans d’âge, je fus surpris que l’intensité d’imprégnation du fromage puisse aussi bien se marier à l’élégance de ce prodigieux Alsace.

J’avais pris mes risques avec un double magnum de Château Meyney 1969. Il lui manquait un peu d’oxygène dans le verre, et quelques minutes plus tard, on découvrait des subtilités discrètes mais réelles à ce vin apparu un peu plat, un peu court, un peu coincé. Il fallait cependant que l’on eût ces témoignages qui s’inscrivent dans la démarche. Plusieurs dégustateurs attentifs eurent la récompense de leur patience, car lentement ce Saint-Estèphe accomplissait son éclosion, pour offrir une dentelle de belle facture.

Le Mazoyères Chambertin Grand Cru Camus Père et Fils 1989 montra fort opportunément qu’un vin jeune comme celui-là peut apparaître plus vieux que ses aînés. Belle subtilité un peu discrète, un peu aqueuse, et témoignage qu’il fallait découvrir. On le fit sur une tomme d’abondance du plus bel effet.

Il fallait évidemment terminer sur les saveurs qui me rendent fou d’amour. Un Banyuls Ermitage de Consolation Hors d’Age, qui a probablement cinquante à soixante ans enthousiasma notre groupe studieux. Ces saveurs toutes en rondeur, intégrées, mais imprégnantes de pruneaux, pâtes de fruits et confiture de mirabelle réjouissent l’âme. Et le délicieux Stilton très typé se mariait au mieux.

Riedel nous avait prêté les verres de dégustation parfaitement adaptés. J’ai signé mon livre à m’en fatiguer le poignet. Cette séance qui n’est pas inaugurale mais la prépare a permis de mesurer l’accueil fervent que recevra cette Académie, qui correspond à un réel besoin de compréhension et d’activation de ce trésor souvent enfoui dans des caves inertes.

galerie 1947 – Cheval Blanc vendredi, 3 décembre 2004

Au Salon des Grands Vins, en Mars 2003, je présente quelques bouteilles vides de grand prestige, dont un magnum de Cheval Blanc 1947.

Une ancienne propriétaire de ce prestigieux salon voit cette bouteilleet reconnait les armoiries qui figurent sur sa chevalière. C’était l’occasion de photographier cette correspondance. Grande nostalgie d’avoir dû vendre cette propriété familiale.

Présentation des vins Hugel à Hiramatsu vendredi, 3 décembre 2004

Devant préparer une conférence qui se tiendrait le lendemain, j’avais prévu de déjeuner avec Nicolas de Rabaudy, co-initiateur de cet événement. Nous réglons quelques sujets d’intendance et il m’annonce : je ne peux pas déjeuner avec vous. Ah, bon ! Mais que faites vous ? Je vais déjeuner avec Jean Frédéric Hugel chez Hiramatsu. Estimant que ce déjeuner ne pouvait se faire sans moi, je priai Nicolas de me prendre dans ses bagages. J’ai pu participer à un déjeuner de rêve.

Je suis accueilli chaleureusement par Hide de Hiramatsu et par Jean Frédéric Hugel qui, comme Maurice Chevalier quand il annonçait tous les mois sa retraite, fête dix fois plutôt qu’une son quatre-vingtième anniversaire. Le repas fut d’une belle conception, les saveurs inventives mettant en valeur des vins particulièrement beaux. J’aurai pu constater lors de ce repas la belle réalisation d’une cuisine intelligente, et l’ampleur imaginative des vins d’Alsace, dont les grands vins devraient plus souvent trôner sur nos tables, y compris avec des plats qu’on ne leur associerait pas spontanément.

Voici le menu raffiné offert à la fine fleur de la presse vineuse : homard breton mi-cuit, crème de noisettes caramélisées, dans son jus de corail, noix de Saint-Jacques poêlées et rhubarbe en brick, sauce champagne aux baies roses, foie gras poêlé, confiture d’oranges amères, canard de Challans fumé et pané au pain d’épice, sauce à la violette, Tatin caramélisée, glace Earl Grey et coulis exotique à l’aneth.

Le choix des vins fut éclectique et intelligent, destiné à séduire le palais le plus difficile. Le Riesling Hugel Vendange Tardive  1998 est beau, rond, expressif et jeune. Il a un beau gras en bouche. Le Riesling Hugel Vendange Tardive 1961 en magnum a un nez très prononcé. Un goût de miel aussi beau que sa couleur, des évocations légères de miel, de fumé, de pâte de fruit. Le  Riesling Hugel 2003, vin ordinaire s’il en est, a un joli nez alsacien. En bouche, c’est un bonbon acidulé. Sa caractéristique, c’est une grande pureté. Le Riesling Hugel Jubilée 1998 est d’un ascétisme rare. C’est l’expression totalement pure, sans aucune fioriture, du beau Riesling. Ce sont deux Riesling très typés qui nous sont offerts, intéressants dans leur définition authentique. Le Jubilée a un beau final. Le Pinot Gris Hugel Vendange Tardive  2001 forme avec l’endive orangée une association de rêve parce que rien ne peut normalement dompter l’endive. Belle pirouette culinaire, et belle persuasion du Pinot. Le Pinot Gris Hugel Vendange Tardive  1961 en magnum est explosif de perfection arrondie. C’est un concentré parfait de ce que doit être ce vin quand il est accompli. Le 2001 est exubérant de jeunesse pré pubère et le 1961 a la certitude de la maturité. Voilà du grand vin. Le Pinot Gris Hugel les neveux 2003 a un nez intéressant, mais ce vin est vraiment trop jeune pour moi tel qu’il est là. Je ne peux pas juger. Le Gewurztraminer Hugel Sélection de Grains Nobles 1997 « S » est magnifique de fruits confits. Il y a de l’orange, de la prune confite. Le  Gewurztraminer Hugel Sélection de Grains Nobles 1976 a un nez unique. C’est d’une noblesse rare. Il n’y a pas que les grains qui sont nobles, il y a aussi le résultat final. Si le 97 évoque le caramel, le prodigieux 76 est un beau fruit.

Jean Frédéric Hugel adore parler et il dispense généreusement son savoir immense, fondé sur un bon sens indestructible, doublé d’une expérience frottée aux savoirs ancestraux. On devrait noter tout ce qu’il dit, avec truculence bien sûr, mais surtout avec pertinence. Il aura réussi par ce déjeuner à nous faire aimer encore plus les beaux vins d’Alsace, si complets dans leurs expressions complexes.

Salon des Saveurs jeudi, 2 décembre 2004

Je signe mon livre dans une boutique dédiée aux articles pour le vin. Je suscite l’intérêt de quelques clients. Le lendemain, c’est pour France Info que je vais parler de mon livre au Salon des Saveurs. Quelle fabuleuse tentation ! Tout a l’air bon. On pourrait avoir jeûné pendant un mois et jeûner ensuite pendant un mois tant des produits de grande qualité n’attendent que nos papilles. De nombreux vins sont présentés. Je retiens un très beau Chablis Grand Cru Blanchot la Chablisienne 2002 déjà plus ouvert et fruité que le « Grenouille ». Je retrouve avec bonheur la famille Laborde qui fait le beau Château Clinet et de délicieux Tokaji.

galerie 1948 lundi, 29 novembre 2004

Chateau Mouton Rothschild 1948. Dessin de Marie Laurencin.

Vu la photo, le concept de "château" est assez extensif ! Il y a de fortes chances que ce soit un vrai Pétrus 1948, celui-là !

Présentation de vins samedi, 27 novembre 2004

Les ventes aux enchères se succèdent à un rythme fou en cette période de fin d’année. Pour faire la différence, les sociétés de vente choisissent des lieux flatteurs et des événements connexes. Artus, accolé à Chateauonline, fait une vente à l’Hôtel Meurice suivie d’un cocktail. J’en profite pour aller dire bonjour à Yannick Alléno dans son bureau en sous-sol, irrespirable tant de magiques truffes noires et blanches (une fortune étalée comme chez un diamantaire) explosent d’odeurs enivrantes. Je croque quelques hosties noires et contemple émerveillé les toutes dernières créations de la nouvelle carte. Quelle joie de vivre se dégage de ce chef enthousiaste et convaincu. Auprès de lui je me sens bien, rassuré que la grande cuisine soit incarnée par sa belle personnalité. Je remonte dans les ors et les stucs où des vignerons présentent de bien beaux vins expliqués par Jean-Michel Deluc, l’expert sommelier attaché à Chateauonline. Ce n’est pas la première fois que je l’entends expliquer les vins, et j’avoue que j’aime ses discours toujours positifs, qui savent avec sérénité faire apparaître les beaux aspects des vins. Le savoir est discrètement saupoudré pour ne pas lasser, les descriptions sont expansives, poussant à la limite de l’imagination les analogies. Car, avouons-le, comme j’aurais du mal à reconnaître certaines épices si on me les présentait seules, on comprendra que j’hésite à les trouver dans un vin. Mais c’est avec une belle élégance que Michel Duluc élargit notre champ de vision sur de beaux breuvages. Le champagne Delamotte non millésimé est très élégant. Il est de belle stature. J’ai un peu de mal à m’habituer à Salon 1995, tant ses aînés ont du talent quand le vineux s’exprime. Il va dans peu de temps se révéler magistral (je sens déjà une évolution depuis le dernier essai d’il y a deux mois). Mais c’est encore trop dur à boire, alors que Didier Depond l’aime déjà comme cela. Ce que je peux concevoir, sur une cuisine plutôt rebelle.

Olivier Humbrecht présente un très joli Pinot Gris Windsbuhl Zind-Humbrecht 2002 au nez d’une belle personnalité. Ce vin déjà goûteux va gagner une joie de vivre resplendissante avec quelques années. Ces beaux Alsace ont des choses à dire. Je ne comprends pas bien comment Jean-Michel Deluc peut préférer Clinet 2001 à Pétrus 2001. C’est évidemment un beau Pomerol, mais Pétrus est Pétrus. Comme c’est une question de goût, je peux l’admettre, mais ce Clinet puissant n’est pas, pour l’instant, dans les goûts que je chante.

Taylor’s présente trois vins de Porto de types radicalement différents. Mon Dieu que ces vins ont des choses à dire. Quelle expression, quel charme, quelle jouissance sous-jacente. Bien sûr l’alcool aide. Mais l’impression de ces fruits noirs que l’on croque avec gourmandise, que c’est bon. Si un 20 ans d’âge est rassurant, c’est le coté canaille d’un Quinta de Vargellas vintage 2001 qui me surine de sa brutalité interlope. Antonin Rodet présentait hors programme un bourgogne ordinaire vanté par Jean-Michel Deluc. Franchement je n’ai pas compris ce choix. Un ésotérisme qui m’échappe. Ce qui ne dévalorise en rien cette grande maison.

Je quittais cette belle assemblée car un autre commissaire priseur m’attendait au Fouquet’s. Là, on avait prévu de biens bons petits fours, mais on avait sans doute oublié que l’on recevait des collectionneurs de vins (ou au contraire on le savait), car aucun breuvage ne pouvait retenir l’attention. En revanche les collectionneurs rencontrés avaient du talent. C’est peut-être ce raffinement là qui était visé.

Dîner de wine-dinners au restaurant Le Carré des Feuillants jeudi, 25 novembre 2004

Dîner de wine-dinners du 25 novembre 2004 au restaurant Le Carré des Feuillants
Bulletin 123

Les vins de la collection wine-dinners
Champagne Ruinart Brut NM
Champagne Veuve Clicquot rosé 1985
Pavillon blanc de Château Margaux 1981
Chablis Grand Cru « Blanchot » Domaine Vocoret 1988
Château Latour 1er GCC Pauillac 1962
Château Trottevieille Saint Emilion 1943
Echézeaux Domaine de la Romanée Conti 1987
Pommard Epenots Colomb-Maréchal Négociant Propriétaire 1926
Château Loubens Sainte Croix du Mont 1937
Château Rayne Vigneau Sauternes 1924

Le menu conçu par Alain Dutournier
L’huître de Marennes au caviar d’Aquitaine et les algues marines
Cappuccino de châtaignes à la truffe blanche d’Alba
Homard pimenté et rôti – nougatine d’ail doux
Noix de lotte croustillante, fumet mousseux au raifort
Gâteau de topinambour et foie gras aux premières truffes
L’aile d’oie grillée, la cuisse confite à l’étouffée dans l’argile
Douceurs d’oranges du Cap, crêpe soufflée, gelée de fleur d’oranger, cannelle de Ceylan
Blida de « Suzette – Marnissimo »

Dîner de wine-dinners au restaurant le Carré des Feuillants jeudi, 25 novembre 2004

Dîner de wine-dinners au restaurant le Carré des Feuillants. Alain Dutournier a composé un menu fort judicieux et ciselé pour les vins variés de ce repas. Qu’on en juge : L’huître de Marennes au caviar d’Aquitaine et les algues marines, Cappuccino de châtaignes à la truffe blanche d’Alba, Homard pimenté et rôti – nougatine d’ail doux, Noix de lotte croustillante, fumet mousseux au raifort, Gâteau de topinambour et foie gras aux premières truffes, L’aile d’oie grillée, la cuisse confite à l’étouffée dans l’argile, Douceurs d’oranges du Cap, crêpe soufflée, gelée de fleur d’oranger, cannelle de Ceylan, Blida de "Suzette – Marnissimo"

L’huître en gelée fut un pur plaisir de gastronomie, le gâteau de topinambour rappela fort opportunément qu’on peut manger solide et bon (quelle belle et goûteuse truffe noire qui arrive à propos). Et la douceur du Cap est décidément ce qui se fait de mieux sur les liquoreux.

A l’ouverture des bouteilles vers 17 heures, le bouchon du Pommard 1926 se brise en mille morceaux et libère une odeur qui va se bonifier pour devenir grandiose, je le sens. L’Echézeaux va s’épanouir en prenant un bol d’air, et les deux Bordeaux vont s’ébrouer. Si je goûte un peu du merveilleux Loubens et du puissant Rayne Vigneau avec Christophe, attentionné sommelier très intelligent, c’est par gourmandise. Aucune odeur ne me donne la moindre angoisse. C’est donc le cœur léger que je vais attendre le dîner en profitant d’un cocktail où je suis invité dans l’une des prestigieuses boutiques de la Place Vendôme, ouvertes ce soir pour mettre en valeur la décoration résolument moderne de la place, pour rappeler au monde que c’est ici, à Paris, que le luxe est inventif, festif et joyeux. Je n’y bus que de l’eau et revins au Carré attendre mes convives.

Le champagne Ruinart non millésimé de sans doute dix à douze ans est beau. Il est élégant, discret, et s’amuse à changer de costume chaque fois qu’Alain Dutournier lui propose une saveur complice. Très archétypal, il est le chevalier servant idéal. Le champagne rosé veuve Clicquot 1985 a une magnifique couleur d’hortensia d’automne. Il n’a pas pris une ride et éclate de jeunesse sucrée. Le capuccino lui va à merveille, accentuant par la châtaigne le doucereux délicat.

Le Pavillon blanc de Château Margaux 1981 surperforme largement sa droite de tendance comme on dirait au Palais Brogniart. Traduisez : très nettement au dessus de ce qu’on pourrait en attendre. Il explore des variations de saveurs, des changements de rythme dans le palais qui laissent surpris devant tant d’imagination. Le Bordeaux blanc, à ce niveau, a une complexité folle de grand art.

Le Chablis Grand Cru Blanchot, Domaine Vacoret 1988 confirme son statut de grand cru. L’âge lui a fait intégrer ses composantes, et il brille sur une lasagne au discret mais tenace caviar. C’est solidement bon.

Le gâteau de topinambour accueille Château Latour 1962 magnifique d’opulence de rondeur, de justesse de ton. C’est comme un piano qui vient d’être accordé : chaque note en est plus belle. Il fait un peu d’ombre – au départ – au Château Trottevieille 1943 encore un peu poussiéreux, mais qui se libère avec une grande facilité et devient un Saint Emilion raffiné qui sera même distingué dans l’un des classements finaux. La truffe très prononcée imprima un de ces mimétismes dont je raffole : le Latour 1962 avait un nez de truffe. Il avait dérouté les effluves de la précieuse tubercule pour se les approprier. De tels rapts sont fascinants.

L’Echézeaux Domaine de la Romanée Conti 1987, abondamment aéré, offrait une puissance rare pour l’année, et déclamait de beaux messages bourguignons. Sans doute pas explosif, mais élève studieux et doué. Le Pommard Epenots Colomb Maréchal 1926 m’a tiré des gloussements extatiques de pamoison. Je jubilais, je jouissais, possesseur que j’étais des clés de Champollion pour en lire tous les pictogrammes. Mais je fus –agréable surprise – rejoint dans mon extase par plus d’un convive qui acceptaient d’entrer dans ce monde de vins surprenants où la porte du grenier grince un peu, mais où les trésors enfouis dans les coffres sont des découvertes d’Ali Baba.

Comme le Pavillon Blanc, le Château Loubens, Sainte Croix du Mont 1937 s’afficha à un niveau quasi irréaliste pour son appellation. C’est un grand liquoreux, à la trame frêle (on n’est pas en sauternais) mais qui expose une palette d’arômes de la plus belle diversité. Et l’orange lui a donné des aspects sublimes. Grand vin.

Le Rayne Vigneau 1924, largement plus ambré, place la barre beaucoup plus haut, mais ne fait en rien pâlir Loubens qui n’est pas relégué en deuxième division. Le Loubens a la subtilité qui convient, et le Rayne Vigneau a un sourire, un chant ensoleillé et une séduction qui déshabille la Suzette de la crêpe dans une danse lascive.

Bien difficile de faire un vote dans cette diversité d’expressions. Les vins les plus cités en bon rang furent le Latour 1962, Le Pavillon Blanc 1981, le Château Loubens 1937 et  l’Echézeaux Domaine de la Romanée Conti 1987. Les votes, tous différents, mirent cinq vins sur dix, soit la moitié, en première place pour neuf votants, signe d’une grande diversité, et signe que cinq vins méritaient cet honneur. Mon vote fut le suivant : en un Rayne Vigneau 1924, car il n’y a rien d e plus beau que ces saveurs là. En deux le Château Loubens, car il a produit une performance rare, en trois le Pommard 1926, le plus émouvant, mais dont la légère blessure justifie cette place, et en quatre le Latour 1962, sublime d’équilibre.

Les plus beaux accords furent la châtaigne avec le Veuve Clicquot rosé, la truffe avec le Latour, la cuisse d’oie avec le Pommard et l’orange du Cap avec le Loubens. La plus belle saveur fut l’huître en gelée avec un biscuit d’algues.

Accueil toujours charmant, service bien rôdé, table bien proportionnée dans un décor adapté de couleurs sobres. Une table de convives qui apprenaient à grande vitesse et comprirent ces vins anciens. Une belle soirée amicale peuplée de saveurs qui ne seront plus jamais reproduites et n’existeront plus que dans la mémoire de convives conquis.

L’Académie du Vin de France mercredi, 17 novembre 2004

L’Académie du Vin de France se réunit pour son dîner de Gala au restaurant Laurent. C’est l’occasion de goûter les vins des membres de l’Académie dans leurs productions récentes de 2003, 2002 ou 2001 selon les vins. Où pourrait-on en quelques pas seulement passer de Zind-Humbrecht à Cauhapé, de Château Simone à la Maison Huet, de la Romanée Conti à Haut-brion, du Domaine Leflaive à Fargues ? Nulle part ailleurs. De plus, on trinque avec les propriétaires. Ce que j’ai fait pour La Tâche Domaine de la Romanée Conti 2002 dont j’ai apprécié le nez d’une belle élégance et le goût qui commence à se structurer. Hubert de Montille, la star de cinéma (Mondovino) était tout sourire ainsi que de nombreux propriétaires  satisfaits de leur année comme le sont les élèves au bon carnet scolaire. Ici, toutes vendanges étaient faites. Je suis placé à une table prestigieuse puisque s’y trouvent les propriétaires ou gérants de la Romanée Conti, de Haut-Brion, de Bonneau du Martray, de Château Simone, de la Commanderie de Peyrassol. Les discussions passionnantes furent précédées par de sobres mais denses discours du président sortant, Jean Noël Boidron justement acclamé et du nouveau président Jean Pierre Perrin au dynamisme connu.

Jacques Puisais fut le Monsieur Loyal du beau dîner conçu par un Alain Pégouret particulièrement brillant. Jacques commenta les vins et les mets avec un langage qui n’appartient qu’à lui, où la science des goûts le dispute au brio. Les blancs étaient de 1997 et les rouges de 1989. Voici ce qu’il en fut.

Des coquilles Saint Jacques avec des copeaux de noix et des traces de moutarde accompagnaient un délicieux Côtes de Jura du Château d’Arlay 1997. La virilité de ce blanc avec les noix me plait, quand ma voisine Madame Delmas (Haut-Brion) a du mal à entrer dans sa logique. Sur une autre préparation de coquilles Saint-Jacques présentée dans la même assiette, mêlant l’amer au sucré le Palette Château Simone 1997 fut particulièrement brillant sur le sucré naturel de la coquille, lui associant sa typicité poivrée. Belle profondeur de goût et l’occasion de tester deux accords très différents.

Une pince de homard (voire deux), aux haricots coco et coquillages, émulsion de fleurette citronnée est un plat qui m’a enchanté. Et le Puligny Montrachet « les Pucelles » Domaine Leflaive 1997 a trouvé une densité marquée, soulignée par la légèreté de l’émulsion et l’expressivité des haricots. La queue du homard, facile prétexte à l’humour Puisaissien gentiment gaulois, au beurre demi-sel sur une farce au corail avait la force qui convenait pour soutenir le puissant et alcoolique Hermitage blanc 1997 de Chave. Quelle force ! Ce plat puissant aurait d’ailleurs pu aussi s’accommoder d’un vin rouge.

Sur un magnifique exercice de style sur le thème du lièvre, intitulé par Philippe Bourguignon en toute sobriété : « lièvre dans tous ses états, pâtes fraîches » trois vins que des régions et des personnalités séparent allaient nous raconter de bien belles histoires. Les trois acceptions du lièvre étaient primitivement prévues chacune pour un vin, mais on s’amusa à brouiller les cartes, pour la plus grande joie de nos papilles en éveil. Le Beaucastel rouge 1989 a une générosité naturelle rare. Il emplit la bouche, s’y sent à l’aise, et décoche du fruité de pur plaisir. Le Bandol « Cuvée Cabassaou » 1989 Château Tempier de M. Peyraud, voisin de table, me plut particulièrement, car il tenait bien sa place à coté de ses illustres voisins de verre. Une belle trame, une joyeuse densité et une longueur respectable. Un beau vin. Et La Tâche Domaine de la Romanée Conti 1989 au nez d’une particulière intelligence compléta le trio avec des variations de saveurs généreuses. Sur le râble, La Tâche s’amuse à faire des gammes de goûts, variant sa force et sa finesse avec un talent consommé. Cette dégustation était cependant assez difficile car les verres avaient une odeur désagréable que mes voisins vignerons attribuaient au carton d’emballage mais que je reliais plus volontiers à la méthode de séchage. Plusieurs milliers de verres posent des problèmes logistiques. Ils posèrent des problèmes d’odeurs et de saveurs. Et Patrick Lair, pour des raisons que je comprenais parfaitement, faisait servir les vins très frais. C’est justifié si le vin reste en verre, mais quand on est gourmand comme à notre table, le vin n’a même pas le temps de se réchauffer. Et La Tâche trop frais, ça limite assez le plaisir. Fort heureusement, en y mettant du sien, c’est-à-dire en « vinant » les verres et en attendant que le vin se réchauffe, tout alla bien. La maison « Laurent » fut parfaite à son habitude et la sommelière de notre table, Christèle, fit un travail de grand professionnalisme. Sur un délicieux Saint Nectaire fermier, le Corbin-Michotte, Saint-Emilion 1989 prouva à quel point Jean Noël Boidron avait mérité d’être président. Ce vin de couleur beaucoup plus foncée que les autres rouges, dense mais charmeur à la fois, d’une trame d’une légèreté séductrice me causa une forte émotion. Je l’ai particulièrement apprécié.

Les palmiers (en pâtisserie) du restaurant Laurent n’auront jamais le temps de nous faire de l’ombre, car on les dévore avec une voracité coupable au masochisme pondéral assumé. Avec le Tokay Pinot Gris « Clos Jebsal » sélection de grains nobles Zind-Humbrecht 1997, on est en plein péché, car les saveurs de grains de raisin délicieusement brûlés par le soleil, les arômes de pain d’épices, de thé et de caramel se bousculent sous les palmiers avec une volupté rare. L’équipe d’Alain Pégouret, toute toquée est venue au moment du Tokay se faire applaudir à juste titre tant la cuisine fut exacte et sensible. Une belle leçon.

Quels vins retenir ? Difficile exercice tant les vins différent. Je mettrais en premier le Corbin Michotte 1989 pour la pureté de son image, en deux le Tokay Zind Humbrecht pour sa volupté, en trois La Tâche DRC pour son élégance et sa complexité et en quatre l’Hermitage blanc de Chave pour son assurance et sa sérénité. Mais le Bandol, le Puligny, le Chateauneuf et tous les autres eurent aussi beaucoup de charme.