Sublime champagne dimanche, 11 avril 2021

Mon fils propose de me rejoindre dans ma cave pour discuter de sujets relatifs à nos affaires. Je le retiens à déjeuner. En me promenant dans la cave je repère une bouteille de Krug 1979 dont l’étiquette a été déchirée, comme décollée au moment où l’on a dû enlever le papier d’emballage. Ce n’est pas la seule du lot que j’ai en cave. La collerette qui enserre la cape est intacte et donne toutes les indications sur le nom et l’année.

J’avais par ailleurs repéré depuis longtemps une bouteille sans étiquette, sans capsule et sans aucune indication dont le verre est à coup sûr du 19ème siècle, aussi vieux, voire plus, que le verre du supposé Musigny vers 1880 que nous avons adoré. A travers le verre sale je peux voir qu’il s’agit d’un vin à la couleur riche et magnifique. Je suis à peu près sûr que ce vin blanc est grandiose. J’ai remonté ces deux bouteilles pour les mettre dans le réfrigérateur.

Lorsque mon fils m’annonce qu’il arrive, j’ouvre le Champagne Krug 1979 au beau bouchon qui ne libère aucun gaz, et le parfum me séduit. Je n’ouvre pas le vin blanc car je ne sais pas si mon fils a suffisamment de temps devant lui.

Par manque de coordination, ma collaboratrice a fait des emplettes pour le déjeuner et mon fils aussi. Nous allons prélever sur ces deux achats. Dès l’arrivée de mon fils nous nous rendons dans la cave qu’il n’a pas vue depuis longtemps et nous remontons pour trinquer avec le Champagne Krug 1979. Sa couleur est belle. La bulle est rare mais le pétillant est présent. La première gorgée est amère, voire acide et immédiatement je pense que ce Krug est beaucoup moins brillant que Le Krug Grande Cuvée à étiquette crème que nous avons bu il y a trois jours.

Mais le foie gras délicieux efface les saveurs acides. Le champagne s’épanouit et devient meilleur. Nous l’essayons ensuite sur des sushis et sashimis. C’est sur du thon cru que le champagne devient brillant. C’est une champagne très vif et tendu, noble, de grande classe, mais moins grand que le Grande Cuvée.

Entretemps, nous avons discuté de ce qu’il conviendrait de boire. Ce serait dommage de boire un grand blanc ancien aussi prometteur qui n’aurait pas eu l’effet de l’oxygénation lente, qui élargit les vins de si belle façon. Alors, une idée me vient : Dom Pérignon 1964. Sans consulter l’inventaire de cave, je descends et trouve très vite une bouteille de ce champagne que j’adore. J’ouvre la bouteille et le bouchon vient entier. Le parfum est superbe ?

Mon fils a fait chauffer au microondes des vol-au-vent peu excitants tant leur goût est plat. Tant pis. Nous allons nous rattraper avec les fromages.

Nous prenons une première gorgée et nous avons la même réaction, le même choc. Ce Champagne Dom Pérignon 1964 est une merveille absolue. Nous sommes comme assommés par cette perfection. Tout de suite nous pensons que ce champagne dépasse de loin les autres champagnes que nous avons bus sur les trois derniers repas et on ne peut pas s’empêcher de penser qu’il y a un fort cousinage entre ce 1964 et le Moët & Chandon Brut Impérial 1969, car les deux sont d’un invraisemblable confort.

Ce Dom Pérignon 1964 est un champagne parfait, abouti, avec une palette de saveurs quasiment infinie, dans une définition de champagne homogène, cohérent, construit idéalement. Quel plaisir. Sur le vol-au-vent il a brillé malgré la limite de ce plat. Sur le camembert il devient plus vif et sur une tarte à l’abricot, il est comme un plaisir divin. Il y a une expression anglaise qui me semble plus forte que l’expression française. Pour ce 1964 j’ai envie de dire : « this is it », c’est-à-dire que c’est un aboutissement, le résultat d’une quête du Graal. En français, dire « c’est ça » n’a pas la même force. Alors, disons-le en grec : « Euréka », car nous sommes en face d’une évidence et d’un aboutissement.

Quel bonheur de finir ainsi, car ce sera la dernière fois que je verrai mon fils lors de son voyage.

Magnifique repas de lundi de Pâques vendredi, 9 avril 2021

Au déjeuner du lundi de Pâques, nous recevons notre fille aînée et notre fils. De bon matin, j’ouvre le vin rouge qui va accompagner le gigot d’agneau, Pâques oblige. La bouteille est d’un verre bleuté comme on en trouvait dans les années de guerre, surtout de 1941 à 1944. Lorsque je veux découper la capsule, je constate que l’on a utilisé une bouteille dont le haut du goulot a été ébréché. C’est une petite cassure mais qui montre que la bouteille a été réutilisée et non pas remplie pour la première fois. Ce Châteauneuf-du-Pape C. Charton Fils 1947 a donc été mis en bouteille dans un flacon de guerre.

Le bouchon de beau liège vient entier et c’est étonnant lorsqu’on le pose à côté du bouchon du supposé Musigny vers 1880, car il fait prendre conscience de la petitesse du bouchon très ancien, trois à quatre fois plus petit. Le parfum du vin me semble idéal.

Une heure avant l’arrivée de mes enfants, j’ouvre le Champagne Comtes de Champagne Taittinger 1961 dont une contre-étiquette indique que la forme de cette bouteille est la reproduction la plus fidèle de la plus ancienne des bouteilles de champagne utilisées au XVIIIème siècle. Elle est particulièrement jolie. Le bouchon se brise à la torsion et j’entends le petit pschitt du lâcher de bulles. Le parfum est agréable.

Pour l’apéritif, nous avons des chips à la truffe, de la tête de moine, du jambon Pata Negra, des toasts au beurre Bordier à l’oignon de Roscoff et une rillette. Le Champagne Comtes de Champagne Taittinger Blanc de Blancs 1961 fait une entrée en fanfare, tant la première gorgée est joyeuse, glorieuse, ensoleillée. C’est un triomphe et il apparaît immédiatement que ce champagne est le meilleur de ceux que nous avons bus, de 1966, 1952 et 1969. Il est magnifique et tellement complet. Avec les toasts au beurre, il prend une vivacité cinglante et pour mon goût c’est avec la rillette qu’il est le plus grand, large et fou de soleil.

Le gigot d’agneau a été cuit pendant onze heures en deux fois, la veille et aujourd’hui. Les petites pommes de terre sont comme des billes. Le plat est délicieux. Quand je verse le vin, quelle surprise de voir la couleur d’un vin riche qui pourrait n’avoir que dix ans tant le rouge est de sang. Le Châteauneuf-du-Pape C. Charton Fils Négociant à Beaune 1947 est tout aussi imposant que le champagne. Versé à l’aveugle, je demande à mes enfants de le situer. Mon fils s’égare un instant en Espagne et c’est ma fille qui recentre le débat vers le Rhône. Mes enfants donnent trente ans de moins à ce vin brillant.

Il est chaleureux, complexe, accompli. Quel grand vin, plus solaire mais aussi complexe qu’un grand bourgogne. L’ambiance est tellement joyeuse qu’il me faut assez vite penser à un autre vin rouge si nous voulons goûter aux fromages. Je vais chercher un Vega Sicilia Unico 1975 qui sera ouvert sur l’instant. C’est un grand vin mais qui aurait besoin de temps pour s’épanouir. Il ne peut donc lutter avec la belle largeur du Châteauneuf-du-Pape.

Mais il tient bien son rôle sur un magnifique Sainte Maure, nettement plus excitant sur ce vin qu’un saint-nectaire et un reblochon.

Ma femme a composé un cake au citron avec du sucre glace. Je pensais ouvrir un Krug rosé, mais j’avais mal vu le champagne au frais. C’est un Champagne Krug Grande Cuvée étiquette crème qui est l’un des plus anciens Grande Cuvée, correspondant à des champagnes de la fin des années 80. Ce champagne a donc plus de trente ans. Très différent du Comtes de Champagne, il est aussi brillant, plus vif et tranchant, jouant sur son raffinement. C’est un immense champagne.

Dans ce repas, les vins ont été tellement grands que c’est quasiment impossible de les hiérarchiser, car les trois principaux sont au sommet absolu de leur art, le Taittinger par sa largeur généreuse, le vin du Rhône par sa noblesse et sa complexité et le Krug par son raffinement tranchant.

En ces temps de confinement un tel repas familial est un cadeau inestimable. Et les trois repas autour de Pâques nous ont permis de boire des vins d’une grande diversité aux goûts uniques sur une cuisine divinement pascale.

l’année du Chateauneuf du Pape est difficile à lire mais on trouve 1947. Le haut du goulot a une forte cassure du verre et la bouteille a été capsulée avec ce manque.

photo des vins des deux jours

Déjeuner avec mon fils et un Bourgogne unique dimanche, 4 avril 2021

Le lendemain, de bon matin, je vais ouvrir la bouteille de vin rouge du déjeuner. Le choix de cette bouteille en cave a été longuement mûri. Au fil des années, j’ai accumulé des bouteilles qui n’ont aucune indication, pas d’étiquette, pas de petite étiquette de millésime et rien de visible sur une capsule neutre ou illisible. Parmi ces bouteilles il y en a de bourguignonnes, toutes d’avant 1920, avec des verreries épaisses et lourdes, saines et d’excellents niveaux. Chaque fois que j’en ai ouvert, elles ont brillé. Parmi celles qui me restent, j’avais repéré une bouteille au niveau splendide, probablement la plus vieille de toutes. C’est celle-ci que je veux boire avec mon fils, persuadé qu’elle sera bonne et grande. Et, tout dans mon rêve, j’ai imaginé que ce serait le plus grand vin de ma cave.

Je découpe la capsule et tout dans cette bouteille paraît sain. Je lève le bouchon entier. Il est très petit car le verre du goulot est très épais et le bas du bouchon est beaucoup plus petit que le haut, non pas parce que le bouchon se serait rétréci. Non, le bouchon épouse parfaitement la forme du goulot qui est en fait évasé, plus étroit dans le bas du goulot. Et je mesure une fois de plus que ces petits bouchons gardent les vins sans évaporation, ce qui mériterait d’être étudié. Le nez du vin est assez discret mais pur. Je le sens noble.

J’ai voulu choisir un champagne du millésime de mon fils, 1969. Ce sera un Moët & Chandon Brut Impérial et je lis une mention sur papier doré que je n’avais par remarquée : « offert par la société Routière Colas ». C’était le temps où l’on faisait des cadeaux d’entreprise, sans malice, pour récompenser de fidèles relations. Ce qui n’empêchait pas certains de revendre leurs cadeaux. J’ouvre la bouteille une heure avant le déjeuner et le bouchon vient entier, avec la libération d’un petit pschitt sympathique et d’un parfum très expressif.

Le menu sera : caviar osciètre prestige Kaviari avec baguette et beurre Bordier / épaule d’agneau et purée de pommes de terre et céleri / fromages divers / mangue et petites sucreries. La présence de mangues impose un sauternes, mais mon fils va nous quitter après le déjeuner pour se rendre chez le directeur de notre société industrielle. Il serait préférable d’ouvrir une demi-bouteille. J’ouvre une demi-bouteille de Château Caillou Barsac 1978. Le niveau est à trois millimètre sous le bouchon et j’aurais dû me méfier. Considérant que ce vin est jeune, j’utilise le tirebouchon limonadier dont la mèche est courte. Je lève et tout d’un coup je sens que le bas du bouchon est aspiré, se désolidarise du reste et flotte, fort heureusement dans le goulot. J’arrive à le faire sortir avec une grande mèche. Mais j’aurais dû utiliser la grande mèche bien avant.

Nous passons à table. Le caractère salé du caviar est divinement dosé. Le caviar est bien gras et délicieux. Le Champagne Moët & Chandon Brut Impérial 1969 est d’une couleur particulièrement claire pour son âge et offre une bulle discrète mais présente. Le premier contact m’évoque le miel. Ce champagne est d’un confort absolu. Large, racé, il est tellement facile à boire. On dirait Fred Astaire quand il danse, car tout paraît facile, mais cela est dû à une qualité absolue. C’est un pur bonheur de boire ce grand champagne. Tous les Brut Impérial de plus de quarante ans sont de vraies réussites, car le vin qui forme ce champagne est de très haute qualité.

L’épaule d’agneau est d’une cuisson aérienne idéale. Je crois bien que je n’ai jamais mangé d’agneau aussi bon. Et la purée est aussi aérienne, les deux légumes se complétant divinement. C’est bien ce qu’il fallait pour le vin. D’emblée, mon fils me dit : « il y a dans ce vin tout ce que je recherche dans un vin ». Il est évident que nous sommes en présence d’un bourgogne extraordinaire. Je recherche si nous sommes sur la Côte de Beaune ou sur la Côte de Nuits. J’hésite sur les premières gorgées et mes souvenirs s’assemblent. J’ai bu trois fois un Musigny Coron Père & Fils 1899. On est dans la même expression et ce vin est aussi riche mais plus vieux. L’examen de la bouteille nous montre qu’elle est très ancienne. Elle n’est pas droite et on voit sur le verre plusieurs bulles et des rainures étranges comme si le verre avait été moulé sur un acier qui aurait des fils de fer qui sont restés sur le moule. Etrange. Je pensais avant d’ouvrir que l’on étant dans la zone 1900 – 1910 mais tous les éléments de goûts me poussent à privilégier l’hypothèse de 1880 – 1890 et plutôt au début.

Appelons donc ce vin Musigny vers 1880. Il est d’un équilibre rare, avec un caractère bourguignon très affirmé, riche, râpeux dans un sens noble. On peut affirmer que c’est un vin parfait et un vin éternel, car je suis persuadé que dans cinquante ans il serait strictement dans le même état, tant son bouchon a montré qu’il était indestructible. Sur un saint-nectaire parfaitement affiné le vin se montre vif, plaisant. Un régal.

Le Château Caillou Barsac demi-bouteille 1978 est un agréable sauternes, mais avec mon fils, nous ne sommes plus habitués à boire des sauternes aussi jeunes, ceci étant dit sans aucun snobisme. Il faut des années pour que les sauternes s’élargissent. L’accord avec la mangue est parfait.

En deux repas nous avons eu une grande diversité de vins. Le gagnant est manifestement le Musigny vers 1880 suivi de l’extraordinaire Xérès vers 1760. Ensuite vient le Moët & Chandon 1969 puis l’Ayala 1952. Sur la belle cuisine de ma femme, nous avons vécu de beaux moments d’avant Pâques. La suite sera le lundi de Pâques.

la case où sont rangés de très vieux vins

celui que l’on va boire est au milieu

la bouteille vide du Bourgogne ancien

couleurs

il y a aussi la lie que j’ai bue

les vins ainsi que ceux de la veille

Dîner avec mon fils le vendredi-saint dimanche, 4 avril 2021

Notre fils nous a annoncé qu’il viendrait pour Pâques nous rendre visite et s’occuper des affaires françaises qu’il dirige. Quelle belle surprise mais aussi quel courage car nous vivons en France sous le régime du couvre-feu et des dix kilomètres alloués à nos déplacements.

C’est toujours une joie d’aller dans ma cave pour choisir les vins des futurs repas. Il y a tant de sollicitations que mille questions m’assaillent : pourquoi celui-ci et pourquoi pas celui-là. Nous aurons avec notre fils trois repas, le dîner du vendredi saint, le déjeuner du samedi et le déjeuner du lundi de Pâques car notre fils a d’autres projets pour le jour de Pâques. Le dîner du vendredi sera léger car le programme lourd sera au déjeuner de samedi.

J’avais repéré en cave un magnum de Champagne Cristal Roederer 1966 dont le niveau avait baissé et se situe juste au bas de la cape. Il me semble que je l’avais acheté à ce niveau. De plus, cette bouteille n’ayant pas la feuille d’emballage protectrice de la lumière, le champagne est devenu plus sombre, car la bouteille en verre transparent ne protège pas le champagne de l’assombrissement. Lorsque j’ouvre la bouteille, je suis obligé de lutter contre la cape très épaisse et très dure. L’entourage du goulot est noir et gras et je le nettoie. Le bouchon se brise au milieu lorsque je cherche à le lever et le bas vient avec un tirebouchon. Il n’y a pas de pschitt, la surface du cylindre du bouchon est très propre et le parfum assez discret n’a aucune mauvaise senteur. Le champagne est ouvert deux heures avant l’arrivée de mon fils.

Le deuxième champagne que j’ouvre une heure avant le dîner a été choisi par hasard quand j’ai vu cette bouteille à l’étiquette si jeune. On dirait une bouteille étiquetée récemment mais en fait le bouchon me montrera que l’embouteillage et l’étiquetage sont d’origine. Le bouchon du champagne Ayala & C° Château d’Ay 1952 vient entier. Il est de la mise d’origine et très court. Son parfum est vif et très champagne, plus que celui du Cristal.

Ma femme a prévu comme menu : foie gras et fromages. C’est simple. En déballant les fromages, je vois qu’un des camemberts s’appelle « Le Val d’Ay ». Quelle idée amusante de l’associer au champagne d’Ay. J’adore cette coïncidence.

Notre fils arrive. Comme c’est curieux de se toucher coude contre coude au lieu de s’embrasser. Le Champagne Cristal Roederer magnum 1966 ne montre pas de bulle. Sa couleur est sombre mais pas trop. Le nez est racé, noble et discret. En bouche on sent que le pétillant est bien présent et j’ai un choc, car la première gorgée est étonnante. C’est comme une profusion de fruits rouges. Mon fils y voit plutôt des fruits jaunes comme les pommes. Lequel de nous deux est daltonien, l’histoire ne le dit pas. Toujours est-il que ce champagne riche est très agréable. On sent qu’il est un peu plus vieux qu’un 1966 mais il est bien plaisant.

Sur un toast au beurre Bordier à l’oignon de Roscoff, il prend une vivacité entraînante et sur le délicieux foie gras composé par ma femme, il gagne en largeur et en ampleur. Je ne le considère pas comme l’un des très grands champagnes, car il a souffert de sa baisse de niveau, mais nous avons grandement profité de ses saveurs complexes, plus d’automne que de printemps.

Je sers le Champagne Ayala & C° Château d’Ay 1952 à la bouteille d’une fraîcheur immaculée. N’était le bouchon qui accuse bien ses 69 ans, je dirais que c’est un dégorgement récent. La couleur est si claire et si jeune. Au nez, c’est une explosion de champagne vivace. En bouche c’est l’archétype du champagne dynamique. L’essai sur le camembert qui porte son nom est concluant, les deux se comprennent. C’est assez étonnant que l’Ayala de presque 70 ans se montre beaucoup plus jeune que le Cristal. La conservation des champagnes en cave est cruciale.

J’ai acheté des meringues anonymes aux paillettes de chocolat, anonymes puisque la bien-pensance nous interdit de leur donner le nom qu’elles avaient, sans l’ombre d’une malice. C’est l’occasion d’exhumer une des plus vieilles bouteilles de ma cave, déjà ouverte depuis plusieurs mois, qui doit être un Xérès vers 1760. La datation est faite par la forme de la bouteille dont le haut du goulot a été coupé au ciseau lorsque le verre est encore chaud et dont le cul très profond a la forme d’un Y renversé.

La couleur du vin est irréellement belle comme celle d’un bijou qui brille au soleil. Le goût est tout simplement éternel, le vin sec et lourd n’ayant pas le moindre signe d’âge. L’accord n’est pas pertinent avec la meringue, mais cela n’a aucune importance.

un camembert Le Val d’Ay dont le nom évoque le champagne de la ville d’Ay !

Un Bourgogne blanc de 1960 dimanche, 28 mars 2021

Lors d’une visite à Paris, je fais un crochet pour faire quelques emplettes au magasin de vente de Kaviari. Un cœur de saumon est prévu pour ce soir. Le saumon s’accommode mieux d’un vin blanc que d’un champagne aussi vais-je chercher en cave un Bienvenues Bâtard-Montrachet Tasteviné par la Confrérie des Chevaliers du Tastevin dans les caves de Bouchard Père & Fils 1960 dont j’avais noté dans mon inventaire qu’il faudrait le boire au plus vite. Il a en effet une baisse de niveau de l’ordre de dix centimètres et une couleur très foncée, vue à travers le verre de la bouteille.

Il me semble qu’il faut l’ouvrir très en avance aussi est-ce à 15 heures que j’ouvre ce vin. Dès que j’ai découpé la capsule, une odeur très forte envahit la pièce, franchement peu engageante. J’arrive à sortir le bouchon entier et le bouchon sent mauvais. L’odeur dans la pièce est de serpillière ou de caniveau. Mais quand je mets mon nez juste à l’aplomb du goulot, je sens comme au fond d’un puits un parfum d’un beau montrachet. L’espoir est donc permis.

Au moment du dîner, je sers le vin pour qu’il accompagne un tarama aux œufs de cabillaud. Sur cette crème forte et salée, le vin offre un parfum qui n’a plus aucune mauvaise odeur. Toute mauvaise senteur a disparu. Et on perçoit que le vin est botrytisé car son parfum est suave. En bouche, le botrytisé est sensible et le vin est fort agréable.

Sur le cœur de saumon bien gras, le vin change de cap à 180 degrés. Il a perdu le botrytis et devient résolument sec, très sec. Quel changement ! Plaisant, direct, le vin n’est pas très complexe et manque un peu de largeur. On ressent que ce vin a un peu souffert et a rétréci son message, mais on le boit avec plaisir.

Il aurait fallu le boire il y a longtemps, mais il était là, avait envie qu’on le boive et il s’est montré fort agréable. Tant mieux.

Le lendemain, la couleur du vin a changé, tendant vers des couleurs de thé. Le parfum s’est resserré, refermé et n’a plus de charme. Même si le vin est de belle fraîcheur, il s’est refermé comme un bernard-l’hermite coincé dans sa coquille. Il avait livré la veille les derniers feux de sa vie. C’est ainsi.

Déjeuner de travail dans ma cave dimanche, 28 mars 2021

J’invite l’un des fidèles de mes dîners à déjeuner dans ma cave. Le repas sera ainsi conçu : chips au poivre / quiche lorraine / sushis et sashimis / camembert / tarte aux pommes.

Le Champagne Krug 1989 avait fait un joli pschitt à l’ouverture, une heure avant le repas. La bulle est vivace, le nez est noble et tout en ce champagne est grand. On sent des évocations de miel mais c’est la vivacité qui me plait le plus. Ce champagne est dans une période passionnante où s’exposent aussi bien sa jeunesse que sa maturité.

L’autre vin que j’ai ouvert il y a trois heures est un Hermitage Chante Alouette Chapoutier 1955. Sa couleur foncée aurait pu rebuter beaucoup d’amateurs. A l’ouverture le parfum paraissait prometteur. Au service du vin sur les quiches, je suis heureux car je vois immédiatement que mon invité aime ce vin. Son acidité est si bien contrôlée qu’il offre une belle énergie. Et ses complexités ne peuvent appartenir qu’à un vin de cet âge, dépassant la soixantaine. Il est fluide et aérien tout en étant juteux. Sur du thon cru, c’est un régal.

Ce qui me fascine, c’est que le vin et le champagne se parlent. C’est-à-dire que les qualités de chacun mettent en valeur les qualités de l’autre et créent une continuité gustative. Le Krug est plus noble et le Chapoutier est plus chantant. L’accord du Krug avec le camembert est une merveille.

Nous avons travaillé, puisqu’il y avait un prétexte à ce déjeuner, et nous sommes enchantés.

Déjeuner chez des amis avec un belle variété de vins dimanche, 28 mars 2021

Nous allons déjeuner chez des amis de longue date qui ont invité un ami aussi ancien, que nous n’avions pas vu depuis plus de dix ans, du temps où passionnés de voitures, nous faisions ensemble des stages de Formule 3 et d’autres folies sur circuits. Les temps changent et nous aussi.

L’apéritif est de gougères délicieuses préparées par notre ami qui pratique avec un soin méticuleux l’art de cuisiner, inspiré par les recettes des plus grands chefs. Le Champagne Louis Roederer Cuvée Cristal 2007 est un solide champagne bien construit. Large, il est agréable, mais quelque chose me manque. Est-ce l’énergie, la vivacité ou l’émotion, je ne sais pas le dire, mais le manque est là. Bien sûr, ce grand champagne se boit bien, mais le millésime est sans doute dans une période de moindre vibration.

J’ai apporté un Chablis Premier Cru Butteaux François Raveneau 1993. De très beau niveau et de couleur très claire dans la bouteille, le vin à l’ouverture chez les amis montre un parfum très engageant. Sur un délicieux poulet accompagné de divines morilles le chablis se montre très au-dessus de ce que j’attendais. Sa puissance est réelle, sa finesse est idéale, mais c’est surtout le finale qui m’éblouit, explosion de beaux fruits jaunes. Je me régale de ce beau chablis riche et raffiné.

Mon ami avait acheté à la vente des Hospices de Beaune une barrique de Pommard Pierre André Cuvée Dames de la Charité 2003. Il l’avait partagée avec des amis. Ce vin est extrêmement plaisant et de belle délicatesse. Il n’est pas vraiment complexe, mais cela ne limite pas le plaisir d’un vin franc et subtil.

A côté de lui, nous buvons un Château Cassevert Saint-Emilion 1970 de Jean Nony, le propriétaire de Château Grand Mayne. Je n’avais jamais entendu parler de ce Saint-Emilion et je suis très favorablement surpris, car il est d’un bel équilibre et n’a pas d’âge, tant sa maturité est élégante. Comme le Pommard, ce vin est plus en suggestion qu’en affirmation, ce qui le rend élégant. La sérénité de l’année 1970 est évidente.

Sur un dessert particulièrement gourmand mis au point par nôtre hôte pendant au moins quatre jours, d’une sophistication rare, nous goûtons un Monbazillac Theulet-Marsalet Sélection de Grains Nobles Cuvée Fanny 2011 qui est un véritable bonbon dont on se régale. J’aime les vins de Theulet-Marsalet depuis des décennies et j’avais pu profiter de quelques bouteilles que j’avais achetées de la décennie des années 20.

Les amis sont venus ensuite visiter ma cave et ont pu goûter au Calvados que j’aime tant. Ils ont compris pourquoi je m’en suis entiché.

Déjeuner dans ma cave avec des vins de 1997 vendredi, 19 mars 2021

J’invite ma sœur et mon beau-frère à déjeuner dans ma cave. Ils viendront avec des victuailles et je ne connais pas leur programme. Le choix des vins doit se faire pour convenir à toutes les situations. Le premier vin que je choisis est un champagne Salon 1997 car je souhaite voir où en est ce millésime qui promet d’être grand.

Pour la suite pourquoi ne pas rester sur le millésime 1997 ? Je prends un Corton-Charlemagne Bouchard Père & Fils 1997 et une Côte Rôtie La Turque Guigal 1997, année particulièrement grande dans le Rhône.

Avec de tels vins, je n’ai pas besoin de venir aux aurores pour les ouvrir. C’est donc à 10 heures seulement que commence l’ouverture. Le bouchon du vin blanc est extrêmement serré dans le goulot et à ma grande surprise il se brise en mille morceaux à la levée. Je n’avais pas imaginé qu’il fallait user de la mèche longue réservée aux vins anciens, aussi des petites miettes de liège tombent dans le vin, que je repêche avec les outils adéquats. C’est étonnant qu’un bouchon aussi jeune se soit désagrégé à ce point. Le bouchon du vin rouge est sans problème. Je m’attendais à une forte résistance du bouchon du Salon 1997 car les bouchons des jeunes Salon sont souvent trop serrés, mais celui-ci vient avec des efforts certes, mais vient.

A l’arrivée de mes invités je constate avec un grand plaisir qu’il y aura une douzaine d’huîtres pour chacun des deux qui mangent des huîtres. Que demander de mieux que cela pour le champagne ?

Le Champagne Salon 1997 avait offert un pschitt cordial sans être tonitruant. Sa couleur est belle et sa bulle active. Le nez est intense et le mariage avec les huîtres est divin, car le goût iodé de l’huître se prolonge dans le goût salin et minéral du Salon. C’est un régal et le Salon a une longueur infinie. Ce grand champagne promet.

Pour le poulet cuit avec de petites pommes de terre, nous passons au Corton-Charlemagne Bouchard Père & Fils 1997. Son nez est envoûtant. En bouche il est d’une largeur extrême, débordant de fruits dorés. Sa complexité est belle et la largeur de sa palette aromatique est infinie. C’est sur les pommes de terre croquantes que le vin blanc s’exprime le mieux. Ce bourgogne est noble.

Ma sœur a apporté un seul fromage, un Soumaintrain, fromage de l’Yonne à pâte molle, affiné tous les deux à trois jours pendant trois semaines. Les senteurs d’une étable ou d’un dortoir de jeunes soldats auraient du mal à lutter avec la virilité du parfum de ce fromage qui convient aussi bien au vin rouge qu’au vin blanc, celui-ci étant certainement le plus idoine. La Côte Rôtie La Turque Guigal 1997 a un nez très jeune fait de fruits noirs. En bouche le cassis et les fruits noirs abondent et la jeunesse du vin est infinie. Son finale est juteux et gourmand, avec de petites notes mentholées. Un régal qui est loin d’avoir atteint son apogée.

La tarte aux mirabelles va accueillir d’abord le diabolique Calvados dont je ne me lasse pas tant il combine puissance et douceur. Ensuite je verserai à mes convives des verres du Marc de rosé du Domaine d’Ott 1929 au parfum de punaise ou de poussière, encore plus viril que le Calvados. J’aurais dû inverser l’ordre de service des deux alcools.

Alors que ma cave devient un endroit où l’on déjeune fort bien, c’est le soir même que le Premier Ministre annonce le troisième confinement. Il faudrait un nouvel Hercule pour nettoyer les incuries d’Augias.

Dom Pérignon 2002 dimanche, 14 mars 2021

Il arrive qu’il y ait parfois dans le réfrigérateur une boîte métallique de caviar osciètre de Kaviari. Ayant l’envie de fêter quelque chose, un prétexte est trouvé pour ouvrir un champagne. Je choisis en cave un Champagne Dom Pérignon 2002 dont la jeunesse va s’accorder au caviar.

N’ayant pas souvent ouvert récemment de champagne jeune, je suis surpris par l’explosion du bouchon qui m’échappe des mains, rebondit sur une porte vitrée et finit son vol sous une chaise. Nous ne le retrouverons que le lendemain car les chaises sont habillées de jupes qui tombent bas.

La couleur est claire, magnifique et la bulle est active. Ce qui caractérise ce champagne est la fluidité. Il est comme un cours d’eau de montagne qui glisse sur les galets. Sa minéralité est discrète mais saline et c’est exactement ce qu’il faut pour le caviar que je trouve parfait, car sa salinité est idéalement équilibrée. Alors l’osmose caviar et champagne se trouve avec bonheur. Baguette, beurre, caviar, c’est simple, direct et parfait. Le champagne est aussi discret et réservé, moins tonitruant qu’un 2008 par exemple, mais cela lui va bien. Il est probablement dans une phase qui n’est pas de plénitude, mais j’adore quand les complexités sont juste suggérées, comme pour ne pas déranger. C’est un champagne qui chuchote agréablement.

La boulangerie qui est en face de la mairie de ma commune s’appelle la Comtesse. Nul ne peut lui contester cette appropriation nobiliaire car son pain est croquant et sa meringue au chocolat a le moelleux divin. Le champagne et la pâtisserie s’entendent à merveille. Il est des jours où tout est souriant.

Déjeuner impromptu dans ma cave mercredi, 10 mars 2021

Un ami vivant en Belgique voulait me voir. Je lui propose que nous déjeunions ensemble dans ma cave. Pensant qu’il repartira en voiture après notre déjeuner, je prends en cave deux champagnes et mon ami choisira l’un des deux. Le champagne est en effet le vin le plus adapté lorsque l’on a de la route à faire – en respectant bien entendu les règles en vigueur.

Ma collaboratrice va acheter des sushis, un camembert et des pâtisseries. Le choix est proposé entre le Champagne Veuve Clicquot La Grande Dame 1989 et le Champagne Salon 2004. Après avoir discuté les avantages de chacun des deux, nous nous mettons d’accord sur le 1989.

Le Champagne Veuve Clicquot La Grande Dame 1989 a une jolie couleur d’un or clair. Le pschitt est dynamique, la bulle est active dans le verre est le parfum est noble, racé. En bouche, ce champagne est extrêmement confortable, direct, facile à comprendre ce qui n’est pas un handicap, au contraire. Ce champagne accompagne toutes les saveurs et on se sent bien.

On se sent si bien que la question arrive bien vite : faut-il ouvrir la deuxième bouteille ? Avec une hypocrisie toute masculine, nous convenons que le deuxième champagne doit être ouvert. Le Champagne Salon 2004 a un bouchon qui vient beaucoup plus facilement que ce que je redoutais et offre un pschitt guerrier. La couleur est clair, le nez est vif, la bulle très belle. Le premier contact avec ce champagne en ayant en bouche la mémoire du précédent est exceptionnel. Le Salon est vif, entreprenant, mais les traces de Veuve Clicquot lui donnent un coup de charme magique.

Sur les gorgées suivantes, il retrouve son caractère tranchant et sa noblesse. C’est un grand champagne qui est déjà agréable à boire. Il a un avenir magnifique devant lui.

On a donc deux champagnes complètement différents. Le Veuve Clicquot est un champagne de consensus, plaisant en toutes circonstances et le Salon est le panache blanc d’Henri IV à Ivry-la-Bataille dont il disait : vous le trouverez toujours au chemin de l’honneur et de la victoire.

Ce déjeuner impromptu, ce petit frichti, est particulièrement agréable. Mon ami m’a fait savoir qu’il était bien rentré chez lui.