Dîner impromptu à domicile samedi, 15 novembre 2003

Au détour d’un dîner dans un restaurant de type « tendance », un Chablis Premier Cru Vaudevey Domaine Laroche 1997 que je connaissais déjà. Belle surprise, l’iode des huîtres mettant en valeur ce joli Chablis, nettement moins marqué que des grands crus, mais agréable ici. Nénin 1996 est un Pomerol très typé. Très sec, il évoque du bois de chauffage mis à sécher. Mais l’élégante structure arrive à le rendre charmant.

Dîner impromptu à domicile. Sur des courgettes cuites au four et fourrées de parmesan, un Pinot Blanc Domaine Schlumberger 1991 est très « Alsace », avec cette petite amertume si caractéristique, mais il a de la rondeur et de la longueur qui lui permettent d’accompagner ensuite une épaule d’agneau cuite quatre heures, et même de briller sur un Brie prononcé. Pour suivre sur les fromages, une demie bouteille de Lafite 1969 au bouchon collé au verre, au nez immédiatement étonnamment chaleureux et vivant. Un vraiment beau vin, au dessus de ce que donne cette année. Une demie bouteille de Yquem 1990 se prête un instant au jeu d’un crumble aux pommes. C’est le meilleur 1990 que j’aie bu à ce jour. Fumé, rond, gorgé de saveurs de fruits confits lourds et goûteux, ce Yquem est un vrai plaisir. Il se boit très bien tout seul, comme un dessert.

 

 

Dîner de wine-dinners au restaurant de l’hôtel Bristol mercredi, 12 novembre 2003

Dîner dans la belle salle du Bristol pour un dîner de wine-dinners. Compte tenu des âges des bouteilles je ne me fais pas de souci à l’ouverture. Tous les niveaux sont parfaits. Le Richebourg du Domaine de la Romanée Conti a un magnifique bouchon d’une belle texture. Il a immédiatement une belle odeur, comme ce Passion Haut-Brion. Le Cérons évoque de prometteuses saveurs.

Le bouchon du Mission adhérait mal au goulot. Eric Fréchon arrive au bon moment, quand j’ouvre la Malvoisie des Canaries 1828. Nous dérobons chacun une goutte de ce nectar et sommes saisis par la complexité extrême de cet élixir à la densité infinie. Pendant plus de deux heures j’avais encore la bouche prise de cette invraisemblable complexité.

Voici l’intelligent menu qu’Eric Fréchon et Jérôme talentueux jeune sommelier ont créé : Feuilletés d’apéritif, Tête de cochon persillée et relevée au raifort, girolles au vinaigre, toast de campagne, Araignée de mer, jus de carcasse pressée, chair et corail à la coriandre, cébette et gingembre, Lobe de foie gras de canard rôti en feuilles de figuier au miel et citron, Jeune palombe rôtie à la broche, tartine d’abats au foie gras, sauté de girolles, Lièvre de Beauce, l’épaule cuisinée en civet, le râble rôti au poivre vert, pennes cuits au bouillonde truffe noire, Sabayon au chocolat noir Trinitarios, caramel mou effleuré d’épices, glace à l’infusion de vanille Bourbon, Friandises et chocolat.

Nous démarrons sur Bollinger grande année 1989. Belle bulle fine sur une couleur dorée. Il a déjà commencé à prendre un léger goût de fumé, signe de maturité. Il est opulent, assis, rassurant. Il fait plus vieux que son âge. Paradoxalement le Krug 1988 parait léger à coté de lui. Ciselé, on dirait un cristal de roche. Quelle joie de l’exciter par une tête de porc. Courageux mariage. Le Cérons, château du Mayne, sec que je date autour de 1960 a un nez de Sauternes ancien, avec cette délicatesse qui mêle le citron et le fruit confit. En bouche, il se retrouve Graves sec, et l’araignée simplifie son message d’un équilibre épuré rare. Voilà un vin à qui l’âge a apporté la noblesse qu’il n’avait pas. Il était Porthos. Il est devenu d’Artagnan.

Le Tokay Pinot Gris Hugel Vendanges Tardives 1985 se présente dans des conditions idéales. Il est déjà très doué naturellement, offrant des saveurs passionnantes. Mais il fait voyage avec un foie gras qui est sans doute le meilleur que j’aie jamais mangé. Alors, ce Pinot exulte, et nous fait un numéro de charme exquis. Bel Alsace qui a été mis en valeur en pleine justesse à ce moment du repas.

J’avais voulu m’amuser à mettre ensemble trois rouges de la même décennie qui ont la même racine de patronyme. Le Passion Haut-Brion 1976 a le meilleur nez des trois et de loin. En bouche, il étonne par sa réussite. Beaucoup de convives le placeront au dessus de ses deux voisins, pourtant plus gradés que lui. Le Mission Haut Brion 1971 a un premier nez fatigué. On sent une blessure dont le comportement du bouchon avait été l’indice. Mais la chair de la palombe si bien présentée a réveillé en lui ses pulsions animales. Il a fort bien épousé la palombe. Le Haut-Brion 1970 se demandait ce qu’il faisait à coté de ces deux là, le Passion qui brillait plus qu’il n’aurait dû, et le Mission qui jouait du muscle, comme un brigand de faubourg. Ayant choisi d’offrir un nez discret, il s’affirmait en bouche par une distinction de gentleman anglais. Le Passion était Alain Delon, le Mission était Arnold Schwarzenegger et le Haut Brion Sean Connery. J’ai aimé ce Haut-Brion quand d’autres préféraient Passion. Caprices de goût.

Le silence s’est fait lorsque fut dégusté sur un lièvre viril et distingué le Richebourg du Domaine de la Romanée Conti 1981. La couleur est claire et un peu grisâtre, le nez s’habille de celui du lièvre et en bouche, l’animalité du lapin se confond avec lui. Si je devais faire une image – il m’arrive d’en faire – je dirais que ce Richebourg, ce sont les plombs qui ont terrassé l’animal. Il y a une telle fusion sensorielle que le Richebourg a acquis sur le lapin un pouvoir de vie et de mort comme les plombs du chasseur. Ce Richebourg sensuel, qui n’existe que parce que le lièvre existe fut un plaisir largement sanctionné dans les notes.

Ce qui est à signaler, c’est que l’épice qui supportait ce plat arrangeait bien le Richebourg. Mais elle convenait aussi aux trois Bordeaux : le Haut-Brion confirmait la finesse de son architecture gothique, le Mission reprenait vie et retrouvait ses couleurs, et le Passion maintenait sa performance. Cette première partie de repas, avec des vins très jeunes laissait déjà pantois tant Eric Fréchon avait créé une justesse de mariages inégalable.

Arrivaient maintenant les « vrais » vins que l’âge habille.

Le Banyuls Grand Cru Sivir (groupement de propriétaires) 1929 montre tout ce que l’ancienneté apporte au Banyuls. Tout est arrondi, calibré, pour ne retenir que le vrai message de ce vin chaleureux. C’est un brasero du coeur. J’ai toujours un peu peur quand des desserts trop imaginatifs vont dans l’excès quand mes vins de dessert très anciens attendraient des esquisses. Là, l’accord fut parfait car Eric Fréchon a su suggérer sans tomber dans la lourdeur des desserts trop typés qui se veulent talentueux. Merveilleux Banyuls.

Il fallait remonter la pendule d’un siècle pour l’élixir qui suivait. Aucun goût connu ne peut approcher la complexité sensorielle de ce vin insoupçonnable : Malvoisie des Canaries 1828. Il y a du caramel, du café, du fruit confit, de la citronnelle, de l’épice, de la vanille et du cuir qui se mettent à danser comme en un manège, chacun n’apparaissant que lorsqu’il a envie. Complexité, longueur, un moment d’énigme historique qui jalonne une vie.

Je suis assez fier, car dans les quartés des dix convives, chacun des vins a été cité au moins une fois. Le plus acclamé fut le Richebourg, cité sept fois dont six fois premier, puis la Malvoisie cité neuf fois dans le quarté, puis quasi ex aequo, le Tokay, le Passion et le Cérons Château du Mayne cités quatre ou cinq fois.

Mon choix personnel, combien difficile cette fois fut Canaries, Richebourg, Château du Mayne et Haut-Brion. J’aurais autant de mal à choisir le meilleur accord tant tous furent d’une rare perfection. Le meilleur plat fut le foie gras qui est un plat de légende. Le meilleur accord est sans doute celui du lièvre et du Richebourg. Mais l’araignée et le Cérons mérite aussi une mention. En fait, chaque accord m’a plu, car il permettait à chaque vin de se transcender. Le Cérons, s’il s’était comparé aux grands Bordeaux secs, eut fait modeste figure. Là, en situation, avec une araignée intelligente, il devint un seigneur.

C’est le secret d’une gastronomie de coeur au service du vin.

 

 

Dîner de wine-dinners au restaurant de l’hôtel Bristol mercredi, 12 novembre 2003

Dîner de wine-dinners au restaurant de l’hôtel Bristol le 12 novembre 2003
Bulletin 96 – livre page 133

Les vins de la collection wine-dinners :
Champagne Bollinger Grande Année 1989
Champagne Krug 1988
Château du Mayne Graves Supérieures sec à Cérons vers 1960
Tokay Pinot Gris Hugel Vendange Tardive 1985
Domaine la Passion Haut-Brion Graves, Allary propriétaire 1976
La Mission Haut-Brion 1971
Château Haut-Brion 1970
Richebourg Domaine de la Romanée Conti 1981
Banyuls Grand Cru Sivir (groupement de propriétaires à Banyuls) 1929
Malvoisie des Canaries vers 1828

Le menu mis au point par Eric Fréchon :
Feuilletés d’apéritif
Tête de cochon persillée et relevée au raifort, girolles au vinaigre, toast de campagne
Araignée de mer, jus de carcasse pressée, chair et corail à la coriandre, cébette et gingembre
Lobe de foie gras de canard rôti en feuilles de figuier au miel et citron
Jeune palombe rôtie à la broche, tartine d’abats au foie gras, sauté de girolles
Lièvre de Beauce, l’épaule cuisinée en civet, le râble rôti au poivre vert, pennes cuits au bouillon de truffe noire
Sabayon au chocolat noir Trinitarios, caramel mou effleuré d’épices, glace à l’infusion de vanille Bourbon
Friandises et chocolat

galerie 1974 samedi, 8 novembre 2003

Vega Sicilia Unico 1974 Ribeira del Duero Espagne

Petrus 1974. Ce qui est étrange, c’est que cette bouteille que j’ai achetée au début des années 1990 vient de New York (si elle y est vraiment allée).

Pommard Grands Epenots Michel Gaunoux 1974. C’est une très belle réussite de cette petite année, comme l’est Petrus.

repas impromptu fait à domicile vendredi, 7 novembre 2003

Comme par un fait exprès, j’ai pu appliquer ces principes lors d’un repas impromptu fait à domicile. Je ne sais pas par quel hasard j’ai pu acquérir un champagne Pâques Gaumont brut. Il est d’une année que je situe vers 1960 tant son enveloppe de papier argenté se disloque au moindre contact, et tant le bouchon s’est rétréci. J’acceptais le risque de l’ouvrir.

La surprise fut bonne : belle couleur légèrement dorée, la bulle est un peu épaisse mais fournie. Le goût est d’un agréable champagne bien fait avec une bonne densité.Sur un foie gras, le Savennières Domaine des Baumard 1969 forme un délicat mariage. Couleur d’un or vert. Nez presque similaire à celui du Clos Sainte Hune, et en bouche un bon équilibre entre les saveurs citronnées d’une belle jeunesse et une rondeur quasi grasse. Très intéressant vin qui laisse une longue trace en bouche.

Sur un canard au miel, le magnum de La Mission Haut-Brion 1972 commence par présenter un aspect fermé, poussiéreux qui me fait craindre que cette petite année délivre un vin incomplet. Or, très rapidement, le vin s’ouvre, quitte l’amertume initiale pour s’arrondir fort agréablement. Ce n’est évidemment pas une grande année, mais tous mes convives ont adoré, sachant ce qu’ils buvaient. Le vin a brillé sur le canard mais aussi sur un chèvre très dur et très pur. Le vin jaune Château d’Arlay 1986 est d’une aridité de jeunesse. Agressif, insolent, brutal, il forme avec un Comté de 36 mois un choc gustatif qui crée – une fois de plus – un de ces accords si excitants. J’aime ces étrangetés qui ont ravi et conquis mes hôtes.

Sur un gâteau au chocolat plutôt sec dans sa présentation, je risque un Golsener Strohwein (vin de paille) 1998 de Neusiedlersee en Autriche. Ce vin titre 11°. Il a des saveurs de mangue, de fruit de la passion, mais aussi de caramel. Son sucre est du plomb fondu. Dense, avec une longueur infinie, il est d’un charme étonnant.

Lors de ce repas on a exploré cinq régions : Champagne, Loire, Bordeaux, Jura et Autriche, avec des saveurs d’une rare diversité, avec des vins qui ne sont pas des phares, mais présentent de belles originalités. Le lendemain le Savennières s’est encore amplifié. Un Volnay Taillepieds Domaine d’Angerville 1997 titrait 13,5° comme le vin jaune. Alors que le Volnay paraissait léger, aérien et fort agréable vin de soif, le vin jaune paraissait largement plus alcoolique.

Je suis revenu aux vins qui sont dans l’esprit de mon ami en ouvrant un champagne Salon 1988, mais je l’ai fait sur des sushi. Ce champagne est capable de s’adapter à toutes les situations. Ici il devenait sucré à cause de cette sauce d’encre si salée. Il accompagna même très bien un Brie de Meaux.

Le débat sur les vins à faire briller dans des repas est évidemment ouvert. Je persiste à penser qu’il faut explorer tous les niveaux et toutes les périodes pour réellement rendre hommage au travail des hommes qui ont fait l’histoire du vin. C’est ce que j’ai dit sur TF1 dans « Histoires Naturelles » baptisé « In vino.. » qui mérite d’être regardé pour les jolis témoignages de vignerons attachants. S’il est rediffusé, ne le manquez pas.

 

Déjeuner à Hiramatsu jeudi, 6 novembre 2003

Un beau jour ensoleillé de novembre, je retrouve un ami à Hiramatsu où l’on change le menu d’automne. Sur la très originale carte des vins, ou dans les tiroirs cachés de Stéphane, très intelligent sommelier, nous prélevons deux petites merveilles.

Le Riesling Clos Sainte Hune de F. E. Trimbach 1976 est un Riesling invraisemblable. Il a bien sûr le nez Riesling, avec cette discrète évocation de pétrole. Mais en bouche, c’est un lingot du même or que sa robe flamboyante. Le vin est lourd, onctueux. Il a des saveurs fumées, langoureuses mais aussi énigmatiques comme un vin du Jura. D’une immense qualité et d’un plaisir rare. Sur des écrevisses, mais surtout sur des raviolis de cèpes, l’accord est brillant. C’est un Riesling de perfection.

Le Chambertin Grand Cru Armand Rousseau 1996 est un délicieux Chambertin qui va s’affirmer tout au long du repas. Il a une couleur claire, presque rose au début, puis s’assombrissant quand on aborde la deuxième partie de la bouteille. Il offre un délicat fumé, une petite amertume de jeunesse qui dénote une belle personnalité. Un très beau Chambertin d’une immense race, qui sera encore meilleur dans 20 ans mais se boit bien dès maintenant. Il a atteint des grandeurs extrêmes avec un lièvre traité presque comme à la royale de façon fort originale et mettant en valeur le coté gibier puis ensuite sur une fondante joue de bœuf avec des petits légumes troublants de douceur. Une cuisine d’une qualité de très haut niveau et d’une imagination fantastique.

Au cours de discussions passionnantes, cet ami féru d’œnologie me fit remarquer que je m’enthousiasme aussi bien pour des vins de légende que pour des vins qui – pour lui – semblent ne pas présenter un intérêt évident. Cela m’a donné l’occasion de lui préciser la voie que je suis. Je m’intéresse bien sûr aux légendes du vin comme Mouton Rothschild 1870, Romanée Conti 1945, Cheval Blanc 1947, Pétrus 1961. Mais on ne peut pas en faire son ordinaire, et les caves qui se dispersent recèlent beaucoup plus de vins de toutes origines que de vins de collection. Et j’ai un infini plaisir quand un vin blanc de table de Corse, La Sposata 1946 brilla comme un Montrachet. Quand un Bourgogne générique de Théophile Gavin 1928 s’affirme comme un grand vin, ou quand Poujeaux 1928 est une des plus belles réussites de 1928. Cela m’excite autant que de vérifier que Cheval Blanc 1947 est grand. Et, soyons honnête, sur tous les Cheval Blanc 1947 que j’ai bus, il y a eu une fois où, mis en comparaison avec tous les grands 1947, il a clairement démontré qu’il était le plus grand. Mais d’autres fois, disons-le, je connais bien des vins qui l’auraient égalé en émotion. Je ne peux évidemment pas ignorer certaines hiérarchies, mais j’ai la chance de pouvoir m’en affranchir, et trouver qu’un Cheval Blanc 1941 est grandiose, qu’un Haut-Brion 1926 est plus grand que ses frères de plus grandes années, qu’un Pommard banal de 1923 peut surpasser un Pommard de 1926 mieux né. L’important est que lors d’un repas, un vin entre en scène avec le plat qui convient, et s’exprime comme il n’a jamais pu le faire auparavant. C’est cela qui est intéressant. J’ai présenté à mes dîners des étiquettes grandioses. Mais je suis aussi fier qu’un vin apparemment petit se mette à atteindre des sommets que personne n’imaginerait. Les guides donnent des hiérarchies. J’essaie de donner du plaisir, par la maîtrise de la mise en situation, avec les grands et les petits vins.

Dîner à l’Ecu de France à Chennevières mardi, 4 novembre 2003

Comme il ne me paraît pas nécessaire de garder deux adresses secrètes, je vais enfin livrer le nom du restaurant secret où j’ai bu tant de belles bouteilles. Il s’agit de l’Ecu de France à Chennevières. Maison bourgeoise de plus d’un siècle, tenue par la famille Brousse, ce restaurant à la cuisine plutôt familiale a su intelligemment gérer sa cave. Il fut une époque où l’on pouvait y assécher les plus beaux Pétrus. Je n’ai fait qu’en picorer quelques uns. Il faut aller en ce lieu pour de magnifiques bouteilles, profiter d’une terrasse sur la Marne où l’on pense à la quiétude ancienne de ces sites accueillants en buvant Lafite 1955, Rayas 1985 ou Krug 1988. Un havre de plaisirs rares. Allez-y, mais laissez moi quand même une ou deux de ses merveilles.

Champagne Salon aux Caves Legrand lundi, 3 novembre 2003

J’avais dû me rendre pour des formalités administratives à la mairie de Créteil. Cette architecture bolchevique peut-elle conduire au bonheur ? Il me fallait du vin vif pour oublier cette politique urbaine déprimante. Ce fut fait à une dégustation de champagnes Salon aux caves Legrand.

Lors de la récente présentation de vins argentins mon oreille avait capté l’information de cette dégustation. Je m’en félicite. Atmosphère studieuse, rappel historique de Didier Depond que je pourrais citer par coeur.Un petit groupe déjà convaincu déguste. Le Delamotte brut sans année est un bien beau champagne. La bulle est un peu trop lourde mais le vin a du sens. Le Delamotte 1997 est un très beau champagne. Et c’est du vrai champagne, quand le Salon explore d’autres terres. Ce qui est passionnant, c’est que chacun des 7 millésimes de Salon va nous offrir des sensations complètement différentes. Le 1995, c’est le jeune ado qui étrenne son premier costume à la Elvis Presley. Sentant le citron et la pomme verte comme un champagne nouveau-né, il délivre malgré tout la signature Salon, faite de cette concentration vineuse particulière. Paradoxalement, il montre à quel point le Delamotte est du vrai champagne. Le 1990 est d’une élégance rare. C’est un grand champagne. Le 1988 s’affirme par sa puissance. C’est le Salon à sa parfaite maturité. Ah, que j’aime le 1985 qui a tous les cotés dérangeants que j’adore. Sans concession, brutal, agressif, c’est le Samouraï qui vous transperce de son insolence comme le font les vins jaunes qui vous entraînent sur des goûts que vous n’attendiez pas. On sait qu’on va crescendo, mais quand même ! Le 1982 est parfait. Il a tout pour lui : puissant comme le 88, agressif comme le 85, élégant comme le 90, il est une exaltante synthèse. Un grand Salon. Mais il ne faut jamais croire qu’on a fini l’ascension. Le 1979 est au moins aussi subtil, sauf qu’il affiche une légère amertume. Quand elle disparaît, il reste un champagne de la race du 1982. Arrive alors ce qui pourrait être le plus grand ou l’un des plus grands champagnes de ma vie. On sent la rupture gustative avec tout ce qui précède. C’est du caramel, fondu, fumé, épicé. Le Salon 1966 donne à la fois la jeunesse de sa bulle intense et fine, et la maturité d’un Chardonnay puissant dense et incroyablement accompli. Ce qui me plait le plus au delà de l’incroyable franchissement d’étape, c’est ce goût de fumé, un peu comme de l’ananas confit, qui flatte le palais au delà du réel. J’imagine le boire sur un carpaccio de coquilles Saint-Jacques au caviar. Je le sens comme si c’était réel. J’étais un inconditionnel de Salon, ce n’est pas cette dégustation qui m’aura calmé. Lors de cette soirée, le vrai champagne de soif et de plaisir, c’était le Delamotte 97. Le monstre sacré, c’est le Salon 1966, meilleur que tout ce que j’ai bu de ce domaine, sauf peut-être les deux 1959 que j’ai bus avant de réellement prendre conscience de ce qu’est Salon. Et ensuite, chaque Salon du 90 au 79 a une morphologie qui va correspondre à un plat que l’on aime. Avec Didier Depond et le propriétaire de la cave nous avons bistroté ensuite sur le Malbec 1999 argentin bu récemment. Meilleur que lors de sa présentation récente avec un agréable équilibre du fruit et du bois. Mais je me lasse vite de ces vins et mes gencives souffrent d’avoir été attaquées par ce jus surpuissant. Comme je n’avais pas mordu à ce vin, c’est lui qui m’a mordu. Paraphrasant Gotlieb dans Pilote je dirai : « Salon ! Mâtin quel champagne ! ».

TF1 filme ma cave dimanche, 2 novembre 2003

Une équipe de TF1 prépare une émission sur le vin. On vient m’interviewer au milieu de mes enfants, les vins vivants, et de mes cadavres, souvenirs de belles bouteilles bues. Le tournage prend une journée, et il faut bien déjeuner. Qu’offrir à cette équipe qui peut s’inviter dans les plus beaux domaines ? J’erre quelques minutes dans une cave, pour choisir ce qui a accompagné de la charcuterie et des fromages mangés dans des assiettes en carton. Le Mouton-Rothschild 1987 est une agréable surprise. Suffisamment puissant, quasiment vin de soif, avec une belle charpente et surtout une longueur que l’on n’attend pas de cette année là. Puis, une bouteille que je sais sans doute « lire » mieux que d’autres palais, tant il faut un référentiel pour apprécier ces énigmatiques évocations : Côtes du Jura Jean Bourdy 1947. Quel vin ! Une longueur infinie, des évocations capricieuses de saveurs kaléidoscopiques. Ça ressemble au plus vieux des Salon évoqués ci-après. J’adore explorer ces vins qui emmènent sur des terrains que l’on n’attend pas. Sur TF1 dans la nuit du 17 au 18, à 1h00. Pensez-y.

Déjeuner dans un restaurant de quartier mardi, 28 octobre 2003

Ayant fait un pari sur un vin avec un expert en vins et l’ayant gagné, je me retrouve dans un petit bistrot de quartier à l’accueil chaleureux et à l’atmosphère qui m’enchante. Sauf à me brûler la plante des pieds au chalumeau je ne dirai pas son nom, car un endroit où l’on peut boire, de la carte, sans trop se ruiner, Meursault Clos de la Barre Comtes Lafon 1998 et La Tâche Domaine de la Romanée Conti 1998 est un petit trésor que j’aimerais garder confidentiel (naïf que je suis). Un restaurateur de quartier qui recevait, le jour où nous déjeunions, sa caisse assortie de la Romanée Conti 2000 ne peut être qu’un original à suivre.

La cuisine est simple mais honnête et de bon goût. Par rapport aux grandes adresses, c’est un dépaysement plaisant. Le Meursault est assez léger et s’affirme progressivement sur des langoustines. Il atteint une belle sérénité, avec ce qu’il faut de goûteux sur le beau plateau de fromages qu’on vous laisse sur table, sur le même support qu’un plateau d’huîtres. Se servir soi-même repose des découpages étiques et solennels de certaines maisons. La Tâche ! Quel beau nez séducteur de fruits noirs. Ce vin est encore dans la jeunesse la plus pure. Ouvert au dernier moment il va nous faire le numéro de l’effeuilleuse qui se découvre lentement. Quel talent. Un vin de plaisir à cet âge, où tout le fruit éclate d’un rire généreux. On est dans la gentillesse quasi naïve tant elle est simple, ce vin ne cherchant pas à compliquer le message, se contentant, par sa longueur extrême, de montrer où il est né. Il y a du Malaussène qui vient à l’esprit dans ce bonheur de quartier.