Chateau Lagrange Saint-Julien 1975. Jamais je n’ai su, en achetant une caisse de ce vin, qu’elle avait fait sa propre Vendée Globe, par un crochet à Buenos Aires. Les catalogues des ventes sont-ils précis ?
Dîner d’amis au restaurant Casual lundi, 27 octobre 2003
Au Casual, à l’agréable décoration et au service parfait, Jean-Luc Barré réunit quelques fidèles autour d’un de ses dîners fous. L’ambiance est bruyante, chahuteuse, mais le silence se fait lorsqu’un vin le justifie. Surabondance de raretés extrêmes, de curiosités que Jean Luc rassemble en un travail de bénédictin.
Le menu : gougères, langoustines rôties et salade d’herbes, gâteau de foie gras, caramel de Porto, poitrine de veau confite aux trompettes de la mort, pomme purée, fromages mesclun et cake aux noix, crème brûlée à la vanille, mousse aux pommes caramélisées, glace caramel.
Champagne Blin sans année vers 1980 en magnum. Je le trouve particulièrement bon. Il a un final fumé et dense de belle délicatesse. Deux bouteilles de champagne Pol Roger 1964 sont de présentations différentes. L’une a plus de bulles que l’autre qui n’en a plus. L’autre a plus de sucre. Il y a là deux expressions de champagnes qui n’en sont plus totalement mais offrent une version nouvelle et plus vineuse d’un bel agrément. Le Chablis Grand Cru « les Clos » Nicolas 1947 est un pur chef d’oeuvre. Comme nous découvrons tous les vins à l’aveugle, c’est quasi impossible de retrouver Chablis, mais c’est une grande expression historique de ce vin. La Coulée de Serrant 1948 de Cothereau me plait tantôt plus, tantôt moins que la Coulée de Serrant 1949 de Cothereau. Ces Savennières sont tellement hors des goûts traditionnels. Une querelle naît car sur la bouteille de 1949 l’année est rayée et quelqu’un a écrit il y a bien longtemps 1948. Alors, quelle année ? Jean-Luc s’en tient à 1949. Je n’en suis pas si sûr. Qui sait ?
Nous avons ensuite trois vins rouges clairets qui à l’aveugle donnent lieu à des réponses dans toutes les régions. Introuvables énigmes que j’ai ressenties comme fatiguées. Peut-être ai-je tort. Un Coteaux Champenois Mareuil rouge 1961 Philipponat, et deux bouteilles de Bouzy rouge 1961 Pommery. Etranges saveurs peu à mon goût. Introuvable encore, mais trouvé, ce Hautes Corbières « cave pilote » de Villeneuve lès Corbières 1959. Voilà du vin, et fort bon. Si la trame est légère, car c’est (ce fut) un vin ordinaire, le plaisir est grand. Jean Luc se lamentait de ce que son vin phare soit bouchonné. Le Royal Khébir 1945 de Frédéric Lung, vin d’Algérie fascinant que j’ai plusieurs fois apprécié sur plusieurs années était ici plus gênant au nez qu’en bouche. On avait quand même une évocation suffisante de ce que pouvait être sa fascinante beauté.
Arrive un vin très énigmatique de saveur que j’ai reconnue : c’est un Premières Cotes de Bordeaux, Château Malagar 1956, ancienne propriété de François Mauriac. Le vin est devenu assez sec, et comme pour le Filhot 1858 récent, j’aime ces goûts qui dérangent par leurs saveurs insaisissables. Puis, le Domaine Raymond Louis 1934 crème de tête Sauternes s’affirme en force : il est grandiose comme le sont les Sauternes de ces âges là. Il est indiqué sur l’étiquette que la propriété est entre Yquem et Suduiraut. Elle a produit un vin élégant de grande profondeur. Le grand Marsala hors d’âge de Nicolas vient sans doute du début du 20ème siècle ou de la fin du précédent. Il titre 18° et a de ces opulences orientales qui contrastent avec l’aridité sicilienne. Une vieille Myrtille Peuchet probablement des années 50 annonce 48° mais donne l’impression d’en porter 80° tant elle emporte le palais. Encore une fois Jean-Luc a rassemblé de très intéressants témoignages d’histoire. La fine cuisine du Casual préfigure-t-elle un retour de David van Laer ? J’attends de ces deux amis de pouvoir conter leurs prochaines aventures.
Inauguration du Salon du Chocolat lundi, 27 octobre 2003
Je vais à l’inauguration du Salon du Chocolat où des maîtres chocolatiers exposent leurs créations débridées. J’achète les oeuvres bridées d’une chocolatière japonaise. C’est à ce salon que – ô surprise – je me vois en train de goûter trois vins de la Rectorie, domaine où officie le fils d’Yves Legrand qui défend becs et ongles ses jolies productions. Il a bien raison. Je bois le Collioure 2000 Le Séris, le vin des Cotes Catalanes 2001 de Préceptorie et le Maury Mise tardive cuvée Aurélie 2001. Ça chante en bouche de belle façon, même si on sent l’effort ici ou là. Sylvie Douce et François Jeantet, les organisateurs de ce salon comme du salon des grands vins sont décorés du Mérite Agricole Ivoirien. Respect.
Au hasard des allées je trouve à un stand David van Laer. Quelle coïncidence, puisque justement j’avais fait le détour vers ce Salon en me rendant au Casual, restaurant qui fait la suite du feu Maxence.
déjeuner au restaurant Taste-Monde à Issy les Moulineaux dimanche, 26 octobre 2003
Par les hasards de relations communes, je suis invité à déjeuner au restaurant Taste-Monde à Issy les Moulineaux, restaurant qui s’est spécialisé dans les vins du monde. Maison jeune, à l’accueil fort agréable. La cuisine est faite par le fils de M. Lenôtre. Elle est de fort bonne qualité. Sur une escalope de foie gras un Zinfandel Seghesio Sonoma County 1998 se marie fort bien. Lourd vin américain à la belle rondeur qui va bien. Par comparaison, un vin roumain, le Prince Matei, merlot 2000 est plus âpre, austère et très court, même si son final a le cacao qui convient. Sur une délicieuse viande agrémentée d’un rare riz magique (j’écris cela pour l’allitération) le Zinfandel se fatigue, car son message est trop simple et répétitif. Un cantal s’agrémente d’un vin de pomme du Canada, sorte de cidre traité en Eiswein, mariage anecdotique. Le délicieux dessert au chocolat se prend avec un Pedro Jiménez Toro Albala 1972. Ce vin est comme du plomb fondu, aussi lourd que le chocolat du même moule. Ce sont ses tonalités de café qui le font briller sur le chocolat. Un vin (est-ce encore un vin tant il est élixir) au gras invraisemblable. Un péché capiteux. Bonne impression, même si les vins du Monde ne sont pas forcément les premiers de mes désirs, d’une équipe qui est extrêmement motivée et a le talent pour réussir.
Cave : les Foudres de Bacchus à Gentilly samedi, 25 octobre 2003
Je passe aux Foudres de Bacchus à Gentilly aux caves intelligentes de Jacques Fillot. Trois semaines avant l’heure officielle, on y goûte le Beaujolais nouveau 2003 qui, pour une fois, m’enchante. Il y a la signature bien connue du goût de banane, et enfin, c’est charmant. S’il est une année où l’on pourra profiter de ce breuvage qui parfois ressemble à du vin (pourvu qu’on ne me traîne pas en justice comme on le fit de François Mauss, président du grand jury européen, qui compara le Beaujolais à une substance à laquelle le Père Ubu ajoutait une lettre) c’est bien en 2003.
Muscat des Canaries 1828 jeudi, 23 octobre 2003
Dîner de wine-dinners au restaurant « Laurent » jeudi, 23 octobre 2003
Dîner de wine-dinners au restaurant « Laurent » le 23 octobre 2003
Bulletin 93
Les vins de la collection wine-dinners :
Champagne Montebello « cordon noir » demi-sec, vers 1960
Champagne Dom Ruinart 1990
Bâtard Montrachet veuve Henri Moroni 1991
Bâtard Montrachet Domaine Ramonet 1992
Château Mouton Rothschild 1978
Château Haut-Brion 1964
Richebourg Domaine de la Romanée Conti 1972
Nuits Saint Georges « Cailles » Domaine Morin 1961
Château de Beaucastel Chateauneuf du Pape 1986
Jurançon Château Jolys « Cuvée Jean » 1989
Château La Tour Blanche 1926
Muscat des Canaries 1828
Le menu mis au point par Philippe Bourguignon et Alain Pégouret
et le chef du restaurant Laurent :
Flan d’oursin dans un Capuccino
Saint-Jacques en nage forestière
Noix de ris de veau rissolée en croustille d’amandes
Pigeon à la rôtissoire, coings et petits oignons verjutés
Lièvre à la Royale, pâtes fraîches
Roquefort Carles
Craquelin aux poires ambrées, sorbet à la réglisse
Café mignardises et chocolats
Dîner de wine-dinners au restaurant Laurent jeudi, 23 octobre 2003
Ayant encore en tête l’émerveillement de l’aventure au château de Beaune, je vais au restaurant Laurent pour ouvrir les bouteilles d’un dîner de wine-dinners. Ces bouteilles s’étaient reposées pendant une semaine. Ghislain, discret et compétent sommelier ouvre avec moi des flacons de bons niveaux et sans problème. La Tour Blanche 1926 délivre un parfum enivrant comme seuls les grands Sauternes savent le faire. Le muscat des Canaries de 1828 a des odeurs de parfum capiteux. Mes mains ont touché quelques gouttes de ce liquide dense comme du plomb fondu et sont imprégnées d’une odeur qui ne s’efface pas. Il y a des épices dans ce parfum là.
Les convives sont d’une ponctualité parfaite. Pour dix personnes, je prévois habituellement dix vins. Là il y en a douze. Le premier champagne a été ajouté, car je n’ai aucune idée de ce qu’il offrira. Je le considère donc comme hors programme. Et le vin des Canaries est le cadeau que je veux offrir à des convives qui méritent que j’encourage et récompense leur passion.
Le menu mis au point par Philippe Bourguignon, mon compagnon de la veille à Beaune, avec son chef de cuisine Alain Pégouret est le suivant : flan d’oursin dans un Capuccino, Saint-Jacques en nage forestière, noix de ris de veau rissolée en croustille d’amandes, pigeon à la rôtissoire, coings et petits oignons verjutés, lièvre à la Royale, pâtes fraîches, Roquefort Carles, craquelin aux poires ambrées, sorbet à la réglisse, café, mignardises et chocolats. Choix classique, mais combien pertinent.
Le Champagne Montebello Cordon noir demi-sec Château de Mareuil (Ay) que j’ai annoncé vers 1960 est peut-être plus vieux tant les feuilles dorées et argentées du col sont devenues craquantes. Le bouchon est tout rabougri. Il ne s’agit plus de champagne, mais d’un vin, hésitant entre l’ambre et le doré, hésitant à se parer encore de quelques bulles, hésitant entre le madère et le vin. Ce vin, puisqu’on ne peut vraiment plus parler de champagne me donne l’occasion de présenter le fil conducteur de wine-dinners, qui est de rassembler lors d’un dîner des vins rares, des vins prestigieux, mais aussi des vins modestes épargnés par hasard, afin que les amateurs prennent conscience de ce que fut l’histoire du vin. Dans cet esprit, il ne s’agit pas de juger les vins mais de les comprendre puisqu’on effectue un voyage. Cet apéritif intéressant, d’une belle densité, avec une trace en bouche plaisante, illustrait bien mon propos.
Nous passons à table et le Champagne Dom Ruinart 1990 se présente sous son meilleur jour. Couleur jaune pâle, bulle intense. Ce vrai champagne très orthodoxe est complètement transformé par l’oursin délicieux. Le capuccino déshabille le champagne dont on ne conserve que la trame, comme le script d’un spectacle qui résume toute l’histoire. C’est bien, car l’accord offert est un des plus beaux de cette soirée.
Il est très rare que je choisisse des vins qui pourraient être en compétition, car ce n’est pas du tout l’objet des dîners de wine-dinners. Je m’attendais à ce que l’écart de classe et de valeur d’année entre les deux Bâtard ne crée pas de combat. Mais curieusement c’est le Bâtard Montrachet Veuve Henri Moroni 1991 qui offre de loin la meilleure association avec les coquilles Saint-Jacques, avec une exactitude d’une émotion rare. On a l’impression que le vin et le plat sont faits l’un de l’autre, ce qui émoustille le goût. Bien sûr, la structure du Bâtard Montrachet Domaine Ramonet 1992 est plus belle. Le nez est plus racé. Mais force est de constater que le 1991 était plus harmonieux sur le plat. Il évolua vers des senteurs de pain d’épices quand le 1992 avait une belle complexité bourguignonne assez austère.
Les deux Bordeaux se présentèrent ensemble sur un ris de veau. Le Château Mouton-Rothschild 1978 étale un charme insolent quand le Château Haut-Brion 1964 est d’une structure carrée d’une solidité rare. Opposition de style au plus haut niveau. Ces deux vins donnent l’occasion de voir à quels points les goûts sont personnels, tant les préférences différent. J’étais du camp du charme casanovesque du Mouton quand d’autres penchaient vers la solidité rassurante du Haut-Brion. A noter que comme le Meursault Charmes 1846 bu la veille, le Haut-Brion ne cessait de s’améliorer dans le verre, la puissance donnant de plus en plus de générosité et de classe. Deux Bordeaux d’un magnifique niveau.
Le Richebourg Domaine de la Romanée Conti 1972 offre un nez qui m’a profondément impressionné: il est plus complexe, plus brillant que ce que j’ai bu au Domaine de la Romanée Conti deux jours auparavant, si l’on excepte le Grands Echézeaux 1948 qui est d’une autre catégorie. Le vin est ici pleinement épanoui, et je trouve des complexités qui me rappellent le si brillant Beaune Grèves Vigne de l’Enfant Jésus Bouchard 1947, chef d’oeuvre de complication. Le Richebourg superbe, je dirais même grandiose, nous entraîne dans des raffinements envoûtants. Il y a de l’énigme à chaque gorgée. Mais le Nuits Cailles Morin Domaine Morin Père & Fils 1961 tient bien sa place dans un registre différent. Plus rond, plus chatoyant, plus délicatement séducteur, il charme de façon redoutablement efficace. Le pigeon est évidemment le meilleur passeport pour les deux Bourgognes, aussi différents l’un de l’autre que le furent les Bordeaux.
Puis arrive Domaine Beaucastel Chateauneuf du Pape 1986. On a l’impression qu’on a tout vu, tant les quatre rouges avaient représenté une palette étendue de vins brillants, et voilà que survient, sans se presser, le caïd, le séducteur sûr de son charme, le Belmondo du vin, qui sait qu’il lui suffit de paraître pour séduire. C’est magnifiquement beau sous le message le plus simple, comme le trait d’un dessin de Picasso, qui n’a pas besoin de fioritures pour exprimer de l’art pur. Pour le producteur de cognac qui était un des convives de la table, une surprise totale tant les repères manquent. Evidemment, le lièvre à la royale chante avec Beaucastel qui a besoin d’un plat vigoureux pour montrer tout son charme. Mais j’ai quand même essayé le Richebourg sur le lièvre. Il lui a ajouté une touche de grande élégance.
Sur le roquefort, le Jurançon Château Jolys Cuvée Jean 1989 Petit Manseng m’a étonné, car je l’ai trouvé moins fringant que lors de précédentes expériences. Plus roturier que les autres vins, j’ai voulu lui trouver des charmes morganatiques, mais cela devenait de l’auto persuasion. Malgré la pertinence de l’accord on s’ennuie un peu, aussi me suis-je amusé à essayer le roquefort Carles dans sa partie la plus blanche avec le Bâtard 1992. Et c’est un essai fort excitant qui m’a bien chatouillé les papilles.
Sur le dessert, mais aussi avant qu’on le serve, le Château La Tour Blanche Sauternes 1926 offre une odeur dont on ne se lasserait jamais. Evocations d’agrumes et de fruits jaunes en marmelade, mais surtout Sauternes délicieusement typé. Un grand Sauternes que j’ai trouvé plutôt plus riche que d’habitude. Nettement plus vivant et délicieusement séduisant que le Filhot 1858 que j’avais quand même largement plus aimé que mes compagnons de table. Ce Sauternes me plait à un point que l’on peut à peine soupçonner. Je le contemplerais volontiers pendant des heures, m’enivrant de ses odeurs, et me nourrissant au goutte à goutte de son invraisemblable miel.
Vint alors le muscat des Canaries de 1828 que nous avions décidé de boire sans dessert, même si la forte glace à la vanille lui eut convenu. L’odeur qui était explosive à l’ouverture s’était faite discrète mais se réveilla vite. Des images de café torréfié, de réglisse surgissaient en le sentant. Philippe Bourguignon parla même de zan, ce qui est la signature des Chypre 1845. Ce muscat a une forte densité, une persistance aromatique éternelle. Il plombe la bouche comme le ferait un parfum. On imagine en le buvant ce que pouvait être le monde il y a 175 ans, quand Jules Verne naissait, lui qui décrirait des îles comme celle qui est à l’origine de ce vin.
Les classements des vins du dîner furent extrêmement variés. Neuf vins furent classés dans le quarté et six furent nommés en numéro 1, ce qui prouve l’étendue des vins qui furent aimés. Le consensus si l’on peut dire alla vers : La Tour Blanche 26, puis Richebourg 72, puis Nuits Cailles 61 et Mouton 78. Mon vote fut pour : La Tour Blanche 1926, Richebourg DRC 1972, Canaries 1828 et Nuits Cailles 1961.
Encore une fois une belle expérience. L’accord du capuccino d’oursin avec le Dom Ruinart fut splendide, comme la Saint-Jacques avec le Bâtard 1991. Le muscat de Canaries 1828 est un témoignage historique à la rémanence gustative infinie. Le service du restaurant Laurent fut exemplaire et Ghislain a fait un travail de sommellerie remarquable.
galerie 1976 lundi, 20 octobre 2003
Bouteille de Montrachet Domaine de la Romanée Conti 1976 de la cave de Guy Savoy, bue à son restaurant, qui a démarré asse mollement est s’est animée sur un canard sauvage.
Dîner au château de Beaune mercredi, 15 octobre 2003
Après avoir gentiment devisé, nous passons à table. Il est en effet grand temps de boire enfin du vin ! Le menu composé par Jean Paul Thibert de Dijon comprend une crème de courge aux graines de sésame torréfiées, un Opéra de foie gras de canard et magret fumé, chutney de mangue au pain d’épices, un filet de sandre du Doubs aux champignons, crème de pain grillé, carré de veau de lait, pommes de terre farcies au ris de veau, fromages, gâteau de noix, crème à la vanille, compote de figue au vin rouge et truffes grises de Bourgogne. Sur cette fine cuisine dont Bernard Hervet, à ma gauche, n’arrêtait pas de me vanter les qualités, des vins d’une qualité inimaginable.
Meursault Perrières 1947. Un nez très subtil, une couleur d’un or profond. Le goût que me suggère mon voisin belge qui me dit n’avoir jamais bu de meilleur Meursault : un flan au lait. Sur le plat il se développe et devient brillant. C’est un immense Meursault.
Meursault Charmes 1846. Vin étonnant car on est subjugué par sa jeunesse. Belle couleur. Comment est-ce possible qu’il soit si bon ? Il a la typicité de Meursault qui n’est même pas estompée. Ce qui subjugue, c’est qu’il est le même, avec la même construction, que le 1947 de 101 ans son cadet. Irréel moment. Un vin grandiose, totalement vivant. C’est le plus vieux vin de la collection Bouchard. Plus le temps passe et plus ce vin se développe. Il s’améliore sans cesse pour devenir plus grand que tout. Bernard Hervet n’arrêtait pas d’en vanter la perfection, le chérissant comme si c’était son enfant.
Le Beaune Grèves Vigne de l’enfant Jésus 1947 a un nez très énigmatique de raisins confits. J’étais séparé par Bernard Hervet de Michel Bettane mais j’arrivais à entendre ses commentaires. Quel plaisir que d’écouter un homme d’une telle science. Il a vu bien avant moi ce que j’allais découvrir, il donne des perspectives historiques et des commentaires qui enrichissent la dégustation. Un vrai plaisir. Alors que j’avais déjà bu ce Beaune 1947, il fallait que je m’habitue de nouveau, là où d’autres experts étaient déjà de plain pied. Car en bouche, une structure d’une complexité invraisemblable. Une concentration rare. Un vin agressif qui ne fait pas l’ombre d’une concession. C’est du concentré de vin vinifié de façon parfaite. Une leçon d’histoire. Un vin déroutant comme je les aime. Quelle démonstration d’élégance.
Beaune Grèves Vigne de l’enfant Jésus 1865. C’est l’année légendaire de la Bourgogne. Le nez a la même trame que celui du 1947. En bouche, comment imaginer que ce soit si beau, si jeune, brillant, vivant. Il a la couleur d’un vin de 1970 et nous faisions la remarque à plusieurs, dont Michel Bettane, que nous nous tromperions à l’aveugle, sur plusieurs vins de ce soir de largement 100 ans ! Le 1947 est évidemment plus ingambe, mais quelle leçon de consistance d’un 1865 parfaitement fait. On ne peut pas imaginer à quel point ce vin est vivant et brillant. Je dirai à ce propos que lorsque Bernard Hervet me relatait ses dégustations de vins de cet âge, je mettais sur le compte de l’enthousiasme ses emphases sur la jeunesse de ces vins. Même si je le relate ici, vous pouvez vous aussi douter de ma sincérité quand je parle de leur jeunesse. C’est compréhensible, car l’étalage de cette jeunesse est irréel. Il faut noter bien sûr que ces vins sont surveillés, les bouchons sont changés quand il faut. On a l’idéal de la conservation.
Je me suis imposé de faire le classement final même si c’est difficile. Voici ce que la magie du moment m’a inspiré :1 – Meursault Charmes 1846,2 – Romanée Saint Vivant 1906, 3 – Beaune Grèves Vigne de l’Enfant Jésus 1865, 4 – Beaune Clos du Roi 1929, 5 – Corton Charlemagne 1952. La plus immense surprise au moment où il est apparu est celle du Beaune Clos du Roi 1929, car j’ai eu un grand choc de perfection.
Il faut évidemment remercier Bernard Hervet et son équipe d’avoir conçu un programme d’une intelligence et d’une opulence rares. Il faut remercier Joseph Henriot de son immense générosité, car il n’est pas obligé de disperser ainsi ses trésors. Mais il faut aussi avoir une pensée émue à la sagesse de la famille Bouchard d’avoir su constituer ce trésor, archive de la magie de cette immense Bourgogne.
J’ai appris que Joseph Henriot avait décidé de garder 100.000 bouteilles de 1999 année exceptionnelle pour continuer ces archives. Il faudra qu’il en garde encore, car 2003 promet de donner des merveilles.
Etre reçu à la Romanée Conti un jour et explorer le lendemain des légendes du vin du 19ème siècle. Saint Pierre a-t-il prévu d’offrir au Paradis des bonheurs plus forts que ceux-là ? ? ?