Déjeuner chez Patrick Pignol jeudi, 18 septembre 2003

Chez Patrick Pignol j’ai aussi mon rond de serviette virtuel. La faconde du maître d’hôtel, le sourire de charme de Madame Pignol, la discrète complicité de Nicolas le sommelier et l’exubérance créatrice du maître, tout cela repose mon âme, car je sais que j’aurai toujours une bonne surprise. J’y allais pour livrer les vins du prochain repas  et pour mettre au point le menu. Mais ce chef est un Paso péruvien. On ne va pas l’enfermer comme cela dans un programme. Il veut s’inspirer des arrivages du jour et choisir le gibier quand j’aurai ouvert mes vins. Cela me va bien. Au déjeuner, à l’eau (!), je goûte une variation sur les cèpes. C’est traité avec un talent rare, car en mangeant, j’avais l’impression de marcher en forêt. J’avais la mousse sous mes pieds et une branche odorante me caressait la joue. Un délicieux plat champêtre. Une coquille Saint-Jacques traitée au naturel et à l’ail livre un message simple mais qui interdirait tout vin, du fait de cet ail prenant. Alors qu’un homard à la chair exquise appelait un vin. Je ressentais le manque. J’ai pensé à Pomerol, par exemple Vieux Château Certan pour accompagner ce délicieux homard à la sauce de viande, véritable appeau de Pomerol.

Cela m’ouvre les papilles pour le prochain dîner.

dîner de wine-dinners au Pré Catelan mardi, 16 septembre 2003

Dinner held by restaurant « Le Pré Catelan » on September 16, 2003
Bulletin 87
For the friends of Bipin Desai

The wines offered by the generous friends :
Didier Depond : magnum Salon 1976
Bipin Desai : Meursault Perrières Comtes Lafon 1990
Francis Bessettes, Meursault Perrières Coche Dury 1990
Pierre Chevrier, Haut-Brion 1934
Edmond Asseily : Charmes Chambertin Docteur Barolet 1947
Aubert de Villaine (who could not come) : Grands Echézeaux Domaine de la Romanée Conti 1953
Eric Platel : Vosne Romanée Cros Parentoux Emmanuel Rouget 1990
Jacques Glénat : Hermitage La Chapelle Jaboulet 1991
François Audouze : Château Chalon Bourdy & Fils 1921
Antoine Maamari : Filhot 1939 and Filhot 1929
Alexandre de Lur Saluces : Yquem 1937

The menu created by Frédéric Anton and his team :
le vernis préparé en coquille,
marinière de coquillages et haricots coco, gratiné au beurre de sarrasin
le turbot
cuit au plat, recouvert d’un « pesto » de cresson
le ris de veau
cuit en casserole, jus de pomme à cidre et truffes
l’agneau
la poitrine pochée puis dorée au four, farcie de légumes confits, jus gras
les fromages fermiers frais et affinés
le baba au rhum, crème fouettée à la vanille
café et mignardises

Déjeuner de wine-dinners au Pré Catelan mardi, 16 septembre 2003

Nous nous étions rencontrés, quelques amateurs collectionneurs de vins anciens, à l’occasion d’un événement rare : la dégustation des trente meilleurs millésimes d’Yquem depuis 1893. Cette profusion de grands vins, étalée sur trois repas, avait permis de constituer de façon informelle un petit groupe d’amis autour de Bipin Desai, groupe qui prit l’habitude de se retrouver chaque année en septembre. Je fus chargé d’organiser cette année le rite et nous choisîmes le Pré Catelan. Comme dans une famille vivante, de nouveaux convives venaient apporter du sang neuf, complétant notre cercle. Une tablée de dix amateurs ou professionnels d’un niveau de compétence extrême.

Chacun avait apporté sa bouteille, j’avais été en charge de gérer leur harmonie pour que l’on ait de quoi composer un repas bien balancé comme ceux habituels de wine-dinners quand les vins procèdent tous d’un choix raisonné. Le repas a été mis au point par Olivier Poussier, le sommelier si titré attaché au groupe Lenôtre. Je vous laisse deviner à la lecture le vin que j’apportai.

Le menu qui nous fut servi est le suivant : le vernis préparé en coquille, marinière de coquillages et haricots coco, gratiné au beurre de sarrasin, le turbot cuit au plat, recouvert d’un « pesto » de cresson, le ris de veau cuit en casserole, jus de pomme à cidre et truffes, l’agneau la poitrine pochée puis dorée au four, farcie de légumes confits, jus gras, les fromages fermiers frais et affinés, le baba au rhum, crème fouettée à la vanille, café et mignardises.

Peu de bouteilles furent apportées avant l’heure. Et comme Bipin Desai demande une ouverture tardive, la seule bouteille ouverte avant l’heure fut celle d’Aubert de Villaine, celle dont j’avais la charge puisque son auteur avait malheureusement dû se décommander. J’ouvris donc le Grands Echézeaux 1953 du Domaine de la Romanée Conti. Cette bouteille eut une oxygénation idéale, les autres étant carafées peu de temps avant d’être servies.

Dans ce cadre champêtre très « gentleman farmer » qui s’épanouit lorsque l’été dispense encore d’agréables chaleurs, une belle table aux harmonies de couleurs judicieuses. Nous conversons dans le jardin avec une coupe de champagne Salon 1976 servi en magnum à parfaite température. Un nez déjà affirmé hésitant encore entre la jeunesse et l’âge adulte. Des notes d’agrume, mais aussi de rhubarbe, tant ce champagne est vert. C’est un grand champagne dont la jeunesse s’explique par le fait qu’il fut dégorgé il y a seulement une semaine et non dosé. Le champagne accompagna le vernis pour procurer un accord très subtil.

Sur le turbot à la chair délicate et la cuisson exacte, le Meursault Perrières Comtes Lafon 1990 offrait le charme, l’opulence, la générosité, la chatoyance. En revanche, le Meursault Perrières Coche Dury 1990, au nez si Coche Dury, offrait un typique Meursault brutal, sans concession, avec une pointe d’ascétisme. Deux expressions diamétralement opposées de Meursault qui eurent chacune ses champions. Chacun défendait son camp ou son image de l’exact Meursault. Je fis voter, et six convives vantaient le Lafon contre quatre le Coche. Je fus du camp du Coche et la suite montra, comme le fit remarquer Bipin pourtant « Lafon’s lover » initial que le Coche était plus orthodoxe que le Lafon. Comme j’aime les accords plutôt provocateurs, ce fut bien sûr le Coche Dury que j’aimais voir attaquer le turbot pour créer des chocs aux étincelles gustatives passionnantes.

Nous avions décidé avec l’inventeur du Haut-Brion 1934 qu’il se boirait seul, comme un noble trou normand. Belle bouteille de conservation impeccable, couleur d’encre aux reflets de jeunesse. En bouche plusieurs choses frappent. La jeunesse d’abord, qui surprend. La densité ensuite, tant ce vin est solide. Et puis, ce sont toutes ces évocations de chocolat, de cannelle, de bois précieux, de cigare. On égrène les suggestions que ce solide gaillard délivre à profusion.

Le ris de veau fut délicieux avec une cuisson dont la perfection fut sans conteste la plus belle démonstration du talent de Frédéric Anton. Nous portâmes un toast en pensant à Aubert de Villaine. La carte de visite qu’il nous avait laissée ne pouvait être meilleure : le Grands Echézeaux du Domaine de la Romanée Conti 1953est un vin d’une subtilité rare. Très aérien, voire léger alors qu’il est d’une grande profondeur. On est émerveillé par la simplicité apparente du message, alors que par ailleurs toute la complexité de ce vin si bien fait s’étale. J’adore quand on est porté par des sentiments si contraires, de légèreté et de profondeur, de monolithisme et de complexité. Très grande longueur en bouche avec ce sentiment de trace diaphane. Le Charmes Chambertin Docteur Barolet 1947 ramène à la conception traditionnelle du Bourgogne de charme. C’est la pompe cardinalice, c’est Charles Trenet au couvent des oiseaux. On a l’onction de la puissance ronde de la Bourgogne, avec un léger voile créé par une petite fatigue, mais ça jute dans la bouche comme un vin de l’année. Alors qu’il n’y a que six ans d’écart entre les deux vins, le Grands Echézeaux est encore un athlète éthiopien du cinq mille mètres, quand le Charmes Chambertin est le Bourgeois Gentilhomme étrennant un costume d’apparat fait de riches tissus.

La poitrine d’agneau a un goût délicat et intense permettant toutes les audaces et j’en risquai une par la suite, tant cela me tentait. Nous commençâmes par un vin non annoncé apporté par l’un des convives, désireux de nous faire sortir de la ligne générale. Le Côtes du Rhône domaine Gramenon ceps centenaires cuvée « Mémé » de P. et M. Laurent 2000 qui titre 14° crée une rupture telle que je ne cherche pas à en saisir le message. Ce vin mérite un autre repas pour qu’on en mesure l’intérêt.

Nous avons sur la poitrine Hermitage la Chapelle Jaboulet 1991 que Bipin trouve intéressant, car après le 1990 qu’il venait de boire ce midi, il pouvait craindre une baisse de qualité, mais apparemment, ce 1991 éveillait son intérêt. J’ai personnellement jugé que le message un peu trop simple de cet Hermitage, loin de ce que l’on peut trouver dans les grandes Côtes Rôties de la même année, était plutôt insuffisant. A part le légendaire 1961, peu d’Hermitage la Chapelle m’ont donné le plaisir que ce vin doit exprimer quand il est grand.

En revanche, le Vosne Romanée Cros Parantoux Emmanuel Rouget 1990 est un chef d’œuvre. Sans doute le vin de la soirée qui est en pleine possession de ses moyens.C’est le beau et jeune Bourgogne généreux, gratifiant d’une puissance délivrée sans compter. Chacun s’extasiait de son charme mais je faisais remarquer à Bipin Desai qui acquiesçait que le 1990 était tout en puissance alors que le 1989 que nous avions partagé quelques jours avant avait pris le temps de nous raconter son histoire subtile, délivrant avec un bon dosage des complexités que le 1990 si puissant balaie sur son passage. Je classerais contre toute attente le 1989 avant le 1990 car je préfère les évocations en finesse, comme le fait d’ailleurs le Grands Echézeaux 1953, si beau conteur de discrètes histoires.

Le Château Chalon Bourdy et Fils 1921 convient évidemment bien sur un Fribourg fort ancien, mais c’est presque dommage. Ce vin à l’odeur la plus extraordinaire qui soit, jeune encore car indestructible mérite toutes les audaces. En le donnant en représentation sur du fromage, c’est comme demander à Luciano Pavarotti de chanter Frères Jacques. A propos d’audace, celle que je fis, partagée discrètement avec mon voisin de table fut de boire le Meursault Comtes Lafon sur la poitrine d’agneau. C’est excitant et pimenté, et mériterait un essai en pleine lumière et non à la sauvette sur une fin de verre. J’aime ces chocs.

Le Château Chalon est un vin dont je continue d’être amoureux. Celui-ci très orthodoxe ne donnait pas la moindre trace d’âge. Sa profondeur est immense et sa persistance éternelle. Un grand vin.

Le Château Filhot 1929 offrait une couleur dorée et cuivrée du plus bel effet. Très caractéristique de Filhot et très caractéristique de l’année 1929, si grande dans toutes les régions, ce vin a donné l’occasion d’un accord fort enrichissant : avec une délicieuse vieille mimolette. Car avec un Roquefort trop typé et trop salé, le choc est trop rude. Très beau Filhot, Sauternes plus discret et aérien que d’autres de la même année.

L’arrivée d’un Yquem 1937 est toujours emprunte d’une grande émotion surtout quand on peut bénéficier des commentaires si pertinents et formateurs d’Alexandre de Lur Saluces. Une couleur aussi merveilleusement dorée mais une transparence rare pour un vin de cette époque. C’est l’affirmation de la perfection d’Yquem avec cette présence, cette densité et cette concentration unique d’arômes inimitables. On a entre les mains et sur la langue l’expression la plus absolue du vin parfait. Le dessert ne pouvait pas convenir, comme on m’en fit la remarque, alors que si on acceptait d’essayer, l’opposition des saveurs ne manquait pas d’intérêt. Mais ma cause était perdue, Bipin me grondant d’avoir fait un crime lèse Yquem. Nous bûmes donc ce nectar seul, ce qui lui va sans doute encore mieux. J’ai trouvé intéressant que ce vin qui a encore la chaleur du sucre commence à prendre des aspects secs que j’adore, caractéristiques des cette décennie d’Yquem. Ce 1937 est d’une stature de très haut niveau.

La cuisine de Frédéric Anton fut bien adaptée à ce repas, avec des accords très orthodoxes, sans prise de risque inutile. J’ai préféré l’accord du vernis avec le champagne Salon et ma petite tentative faite en catimini du Meursault avec la poitrine d’agneau, et j’ai apprécié le mariage d’un instant de la mimolette et du Filhot. La cuisson du ris de veau est un grand moment de gastronomie. L’odeur du Château Chalon et la perfection d Yquem sont des moments rares.

J’ai fait voter pour désigner les quatre plus grands vins de la soirée. Alors que tous le convives sont des sommités de la connaissance des vins, ce fut le même phénomène que lors d’autres dîners : aucun vote ne fut identique. Neuf vins furent cités. Je suis assez content que le choix des quatre vins que je fis est strictement le même que celui de Bipin Desai, à l’ordre près, notre choix n’étant partagé par aucun autre. Il y eut une large concentration de votes d’abord sur Yquem 1937, ensuite sur deux vins, le Grands Echézeaux DRC 1953 et le Vosne Romanée Cros Parentoux 1990. Puis le Haut-Brion 1934 reçut beaucoup de suffrages. Mon vote personnel fut : Yquem 1937, Vosne Romanée Cros Parantoux 1990, Grands Echézeaux 1953 et Meursault Coche Dury 1990.

Je fus ébloui par l’érudition des participants qui connaissent chaque domaine, chaque vigneron et chacune de leurs méthodes de vinification. Des conversations passionnantes, des vins rares et des saveurs excitantes. Mais aussi un service remarquable d’une équipe motivée qui nous a permis de réussir dans un lieu prestigieux un événement de grand plaisir œnologique et gustatif. Ce sera long de tenir un an avant de nous revoir.

 

 

Déjeuner chez Prunier vendredi, 12 septembre 2003

Déjeuner chez Prunier. Il s’agit d’un lieu chargé d’histoire, dont la décoration est classée. On peut ne pas aimer, tant c’est typé, mais j’adore cette pierre noire chargée d’or, ces évocations d’un temps révolu, les magnifiques panneaux de verre gravé qui chantent la mer. On a l’impression d’être hors du temps, et on aimerait bien que ce lieu revive, car il mériterait d’être bouillonnant, fou comme Joséphine Baker. La mer est belle quand elle est violente. Ce lieu évoque hélas la marée basse. La préservation du caviar aquitain n’est pas suffisante pour faire un programme qui fédère. Un marin pensif scrute la mer dans une posture figée dans le métal. Il risque de s’interroger encore longtemps si l’étincelle d’un phare ne jaillit pas à l’horizon.

Déjeuner au restaurant Hiramatsu jeudi, 11 septembre 2003

Je rencontre pour déjeuner Bipin Desai, l’un des plus grands palais du monde, qui a tout bu, même l’inimaginable, et a tout retenu. Il m’entraîne au restaurant Hiramatsu, où nous prenons le menu dégustation. Quelle découverte !

Les saveurs ont des précisions diaboliques, ciselées comme les définitions d’un dictionnaire, mais surtout, chaque saveur d’accompagnement forme un tableau pastel où tout est justifié. C’est une cuisine en suggestions magiques, en évocations subtiles, où le mets de base du plat est mis à l’honneur avec respect. Les lobes de foie gras glissent comme du beurre fondant, le rouget danse dans la bouche. C’est une cuisine d’un esthétisme rare. Le champagne de Souza brut tradition a beaucoup plu à Bipin, mais malgré sa belle sécheresse, je n’ai pas tant vibré. Le Corton Charlemagne Bonneau Du Martray 1992 mérite le respect. Grand vin, grande année. Un nez puissant, de belles choses à raconter. Sur le homard à peine cuit, ça sonne bien, mais je l’ai dix fois préféré sur le foie gras au chou. Là il excite le palais. Fort judicieusement le très compétent sommelier a apporté Le Vosne Romanée Cros Parantoux Rouget 1989 sur le rouget, à cause de la sauce au chocolat qui collait si bien à ce vin parfumé de café et de chocolat. Nous allons boire ensembleavec Bipin dans quelques jours le même vin de Rouget en 1990. Si on peut en attendre plus de puissance, j’ai particulièrement apprécié la légèreté aérienne de ce vin extraordinairement délicat, qui collait comme il convient avec une sensualité d’esthète à cette cuisine si richement évocatrice de sensations neuves. Un grand moment de saveurs excitantes. On sent une équipe qui piaffe et cherche un local digne de ses ambitions. S’ils persistent dans cette motivation tellement apparente, on peut attendre comme pour l’Astrance, d’y trouver la voie de la cuisine de demain. Les évocations sont discrètes, suggérées, et là où le charme agit, c’est qu’elles sont justifiées.

 

 

Repas au restaurant Laurent mercredi, 10 septembre 2003

Visite du Salon des Collectionneurs au Carrousel du Louvre. Belle présence d’œuvres majeures d’art oriental antique aux formes d’un esthétisme particulièrement raffiné. Cela donne faim, et nous pousse à un dîner chez Laurent.

Le restaurant Laurent fait partie d’un groupe de restaurants où j’ai un rond de serviette virtuel, c’est à dire que je m’y sens comme chez moi. L’accueil de Philippe Bourguignon est un rayon de soleil et nous échangeons souvent des impressions sur le sujet qui nous passionne, les accords des mets et des vins. Ce soir là, l’envie me prend de cèpes à la provençale et de pieds de porc. Et immédiatement une idée me vient : Yquem. Le 1988, petit bijou qui grandit, s’impose. Sur le cèpe et l’ail, ça va. Mais le lourd jus est salé, ce qui rétrécit l’Yquem 1988. L‘accord avec le pied de porc me plait beaucoup. On amuse les papilles en les chatouillant. Seulement voilà, cet accord s’use assez vite, une fois que le charme de la première excitation a fini d’opérer. La purée délicieuse caresse l’Yquem qui reste assez sur sa défensive. On le réveille évidemment avec un Roquefort bien gras. Le dessert à la figue que j’avais commandé ne va pas, mais ce n’est pas grave, car Philippe avait dans sa manche un Xérès et une vieille Manzanilla qui ont permis de profiter du dessert, alors que quelques tranches de pêche et de figues juste poêlées mettaient en valeur ce bel Yquem au nez puissant, et à l’adolescence généreuse. Ce qui était important, c’était d’essayer comme disait à peu près Pierre de Coubertin. Et essayer Yquem, c’est évidemment difficile sur des plats inhabituels tant il est typé, mais c’est passionnant.

Essayer, essayer toujours, pour provoquer des sensations magiques de raffinement culinaire.

 

 

Déjeuner au restaurant Le Divellec lundi, 8 septembre 2003

Déjeuner au restaurant Le Divellec, ce temple de la mer, où j’ai choisi un Mouton Rothschild 1967. Vin un peu fatigué, sentant la terre à l’ouverture, qui a offert des variations énormes de goûts. Chaque fois qu’il était sur un plat, il vivait : sur de délicieuses huîtres avec de l’épinard traité en condiment, il délivre la subtilité d’un vin léger de grande race. Sur le turbot aux truffes, il devient opulent. Entre les plats, c’est un vin morose et fatigué. Puis, petit moment rare que j’apprécie, ce qui est dans le fond de la bouteille donne toute la concentration de l’intelligence de ce vin fatigué certes, mais de grand talent. Alors, éternelle question, faut-il boire ces vins à la fatigue réelle, mais qui ont de si belles lueurs ? Je suis plutôt favorable à ces essais, car les fulgurances même passagères sont dix fois plus gratifiantes que la constance monotone d’un honnête vin. Vaste sujet.

Déjeuner au restaurant de l’hôtel Bristol dimanche, 7 septembre 2003

Déjeuner dans la cour intérieure de l’hôtel Bristol. Quand il fait beau, c’est un endroit d’un luxe délicat. Un merveilleux vol-au-vent, un merlan aérien et un ris de veau lardé de cannelle du plus bel effet. Qu’il est doux de se laisser aller à une cuisine tendre et voluptueuse. Je m’abandonne à Salon "S" 1988, preuve du même manque d’imagination qu’Adam qui s’obstinait à ne fréquenter que la plus belle femme du monde du moment, Eve. Le vin du repas fut un Pommard Grands Epenots Domaine Gaunoux 1996. Il faut se réhabituer aux Côtes de Beaune quand on a baigné dans la Provence et le Rhône. Je lui trouve un nez un peu métallique, mais le ris de veau y met bon ordre, et on a un beau Pommard, ce vin si difficile, ici subtil, délicat, et d’une opiniâtre persistance en bouche. Le Bristol est une étape délicieuse, avec une équipe enjouée qui accompagne au mieux les agapes de grande qualité. Eric Fréchon a du talent.

lancement du guide Hachette des Vins 2004 jeudi, 4 septembre 2003

On est maintenant à Paris. Je suis invité au lancement du guide Hachette des Vins 2004. Ambiance délicate créée par cette si charmante directrice de publication. Je retrouve quelques vignerons amis, fiers d’être des « coups de cœur » choisis par le guide.

Les discours sont forcément convenus mais heureusement courts et le choix des médaillés est fort intelligent : un Riesling, un Bandol et un Pauillac. Pourquoi faut-il que sous la pression de l’intervieweur les élus déclarent être devenus vignerons par accident ? Imagine-t-on un cardiologue décoré qui déclarerait : « vous savez, je suis cardiologue par hasard, car il y a dix ans j’étais mécanicien automobile » ? Croit-on que l’on est meilleur quand on s’inscrit en rupture de la tradition ? Nous avons accès à la dégustation des coups de cœur. Quel aimable mélange ! Il est en effet assez rare qu’à coté de vins de Savoie ou du Luxembourg, on puisse goûter Haut-Brion 2000, Yquem 1998 ou Krug Clos du Mesnil 1990 !!!

J’ai souri en observant quelques grands journalistes présents qui écrivent sur l’intérêt de découvrir des vins méconnus et de ne pas être prisonniers des étiquettes. Ils se sont précipités pour aller boire ces vins rares et chers. Tous ces vins ont été épuisés avant même que je puisse m’approcher des stands de dégustation.A quoi cela sert-il de faire des guides, si tout le monde se bat pour boire les premiers crus classés !! J’ai quand même eu une goutte d’un Krug Clos du Mesnil 1990. Il y a évidemment un abîme de différence entre le Salon 1990 bu comme il faut à l’occasion d’un repas et ce si prestigieux champagne bu debout, dans un verre qui a servi à d’autres vins. On a l’esquisse de sa grandeur, mais pas le plaisir qui convient. Mais c’est grand quand même !

Le Chablis Vaudésirs William Fèvre est décidemment bon, et le Corton Charlemagne Bouchard est un plaisir délicat. Au milieu des vins goûtés, un Gewurztraminer sélection de grains nobles m’a largement plu, ainsi qu’un Château Chalon au nez invraisemblablement pénétrant. Cette célébration des vignobles dans la bonne humeur est fort sympathique.

Ces dégustations comparatives m’ont remis en mémoire le repas à Londres où avant le plat, le Haut-Brion blanc surclassait le Château Grillet, et puis sur un soufflé au fromage, le Haut-Brion était pâle quand le Grillet paradait. Qui peut être sûr que ces classements préfigurent le plaisir que l’on aura à table avec un plat ? J’ai pensé aussi à Alain Senderens, car je me sens plus à l’aise dans la recherche de l’accord juste, précision gustative où avec un grand chef on fait briller et la cuisine et le vin à son apogée, que dans la comparaison intrinsèque qui en fait ne m’intéresse pas tant que cela. Que m’importe que Latour soit plus brillant qu’Ausone ou l’inverse, quand ce qu’il faut chercher, c’est que le Ausone que l’on ouvre, ou le Latour, soit le plus beau vin de l’instant.