La recherche d’un « vieux » Sainte-Roseline et autres achats mercredi, 6 août 2003

Et pendant ce temps là, quid du Sainte Roseline convoité (bulletin 84) ? Marin chaque jour, Don Juan parfois, je séduisis la belle, cette grand-mère gardienne d’histoire, et un jour, le dernier de mes vacances, ma flamme fut récompensée.

La belle me conduisit dans la cave de son défunt mari, et dans des casiers poussiéreux où des vins de toutes origines vivent leurs derniers soupirs, j’exhumai un Château Sainte Roseline 1953 d’un niveau superbe. La belle m’en fit cadeau. Tout excité je pense au dîner de wine-dinners où je servirai ce vin. J’espère la présence du si talentueux propriétaire actuel, pour qu’il partage la découverte du témoignage de ce beau quinquagénaire.Toutes proportions gardées, cette rareté, qui sera sublime ou morte peut-être (j’en doute) m’excite autant par sa rareté que le si extraordinaire Bâtard du Domaine de la Romanée Conti (bulletin 77).

De façon tout aussi imprévue, j’ai acheté chez un épicier traiteur un lot conséquent de vins anciens de la région des Côtes de Provence et de Bandol, certains ayant vingt ans. Ces vins vieillissent bien, ce qui est quasi invérifiable tant ces vins sont bus au berceau. Un jour on (re)découvrira combien le temps profite à ces vins généreux, qui méritent plus que leur image de vins de soif à consommer rapidement. Citons parmi les ouvertures de l’été un Rimauresq 1986 d’une plénitude rare, un Bandol Domaine des Baguiers 1989 rond, juteux, extrêmement bien adapté, et, hasard d’un soir, un blanc de Lynch Bages 1996 dont je suis particulièrement friand, car il a ce flamboiement que j’aime dans les Bordeaux blancs typés.

Ce message sera lu dans l’atmosphère studieuse de la rentrée, alors qu’il est écrit au son des cigales soûlées de mistral. Je remplis mes narines de soleil, de thym et de houle avant de retrouver Paris.

 

 

Deux Repas aux Gorges de Pennafort lundi, 4 août 2003

Plusieurs personnes nous avaient dit : allez à Callas chez Philippe da Silva. L’obéissance étant la caractéristique et la force principale des gourmets, nous nous y rendîmes, pour y retrouver avec plaisir l’ancien animateur de Chiberta, cette exquise halte parisienne atypique.

Nous prenons la voiture, et dès que l’on a quitté l’autoroute au Muy, un paysage indescriptible nous oppresse. Le feu a ravagé ces collines si belles, la désolation s’étend, les pins pleurent la perte de leur ombrage. On est pris de colère devant la folie humaine. Puis, au Gorges de Pennafort, un site protégé nous rappelle à l’optimisme. Halte de luxe et de confort dans un petit nid de gastronomie. Par un de ces petits clins d’œil, c’est un air chanté par la Callas qui ponctue notre entrée. On aime peu le tableau en honneur du maître de céans, car cette mode du culte de l’ego date. On consulte une carte des vins intéressante où cohabitent des vins chers et des vins accessibles, fruits d’une belle recherche. Pour encourager ces efforts et un jeune sommelier délicat qui promet, je choisis Pétrus 1995. Sur une cuisine remarquable de simplicité efficace, où le talent déborde sous un apparent classicisme, le Pétrus arrive. D’abord beaucoup trop timidement : les vins de la région prennent de bien meilleurs départs. Puis, quand le vin s’est éveillé, on a tout le charme énigmatique de Pétrus. Il est plus grand que tout, offrant parfois des chocs gustatifs qu’aucun autre vin ne peut suggérer, mais, quelle complexité. Il confirme qu’il est un vin intellectuel. Car on l’admire d’autant plus qu’on sait que c’est lui. C’est pour cela que je combats pour que Pétrus ne soit jamais mis en confrontation et jamais goûté à l’aveugle. Il faut du temps et de la concentration pour comprendre le message de ce vin tout en gigantesque subtilité. J’adore, mais j’admets que l’on puisse ne pas entrer dans ce jeu. Nul doute que quelques heures d’oxygène de plus l’auraient embelli. Ravis que nous étions de si délicats foies gras poêlés, ris de veau, homards et autres pigeons, nous nous inscrivons pour revenir en deuxième semaine et demandons qu’un Haut-Brion 2000 nous soit préparé plusieurs heures avant.

Retour donc une semaine plus tard, dans ce paysage féerique si désolé, et nous démarrons très fort avec Salon 1990. Inutile de dire que c’est l’extase. Ce champagne a tout. Il interpelle, il agace tant il est bon. Il dérange tant. Mais quel plaisir. Cher lecteur ne lisez pas ce que j’écris, car à ce niveau, c’est de l’amour obsessionnel. Animal, vineux, agressif, fumé, adulte. Il excite la langue de la façon la plus abusivement séductrice. Après une demie Ott 2000 cuvée Mireille blanc de fort bon aloi (c’est monolithique mais charmeur comme cette région), arrive le Haut-Brion 2000. Folie que d’ouvrir un vin si jeune, mais la tentation était trop forte. Parfaitement oxygéné, il attaque le palais avec une sérénité rare. On reconnaît Haut-Brion, et on sait déjà que c’est un grand. Si le temps est un sculpteur, ce Haut-Brion est un marbre d’une qualité telle que l’on pourra en faire du Michel-Ange, du Phidias ou du Praxitèle. On a tous les ingrédients pour que dans vingt ans on ait une sublime bouteille. Nous étions dans l’infanticide, mais le plaisir était déjà grand. Le signe d’une très grande promesse, et des accords d’une grande exubérance sur cette belle cuisine de Philippe da Silva. Grand plaisir d’avoir discuté avec Sébastien, sommelier satisfait que des amateurs osent se lancer dans la découverte de ces vins d’exception.

 

 

Chez Bruno samedi, 2 août 2003

Voyage devenu un rite chez Bruno à Lorgues, où l’accueil est toujours aussi charmant. Le cadre, le décor, l’ambiance, la générosité, tout y est, mais je crois que les truffes se goûtent mieux hors de l’été. Il faut garder ce pèlerinage pour le temps des truffes.

Repas au Petit Nice à Marseille dimanche, 20 juillet 2003

Longues vacances au bord de la mer, où la canicule se supporte beaucoup mieux. On est résolu à ne pas boire pour préparer une rentrée active, mais des occasions de céder apparaissent toujours.

D’abord, une halte au Petit Nice, cette belle table marseillaise. Des natifs plongent des rochers de la Corniche, bravant la pesanteur et l’onde lourde. De riches estivantes, au string minimaliste, rafraîchissent des chiens de compagnie en les jetant dans la mer agitée. Contraste avec la sérénité de la salle de ce beau restaurant où un directeur d’une grande civilité nous conduit dans un parcours gastronomique rare. Une cuisine d’une générosité sans pareil, avec une complexité dans laquelle je suis entré de plain pied, ce qui m’a procuré un plaisir extrême. Il y a des saveurs surprenantes à tous les détours, mais là, plus qu’au printemps, j’ai goûté avec bonheur toutes les subtilités. Un vrai régal. J’ai même oublié de garder le souvenir du vin que j’ai bu, alors qu’il s’agissait d’un Bâtard Montrachet Sauzet 1999 ! J’ai vraiment adhéré à l’audace de Gérald Passédat.

Déjeuner au Château Sainte Roseline vendredi, 4 juillet 2003

L’occasion m’est donnée d’un déjeuner avec les propriétaires de Château Sainte Roseline, un domaine réputé des Côtes de Provence. Je suis reçu par un homme délicat, fin, qui parle avec justesse de la vie, de ses choix et de ses goûts. J’ai rarement vu un couple avoir autant de sens artistique. L’argent aide bien sûr, mais on ne peut atteindre une telle réussite de décoration dans les détails et dans le tout que si l’on a une réelle sensibilité artistique.

La chapelle Sainte Roseline est un petit bijou. Simple de construction elle porte au recueillement. Des sculptures de Giacometti s’insèrent élégamment, et un mur décoré par Chagall dans cet écrin si vieux me rappelle le délicieux choc que j’avais ressenti quand Chagall avait osé le plafond du palais Garnier. Dans le cloître où vivent mes hôtes, la décoration particulièrement réussie de Vilmotte, l’homme qui a relooké le restaurant Guy Savoy – entre autres – a créé un lieu de vie où tout est art, sensibilité, appel à l’excellence. On comprend qu’ici on ait envie de faire un grand vin.

Après la visite des imposants investissements consentis dans le domaine, nous buvons un honnête blanc puis un joyeux rosé bien typé, qui acceptait bien une température un peu chaude exhalant de belles qualités. Puis, nous déjeunons avec la Cuvée Prieuré Château Sainte Roseline 2001, fruit du travail fait avec Michel Rolland, cet adjuvant subtil des tendances modernes. Il y a du bois là dedans, et beaucoup d’alcool : 14°5. Mais il y a aussi une belle race de vin.

Comme j’ai eu l’occasion de parler de vins anciens, on a la gentillesse d’ouvrir pour moi un Sainte Roseline 1988 et un 1983. Le 1988 ne convaincra personne de sa légitimité, mais le 1983 est une petite merveille. Une réussite avec un fruit, un terroir absolument charmants. Ceci prouve de façon absolue que ce domaine possède une terre exceptionnelle. Car ce vin a été fait avant que le propriétaire actuel ne recrée tout. Si un vin de 20 ans montre un tel talent, le château Sainte Roseline peut se permettre de jouer le terroir au moins autant que le modernisme et l’extrême des techniques. Ce que j’ai ressenti d’un couple charmant, artistique, et doué d’une imagination rare me fait penser que ce domaine va nous ravir par des vins de talent et sans concession. J’y ai passé une visite chaleureuse qui me conduira à m’intéresser à en suivre les succès.

Dans le petit port où après les balades en mer je converse avec les natifs, à l’heure où l’ombre des tamaris sent fort l’anisette, racontant cette aventure, une douce grand-mère qui connaît chaque roche, chaque vague, chaque courant, me dit d’un ton discret qu’elle a du Château Sainte Roseline 1953 dans sa cave. Il va falloir que je devienne Surcouf et Don Juan pour séduire la belle et ravir ce 1953 que j’aimerais partager avec ceux qui m’accueillirent en leur domaine de si délicieuse façon.

 

 

Déjeuner à l’Oustau de Baumanière aux Baux de Provence mercredi, 2 juillet 2003

Je me rends à l’Oustau de Baumanière aux Baux de Provence. Le chemin qui y mène conduit le visiteur vers une autre planète qui ressemble au paradis. Les rocs, les couleurs, les odeurs composent un paysage féerique. On imagine de longues promenades pour sentir toutes les plantes odorantes, pour parler avec les oliviers centenaires et leur raconter des histoires de santons, on se voit écrire des poèmes sous les arbres séculaires.

Dans ce paradis, une demeure du plus grand luxe peut satisfaire les envies des touristes les plus exigeants. Je retrouvai ce lieu où je garde la mémoire d’un Clos des Lambrays 1947 brillant. En attendant de passer à table je discute avec le sommelier d’une compétence rare et je consulte une de ces cartes de vin qu’on ne trouve que dans les belles maisons familiales – on est ici à la troisième génération – où des trésors anciens sont parfois à des prix inaccessibles et d’autres à des prix très alléchants. Je ne peux résister à l’appel d’un Haut-Brion 1926, l’année que j’adore, et je commets une erreur. Nous allons boire un vin qui est juste ouvert et qui provient d’une cave très froide. Peu de chances que l’on profite du goût exact de ce vin. Mais la tentation est trop forte. Cher lecteur, si vous comptez vous rendre dans ce lieu de rêve, je vous suggère de commander votre vin avec suffisamment d’avance. Il y a des vins somptueux qui ne seront bons que préparés comme il convient. On ne rentre pas dans l’arène sans avoir revêtu son habit de lumière, ce qui prend du temps. L’oxygène est aussi ce rite et le respect du public de ces nobles flacons.

J’ai voulu goûter toutes les facettes du talent du chef en prenant le menu dégustation. Les chairs sont justes, pas dans le sens étroit mais dans le sens exact, car le homard est un homard, et le pigeon est un pigeon. On a pu constater que c’est avec le homard que le Haut-Brion allait le mieux, là où l’on attendrait le pigeon. Il y a dans cette cuisine de la précision, du sens familial, une construction bien faite. La canicule, la conversation que je suivais avec attention et le Haut-Brion en retrait qui me tracassait m’ont sans doute empêché de goûter toute l’émotion que ce chef de talent communique. Le Haut-Brion 1926 exprimait un nez très caractéristique, sa couleur était un peu trop sombre, et l’acidité était trop envahissante. Sa fraîcheur empêchait la générosité de se montrer. Je pense qu’il aurait pu mieux faire, mais ce n’est sans doute pas l’un des meilleurs 1926 que j’ai bus, année que je vénère chez Haut-Brion.

On doit bien sûr se rendre dans cette étape de rêve, pour le site, pour la cuisine, mais aussi pour des vins anciens qui méritent le voyage, à faire préparer quelques heures avant. C’est sans doute le lieu rêvé pour écrire, composer, retrouver les signes de la beauté du monde.

 

 

Dégustation au siège du champagne Salon jeudi, 26 juin 2003

Peu de temps après je me rendais au siège du champagne Salon, mon chouchou déclaré. Il jouxte le champagne Delamotte dont j’ai pu déguster aussi quelques beaux spécimens. Comme il s’agissait d’une visite privée je n’en dirai pas beaucoup plus, sauf de signaler une générosité particulière qui m’a permis d’avoir accès à de vénérables bouteilles dont j’imagine que l’ouverture est peu fréquente. Ce champagne vieillit bien, les prix des anciens millésimes sont astronomiques. Mais ces raretés gustatives méritent que l’on brise quelques tirelires, qu’on rançonne sa grand-mère ou qu’on nettoie des pare-brises aux feux rouges pour pouvoir se les offrir.

Cocktail au château d’Yquem mercredi, 25 juin 2003

A peine réveillé de ces agapes je vole vers Bordeaux pour me rendre au cocktail que le château d’Yquem organise au moment de Vinexpo.

Fouler les allées du château, entrer dans cette cour carrée apaisante, contempler les vignes alignées en pente douce, imaginer le jus futur, suivre l’évolution des couleurs des feuilles lors d’un long soir d’été, tout porte à l’émerveillement d’enfant que je ressens à chaque fois. Le Krug grande cuvée apaise la soif de cette région qui vient de subir un coup de chaud climatique inhabituel. La Grande Dame 1995 de Veuve Cliquot est plus typé. C’est un champagne délicatement expressif. Ces deux champagnes préparent à la prise de connaissance du tout nouveau Yquem, le 1998. C’est un bambin qui marche déjà bien sur ses jambes. Très équilibré, moyennement puissant, il n’est pas très typé. Il correspond bien à la définition d’Yquem, et vieillira sagement, pour faire dans trente ans un Yquem orthodoxe. Mais si on le boit plus jeune, on ne commettra pas de crime, car il est déjà un grand vin de plaisir. Je retrouve quelques amateurs passionnés et quelques producteurs amis. Les soirées à Yquem ont le charme de leur vin. J’y succombe sans modération.

 

 

de grands formats d’Yquem 1983 mardi, 24 juin 2003



Une de ces impériales a été bue lors de mon anniversaire, fêté au George V sur une cuisine de Philippe Legendre.

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