La Tâche 1957 mardi, 2 février 2021

De retour à Paris l’horizon semble bouché pour partager des vins avec des amis. Je suis seul à la maison, confiné de fait, même s’il n’y a qu’un couvre-feu. Qui aurait cru il y a un an que je puisse évoquer une telle situation. Mais les hasards se produisent. En rangeant des vins en cave j’ai vu une bouteille au niveau très bas. Voilà une bonne occasion de tromper ma solitude.

Je rapporte la bouteille à la maison et le lendemain, vers 15h30, j’ouvre la bouteille de La Tâche 1957. La capsule collée au bouchon se déchire lorsque je veux la retirer. Le haut du bouchon est dur comme du béton et il est très difficile de planter la mèche du tirebouchon. Cela me surprend toujours que des bouchons qui paraissent hermétiques comme celui-ci aient donné lieu à une évaporation importante, puisque le niveau est à environ 13 centimètres sous le bouchon, alors que des bouchons qui tournent facilement dans le goulot n’ont donné lieu à aucune perte.

Le bouchon vient en mille morceaux car le goulot est resserré tout en haut, ce qui déchire le liège à la traction. J’avais humé le haut du bouchon si dur et ce n’était pas très engageant alors que parfum qui se dégage du vin est magnifique. Riche, dense, très fruité, il est prometteur. Il évoque pour moi le parfum de très vieux Lafite, très concentrés. Alors je mets un bouchon neutre pour couvrir le haut, pour ne pas perdre cette belle odeur, tout en laissant au vin le temps de s’élargir.

Vers 19h30, c’est l’heure de l’apéritif. J’ouvre une demi-bouteille de Champagne Léon Camuset Blanc de Blancs sans année de Vertus. Ce champagne était le champagne de famille de mon grand-père. La demi-bouteille doit avoir environ trente ans. L’ambre est assez prononcé et le champagne n’a plus de bulles. Il a un pétillant encore présent et j’aime son côté un peu suranné, vieillot, mais qui raconte de belles choses. Sa légère amertume lui donne du caractère. Je coupe des tranches de saucisson qui sont le compagnon idéal pour ce champagne.

Je suis un bien piètre cuisinier, limitant mes compétences à cuire des œufs à la coque. Au-delà, je ne m’aventure pas. Aussi la dégustation de La Tâche Domaine de la Romanée Conti 1957 se fera avec deux morceaux de saint-nectaires différents, ce qui se révèlera idéal. Le nez du vin n’a plus le caractère fruité que j’avais senti il y a presque cinq heures. C’est le sel, marqueur des vins du domaine qui s’impose. Au premier contact, je sens l’âge. Mais l’âge n’est pas un problème pour moi car il y a la noblesse. Ce que je ressens c’est le terroir de La Tâche aux pentes et courbes si harmonieuses. Il se trouve que j’ai bu 129 fois La Tâche sur 56 millésimes et je ressens ici l’âme de La Tâche. Le vin est plus fatigué que d’autres mais l’âme est là. Le message est de sel, de terre, janséniste, simplifié tout en étant subtil, et le vin me dit : je suis La Tâche. Et j’adore cette période où les vins furent difficiles. Et ce que je retiens le plus, c’est l’émotion qu’il dégage. Et cette émotion est encore plus forte parce que je suis tout seul, puisque je n’ai que ce vin sur lequel me concentrer. Chaque gorgée me lance un message et je le reçois avec émotion.

Ce qui me surprend, c’est la longueur extrême de ce vin, qui n’est pas puissant mais long. Il y a des similitudes avec des années discrètes mais expressives de la décennie 70. La lie que je verse dans mon verre est un concentré de puissance et d’expression du vin. C’est un bouquet final magistral. Je suis ému au point que les larmes ne sont pas loin de poindre.

J’aurais aimé ne pas être seul à boire ce vin émouvant, mais j’ai eu une belle bouffée de bonheur.

curieuse marque sur la bouteille

Sublime Hermitage samedi, 23 janvier 2021

L’amie que nous devions recevoir nous rend visite deux jours plus tard. Il n’est plus question d’épaule d’agneau. Ce sera un poulet. J’ai l’humeur à ouvrir de grands vins. L’apéritif se prendra avec un Champagne Krug Grande Cuvée étiquette crème sans année, qui a été commercialisé, si ma mémoire est bonne, dans les années 90, avec des vins sur des années des décennies 90 et 80. Il y aura des olives de Kalamata, des chips à la truffe, du fromage Jort, une rillette parfaitement adaptée au champagne, mais le meilleur accord, surprenant, sera de petits toasts à la confiture de fraise et des copeaux de stilton. Le champagne avait été ouvert une heure avant le repas et son bouchon très court était venu sans problème, délivrant un pschitt discret. Dans le verre la bulle est active et la couleur légèrement ambrée est jolie.

Ce champagne est un voyage sur une autre planète car aucun champagne récent ne pourrait offrir de telles subtilités. Ce champagne complexe est insaisissable comme un félin. Quand on croit avoir compris son message, il en change, délivrant une nouvelle palette de complexités. Il est d’un charme raffiné. C’est un grand champagne que j’adore.

Il se trouve que sur Instagram un grand amateur avait raconté sa dégustation d’un Hermitage La Chapelle Paul Jaboulet Aîné 1990 et il l’avait trouvé parfait au point de lui accorder une note de 100 points sur 100. Ça m’a donné l’envie d’en goûter un que j’ai ouvert ce matin vers 9h30. J’ai cru pouvoir utiliser le tirebouchon limonadier pour remonter le bouchon mais le bas du bouchon, imbibé, n’est pas remonté. Je l’ai doucement levé avec la mèche que j’aurais dû utiliser avant la levée complète du bouchon. A l’ouverture la complexité du parfum annonçait un vin très riche. Au moment du service, dès le premier nez, je me suis senti comme le héros d’un film de cambriolage de banque, au moment où la combinaison du coffre, enfin découverte, libère une lourde porte et laisse montrer un trésor incommensurable. Car ce vin est une expression de la perfection du vin.

L’émotion n’est pas aussi vive que celle que j’avais eue en buvant l’Hermitage La Chapelle 1961, qui trône en haut de mon Panthéon, mais je ressens l’émotion que me donnent les vins parfaits, ceux dont on sait qu’ils ont atteint une forme totalement aboutie. Alors, je jouis de ce vin merveilleux, plein, riche, velouté, à l’amertume magiquement dosée. C’est du bonheur pur. J’imagine très bien que 1990 est le grand successeur de 1961 parmi les plus grands vins de ce domaine. Sa cohérence et sa longueur sont de vrais bijoux.

Le repas s’est conclu sur une galette des rois qui comportait une fève et un santon. Ce devait être un jour particulier pour moi, car j’ai eu la chance de trouver sur mon assiette à la fois le santon et la fève. Tout en ce jour était bonheur.

mes fèves

Rimauresq 1983 vendredi, 22 janvier 2021

Nous devions recevoir une amie. Une épaule d’agneau avait été mise au four pour une cuisson préparatoire à basse température la veille du déjeuner. Mais il a fallu reporter le rendez-vous. La viande ne pouvait pas attendre. Nous l’avons mise au programme du dîner. Un vin s’impose. Je choisis en cave un Côtes de Provence Rimauresq 1983.

Le niveau dans la bouteille est à un centimètre sous le bouchon, ce qui est parfait. En tournant le tirebouchon, je m’aperçois que le bouchon peut tourner dans le goulot sans effort, car il n’est pas comprimé. Je vérifie une fois de plus un phénomène curieux : un bouchon extrêmement serré peut accompagner une baisse de volume et un bouchon peu serré peut avoir mieux empêché l’évaporation. Le nez à l’ouverture trois heures avant le repas est magnifique et prometteur, j’entrevois la garrigue.

La viande d’agneau est superbe et typée, forte. La souris est d’une grande intensité tout en étant fondante. Le vin est velours. Il évoque le sud, la garrigue, le romarin et le genêt. Son amertume est très sensible, atténuée heureusement par ce goût velouté. Le finale n’est pas très long.

Il n’a pas l’énergie d’un vin jeune mais compense par sa cohérence. La viande et la sauce mettent en valeur ce vin qui a un peu perdu de sa vivacité. J’adore les vins du sud et l’image qui me vient est d’aimer ce Rimauresq comme j’aime les vins du domaine du Pégau en Châteauneuf-du-Pape. Ce vin était nécessaire pour profiter d’un agneau de grande intensité. Un Mont-d’or s’est montré plus pertinent sur le vin de 1983 qu’un saint-nectaire.

 

Dom Ruinart et caviar vendredi, 22 janvier 2021

Les couvre-feux qui varient au gré des humeurs gouvernementales rendent difficiles les occasions de partager des vins avec des amis. L’envie d’ouvrir du vin me prend et ce d’autant plus qu’il reste une boîte de caviar, non utilisée lors des fêtes de fins d’année. Dans la cave beaucoup de bouteilles me tentent et je jette mon dévolu sur un Champagne Dom Ruinart 1988.

Alors que nous adorons la combinaison coquilles Saint-Jacques crues avec caviar car le sucré des coquilles se marie divinement au salé du caviar, ma femme a envie d’essayer un accord du caviar avec des coquilles Saint-Jacques poêlées. Les coquilles sont superbes, mais l’accord ne se trouve absolument pas, car la coquille ainsi poêlée n’a dans sa palette de goûts aucun qui puisse faire vibrer le caviar. Nous le saurons pour une prochaine fois.

C’est avec une baguette de pain et du beurre que le caviar va prendre son envol et pourra converser avec le champagne. Le champagne a été ouvert au dernier moment. Le bouchon est extrêmement difficile à tirer et vient entier, offrant un pschitt dynamique. La bulle est active, la couleur est très peu ambrée. Le champagne offre une belle complexité, vif, intense, avec des petites traces de maturité qui ne gênent pas le plaisir. Il va s’arrondir au fur et à mesure de la dégustation. Il est bien titillé par le sel du caviar. Son énergie et sa palette large en font un champagne noble, de grand plaisir. Il y a sans doute des champagnes plus adaptés au goût du caviar. Ce champagne appelle plutôt des viandes blanches et des sauces pour délivrer toute sa générosité. Mais j’en ai bien profité.

Quand Lucullus déjeune chez Lucullus lundi, 11 janvier 2021

Des amis qui ont participé depuis de longues années aux réveillons du Nouvel An et aux agapes du 15 août nous invitent à déjeuner chez eux. Notre amie est une cuisinière généreuse et talentueuse. L’apéritif est varié et copieux : carottes que l’on trempe dans une crème au thon, beignets, dés de saumon, tomates, saucisson, coquilles Saint-Jacques et de délicieuses petites tartines au fromage de chèvre posé sur une confiture de fruits rouges. J’en oublie sûrement.

Nous commençons par un Champagne Dom Pérignon 2009 dont je trouve l’attaque amère. Certaines saveurs arrivent à atténuer l’amertume, mais le champagne que j’avais beaucoup apprécié, lorsqu’il est arrivé sur le marché, avant le 2008, ne me convainc pas aujourd’hui. Comme la bouteille est assez vite consommée, mon ami ouvre un Champagne Dom Pérignon 2008 qui crée un saut qualitatif spectaculaire, fait d’un charme extrême associé à une belle puissance. Ce champagne sera une merveille dans vingt ans mais brille déjà.

L’entrée froide est un foie gras associé à des magrets de canard, une salade, des pignons de pin et des noix. La sauce vinaigrée et le plat s’associent au champagne de façon pertinente. C’est un régal.

Sur des foies de poulet rôtis, apparaît un Château Mouton-Rothschild 1992. Ce vin fait réviser toutes les idées reçues sur les petites années. J’avais bu il y a deux jours un Mouton 1970. La ressemblance entre les deux est spectaculaire, aussi bien en ce qui concerne la typicité que la puissance. Il y a la même mâche très riche. C’est un grand vin. Il est associé aussi aux coraux des coquilles Saint-Jacques et l’accord, très différent, est tout aussi pertinent.

Il y a quelques jours, préparant un futur repas, je vois une bouteille qui attire mon attention. C’est un Châteauneuf-du-Pape Domaine Chante Perdrix Nicolet Frères 1978. Son niveau impeccable et sa présentation générale m’ont fait penser que ce vin serait une pépite de très haut niveau. Je l’ai apportée pour ce repas et ouverte au moment de notre arrivée chez nos amis. Le bouchon d’une qualité exceptionnelle a libéré un parfum à se damner.

Sur une épaule d’agneau « oubliée » dans le four, c’est-à-dire cuite extrêmement longtemps, donc fondante, nous avons sursauté, mon ami et moi, tant le vin est miraculeux. Son charme est inouï, et la subtilité de ses complexités est infinie. 1978 est une année particulièrement réussie dans cette appellation et ce Chante Perdrix se situe, à mon avis, au niveau du légendaire Rayas 1978. Les petites pommes de terre ajoutent au plaisir. Si l’on essayait de définir le Châteauneuf idéal, on serait forcé de décrire ce vin-là. Il est totalement velours, doté d’un charme hors du commun. Le vin du Rhône accompagne aussi bien un saint-nectaire au crémeux envoûtant.

Pour une brioche aux fruits confits, mon ami ouvre un Champagne Veuve Clicquot 2012 agréable mais un peu jeune à mon goût. Il promet.

Pour la galette des rois à la frangipane un Rhum Rivière du Mât est un bon compagnon qui appelle un cigare Romeo y Julieta de la Havane. C’est le troisième cigare que je fume depuis trente ans. Que de souvenirs sont revenus à la surface de ma mémoire.

Nous avons quitté nos amis après 20 heures, ce qui n’est pas banal pour un déjeuner qui démarre à midi et demi. Cela prouve que nous nous sentions bien et que nous avions beaucoup de choses à nous dire. Et le Châteauneuf a illuminé ce repas par sa perfection, ainsi que la cuisine de notre amie.

Déjeuner avec un grand Chablis dimanche, 10 janvier 2021

Nous sommes invités par notre boucher fétiche qui propose dans ses échoppes une vaste gamme de produits de haute qualité. L’apéritif nous permet de goûter du jambon Pata Negra bien gras et délicieux, du pain à l’huile d’olive Guttiau, pain sarde, que l’on recouvre d’une préparation de crabe à l’huile d’olive, avec de la ciboulette et un zeste de citron ainsi que du jus de citron. Le Champagne Amour de Deutz brut millésime 2008 est d’une jolie couleur claire, vif et intense, mais je trouve que sa longueur s’arrête un peu trop vite, ce qui ne l’empêche pas d’être agréable à boire.

Cédric a ouvert un Côtes de Provence Point G de Château Gasqui 2004. Il me le fait goûter et attend mon avis. Le nez est agréable et évoque les vins chauds des côtes méditerranéennes. En bouche, c’est chaud et agréable, bien balancé, mais pour mon goût, c’est un peu trop international, car on trouverait des saveurs identiques dans des vins d’Afrique du Sud, d’Australie ou du sud de l’Italie. Mais ça ne l’empêche pas d’être agréable.

J’ai apporté un Chablis Grand Cru Moutonne, Domaine Long-Dépaquit 2002 mis en bouteille par la maison Albert Bichot. Sa robe est d’un or d’été, joyeux. En bouche, le fruit explose, riche et la complexité est extrême. C’est un vin magistral, fluide et rafraîchissant comme un torrent de montagne.

L’entrée est un spaghetti de calamar frais, pancetta basque, artichaut cru, poutargue et huile d’olive verte fruitée. Le plat est délicieux et le chablis est absolument adapté au plat. La symbiose est superbe.

Le plat suivant est une lotte rôtie, une réduction de rouget montée au beurre et des carottes fanes. Le chablis trouve une belle communion avec la chair idéalement très peu cuite de la lotte.

Ensuite, apparaissent des calamars farcis aux aubergines confites, de la pancetta et têtes de calamars, ail et échalotes. Le vin rouge se comporte bien avec ce plat mais on peut mesurer à quel point il est plus simple que le blanc. Le fromage Jort accompagne naturellement le chablis, mais le vin de Provence joue aussi le jeu.

J’ai apporté une bouteille de Tokaji Eszencia Aszu 1988 qui titre 11,5° au goût de compote de pruneaux et de café, qui voisine avec une galette à la frangipane et avec de délicieux chocolats. Ce vin charmeur est d’une douceur enjôleuse et jouit d’une longueur infinie.

Cédric a travaillé pendant longtemps en cuisine aux côtés d’Yvan Roux et montre des qualités de cuisinier qui sont à signaler. Le Chablis Grand Cru Moutonne, Domaine Long-Dépaquit 2002 a montré qu’à 18 ans, il a une maturité parfaite et une vivacité exceptionnelle. On devrait boire plus souvent de grands chablis. Nos discussions joyeuses se sont prolongées fort tard dans l’après-midi.

Déjeuner ensoleillé avec un Dom Pérignon 1966 samedi, 9 janvier 2021

Un jeune ami âgé de 35 ans avait participé il y a treize ans à un repas chez Yvan Roux et avait été impressionné par les vins que j’avais apportés pour cette occasion. Il avait alors attrapé le virus des vins anciens et s’est mis à en acheter. Il vient aujourd’hui déjeuner dans notre maison du sud.

Après des journées de grand froid, inhabituel dans cette région, il fait tellement beau qu’en ce début janvier nous prendrons l’apéritif sur la terrasse. Il y aura du dos de saumon royal, du gouda au pesto, un magnifique saucisson et des chips de maïs au chili accompagnées de noix de macadamia. J’ai ouvert une heure avant de le servir un Champagne Dom Pérignon 1966. Le bouchon vient entier et pendant la montée, que je voulais très lente, je vois de fines bulles éclater le long du bouchon. Le cylindre est très droit et le bouchon est court. Quand je verse le champagne, aucune bulle n’apparaît. La couleur est ambrée. Le nez est très engageant.

En bouche je suis fasciné par le complexité du finale explosif. Ce champagne que je bois pour la 25ème fois est celui que je préfère de la décennie des années 60. Il est au sommet de ce qui peut se faire pour un champagne ancien. Il est grand et c’est surtout sa complexité et sa fluidité qui nous fascinent. Mon ami qui n’a bu que de jeunes Dom Pérignon mesure à quel point ce 1966 offre plus de sensations que l’excellent 2008 qu’il a bu récemment. Effet de l’âge ! L’accord le plus pertinent est avec le saucisson qui excite la vivacité du champagne.

Nous passons à table et sur du boudin blanc à la truffe, surmonté de fines tranches de truffe, le champagne est idéalement gastronomique. C’est sur de telles saveurs que l’on mesure à quel point ce 1966 est transcendantal.

Pour le poulet rôti servi avec des pommes de terre au four, j’ai ouvert de tôt matin un Château Mouton-Rothschild 1970 dont l’étiquette a été personnalisée par Chagall. Le nez est intense et profond et dès la première gorgée je suis impressionné par la densité et la mâche de ce vin. Il est nettement supérieur à ce que j’attendais, jouant dans la cour des grands Mouton. Il a des accents de truffe et une mâche de charbon. Sa longueur est extrême. Sur un délicieux et doux saint-nectaire, le vin fait des prodiges.

Ma femme a préparé une crème au citron avec une petite touche de gelée de coquelicot pour adoucir un Kouign-Amann. Les deux accompagnent le reste du Maury Mas Amiel 15 ans d’âge bu lors du réveillon. Il a toujours une magnifique palette aromatique de pruneau et de café, tout en douceur.

Notre ami a particulièrement apprécié ces vins. Je sens que sa passion pour les vins anciens ne fera que s’amplifier.

couleur par un beau soleil

réveillon du 31 décembre avec des vins en grands formats vendredi, 1 janvier 2021

Ayant prévu pour le réveillon du 31 décembre des flacons de grands volumes, j’ai commencé les ouvertures de trois magnums avant midi. Le nez du Lafite 2001 est noble et conquérant. Le nez de l’Echézeaux Domaine de la Romanée Conti 2007 est d’une subtilité raffinée et le nez du Vega Sicilia est une bombe de fruits gourmands. Vers 16 heures j’ouvre le jéroboam de Veuve Clicquot La Grande Dame 2008. Le bouchon demande de gros efforts pour l’extirper. Le pschitt est de belle énergie et le parfum est intense et prometteur.

A 20 heures les amis arrivent. Nous sommes neuf, dont huit buveurs, puisque ma femme ne boit pas, sauf l’Yquem 1989 que nous boirons au dessert, à la couleur d’un or joyeux et intense, et au parfum ensoleillé mais réservé, que j’ai ouvert en même temps que le champagne.

L’apéritif consiste en du cœur de saumon, des anguilles fumées découpées en petits morceaux, des tranches de foie gras qui seront recouvertes de fines lamelles d’un truffe odorante offerte par des amis. Il y aura aussi un pain fait à l’huile d’olive appelé la pompe, qui fait partie des treize desserts de la Provence pour le réveillon. Du gouda au pesto et des palets au parmesan complètent la variété de ce que l’on grignote sur le Champagne Veuve Clicquot La Grande Dame Jéroboam 2008. Sa couleur est claire et sa bulle est active. Ce champagne est très confortable tout en ayant une belle vivacité. Il convient bien au saumon, ce dont je n’étais pas totalement sûr, et mieux encore à l’anguille fumée. Mais c’est avec le foie gras, avec ou sans truffe, qu’il s’exprime le mieux.

Avant de passer à table, chaque convive doit trouver sa place en trouvant la solution d’une énigme relative à son prénom. J’essaie de créer des énigmes qui diffèrent chaque année et de les rendre hermétiques. Deux énigmes sur neuf ont été trouvées, ce qui est un très bon score.

Nous passons à table et le champagne va accompagner deux entrées au caviar. Des coquilles Saint-Jacques crues sont recouvertes de caviar osciètre prestige Kaviari. Le sucré des coquilles et le salé du caviar forment un accord d’anthologie. La seconde entrée est un œuf coque mollet recouvert de caviar. Cette combinaison, à mon goût, est encore plus raffinée que celle avec la coquille. Le champagne manque un peu de largeur face à ces deux entrées et c’est à cette occasion que je constate qu’il lui manque aux moins dix ans d’âge pour soutenir la vigueur de ces deux plats. Un Dom Pérignon d’une trentaine d’années eût mieux convenu.

Sur le boudin blanc truffé sur lequel on distribue des lamelles de truffe est servi le Château Lafite-Rothschild magnum 2001. Le parfum de ce vin est d’une riche noblesse. Il s’impose et ne se discute pas. En bouche, sa richesse impressionne. Il a une mâche, un grain d’une grande persuasion. Et progressivement, c’est son côté truffe qui prend le dessus. Ce vin est d’une grande élégance et d’une belle énergie. Il est brillant et tous les amis le trouvent exceptionnel.

Notre boucher traiteur fétiche m’avait dit que les tranches de filet de bœuf devraient être mis au four à 40 degrés pendant 45 minutes, pour que la viande soit chaude au moment où on la servira après être poêlée en « tourne et retourne ». La viande arrive parfaitement tendre sur nos assiettes et une amie restauratrice remarquera immédiatement ce petit détail si souvent oublié par des restaurateurs qui servent des viandes au cœur trop froid.

Les amis qui ne connaissaient pas le programme des vins sont impressionnés quand se présente l’Echézeaux Domaine de la Romanée Conti magnum 2007, car le domaine jouit d’un prestige unique. La couleur dans le verre est claire comparativement à celle du Lafite. Le vin exhale des senteurs subtiles et raffinées, envoûtantes. En bouche nous sommes tous subjugués par le charme du vin. Les marqueurs habituels des vins du domaine de la Romanée Conti ne sont pas encore très affirmés car le vin est jeune, mais son message est magnifiquement bourguignon. Il a la jolie râpe bourguignonne. Il est spectaculaire et dégage une émotion extrême. Un ami amateur de vins dit que c’est le plus grand vin qu’il ait jamais bu. L’enthousiasme est total comme on le verra dans les votes.

Les fromages sont un saint-nectaire, un fromage Jort, un époisses et un Brillat-Savarin. Le Vega Sicilia Unico magnum 2007 est une bombe olfactive de fruits rouges et noirs. Le vin est vraiment jeune, et je suis un peu déçu, car j’attendais une aimable confrontation, mais il y a un écart de complexité très important entre les deux 2007. Le vin espagnol, du fait de sa jeunesse a un fruit encore trop dominant pour qu’on puisse lire ses complexités. Le vin a de l’avenir va beaucoup gagner avec l’âge, mais à ce stade, il n’a pas le niveau des deux vins qui l’ont précédé. Cela n’entame pas mon attirance vers ce grand vin.

Le dessert sera composé de Kouign-Amann et de mangue crue. Le Château d’Yquem 1989 a une couleur foncée d’un bel or ambré. Le nez qui était assez sage à l’ouverture s’est élargi et délivre les fragrances d’un grand Yquem de fruits dorés. En bouche c’est toujours un plaisir de goûter un élixir qui fond dans le palais, lourd, intense et de longueur infinie. J’avais lu dans de bonnes feuilles qu’on ne prend jamais de dessert sucré avec un sauternes. Le Kouign-Amann est une exception à la règle, et ce pourrait être dû au beurre abondant qui adoucit sans doute la force du sucre. Avec la mangue, le vin et le fruit se parlent comme des compagnons de régiment. Ce temps du repas est un temps fort.

Ma fille m’avait hier demandé de façon péremptoire d’ouvrir un Maury. Elle récidive en demandant que l’on serve la suite du Maury Mas Amiel Prestige 15 ans d’âge que j’avais acheté il y a sans doute trente ans. Il a accompagné ce qui reste de Kouign-Amann et des morceaux du cake aux fruits confits.

Il est temps de voter. Six vins sont en compétition et nous sommes huit à voter puisque ma femme ne vote pas. L’Echézeaux a obtenu sept votes de premier. Un seul autre vin a été nommé premier, le Maury. Devinez qui l’a élu ? Ma fille qui a vraiment un penchant pour ce vin doux.

Un ami fidèle a le même vote que moi et notre vote est le même que celui du consensus : 1 – Echézeaux DRC 2007, 2 – Lafite-Rothschild 2001, 3 – Yquem 1989, 4 – La Grande Dame VCP 2008, 5 – Vega Sicilia Unico 2007.

Ce dîner a été exceptionnel tant au niveau des accords mets et vins que des vins eux-mêmes. S’embrasser à minuit en se touchant les coudes seulement avec son coude, c’est une expérience que je n’avais encore jamais vécue. Nous étions si bien ensemble, car nous nous connaissons tous de longue date, que le réveil indiquait 3h30 lorsque je me suis couché.

Il est toujours intéressant de goûter les vins le lendemain lorsque les bouteilles ne sont pas vides. Il reste du Lafite et du Vega Sicilia Unico. Les vins restés sur place ont la température de la pièce alors que les vins hier avaient été servis sortant d’une armoire à 15°. Le Lafite 2001 a une énergie et une densité qui sont immenses et le parfum de truffe est encore plus fort. Le vin est grand.

La grande surprise est celle du Vega Sicilia Unico 2007. Je le retrouve comme je l’aurais souhaité, conquérant, complexe, et délivrant des notes mentholées dans le finale d’une adorable fraîcheur. J’aurais dû ouvrir ce vin un jour avant et surtout le vin aurait dû être servi à température de pièce. Il aurait alors délivré ce qui fait sa grandeur.

Cet essai du second jour me rend encore plus heureux de ce réveillon réussi et si chaleureux.

mise en place de la table

couleur de l’Echézeaux

apéritif

repas

Dîner d’avant réveillon mercredi, 30 décembre 2020

Des amis arrivent par avion vers 16 heures. Il est une tradition immuable de leur offrir un champagne de bienvenue. J’ouvre un Champagne Salon 2004. Un des amis aime cuisiner et nous a apporté la 35ème édition de son cake aux fruits. Nous buvons donc le champagne sur ce délicieux cake aux fruits dont certains ont été trempés dans une chartreuse. Le cake est parfait. Le champagne est équilibré et doux. Il a l’élégance et la complexité des grands Salon mais dans ce contexte, sa douceur équilibrée est un atout majeur. Tant de douceur dans tant de puissance, c’est du bonheur.

L’apéritif est prévu à 19h30. Il y aura de délicieuses tranches d’un pâté en croûte préparé par notre boucher traiteur fétiche. J’ai choisi un Champagne Laurent Perrier Grand Siècle des années 60 pour faire contraste avec le jeune Grand Siècle que j’avais ouvert pour ma fille. Comme pour les deux champagnes de 1964 dont les bouchons n’étaient pas sortis entiers, la lunule du bas de bouchon restant dans le goulot, le bouchon du Grand Siècle sort en deux fois, la lunule inférieure ne tournant pas quand on tourne le bouchon. Cela corrobore l’estimation de la période de naissance de ce champagne. L’étiquette du champagne porte l’inscription UTA de la compagnie aérienne qui offrait ce vin à ses passagers.

Le Champagne Laurent Perrier Grand Siècle des années 60 a une belle couleur ambrée. Ce qui frappe c’est la complexité de ce champagne. Le jeune bu récemment avait une belle énergie ; celui-ci est plus calme mais plus complexe et plus inspirant. Sur le pâté en croûte, l’accord est parfait. Nous essayons ensuite un saucisson à la truffe qui est bon mais ne fait pas parler le champagne.

Le plat de ce repas qui se voulait léger avant le réveillon de demain, est de filets de maquereau fumés au poivre, et de demi-pommes de terre beurrées au beurre Bordier et passées au four. Connaissant ce plat, j’avais pris en cave, à l’instinct, un Puligny-Montrachet F. Ponsot négociant à Beaune dont l’étiquette d’année avait disparu. C’est la couleur du vin, pour un niveau parfait, qui m’avait séduit. Je le situais vers la fin des années 70, mais en ouvrant la bouteille, l’état du bouchon m’indique plutôt le début des années 60. Si c’était l’année 1961, je ne serais pas étonné tant la qualité de ce vin est extrême. Le nez est très franc, direct, de belle attaque. En bouche ce vin est d’une sérénité parfaite. Il a un fruit calme mais précis et une belle longueur. C’est un vin à la Jean Gabin, c’est-à-dire un taiseux qu’on écoute quand il s’exprime. L’accord avec le poisson est d’une rare précision au point qu’un des amis se demande comment j’ai pu penser à ce vin. L’accord se trouve aussi avec les pommes de terre.

Au moment où nous avons fini le poisson, une idée me vient. Je suis sûr que l’accord avec le camembert mangé hier serait parfait avec le Puligny. Ma femme me tance, car demain il y a réveillon, mais j’insiste. Et la symbiose entre le Puligny et le camembert est une merveille esthétique.

Nous allons goûter un moelleux au chocolat préparé par ma femme et il serait raisonnable de boire de l’eau. Ma fille qui avait jusqu’ici été extrêmement raisonnable, pensant au nombre de calories qu’il faudrait brûler pour effacer ces agapes, me réclame un Maury. Son ton m’indique qu’il est impossible que je me dérobe.

Je cherche en cave un Maury Mas Amiel Prestige 15 ans d’âge que j’ai dû acheter il y a trente ans. L’accord avec le moelleux au chocolat est sublime et tellement naturel car il y a tout dans ce vin, la cerise confite, la prune, le pruneau confit, et tant d’autres fruits. Et ce qui est précieux c’est que ce vin est totalement intégré. C’est un accord de jouissance.

J’ai servi un Vieux Marc des Lambrays d’une bouteille déjà entamée mais éventée. Le marc a totalement perdu de sa vigueur. Eventé, il n’est pas porteur de plaisir.

J’adore ce type de repas fait d’impromptus successifs. Pourquoi ce Puligny, pourquoi ce Maury, pourquoi ce camembert qui apparaît sans qu’il ait été prévu. Je trouve un grand plaisir à ce hasard, car c’est une manifestation de totale liberté.

Demain, ce sera réveillon et tout est déjà prévu à l’avance. Ce sera je l’espère très bien, mais des repas comme celui-ci où l’improvisation domine, c’est ce que je préfère, et de loin. A demain un nouveau style.

la préparation des verres pour le réveillon

Champagne de bienvenue dans le sud mercredi, 30 décembre 2020

Juste après Noël nous descendons dans le sud avec notre fille aînée. Pour le dîner j’ouvre un Champagne Laurent Perrier Grand Siècle sans année récent. Le champagne fait un beau pschitt et le bouchon sort avec sa partie basse qui s’élargit fortement en se décompressant. Le nez du champagne est vif et intense, comme si le champagne s’ébrouait.

En bouche on reconnait toute l’élégance romantique de ce subtil champagne qui m’évoque des fleurs blanches. Bien sûr ce Grand Siècle trouve des complexités supplémentaires en vieillissant, mais il est déjà très agréable et réjouissant dans sa jeunesse. Sur un foie gras de grande personnalité il est parfait ainsi qu’avec un camembert traditionnel et bio absolument parfait, moins viril que les Jort mais réussi.