Un dîner chez Maxence, entre amis regroupés par Jean Luc Barré. Un dîner un peu différent, car il y a un cercle de "vieux habitués" des vins très anciens. On peut donc prendre le risque de bouteilles très inhabituelles. Et il y a une plus grande décontraction face au risque. Jean Luc, mon maître et bien souvent mon « initiateur » a fait une sélection de vins d’une intelligence extrême. David Van Laer l’ami et animateur du Maxence a fait preuve d’une intuition redoutable, car il a su trouver des accords passionnants sur des vins qu’il ne pouvait pas avoir déjà bus.
Il faut préciser que Jean Luc aime faire des dégustations à l’aveugle contrairement à ce que j’organise, puisque mes listes sont forcément connues d’avance. Dans nos réponses, nous avons tous commis des erreurs qui se comptent en centaines de kilomètres sur l’origine des vins, voire en milliers ! Sur de grosses gougères, deux bouteilles de Montlouis Clos du Colombier 1959. Les deux Montlouis étaient aux antipodes : l’un, jaune citron était très sec, mais avec des arômes changeants de fleurs. L’autre, doré, délicieusement doux, a changé d’aspect dans le verre, avec une complexification croissante et séduisante. De grands Montlouis chez lesquels, comme tout au long du repas, il ne faut évidemment pas chercher les goûts et saveurs d’aujourd’hui.
Sur un chèvre chaud et pied de cochon, un inimaginable Sancerre Les Monts Damnés 1949. De loin le nez le plus beau de la soirée. Magique. Je n’ai pas trouvé le lieu d’origine, mais j’ai tout de suite trouvé l’année, tant 1949 est grand en Sancerre.
Un accord de rêve fut trouvé entre la pénétrante vanille des Saint-Jacques et le Jurançon sec 1929 de chez Nicolas. Quel beau vin. Le Jurançon 1929 est l’une des deux bouteilles qui ornent la page d’accueil du site wine-dinners, avec une signification et un message : ce qu’on cherche, c’est la valeur gustative pure, et pas forcément la renommée rassurante de l’étiquette répertoriée dans tous les guides. A ce propos, comme il est d’usage entre complices, on s’est abondamment querellé sur le vin et l’argent, sujet absolument sans fin, ma thèse contre provocatrice étant qu’un vin n’est pas "forcément" mauvais parce qu’il est cher. Et la pertinence d’un achat bien fait ne doit pas justifier d’exclure les bouteilles chères. Ce sujet peut occuper des heures, quand s’ouvrent tant de délices comme ce Jurançon de fraîcheur, évocateur d’arômes si diversifiés, qu’on ne trouve que dans des blancs secs anciens.
Sur la retrouvaille en restaurant d’un ris de veau un Gruaud Larose 1904 si étonnant de jeunesse (dans son expression âgée, bien entendu). Bel équilibre, suffisamment de rondeur pour donner un beau passage en bouche. Il n’y a plus d’explosion, mais il est très ingambe. Le Mouton d’Armailhacq 1918 a émerveillé un des convives. Les 1918 se révèlent très souvent chaleureux, charnus. Pour ce vin, on ne se trompait pas de beaucoup de kilomètres, mais de plusieurs décennies, voire d’un armistice tant il est jeune encore. Sa couleur, très années 70, faussait toute supputation.
Le Parmentier de lièvre est un petit bonheur. Sur un invraisemblable Rioja Marquès de Riscal 1925, quel accord ! Un vin d’une subtilité extrême, mais sous la blouse d’un sage écolier. Je croyais le reconnaître, alors que, proche de sa définition, je n’ai bu qu’un Rioja Paternina 1929 somptueux. David avait mis une pointe de chocolat dans la sauce, qui fut un révélateur de rêve pour le Domaine de la Trappe 1952, riche vin d’Algérie que David et moi trouvions un peu aidé (dopé?) par de l’alcool, alors que Jean Luc n’y voyait que l’influence bénéfique du soleil. Un vin rouge d’une énorme densité, tout en soleil, en chaleur. Ça me fait penser à la trame des plus solides Bourgognes des années 30 (certains reconnaîtront l’allusion).
Sur les fromages un très agréable Côte Rotie Jaboulet Ainé 1962 est passé presque inaperçu sauf pour un convive et David. Dans le flot des conversations, je l’aurais presque oublié malgré sa belle rigueur. Mais c’est sans doute parce que c’est le vin le plus conforme à son image : il n’y a pas d’énigme.
Sur des fruits caramélisés façon Tatin, un Rivesaltes Puerta del Sol Henry Sauvy 1914 a montré le potentiel exceptionnel du vieux Rivesaltes. C’est chaud, c’est beau, c’est quasi archétypal ; et quel plaisir. Je ne crois pas avoir souvent goûté d’aussi beau Rivesaltes, un vin qui sait si bien charmer par sa rondeur.
Sur une Arlette au chocolat, un vin que je n’avais jamais bu. Une saveur inconnue : un Muscat rouge Le Borjo, datable vers 1950, Domaine de la Trappe Staoueli en Algérie. C’est un magnifique Muscat. Très déstabilisant quand on n’a aucun repère.
Jean Luc avait fait un choix rare, et le vote fut bien difficile. Beaucoup d’avis variés, sans dominante précise. Le nez le plus beau était sans conteste celui du Sancerre 1949. La complexité la plus enrichissante était celle du deuxième Montlouis 1959, et le plaisir pur était celui du Rioja 1925. Mais comme j’adore les vieux vins d’Algérie je dirais que je suis prêt à entrer à la Trappe , si c’est pour avoir ce rouge 1952 ou ce muscat à chacune de mes messes. Nous avons fini sur une bouteille des années 1850 / 1870, un élixir Raspail. Mais ce qui était dans la bouteille, liqueur à la banane ou punch affadi ne m’a pas convaincu.
Les intuitions géniales de David Van Laer, un parcours introuvable composé par Jean Luc Barré, sur fond de son érudition sans limite (il faut le voir et l’entendre expliquer à un sommelier grec né à Olympie comment il devrait reconsidérer et comprendre les Dieux de son Panthéon !!), des discussions interminables, et le sentiment de faire vivre des vins qui méritent le sort qu’ils ont connu lors de cette soirée d’exception.
On verra que je me suis racheté un peu plus tard en mettant à l’honneur un magnum de Côte Rôtie de Paul Jaboulet. Façon de me faire pardonner. Et j’ai ajouté lors du même repas un vin d’un producteur qui avait lu le 8/10 l’article du Monde daté du 9/10 sur Alain Senderens et m’avait fait livrer dès le 9 au matin une bouteille après avoir lu les coordonnées de wine-dinners. J’ai voulu rendre hommage à cette célérité. Et j’ai bien fait. Lors d’une fête privée, j’ai retrouvé avec plaisir François Mauss, président du Grand Jury Européen qui juge tous les vins de façon extrêmement scientifique. Il était venu avec un vin du pays d’Oc très intéressant.