Pour Noël, en famille, des essais de vins de toutes provenances et valeurs, essais plus faciles en famille que dans un dîner officiel. Bollinger grande année 1990, juste pour se remémorer que 90 est vraiment grand. Montrachet Grand Cru Guichart Potheret 1988 en magnum. Belle structure et épanouissement d’un Montrachet, grand vin juteux et savoureux. Chassagne Montrachet les Embrazées premier cru Bernard Morey et fils 1991. Juste pour vérifier qu’un Montrachet est plus grand. Coustolle Canon Fronsac 1982. Là aussi pour vérifier qu’un de mes maîtres, qui vénère ce vin a bien raison, tant ce vin est bien fait, Black Noble de Bortoli, vin australien botrytisé de 17°5. En fait trop puissant pour le boire dans un repas. Lafaurie Peyraguey 1961 en demie bouteille affreusement bouchonnée. Grande tristesse tant j’avais déjà aimé ce vin. Quelques vins ont été finis le lendemain midi, auxquels j’ai ajouté Besserat de Bellefon rosé 1966, splendide champagne déjà madérisé, mais si agréable quand on aime cela (les grands champagnes madérisés sont un type de vin en soi). Château Chalon Désiré Petit 1992 (médaille d’or). Splendide. Rivesaltes ambré 1994 Cazes à comparer au Plénitude de Mas Amiel, grenache de 1998 : deux intéressantes expressions gustatives, débordantes de saveurs variées de soleil. A noter que le Lafaurie Peyraguey 61 rebu le lendemain avait quasiment perdu tout son goût de bouchon et m’a rappelé toute sa valeur. Entre les fêtes un Mouton-Rothschild 1993, si difficile à classer, car c’est un solide guerrier que n’aide ni l’année ni son jeune âge.
Dîner d’amis, façon wine-dinners dimanche, 23 décembre 2001
Et puis un dîner de type wine-dinners où l’on commence par Bollinger grande année 1992, qui s’exprime plus avec un peu de chaleur, grand sans atteindre le 90. Un Beaune du Château de Bouchard vers 1960. Ce vin blanc n’est pas millésimé. Je suis un amoureux de ce blanc dont j’ai bu le 28 et des bouteilles des années 50 avec tant d’émotion. Un Rivesaltes Cuvée Aimé Cazes 1976. Ce vin est tellement agréable ! Bien sûr, je suis un inconditionnel de ces vins si beaux, mais quand même, quelle race. Prévu sur un gâteau au chocolat, je n’ai pas trouvé qu’il s’éclatait. J’ai demandé un dessert aux agrumes. Et là, quelle merveille : une grenade dégoupillée de saveurs infinies.
Quelques bouteilles bues en diverses occasions dimanche, 23 décembre 2001
Voici quelques bouteilles bues en diverses occasions, qui jalonnent un parcours de recherche dans beaucoup de directions différentes. Mission Haut-Brion 1979. Année variable mais grand vin. Très grande complexité : de ces vins difficiles à comprendre, mais qui révèlent d’énormes potentialités. Une dégustation de nombreux vins du millésime 1999. Parmi quelque 15 ou 16 vins bus, La Conseillante 1999 est apparu immensément prometteur, et Phélan Ségur 1999 fut une très belle surprise. La Lagune 1995 ne s’exprime pas encore, Pichon Longueville 1990 est déjà un beau vin puissant de grande réussite mais prometteur encore, Cos d’Estournel 1986 est splendide, un de ces vins à boire sans s’arrêter, envahissant de personnalité. Rayne Vigneau 1996 : impossible de l’apprécier quand on a adoré le 1949 : ce n’est pas le même « produit ». Ces vins, les 99 et ceux qui précèdent furent proposés dans une grande dégustation avec dîner. Un Meursault Louis Chevalier 1953 amusant, car il devrait être madérisé mais ne l’est pas. Un Vosne-Romanée les Rouges de Dominique Laurent 1997 : très fruité, agréable mais pas de réelle vibration. Un Jurançon Château Jolys 1989. Quelle splendeur. Doux, mais délicat, avec de belles suavités dans les registres citronnés. Un beau vin pour les foies gras ou les desserts. Dans un somptueux déjeuner impromptu chez Guy Savoy, les pistes du sommelier : un Chateauneuf du Pape blanc château de Vaudieu 1999. Brillant et intense : c’est comme cela que j’aime les découvertes de sommelier. Un Nuits Saint Georges premier cru des Forets Saint Georges domaine de l’Arlot-Prémeaux 1988. Le nom est plus long que la caudalie. Agréable et honnête. Un Château Chalon de Philippe Butin 1992. Je suis un aficionado de ce vin qui m’enchante par son goût en permanence décalé de noix jeune et amère.
Dîner de wine-dinners au Pré Catelan jeudi, 13 décembre 2001
Ce dîner est raconté dans le vingt et unième bulletin. Des bonnes bouteilles auront encore quelques occasions de s’ouvrir cette année, mais ce sera dans d’autres contextes. Nous étions onze au Pré Catelan, où l’efficace équipe s’était intéressée à notre passion. Grande organisation, implication de tout le personnel concerné, travail de professionnels. Frédéric Anton a fait un menu remarquable de combinaisons, de traitement des mets et de création. Quel dommage que sa réserve, qui l’écarte de la salle, ne nous ait pas permis de le féliciter comme il convenait, et d’écouter ses choix. Il avait décidé de nous régaler, je vous laisse juge : l’étrille en coque et fine gelée au caviar, crème fondante d’asperge verte, la betterave parfumée à la muscade et vieux comté, jus gras, l’oursin cuit dans son test, fumet léger de céleri, la Saint-Jacques en coquille au cidre, noix écrasées et torréfiées, la langoustine en papillote croustillante, jus de romaine et crème d’échalotes, le pigeonneau poché dans un bouillon aux épices, cuisses en petites merguez, semoule de brocoli préparée en couscous et pois chiches, le cochon, poitrine braisée rôtie en cocotte, noisettes et salsifis confits dans un jus gras, les fromages fermiers, la poire en marmelade recouverte d’un zéphyr avec jus et croustillant à la vanille. Comme nous avons classé les vins, nous nous sommes amusés à classer ses plats. Le pigeon fut unanimement jugé comme grandiose, suivi de la betterave au comté et de l’oursin. Le pigeon fut l’un des plus grands que j’aie jamais dégustés. J’ai apporté un soin tout particulier à l’oxygénation des vins, cherchant à améliorer encore mes méthodes, et je me suis rendu compte que cela joue de façon essentielle sur l’image que l’on se fera du vin au moment du premier contact. J’ai pu constater que mes choix furent bons, fondés sur une analyse purement olfactive : je ne bois pour goûter que si ce prélèvement a un intérêt dans l’élargissement de la surface d’oxygénation, car je préfère de loin l’oxygénation lente à celle que procure une « facile » mise en carafe. Pour une fois, je vais m’étendre plus sur cet aspect, car cela pourrait donner des idées à ceux d’entre vous qui vont ouvrir de vieux précieux flacons pour les fêtes. Le Champagne Laurent-Perrier 1981 a délivré de belles et abondantes bulles, une couleur joliment dorée, un nez intense et imprégnant, et un goût charnu de champagne élégant marqué par le vin. Nous avons en fin de repas donné notre tiercé, le Top 3.
Ce Laurent Perrier étonnant a été non seulement nominé, mais aussi mis en premier par un convive. A noter que l’on a gardé les verres vides pour les sentir. C’est le champagne qui fut le plus brillamment persistant. Le Château Lagrave Martillac 1992 a été ouvert à 17h, bouchon enlevé en chambre froide à 10°. Rothschild à19h et mis à température de pièce une demie heure avant le service. Beau nez marin, dans les citrons, en bouche la glycérine qui s’estompe ensuite. Belle expression de Bordeaux, nettement meilleure que ce que nous attendions. Il a même été nominé. Le Chablis 1er cru les Vaudevay Domaine Laroche 1988 a été ouvert à 17h et rebouché. Débouché de nouveau à 19h il a été servi non carafé après mise en salle de 1/2 heure. Très classique Chablis de belle expression, là aussi meilleure que ce que nous attendions. Il faut dire que les entrées de Frédéric Anton ont été des « embellisseurs » de talent. Ayant assez rapidement asséché les blancs nous avons dû servir le Château Figeac Saint Emilion 1978 sur la langoustine, et ce fut un bon choix. Ouvert à 15h30, il a profité d’une oxygénation lente qui a évité de carafer. Vin extraordinaire de plénitude, élégant, adulte, beau comme Adonis. Un plaisir rare, bien au dessus de ce que mes amis experts et moi estimions devoir goûter. Plusieurs fois nominé, il a enchanté notre table. Le Château Calon Montagne Saint-Emilion 1955 que m’avait envoyé son propriétaire fut une ajoute au programme initial. Merci pour ce vin si beau. Ouvert à 15h30, il nécessitait une bonne oxygénation : je l’ai carafé à 19h, laissant le fond en bouteille. M. Boidron, contrairement à ce que vous m’avez dit, il n’y avait pas de dépôt. Vin très subtil, de très bonne structure, nous fumes frappés par son élégance et sa tenue. Il se montrait grand à coté du Figeac, même si moins complexe. Il a donné de belles émotions qui en ont fait le deuxième vin le plus nominé. Il a confirmé de belle façon le talent de l’année 1955. Le Château Gadet Médoc 1929 a été ouvert à 16h. Beau nez, même si poussiéreux, il s’est gentiment oxygéné en six heures. Une couleur si belle que David Rivière, le sommelier du Pré en fut ému. Très belle présence, attaque fraîche, puis l’acidité qui est le squelette d’un vin vieux, et son gage de longévité. Fin un peu courte, mais vraiment grand vin. J’ai été agréablement surpris de voir comment chaque convive acceptait ce vin pourtant si différent des vins actuels. Quand le Grands Echézeaux Domaine de la Romanée Conti 1969 est apparu, quel choc positif ! Un vin qui embaume la pièce quand on le sert. Une odeur envahissante et capiteuse, un vin riche et puissant. Je l’ai ouvert à 16h et rebouché, tant l’odeur était parfaite. Très grand vin, mais qui allait rencontrer une rude compétition. Le Nuits Saint Georges Clos des Corvées Général Gouachon 1945 Tasteviné 1950 a été ouvert avec les autres et s’est aéré lentement. Sa jeunesse est époustouflante. Intensité de goût, avec moins de velouté que les deux autres et plus de caractère. Le plus souvent nominé. Un vin de grande émotion. Le Corton Soualle et Bailliencourt 1929 a été goûté trop tard et trop vite : nous n’avons pas pu l’apprécier autant qu’il le mérite, alors qu’il est aussi bon que celui ouvert il y a deux mois. Grand, subtil plus que les autres mais moins flamboyant que le 45. Il a de ce fait été moins nominé. Le Monbazillac Le Chrisly 1965 a étonné tout le monde. Belle couleur dorée. A l’aveugle, ce serait un grand Sauternes. Grand, long, persistant, caressant. Présenté à un stade idéal de dégustation. Le Château Gillette Crème de tête 1949 devait être la star absolue. C’est incontestablement une réussite, d’un ambre si beau. Mais je n’y ai pas trouvé la même émotion qu’avec le Rayne Vigneau 1949 récent. On parle ici de nuances, car ce vin a été souvent nommé premier par des convives. Mon classement personnel, rejoint presque par deux autres convives, alors que tous les classements furent différents est : 1 : Nuits Saint Georges 45, en 2 : Calon 55 et en 3 : Corton 29. Mais le champagne et le Figeac mériteraient des mentions comme le DRC et le Gillette, les deux stars « sur le papier ». Des soifs résiduelles ont été comblées par un Laurent Perrier Grand Siècle (qui a mis en valeur par différence le sublime 1981) et Laberdolive 1970, ce bel Armagnac. Les convives ne se connaissaient pas, et il y avait cinq d’entre eux qui participaient à leur deuxième ou troisième dîner, mais issus de trois dîners différents. Leur aisance a permis une ambiance gaie et décontractée tellement chaleureuse que tous – ou presque – ont décidé de se revoir à un prochain dîner le 24 janvier. On m’a même demandé d’ouvrir l’un de mes Chypre du 19ème siècle. Je vais y réfléchir, car j’aimerais dans la démarche d’initiation à des vins rares que l’on sache doser les étapes du voyage. Si l’on accède trop vite au Graal, que reste-t-il après ? J’y pense et proposerai un dîner pour cette date où des places seront sûrement disponibles.
dîner de wine-dinners au Pré Catelan jeudi, 13 décembre 2001
Dîner au Pré Catelan le 13 décembre 2001
Bulletin 21
Les vins :
Champagne Laurent-Perrier 1981
Château Lagrave Martillac 1992
Chablis 1er cru les Vaudevay Domaine Laroche 1988
Château Figeac Saint Emilion 1978
Château Calon Montagne Saint-Emilion 1955
Château Gadet Médoc 1929
Grands Echezeaux Domaine de la Romanée Conti 1969
Nuits Saint Georges Clos des Corvées Général Gouachon 1945 Tasteviné 1950
Corton Soualle et Bailliencourt 1929
Monbazillac Le Chrisly 1965
Château Gillette Crème de tête 1949
La cuisine de Frédéric Anton :
L’étrille en coque et fine gelée au caviar, crème fondante d’asperge verte
La betterave parfumée à la muscade et vieux comté, jus gras,
L’oursin cuit dans son test, fumet léger de céleri
La Saint-Jacques en coquille au cidre, noix écrasées et torréfiées
La langoustine en papillote croustillante, jus de romaine et crème d’échalotes
Le pigeonneau poché dans un bouillon aux épices, cuisses en petites merguez,
semoule de brocoli préparée en couscous, et pois chiches
Le cochon, poitrine braisée rôtie en cocotte, noisettes et salsifis confits dans un jus gras
Les fromages fermiers
La poire en marmelade recouverte d’un zéphyr avec jus et croustillant à la vanille
Des bouteilles deci-delà jeudi, 6 décembre 2001
En dehors des dîners de wine-dinners, je bois quelques vins au hasard de suggestions ou d’envies. Un fournisseur de mon « métier de base » a ouvert un Meursault 1994 de Olivier Leflaive, fort agréable et un Gloria 1983 vraiment aimable, car à parfaite maturité, sans trop en faire. Le sommelier de chez Laurent m’a fait découvrir un Coteaux du Languedoc Prieuré de Saint-Jean de Bébian 1991 qui est absolument remarquable : de l’encre, du tannin, de la force. Belle preuve que beaucoup de travail se fait là.
J’ai ouvert deux vins qui peuvent expliquer l’hésitation que certains amateurs ont pour les Bourgognes entre deux ages : un Nuits-Saint-Georges 1er Cru La Richemone de A. Pernin-Rossin 1982 était franchement désagréable. Et un Griotte Chambertin 1976 de chez Joseph Drouhin avait de belles qualités, mais n’exprimait pas vraiment grand chose. Toute cette période, disons de 1968 à 1982 est en pleine mutation (non pas chimique mais historique) : le vin vit la fin de sa période de maturité, sans avoir vraiment développé ses qualités de vieillesse. Alors, selon les bouteilles, on aura des chances de trouver un vin encore bon, ou pas encore « séniorisé ». Un tel risque existe beaucoup moins avec les vins des années 30 à 50, qui ont déjà reçu la grâce du temps, sans parler des Bourgognes des années 10 et 20 qui sont de pures merveilles, quand ils ont eu la chance ou la qualité de savoir traverser le temps. Et il y en a plus que ce que l’on croit. Ce qui justifie wine-dinners.
Un Chablis 1er cru les Vaucopins du domaine Long-Dépaquit 1988 est toujours un vrai plaisir gustatif, et un Noble One d’Australie, vin botrytisé de 1996 m’a nettement moins emballé que lors de précédentes occasions : trop de sucre et pas assez de subtilité. L’atmosphère ? La présentation ? Tant de choses influent sur le jugement que l’on porte sur un vin : une grande dose d’humilité s’impose.
Pour finir, deux moments d’association mets et vins qui m’ont enchanté : au Cinq, sur les conseils d’Eric Beaumard, sur une grouse, un Hermitage de chez Chave 1998 : l’association est évidente, mais c’est parfois agréable de le vérifier. Et le plus magnifique fut sur un pied de porc chez Laurent, un Château Chalon de chez Jean Macle 1981. Ce Château Chalon est plus doucereux et moins marqué par l’astringence de noix habituelle. L’association fut grandiose. Si ce vin n’avait été le dernier de leur carte dans cette année, je vous aurais recommandé d’y courir. A propos du Cinq, le fruit du hasard : à la table voisine, on « testait » des Dom Ruinart en magnums. Par la magie des proximités, j’ai pu goûter Dom Ruinart 1990 et 1995. De petites merveilles en bulles. Mon Dieu que c’est bon.
Il y a eu en cette fin d’année une recrudescence de ventes de vins aux enchères. Cela frise l’excitation. Cela montre aussi que des vins vieux existent en quantité importante. Ce serait bien que wine-dinners, même s’il n’est pas le seul, fasse des émules, pour que ces trésors soient bus quand ils sont bons, plutôt que de passer de cave en cave, prenant seulement de l’âge, quelques secousses, et un peu de valeur. Ce n’est évidemment pas par wine-dinners seulement que ces vins trouveront l’avenir qu’ils doivent avoir : être bus avec la meilleure cuisine. Au moins, nous y participons.
Salon des Caves Particulières jeudi, 6 décembre 2001
Le salon des caves particulières vient de se tenir comme chaque année à Paris, et c’est l’occasion de découvrir de nouveaux vins, ou de rencontrer des amis. Comme un grand sommelier originaire du Languedoc Roussillon m’a initié à des vins de grande valeur, l’envie était grande de dire un petit bonjour à des viticulteurs qui sont devenus depuis des amis. Mas Amiel devient une star. Grande démarche d’innovation et de qualité. Des vins qui demain seront des vraies références. Même remarque pour Daumas Gassac : leur rouge 2000 est fantastique. C’est une réussite spectaculaire. Même souci de création éclectique chez notre ami Bernard Cazes qui fait de si beaux vins à Rivesaltes, sur plusieurs registres, comme le fait Mas Amiel. Au Domaine de la Coume du Roy, la jeune génération Volontat-Bachelet fait de belles choses, mais je m’intéresse bien plus aux vieilles reliques. J’ai goûté à nouveau avec bonheur ce 1948 Maury Doré si réussi, meilleur à mon palais que le 1925. J’ai eu la chance sur le stand (imaginez, sur un stand !!) de goûter un Rancio daté vers 1875 / 1885, d’une couleur inimitable qui ne peut être que du 19ème siècle. C’est si bon que j’ai acheté toutes les bouteilles qui avaient été soutirées du fût. J’avais vu ce fût lors de ma visite où j’ai acheté ce si magnifique Maury 1880. Le Rancio que je viens d’acquérir sera une vedette de plusieurs des prochains dîners. Bernard Cazes m’a aussi fait goûter de belles réserves comme un de ses vins de 1948, année importante pour lui, et René Monbouché, qui fait un si expressif Monbazillac et qui « distille » en petits lots à quelques amis des belles grandes années comme 1921, 1924 ou 1929 m’a fait goûter son Monbazillac 2000. Une bombe absolue. On se demande comment il est possible de faire apparaître autant de force. Un vin qu’il va falloir stocker à l’abri pendant 50 ans avant de le déguster.
Une petite remarque à ces talentueux vignerons que j’aime tant : faites bien attention de ne pas tomber trop radicalement dans le marketing de la rareté. Ce pourrait être un succès sur quelques années, puis porteur de déboires en une autre conjoncture. De plus, c’est plus que tentateur pour des vins étrangers qui ont aussi une certaine originalité, et peuvent venir concurrencer quelques uns des vins de ces belles régions.
Un colis arrive à mon bureau jeudi, 6 décembre 2001
Une anecdote, liée à une coïncidence : dans un précédent bulletin, j’avais fait part de ma très grande surprise devant la qualité extrême de Malartic-Lagravière 1955. J’avais de très bons souvenirs de 1955, alors que c’est une bonne année qui n’est pas toujours citée parmi les plus grandes. Mouton Rothschild 1955, par exemple, bu à la Marée m’avait laissé un immense souvenir. Le lendemain de ce repas, un paquet postal arrive à mon bureau. Je l’ouvre et je trouve un château Calon 1955, un Montagne Saint-Emilion. Je cherche la raison de ce cadeau, envoyé sans aucune lettre, et je reçois ensuite un fax du propriétaire qui, appelé au téléphone, me dit en substance ceci : « j’apprécie votre amour du vin qui transparaît dans vos bulletins, alors, si vous mettez en valeur mon vin dans vos dîners, j’aurai le plaisir de l’y avoir vu figurer, et de plus cela pourra donner une bonne image de mon domaine ». Je trouve la démarche fort sympathique et je n’hésite pas à parler déjà de ce vin : Montagne Saint-Emilion fait des vins d’une subtilité qui mériterait plus d’examen. Et j’en profite pour dire à tous les producteurs ou négociants qui me lisent : « voilà une voie à suivre !!! ». Je suis prêt en effet à accueillir vos belles bouteilles pour les mettre en valeur avec la cuisine de grands chefs de talent. La coïncidence, c’est évidemment que ce viticulteur m’a justement envoyé un 1955, reçu le lendemain d’un si beau Malartic. Je vais le mettre en valeur – en surprise – lors du prochain dîner.
Dîner de wine-dinners au Carré des Feuillants jeudi, 22 novembre 2001
Une société qui voulait honorer des clients et correspondants britanniques nous avait demandé de préparer un bel événement. Nous fumes huit au Carré des feuillants. Alain Dutournier avait marqué son intérêt pour wine-dinners, a accepté de nous recevoir selon notre formule et a donné libre cours à sa créativité. Du talent, de la recherche. Un grand moment de gastronomie. Amuse-bouches, petite friture, « Cappuccino » de châtaignes à la truffe blanche d’Alba, Langoustine pimentée à la nougatine d’ail doux, Filet de daurade royale poêlé « façon tajine », Gâteau « topinambour – foie gras » à la première truffe, Quartier d’agneau de lait des Pyrénées rôti, cresson meunière, macaronis aux cèpes, Roquefort crémeux des caves baragnaudes, medley de coing et noix, Les dattes de Nefta en « parfait » safrané, compotées au gingembre confit, mini baba au limoncello. Le cappuccino fut une pure merveille, comme la daurade, mais chaque plat mériterait aussi une mention. C’est vraiment la cuisine de talent qui accompagne bien les vins, créant une symbiose magique. Les convives avaient peu de connaissance des vins anciens, mais une culture suffisante pour apprécier chacun des vins sans marquer la moindre timidité. Une présence féminine – comme dans le dîner précédent – permet d’ajouter une touche de charme, et d’adoucir les échanges sur le vin qui deviennent ainsi plus nuancés. Le champagne Mumm cuvée René Lalou 1979 a frappé par son odeur, beaucoup plus prononcée que celle d’un champagne classique. Le goût est très vineux, de belle longueur, mais garde toute sa finesse de champagne aérien. Très belle structure et plaisir plus grand encore que celui de la précédente bouteille de ce champagne bue chez Guy Savoy. Le Laville Haut-Brion est décidément un grand Bordeaux blanc. Ce Laville Haut-Brion 1987 a des arômes et des saveurs si complexes ! On aime à retrouver toutes les saveurs d’agrumes, et ces épices discrètes qui font un vin mordoré en bouche, aux aspects changeants. Ce vin, carafé à 19 heures était trop compliqué pour mes hôtes qui ne l’ont pas tellement apprécié, contrairement à mon impression. Il est intéressant de noter que ce vin si immédiatement plaisant n’a pas tenu ses odeurs. J’avais demandé à chaque convive de garder tous ses verres, pour sentir l’évolution du nez de chaque vin pendant tout le temps du repas. C’est le Laville qui a le moins tenu. Le Bâtard Montrachet Veuve Henri Moroni 1992 qui a suivi m’avait fait peur à 17 heures à l’ouverture. Je craignais un vin déjà commençant sa courbe descendante. En fait, servi avec le poisson, il rajeunit de si belle façon ! Son message est très simple, naturel, fait de belle force. Intensément présent il envahit bien la bouche et y reste longtemps. Son odeur a persisté en verre et s’est même améliorée merveilleusement. Le Mouton Rothschild 1975 m’avait aussi inquiété à l’ouverture : très fermé. Carafé à 19 heures, il arriva juste comme il faut au moment désiré. Très agréable, il ne m’a pas autant plu que celui bu récemment. C’est un agréable Mouton, mais pas le meilleur. Il faut reconnaître en revanche que la truffe lui a donné du panache. Le Palmer 1964, aussi fermé à l’ouverture et aussi carafé à 19 heures arrivait alors que j’avais en tête et en bouche le souvenir du merveilleux Palmer 1928 de la veille. Je dois dire que j’ai été extrêmement positivement surpris de voir tant de qualités dans ce Palmer 1964. Ce vin est subtil, méritant d’être cajolé, et à coté des colosses de Bourgogne qui l’accompagnaient, malgré sa fragile subtile structure, il se tenait comme un adulte, ce qui est le signe d’une grandeur qui m’a fait plaisir. Le Chambertin Domaine Pierre Damoy 1961 est un vin immense. Une puissance de géant. Vin très facile, compréhensible immédiatement. Il a la force, l’invasion calme, mais aussi du velouté enveloppant. Un grand vin que les convives ont adoré. Bien sûr, avec tant de force, il n’était plus question de revenir aux Bordeaux, sauf par le nez qui tenait bien. Le Chambertin de Charles Viénot de 1934 provenant des caves de Maxim’s, celui que j’avais déjà bu chez Guy Savoy lors d’un dîner relaté dans le bulletin 7, est apparu à l’ouverture à 17 heures immédiatement prêt à boire. Déjà chaud du désir de plaire. Et sur table, en pleine forme, avec ces saveurs si subtiles qui en font un vin adorable et beau. Le fait qu’il soit possible de le boire à coté du Chambertin 1961, de le sentir évoluer comme le 1961 donne une idée de la solidité de ce vieillard, si jeune au nez et en bouche. Un grand moment de plaisir. J’avais une petite fierté personnelle que ce vin de 67 ans puisse soutenir le choc d’un grand 1961. Vint ensuite un Yquem 1973, année de petite production difficile à trouver. Belle couleur encore bien claire, limpide, très typique. Etonnant de plénitude pour cette année là. Dès qu’apparaît Yquem les yeux brillent plus et les conversations deviennent plus douces et les cœurs légers. La consécration de la soirée fut atteinte avec le Rayne Vigneau 1949 d’une splendeur toute particulière. C’est tellement distingué. On est dans un registre subtil, fait d’évocations plus que d’affirmations. C’est la danse de la séduction. Les arômes se font câlins. Il n’était pas possible de revenir au Yquem qui apparaissait alors tout en force quand le Rayne Vigneau ne fait que suggérer toutes les composantes de fruits, d’agrumes, de sucres discrets. Je trouve que la conclusion d’un dîner par un vieux Sauternes – nous avons pris l’habitude de le faire – est un vrai moment de grâce.
Comme on le fait assez souvent, j’ai demandé à chacun de désigner ses trois meilleurs vins et, bien sûr, aucune réponse n’était en double. Les réponses les plus fréquentes pour le numéro un furent le Bâtard Montrachet et le Chambertin 1961. C’est assez logique, car ce sont les vins les plus immédiatement chaleureux et faciles d’accès. Dans le trio, on retrouvait le plus souvent ces deux vins et le Chambertin 34, le Palmer 64 et le Rayne Vigneau 1949. Mon choix personnel, mais qui n’a pas valeur de certitude ou de repère fut en premier pour le Chambertin 1934, tant je suis content qu’il traverse bien les années, le Palmer 1964, tant je suis content qu’il ait si bien tenu la comparaison avec le Palmer 1928 qui est légendaire, et en troisième le Rayne Vigneau 1949, car il fut le goût le plus brillant de la soirée.
Alain Dutournier nous a rejoints en fin de repas. Il a commenté ses choix de chef, ce qui fascine toujours les hôtes, car il lève un peu le voile sur sa création, comme le prestidigitateur qui vous explique un tour en le compliquant encore plus : plutôt que de croire devenir un chef de ce niveau, autant apprendre la prestidigitation. Alain Dutournier a été favorablement impressionné par le Yquem, et par le Chambertin 1934. Son sommelier si présent depuis l’ouverture des vins jusqu’en fin de repas a montré une compréhension et un talent qui méritent cette mention.
Une fois de plus une atmosphère conviviale, enthousiaste et plaisamment studieuse. Chacun se promettait dès le lendemain d’acheter de belles bouteilles. J’avais apporté des bouteilles de secours, mais comme chaque fois, il n’en fut pas besoin. Le donneur d’ordre, hôte de ce soir, fut ravi du festin qui a enchanté ses invités, ce qui est évidemment le but que nous poursuivons.
dîner de wine-dinners au Carré des Feuillants jeudi, 22 novembre 2001
Dîner au Carré des Feuillants le 22 novembre 2001
Bulletin 19
Champagne Mumm cuvée René Lalou 1979
Laville Haut-Brion 1987
Bâtard Montrachet Veuve Henri Moroni 1992
Château Mouton-Rothschild 1975
Château Palmer 1964
Chambertin Domaine Pierre Damoy 1961
Chambertin Charles Viénot 1934
Château d’Yquem 1973
Château Rayne Vigneau 1949
Le menu d’Alain Dutournier
Amuse-bouches, petite friture,
« Cappuccino » de châtaignes à la truffe blanche d’Alba,
Langoustine pimentée à la nougatine d’ail doux,
Filet de daurade royale poêlé « façon tajine »,
Gâteau « topinambour – foie gras » à la première truffe,
Quartier d’agneau de lait des Pyrénées rôti, cresson meunière, macaronis aux cèpes,
Roquefort crémeux des caves baragnaudes,
medley de coing et noix,
Les dattes de Nefta en « parfait » safrané,
compotées au gingembre confit,
mini baba au limoncello