Dîner d’amis au restaurant Maxence jeudi, 15 novembre 2001

Ce bulletin est le dix-huitième. Il raconte un type spécifique de dîners, celui où des habitués des vins anciens se retrouvent avec plaisir, sous la houlette de Jean Luc Barré, mon maître ès vins anciens, et par ailleurs ami. Dans ces dîners, on peut se risquer à des bouteilles plus hasardeuses qui côtoient des merveilles. Une fois de plus, ce fut chez David van Laer, au Maxence, où la créativité se marie à la qualité, avec aussi une solide amitié pour nos goûts de folie. Le thème retenu par Jean Luc Barré était : les années jumelles, sauf pour une seule bouteille, la splendeur de la soirée. Les plats : après des gougères, une crème de topinambour, des Saint-Jacques au four et tagliatelles de fenouil, un rouget rôti au jus de viande réduit et cannelloni de légumes, un duo de biche rôti et compote de chou rouge, un chausson de viande sauce Porto, une sélection de fromages Quatrehomme, une gelée d’agrumes, tarte aux fruits secs et mendiant. J’ai personnellement fondu d’extase sur la gelée d’agrumes, après avoir succombé à la qualité du rouget. On commença par un Crémant de Cramant Pierre Gimonod 1929 : une curiosité. Pas de bulles, juste du vin. L’intérêt est de voir que le vin existe toujours, même si la part de champagne a disparu. Comme toujours, profondeur et longueur. Une belle curiosité. Le résiduel vineux de vins de champagnes très anciens est un très bon début pour de grands repas. Un Grand Anjou 1929 suivait la même approche. Très doux, très long en bouche, très rare. On n’est plus sur le vin originel, mais on a une belle saveur, assez sucrée et doucereuse, mais avec un très joli parcours en bouche, tout de discrétion intime. Le Pavillon Blanc de Château Margaux 1959 qui suivit fut critiqué par beaucoup, par un excès en tout : un nez imprégnant, et des saveurs d’agrume fortement épicées. Comme Jean Luc, je l’ai beaucoup aimé pour ce qu’il est, car les Bordeaux blancs ne s’approchent pas comme d’autres blancs : il faut savoir décrypter ces saveurs et ces parfums si complexes. Son successeur immédiat promettait évidemment d’être plus accessible, car les mono cépages se lisent beaucoup mieux. Le Meursault Charmes Lagrive 1959 est un vrai et pur Bourgogne. Une belle couleur dorée, un goût caractéristique de Meursault. C’est le vin qui rassure. A ce stade de la dégustation, les amateurs de vins modernes auraient peu compris les trois premiers, non pas parce qu’ils ne savent pas, mais parce que les goûts de ces vins sont très différents des goûts d’origine. Tous, au contraire, auraient adoré le Meursault. Les vins rouges allaient démarrer en fanfare. Château Cantemerle 1918. Belle robe, couleur intense, nez profond, et goût velouté, où tout se fond harmonieusement. Intéressant, mais dès que l’on aborde le Château Haut Bailly 1918, on entre dans une autre dimension. Un vin qui est la justification de toute la démarche que nous construisons sur les vins anciens. Qu’est-ce qui fait qu’un vin peut se présenter en étant aussi confondant de perfection ? Dans le bulletin 17 où nous avons recensé les vins bus sur près d’un an, le Haut Bailly 1900 est apparu comme l’un des dix premiers. Il semblerait que les Haut Bailly anciens ont une qualité rare. Comme à Vinexpo le Haut Bailly 2000 s’est montré riche de belles promesses, ce vin révèle de belles qualités tout au long de son histoire. Après deux vins de 1918, deux vins de 1933. Vieux Château Certan 1933 est un très joli vin. J’ai eu du mal à reconnaître Pomerol, contrairement au Nénin. Meilleur que beaucoup de 1933, il porte un peu les effets de l’âge, mais comme un élégant vieillard. Beaucoup de convives ont préféré le Vieux Château Certan au Château Nénin 1933. Ce ne fut pas mon cas. J’ai préféré son authenticité de Pomerol. Un vin qui changeait sans cesse, énigmatique. A mon sens nettement meilleur que de plus jeunes Nénin, même si le 1971, pour ne citer que lui, est un si beau vin. Alors que chaque année se présentait sous deux aspects très proches, le seigneur qui suivait se devait de montrer sa majesté sans partager son pouvoir. Le Palmer 1928 que nous avons bu est une des plus belles émotions que notre groupe d’amis a eues avec un Bordeaux. Contrairement à Haut Bailly, Palmer n’est pas toujours à la hauteur de ce que l’on attend. Il a été tellement porté au niveau des plus grands qu’on en attend souvent trop. Mais là, il mérite pleinement qu’on lui décerne cette proximité de niveau. Palmer 1928 est un vin parfait, avec tout ce que cela comporte : un nez puissant et équilibré, une belle attaque en bouche soyeuse, des arômes larges, et une longueur bien affirmée dans toutes les composantes du vin. Une belle émotion qu’un Robert Parker noterait 99 ou 100. C’est le vin que l’on ne cesse pas de sentir, et que l’on pourrait goûter comme perdu dans ses rêves. Les vins suivants allaient faire redescendre sur terre. Le Château La Rose Anseillan 1937 a sur son étiquette : «contigu de Lafite » pour bien montrer qu’il jouxte, au moins géographiquement, ce vin de légende. Un vin plaisant, mais qui n’a pas beaucoup de choses à dire. Le Carbonnieux rouge 1937 qui a suivi fut la seule vraie déception du dîner. Il était mort. Et nous nous retrouvions tout chose, tous orphelins, nous qui avions adoré Carbonnieux 28 qui est une des plus belles réussites de 1928. Bien sûr cela arrive, et s’accepte beaucoup mieux dans de tels dîners. Cela montre aussi que l’année 1937 n’est pas une des plus sures. Elle est plus risquée que d’autres. En entrant en Bourgogne et en l’abordant par 1928, on avait beaucoup plus de certitudes. Le Volnay Faiveley 1928 est un vin de belle jeunesse. En buvant ce vin chaleureux nous nous faisions la remarque que tout ce que nous ouvrons de deux années magiques, 1928 et 1929 est marqué par la jeunesse et la plénitude. Ceci se confirma aussi pour le successeur de ce beau Volnay un Gevrey-Chambertin « Clos Saint-Jacques » 1928. Charmant, rond goûteux, le beau Bourgogne sans problème, de pur plaisir. Le Château Saint Amand Sauternes 1921 se comporte comme tous les Sauternes des années 20 : les classifications tombent, et les châteaux égalisent leurs performances. Ce Sauternes d’une année magique (pensez au Yquem 1921) a des parfums que l’on peut sentir pendant des heures. C’est quasi religieux. Et on le boit avec plaisir, sa finesse donnant un sucre subtil. Un plaisir assuré. On attendait du Château de Ricaud Loupiac 1921 de surclasser le Saint Amand. Non pas qu’un Sauternes puisse se faire « battre » par un Loupiac, mais celui-ci est grand. Force est de reconnaître que le Saint Amand fut tellement brillant que le Loupiac, même grand, n’a pas porté tant d’émotion. Une chose est sure cependant : tout ce qui est liquoreux des années 20 est un moment de rêve. Nous avons fini sur une liqueur d’abricot des années trente. Il faut comprendre ces dîners entre habitués des grands vins. Le fait de trouver tant de mérite avec le Palmer 1928 géant, le Haut Bailly 1918 si accompli, et le Nénin 1933 suffit à donner à ce dîner le plus haut niveau de qualité. Ensuite, le reste est de l’exploration, où chacun retrouve, confirme ou améliore ses repères. Et le Meursault, le Gevrey et le Sauternes rappellent qu’il existe encore de belles bouteilles à ouvrir, même sans avoir besoin d’appeler les Pétrus, Romanée Conti ou Yquem. L’ordre de plaisir de beaucoup de convives a été Palmer 1928, Haut Bailly 1918, Saint Amand 1921, Ricaud Loupiac 1921 et Nénin 1933. Ce fut aussi le mien. Une fois de plus Jean Luc Barré a su faire une sélection de talent. Ce dîner montre qu’il faut savoir oser donner leur chance à des flacons qui auraient sans doute dû être bus bien avant, mais qui existent encore, et méritent aussi une belle occasion de montrer leur talent toujours présent.

Dîner de wine-dinners au restaurant Maxence lundi, 24 septembre 2001

Ce repas est raconté dans est le seizième bulletin. Il raconte l’histoire d’un dîner de wine-dinners, le numéro quinze, dont la gestation a été particulière. En effet, deux convives avaient une date impérative, il fallait improviser autour de ce fait. D’autres amateurs se sont joints, et parmi eux des professionnels du vin dont la connaissance des vins, jeunes ou vieux, est le métier. Il fallait les intéresser, mais aussi les étonner, ce qui, je crois, fut fait.
Avant que tous les convives ne soient présents, nous avons commencé par Pavillon Blanc de Château Margaux 1992. Très clair, beau nez floral, et en bouche une rare discrétion, mais qui donne envie de découvrir toutes ses subtilités. C’est ce type de vin qui donne envie d’explorer de nouveau les Bordeaux blancs, si subtils à l’analyse. Dès que tout le monde fut là, Besserat de Francis rosé brut 1966. C’était le plus grand risque possible de la soirée. Rose tirant sur le roux, nez poussiéreux, bulle rare. Tout cela n’était pas bon signe. Mais en bouche, un plaisir : un goût vineux, prononcé, la bulle que l’on trouve en bouche, qui pèse sur la langue. On retrouvait des allures de Salon, avec cette force du vin. Au total, un excellent champagne, très différent des jeunes champagnes modernes, mais de grand plaisir. David van Laer, puisqu’on se retrouvait de nouveau chez lui, avait servi des petits vol-au-vent goûteux sur le Pavillon blanc, mais sur le champagne, l’escabèche de rouget cassait sa longueur. Une merveilleuse crème de haricots « coco » (c’est l’écho) se mariait fort justement avec un Domaine Laroche 1985 Château de Puligny Montrachet – appellation Puligny Montrachet contrôlée. Je mets ce titre à rallonge qui est celui de l’étiquette, car Laroche, connu pour ses Chablis, se met en avant, au lieu d’annoncer qu’il s’agit d’un Puligny. Cette opacité des étiquettes est critiquée par les amateurs étrangers. Très caractéristique de Puligny, un vin bien plaisant, mais sans grande aspérité. Bon élève sans génie. Magnifié par la crème. Sur un Saint-pierre extraordinaire, j’avais choisi un quitte ou double : Grande Réserve, Comte A. De la Rochefoucauld 1947 « appellation Bourgogne contrôlée ». C’est l’étiquette d’un vin de table et rien ne dit, sauf la couleur, qu’il s’agit d’un blanc. A l’ouverture, un nez légendaire. Avec un des convives, nous avons passé de longues minutes à seulement le respirer. Il n’y a pas de meilleure ivresse que ce nez là. Une couleur très foncée, et au palais, un enchantement indéfinissable. C’est évidemment âgé, mais c’est présent, insistant. Pas du tout madérisé, mais l’alcool ressort. Et il y a du fruit. Un convive n’a pas aimé, car ce qui le choquait, c’est que ce vin n’a jamais été fait pour donner ce goût là. C’est vrai pour beaucoup de vins anciens, car Margaux, par exemple, n’a pas cherché à faire des vins pour être bus 100 ans après, alors que ce sont aujourd’hui des sommets. Mais ce vin, si loin de sa valeur d’origine était un grand plaisir.
Arrive alors le lièvre en marmelade, qui sent si fort la viande intensément gibière, si l’on accepte ce néologisme. Il fallait choisir quel rouge l’accompagnerait. Alors qu’on commence le plus fréquemment par les plus jeunes, je décidai, malgré plusieurs suggestions pour le Beaune, de servir le Corton 1929 L. Soualle & E. De Bailliencourt Maisons du Montcel, L. Barjot & ses Neveux réunies. Une pure merveille. Un des grands Bourgogne d’une vie de dégustateur. Couleur très légère, très rose tendre, très jeune. Un nez jeune, expressif, puissant. En bouche une simple merveille. Il suffit de penser à tout ce qu’on aimerait trouver dans un grand vin pour qu’on le cueille ici sur la langue. Belle longueur, belle expression veloutée. On est sous le charme, et on tient un accord parfait. Sur le même plat pour ceux qui mangent le plus lentement, un Beaune Clos des Mouches 1953 Pierre Bourée Fils négociant. Une magnifique découverte sur cette année. Il est plus jeune que le 29, mais sans créer de différence nette, car le 29 est très jeune. Il est plus puissant que le 29, mais sans créer de différence nette, car le 29 est très puissant. Un vin vraiment agréable. Il y avait autour de la table des aficionados du Clos des Mouches, qui a tenu ses promesses. Comment allait se comporter un honnête Bordeaux après ces si grands Bourgogne ? J’avais un petit doute. Et, comme beaucoup de convives, j’ai été bluffé par ce Malartic Lagravière Graves 1955. Vraiment je ne pensais pas que Malartic en 1955 pouvait être aussi bon. Il avait beaucoup de rondeur, d’équilibre. Un vrai plaisir tout étonnant. Non pas que j’aie une mauvaise image de ce vin, mais il est apparu à un niveau que l’on ne suppose pas. Ce qui fait que ces trois rouges se sont parfaitement succédés, le Corton 29 étant d’une rare qualité.
Sur du Stilton est apparu la star de la soirée : Yquem 1917. C’est d’abord une année émouvante, l’année de Verdun et de Douaumont. Ensuite, c’est une année rare que peu de gens ont bue. D’où l’attention qu’il mérite. Très belle bouteille, au bouchon d’origine, avec un niveau un peu bas, mais une couleur merveilleuse, de caramel et de tabac brun. A l’ouverture le bouchon s’est cassé en deux, mais est resté ferme, et de belle odeur. Dans le verre, j’ai eu un peu peur : un nez discret, une attaque sèche, et une longueur un peu faible, même si le charme d’Yquem s’exprime. J’en faisais la remarque, mais les convives autour de moi appréciaient tellement que j’aurais eu mauvaise grâce à critiquer, d’autant que progressivement, ce Yquem devenait grand. Belle consistance de fruit. Peut-être pas éclatant comme certains, mais grand, intense, et un remarquable témoignage. Le vin qui allait suivre, un Golser Strohwein (vin de paille) Prädikatswein Neusiedlersee Österreich 1998 de 11°, était impossible à boire à ce moment. Trop monolithique, trop simple, il ne pouvait pas trouver sa place. Mais il a eu le mérite de montrer combien Yquem, apparemment si simple tant il est chaleureux est en fait d’une extrême complexité. Le vin de paille mérite une autre chance. A boire dans un autre contexte.
Ce qui fut intéressant, indépendamment du plaisir convivial, c’est de montrer à des professionnels que des vins inconnus ou peu connus peuvent se révéler, dans de bonnes conditions, et avec l’approche adéquate, de très grands vins. Une fois de plus, ces vins sont de véritables fêtes. Et l’association avec une grande cuisine contribue à les magnifier.

Dîner de wine-dinners au Maxence lundi, 24 septembre 2001

Dîner de wine-dinners chez « Maxence » le 24 septembre 2001
Bulletin 16

Champagne Besserat de Bellefont Rosé 1966
Pavillon Blanc de Château Margaux 1992
Puligny Montrachet Domaine Laroche 1985
Bourgogne « grande Réserve » Comte A. de la Rochefoucauld 1947
Chevalier-Montrachet Bouchard Père & Fils 1960
Château Malartic Lagravière, Graves 1955
Beaune Clos des Mouches Pierre Bourée Fils négociant 1953
Vosne Romanée E & D Moingeon Frères, # 1943
Corton L. Soualle & E. de Bailliencourt Maisons du Montcel et L. Barjot réunies 1929
Yquem 1917
Golser Strohwein (vin de paille) Prädikatswein Neusiedlersee 1998
Kummel # 1950

Le menu de David Van Laer
Gougères
Escabèche de rougets
Crème de cocos de Paimpol et foie gras
Dos de Saint-Pierre rôti aux aromates
Compote de lièvre façon Parmentier
Sélection de fromages de chez Quatrehomme
Gratin de figues
Dégustation de chocolats
Mignardises

Dîner de wine-dinners au restaurant Maxence lundi, 10 septembre 2001

Le dîner est né de l’annonce de la venue de Bipin Desai en France, cet américain qui organise les dîners les plus extraordinaires de la planète. C’est lui que j’avais suivi lors de la dégustation des trente plus grands millésimes d’Yquem depuis 1893. La démarche qu’il a choisie est très différente de celle de wine-dinners, aussi il n’y a pas concurrence mais complémentarité. Bipin est l’ami de beaucoup de grands collectionneurs, et le dîner qu’il m’a finalement demandé d’organiser devait regrouper quelques uns de ses amis. J’ai appelé à se joindre à nous un anglais vivant au Japon avec qui j’ai, sur un forum, de passionnants échanges sur le vin. Deux amis ont apporté trois bouteilles, j’ai apporté six flacons, et nous voilà chez David van Laer au Maxence, entre amateurs et collectionneurs de vins anciens.
La table, si joliment préparée dans un salon intime étant composée d’amateurs exigeants qui n’hésitent pas à condamner un vin qu’ils n’aiment pas, ce qui valorise d’autant plus l’approbation de tous quand elle fut, comme ce soir, majoritaire. Pour commencer champagne Salon « S » 1985 sur des cèpes rôtis au foie gras et aux figues, et d’aériennes gougères. Le Salon est si fort, envahissant, puissamment structuré. Mon ami anglais le trouve le plus plaisant de tous les champagnes qu’il a déjà adorés. Le Laville Haut-Brion 1964 avait été choisi pour l’un des hôtes qui est un collectionneur amoureux de Laville. Hélas, il ne le trouva pas à son goût. D’autres furent ennuyés par ces relents de glycol, mais Bipin et moi le trouvions fort à notre goût. Une tempura de langoustines au caramel de soja fut sans doute trop puissante pour le vin. David van Laer, on le verra, fit des prodiges par la suite. La couleur du Laville 64 était merveilleusement belle, de cuivre jaune, et si le coté « pharmaceutique » de l’attaque en bouche est déplaisant, le goût suivant, quand le vin est installé sur la langue paraissait très typé et authentique. La critique est acceptable et fait partie de l’exercice, moindre plaisir pour les uns, satisfaction pour les autres. L’unanimité de la surprise et du plaisir se fit sur le Vouvray sec 1921 de Clovis Lefèvre. Très fumé, astringent comme un vin du Jura, et une profondeur et une longueur en bouche presque indélébiles. Il accompagnait une création de David faite pour la première fois pour nous. Un filet de Saint Pierre à l’étuvée de poireaux et thé fumé, chips de céleri et huile d’argane. L’association parfaite fut applaudie, notamment par Bipin. Il fut décidé de garder la moitié du Vouvray pour le fromage.
Sur un pied de cochon exceptionnel, façon Apicius, aux cèpes, deux vins allaient merveilleusement s’exprimer : Mission Haut-Brion 1975 et Haut-Brion 1928. Des nez très proches, la couleur du 28 paraissant plus jeune, et nul ne pourrait dire que 47 ans séparent ces deux vins. Nous fumes unanimes à les trouver éblouissants. Le Mission 75 en pleine réussite, mais paraissant plus mûr que son age (je fus le plus sensible à cet aspect), et le 28 étonnant d’équilibre. Un vin majestueux. Et une association idéale. Deux vieillissements différents ont rapproché deux vins éblouissants, riches de saveurs de Bordeaux puissants, forts, lourds et surtout capiteux. Le contraste allait être fort avec un Grand Chambertin 1929 Domaine de Sosthène de Gravigny de Jules Régnier. Une couleur de beau rubis, très claire comparée à celles des profonds Bordeaux, qui étaient plus sang de pigeon. Un nez expressif tout en évocation subtile, et ensuite une bouche éblouissante, qui s’est trouvée magnifiée par un fantastique lièvre en compote, aux saveurs viriles. Un grand jour de David van Laer, unanimement reconnu par ceux qui ignoraient encore le Maxence. Le Chambertin 29, que j’avais déjà servi à un dîner de jeunes amateurs fut considéré comme l’événement majeur de cette soirée, ce qui est flatteur quand les juges sont de tels palais, Bipin Desai ayant bu tout ce qui se fait de bon en Bourgogne. Mais ils ont aussi tenu à saluer un vin qu’aucun ne connaissait.
Retour sur le Vouvray 21 qui fut merveilleux avec les chèvres. Pas le moindre signe d’évolution depuis l’ouverture et une solidité à toute épreuve confirmée. C’est sur un Stilton que nous bûmes le château de Fargues 1967. Je n’imaginais pas qu’un Fargues puisse être aussi puissant. Tous les convives ont été surpris. Il est vrai que 1967 est une grande année, mais nous avions tous présent à l’esprit Yquem, tant la ressemblance est grande entre les deux vins, ce qui est un compliment pour Fargues. Il lui manque sans doute l’émotion que procure Yquem, mais il fut apprécié comme un grand Sauternes.
Sur le premier dessert, figues confites au caramel et vin rouge, la transition se fit vers un Maury Doré du Domaine de la Coume du Roy 1925 qui se prêtait ensuite comme il convenait au moelleux au chocolat, si délicieux et fondant. Mais après Fargues, le coté monolithique du goût rétrécissait ce Maury. Titrant 17°, il s’imposait en force, et c’était un peu trop. Il faudrait une autre circonstance pour l’apprécier comme il convient.
Nous avons ouvert un Kummel de Courvoisier d’une bouteille très vieille difficile à dater. Sans doute plus de 50 ans. Ce Kummel, liqueur de 40° à base de cumin était un rite au siècle dernier. Sucré, à l’épice discrète, cet alcool, loin de déclencher la passion d’une Chartreuse, fut une agréable curiosité.
Nous avons abondamment parlé de vins, et il est agréable d’être sur un terrain de culture commune : des années comme 1911 ou 1915, si brillantes, parlent pour chacun de nous.
Bipin Desai partait ensuite organiser un de ses voyages fous de vins rares. Il a aimé cette étape où quatre vins des années « vingt », un 21, un 25, un 28 et un 29 ont permis un voyage dans le temps avec des bouteilles dont aucune n’avait vieilli.

dîner de wine-dinners au Maxence lundi, 10 septembre 2001

Dîner des amis de Bipin Desai au restaurant Maxence le 10 septembre 2001
Bulletin 15

Champagne Salon « S » 1985
Château Laville Haut-Brion 1964
Vouvray 1921 Clovis Lefèvre
Mission Haut-Brion 1975
Château Haut-Brion 1928
Grand-Chambertin 1929 Domaine Jules Régnier, Sosthène de Grévigny
Château de Fargues 1967
Maury la Courme du Roy 1925
Kummel Cusenier

DES VINS DE L’ETE jeudi, 6 septembre 2001

L’été est l’occasion de découvrir des vins différents. Il y a de belles choses en Côtes de Provence, et Rimauresq m’a séduit, particulièrement dans l’année 1990. Un vin qui à l’aveugle donnerait des sueurs à des étiquettes de renom. Oserais-je dire que mis à coté de Mouton 1983, dans le contexte de l’été, il procurait un plus grand plaisir. Mon amour pour Mouton en a souffert, car je suis un fan de Mouton, que j’aimerais voir au firmament en toutes circonstances. Un étonnant Macvin 90, ce mélange si chatoyant de vin jaune non encore formé et de marc du Jura. Il y a un petit goût de ratafia, mais c’est le marc qui domine, donnant ce plaisir fumé et si particulier que n’offrirait jamais une grappa, même de noble extraction. Un Château Chalon 66 m’a de nouveau rassuré sur l’excellence étonnante de ce vin si particulier. Sur un Comté de deux ans, quelle association magique. Que ceux qui n’ont jamais goûté Château Chalon viennent à lui, mais en faisant attention : le premier goût est un choc, une surprise !
L’été a été l’occasion de recevoir le patron d’une entreprise américaine qui vend du fromage sur le Web (José Bové n’écoutez pas !). J’ai cherché des associations avec ses fromages. Un Gewurztraminer André Lorentz SGN (sélection de grains nobles) 1989 très onctueux et liquide, un Bonnes Mares 76 d’un petit producteur, exemple parfait d’un vin qui allie le boisé de barrique avec le fruit rouge le plus juteux. Petit négociant inconnu, mais grand vin. Un Chassagne Montrachet 1947 de chez Charles Viénot était coincé, fatigué, et décevant, mais quel miracle le lendemain. Servi à des amis avec une journée de plus d’oxygénation, il était impossible d’imaginer qu’il n’était pas parfait la veille. Un magistral Banyuls des années 1890 au nez incertain mais au goût puissamment clair riche chaud chaleureux envoûtant a montré la magie qu’il y a dans ces vins de soleil, quand ils ont presque l’âge de Jeanne Calment.

LE SITE DE WINE-DINNERS jeudi, 6 septembre 2001

Le site wine-dinners est de plus en plus visité, avec régulièrement plus de 200 visites par jour, de plus de 10 minutes par visite, ce qui est énorme. Ce sont des amoureux du vin de tous pays, qui viennent voir nos jolies photos. On a même frôlé les mille visites le 30 juillet, avec 961 visites et 2056 pages consultées.

Un article des Echos jeudi, 6 septembre 2001

On revient de vacances. Sur son bureau, une pile de journaux. Les Echos, qu’on ne s’est pas fait envoyer sur le lieu de villégiature (une petite pause sur les Greenspan, Trichet et autres plans sociaux ou tribulations du CAC 40). Les Echos « week-end » du 14 juillet, ça parait obsolète quand on rentre. Mais l’oeil est attiré par un article sur Mas Amiel, cette si délicieuse propriété qui fait des vins magiques. Ce vignoble au grand potentiel fera des merveilles. Il en fait déjà. Je mettrai peut-être les produits du domaine d’Olivier Decelle au centre d’un dîner. Ce serait une bonne manière pour un vin qui a dans le passé été boudé par des amateurs ou restaurateurs un peu oublieux. Et l’équipe d’Olivier Decelle, authentique amoureux, même s’il est aussi investisseur, mérite une reconnaissance ou un encouragement. On feuillette encore, et un nouveau signal attire l’œil : un article sur le champagne Salon que l’on a servi récemment et qui fut tant apprécié. Et là, on découvre des mots aimables sur wine-dinners écrits par Jean Francis Pécresse dont les papiers sont marqués de tant de pertinence, dans une analyse sereine, hors des modes. Quelle joie d’avoir trouvé complètement par hasard cette allusion sympathique à nos dîners. Il nous appelle les « lofteurs » du vin, voulant sans doute dire que lorsque nous sommes ensemble à dîner, nous n’avons plus aucune envie de quitter la pièce où nous nous sommes enfermés !