Comme nous sommes encore en phase de présentation du concept de wine-dinners, même si nous faisons déjà des dîners, il est légitime que nous fassions quelques dîners un peu plus fous que les dîners classiques de wine-dinners. Là, nous avons réuni chez un sommelier renommé des professionnels dotés de palais d’un niveau hors du commun. Un professeur d’œnologie, qui nous a ébloui en trouvant à l’aveugle des vins que nous pensions introuvables : « l’avez-vous déjà bu ? ». Réponse : « non, mais par déduction et par recoupement, j’ai pensé que ce devait être celui-là ». L’un des plus grands sommeliers du monde, qui officie dans l’une des plus belles adresses de la capitale, et un expert en vins. Les épouses appréciant ou motivant leur conjoint pour trouver l’introuvable.
La cuisine de caractère familial donnait une harmonie parfaite, mais il y a tant à dire sur les vins que nous la passerons sous silence. Un Saint-Raphaël des années 30 a piégé nos experts sauf un. Car le quinquina, en trace au nez, a disparu en bouche, ne laissant que de merveilleux rancios aux parfums épanouis et très amples, remplissant largement et chaleureusement la bouche. Un champagne Clément Victor, petit champagne de soif, sans grand intérêt, mit en valeur –s’il en avait besoin – un Cristal Roederer 1985 au sommet de son art. Petites bulles, grande expression. C’est classique, mais comme c’est parfait, pourquoi ne pas se faire plaisir ? Sur un foie gras, et comme nous en avons pris l’habitude, c’est un Langoiran 1949 qui donne de beaux résultats. Car il y a moins de sucre que dans un Sauternes, mais il y a suffisamment de parfums. On sentait les agrumes, ce qui se mariait bien avec le gras du foie. Un Lafaurie Peyraguey 1918 permettait de constater trois choses : un Langoiran est bien plus léger, ce qui convient mieux dans certaines occasions, un Sauternes est noblement construit, et rien ne vaut un Sauternes âgé, car c’est là qu’il devient réellement ce qu’il doit être, c’est à dire une brassée large de saveurs multiples. Le Beaune du Château blanc de chez Bouchard n’est pas millésimé. Celui-ci était du début des années 60. Nous avons un faible pour ce blanc très expressif, très parfumé, très typique des beaux Bourgogne blancs. C’est une expression du blanc telle qu’on la souhaite. C’est racé et accompli. Le Montrachet 1949 de Vincent Girard, qui le suivait, avait un peu de fatigue, et malgré une race certaine, il n’avait pas ce plaisir gustatif que donnait le Beaune.
A propos de fatigue, le Pontet Canet 1870 qui a démarré le chapitre des rouges offrait une jeunesse gustative incroyable. C’est expressif, fruité, construit, et il faut se tâter pour ne pas dire qu’il date des années 60, mais d’un siècle plus tard. C’est une expérience rare, sur un vin remarquablement fait. Le Haut-Brion 1933 qui le suivait avait plus de mal à se positionner, car il est très Haut-Brion, c’est à dire dense, construit, charpenté, mais 1933 est une année difficile, qui ne donne pas cette rondeur qui le valoriserait.
Deux immenses Bourgognes ont suivi, un Nuits Cailles 1915, qui est une des valeurs les plus incroyables de notre cave tant ces vins sont chaleureux, riches, attrayants, faciles à comprendre et à boire, contrairement aux Bordeaux qui demandent de l’analyse gustative. Là on est dans l’épicurisme immédiat, avec un plaisir en bouche infini. Même chose pour le Chambertin 1919 de Joseph Drouhin, c’est la même classe de grands et riches Bourgognes, faciles et totalement satisfaisants, avec des longueurs en bouche qu’aucun vin moderne ne peut donner.
Le Monbazillac de 1919 château de Salagre est un charmant vin aux arômes variés, pour qui l’âge apporte énormément, et le Chypre 1845 constitue pour nous ce qui se fait de mieux toutes catégories confondues. C’est une explosion aromatique en bouche qui est unique, de fruits confits bien sûr, mais d’épices, et une longueur incompréhensible : elle se compte en heures. Une liqueur jaune du couvent des années 20-25, dans une merveilleuse bouteille, a permis de finir sur des notes florales un festin absolu.
Nous avons été subjugué par la qualité analytique des convives, qui ont pratiquement tout trouvé, en ajoutant leurs compétences. Il y a eu des manœuvres d’approche, puis une bonne réponse sur presque tous les vins. Seules les années étaient plus dures à trouver.
Même de grands professionnels n’ont pas l’habitude de boire des vins si anciens, et ils ont compris, avec étonnement d’ailleurs, combien l’âge améliore des vins que beaucoup pensent morts ou usés. Ils seront demain nos ambassadeurs les plus convaincus.