C’est l’anniversaire de mon ami Tomo. Ma femme et moi sommes invités chez Akiko et Tomo à dîner. Lorsque nous arrivons Tomo m’offre un verre de Champagne Krug magnum 1979 qu’il a ouvert il y a une demi-heure. Le champagne est noble mais souffre d’une amertume un peu prononcée. Mais elle disparaît extrêmement rapidement, comme par miracle. Et ce Krug nous offre sa richesse, ses complexités et une longueur quasi infinie. C’est un très grand champagne racé.
J’avais apporté pour partager avec Tomo un Château Chalon Jean Bourdy 1911. Je l’ouvre et le parfum de noix est très fort. La couleur dans les verres est ambrée et sombre. Le vin est énergique, puissant, riche de noix et pour 109 ans, il offre un dynamisme rare. Je fais faire à Tomo et aux deux autres convives l’expérience de boire le champagne, puis le vin jaune et de revenir ensuite au champagne. Le vin jaune élargit le champagne et c’est un vrai bonheur. Frédéric est un commerçant de vins anciens que j’ai connu il y a plus de vingt ans et qui a participé à mes tout premiers dîners au restaurant Maxence de David van Laer.
En cuisine Lumi et Ken s’affairent pour préparer les mets du repas. Le jambon Pata Negra Bellota 36 mois dont Lumi a patiemment enlevé le gras est superbe pour le champagne. Nous commençons à table par un bouillon de poularde façon Païtan, chou rave et zestes de yuzu vert. Ce plat délicat accueille Un Meursault Pré de Manche Domaine d’Auvenay Lalou Bize-Leroy 2000. Ce vin combine puissance et légèreté. Il est intense et imprégnant, complexe et aussi charmeur. C’est un blanc magnifique qui n’a pas la puissance des vins de la région de Puligny-Montrachet mais a la persuasion des meursaults.
Le plat suivant est un carpaccio de Saint-Jacques, coques d’Utah Beach, caviar Daurenki, Citron Caviar. On peut essayer sur ce plat les vins déjà servis et à mon sens le plus bel accord se trouve avec le Château-Chalon puis le champagne. Les coques n’étaient pas forcément utiles pour ce plat alors que les tranches de radis apportent du croquant qui renforce l’accord coquille crue et caviar. C’est délicieux.
Nous avons ensuite des tempuras de homard au Shiso rouge, sauce bisque de homard coraillé, sur lequel apparaît un Château Lafleur Pomerol 1975. Le vin est superbe, d’une folle énergie, au goût de truffe noire et de mine de crayon. Ce vin est un seigneur. A mon sens, les queues de homard sont un peu trop grosses pour être présentées en tempura et il est sans doute préférable de les servir sans le tempura. La chair du homard est divinement cuite et se suffirait à elle-même. Elle résonne avec le pomerol de bien belle façon.
Ken a cuit deux poulardes Culoiseau en croûte de sel et d’algue Kombu, girolles poêlées, riz gluant aux marrons. Il vient les découper à notre table. Leur chair est divine de tendreté sous cette cuisson. Tomo nous montre une énorme et belle truffe blanche d’Alba qui embaume d’un parfum envoûtant et qu’il disperse en fines tranches sur nos assiettes avec une extrême générosité. Il sert alors un vin de légende, le rare et fameux Château Trotanoy Pomerol 1945. L’année 1945 est celle de la plus grande réussite de Trotanoy, comme 1947 l’est pour Cheval Blanc. Le vin est grand, mais je ne trouve pas qu’il offre la légende attendue. C’est un grand vin mais j’aurais tendance à préférer Lafleur 1975 plus vif et plus expressif. Il est évident que les deux pomerols sont très grands.
Yuki Hayato, la talentueuse pâtissière du restaurant Pages, n’est pas présente mais elle a créé un dessert Opéra au chocolat d’une qualité exceptionnelle. Tomo ouvre un Champagne Salon 1999. Il est agréable mais après les autres vins beaucoup plus anciens, il a du mal à faire sa place, comme le Champagne Roederer Cuvée Cristal Roederer 2002 qu’il ouvre ensuite, même s’il offre une largeur joyeuse.
Il est assez difficile de classer des vins aussi différents mais je vais m’y risquer : 1 – Château Chalon 1911, 2 – Château Lafleur 1975, 3 – Meursault d’Auvenay 2000, 4 – Krug magnum 1979, 5 – Trotanoy 1945. Comme toujours Tomo et Akiko ont été d’une extrême générosité.
Cela fait des mois et des mois que nous cherchions une occasion de nous rencontrer, Vincent Chaperon et moi. Vincent est le successeur de Richard Geoffroy maître de chais de Dom Pérignon et j’avais été invité à la passation de pouvoir entre les deux à Hautvillers puis lors d’un dîner extraordinaire au Plaza Athénée. C’était il y a un peu plus de deux ans, à l’occasion de la sortie du Dom Pérignon 2008 qu’ils avaient créé en commun.
Au-delà du plaisir de se revoir nous avons un sujet de réflexion, le futur 250ème dîner. C’est grâce à Jean Berchon, l’un des cadres dirigeants du groupe Moët & Chandon que j’avais eu l’honneur et le plaisir d’organiser en 2008 le 100ème dîner de wine-dinners au château de Saran, demeure de réception du groupe Moët Hennessy. Ce fut un succès qui me poussa à organiser le 150ème dîner en ce beau château en 2011.
J’aurais volontiers poursuivi la séquence des chiffres en faisant le 200ème dîner au même endroit mais une massive restructuration du château qui a duré cinq ans rendait le château indisponible. Le 200ème dîner a été fait au Pavillon Ledoyen avec Yannick Alléno en cuisine et fut, lui aussi, un grand succès.
Nous allons nous retrouver Vincent Chaperon et moi au château de Saran que je découvre après sa transformation. Le chef actuel de la cuisine du château et des autres lieux de réception du groupe est Marco Fadiga que je dois rencontrer aussi. Comme il est italien j’ai pensé à apporter deux vins italiens que j’ai choisis avec l’espoir qu’il n’en connaisse aucun.
J’arrive au château une heure avant le rendez-vous prévu, afin de pouvoir ouvrir mes vins. Je suis accueilli par Emmanuel Pérignon manager du château, dont le patronyme est un heureux hasard. Il me fait visiter les importantes modifications des espaces dont une me cause une grande perplexité. La structure extérieure du château n’a pas changé, mais les bâtiments annexes ont été détruits ou transformés. On y accède par la cour d’entrée ou bien par un tunnel souterrain et la salle à manger de réception se trouve au sous-sol de ce bâtiment annexe. Alors que le château de Saran jouit d’une vue imprenable sur des dizaines de kilomètres de vignobles champenois, la salle à manger, au lieu de profiter de cette vue, sera aveugle, en sous-sol. Bien sûr elle est magnifiquement décorée, mais malgré les explications techniques qui me sont données, je suis décontenancé.
Dès mon arrivée je rejoins Marco Fadiga en cuisine et j’ouvre devant lui deux de mes trois vins. J’ouvre d’abord le Vin de l’Etoile Vins Blancs Fins du Jura 1929 en une bouteille dont le volume doit être de 50cl ou peut-être de 62,5cl sans toutefois avoir la forme d’un clavelin, mais plutôt d’une petite bouteille de Bourgogne. Le bouchon vient avec quelques brisures mais entier et sent notoirement plus fort que le vin lui-même. Il est très prometteur.
J’ouvre le vin Ciclopi Vino Etna Bianco 1968, vin blanc que je souhaite confronter à des Dom Pérignon, et j’offre au chef l’autre vin italien, Vino Rosato Di Berchidda Vini di Sardegna 1968 que j’espère boire avec lui en une autre occasion, car j’imagine volontiers qu’il y aura beaucoup de champagnes à table ce midi. Le bouchon du vin blanc italien vient lui aussi entier malgré quelques brisures qui se produisent lorsque le goulot n’est pas un cylindre parfait. Le parfum du blanc italien est d’une intensité extrême et évoque un vin jaune puissant. Voilà qui promet. Inutile de préciser que Marco ne connaissait aucun de ces deux vins de 1968.
En attendant Vincent Chaperon, je rencontre Pierre-Louis Araud, responsable des relations avec la clientèle privée, qui sera le troisième convive de notre table. Il me propose un verre de Champagne Dom Pérignon Vintage 2008 que je trouve beaucoup plus vif que ceux que j’ai eu l’occasion de boire jusqu’ici. Est-ce dû à une température idéale ou à une évolution qui épanouit le 2008, je ne sais pas. Toujours est-il que je le trouve particulièrement brillant, large et ensoleillé.
Nous quittons le confortable salon de réception pour nous rendre dans une salle à manger proche de la grande salle à manger. Nous avons conservé nos verres du 2008 absolument délicieux et convivial.
Le menu préparé par le chef avec Vincent Chaperon est : carpaccio de gambas, Pitaya / risotto N’Duja Burrata / Abgoosht d’agneau / sélection de fromages (camembert de Normandie – Comté affiné 24 mois – Beaufort affiné 12 mois – Brie de Meaux) / tarte Tatin ananas.
Le premier plat de gambas crues est prévu pour le Champagne Dom Pérignon Vintage 2010 que je goûte pour la première fois. Il est très différent du 2008. Il est romantique, gracieux, très long et surtout lisible. C’est un champagne racé qui est déjà très agréable à boire. Si le 2008 est soleil, le 2010 est plutôt fleur blanche. L’accord est subtil, en suggestions. L’idée me vient de confronter ce 2010 avec le Vin de l’Etoile Vieux Vins du Jura 1929. Ce vin du Jura est un blanc et pas un jaune, frais et long en bouche, plus puissant que le champagne. Je propose à Vincent et à Pierre-Louis de boire le champagne, boire ensuite le vin blanc et de revenir au champagne. C’est fou comme le 2010 gagne en largeur et en opulence dans cette expérience. Cela me ravit car j’aime quand champagne et vin blanc se fécondent. Le 2010 me plait énormément et le vin du Jura est un seigneur, d’une année exceptionnelle. Sa complexité est infinie. L’accord avec les gambas est pertinent.
Le risotto à la Buratta est associé au Champagne Dom Pérignon Rosé Vintage 2006. Une première bouteille a un petit défaut. Elle est vite remplacée par une autre qui montre un rosé généreux, agréable mais qui, à mon goût, manque un peu d’âge. Dom Pérignon rosé mérite d’avoir plus de vingt ans. La mâche croquante du risotto gêne un peu l’accord, même si le plat est délicieux.
J’ai envie d’essayer le Ciclopi Vino Etna Bianco 1968 avec le rosé 2006. La juxtaposition est possible même si elle n’apporte pas grand-chose aux deux compères. Le vin blanc qui a fort curieusement tout d’un magnifique vin jaune trouvera des résonnances avec les autres champagnes blancs et surtout avec les plus anciens.
Sur la délicieuse viande d’agneau, le Champagne Dom Pérignon Plénitude 2 Vintage 1996 est brillant. J’ai normalement un palais qui est fait pour les éditions originales des champagnes, plus que pour les rééditions lors de plénitudes ultérieures, mais je suis conquis par la fraîcheur vive de ce 1996 exceptionnel. Il est grand, il est vif et il est hautement gastronomique. C’est un seigneur de la table. Il justifie pleinement la démarche de créer des rééditions lors de nouvelles plénitudes. Ce champagne est un solide guerrier capable de pratiquer l’amour courtois. Il a toutes les qualités.
Le Champagne Dom Pérignon Plénitude 3 Vintage 1982 est d’une année subtile que j’adore, mais je suis moins convaincu de l’apport de la plénitude 3. Il est grand, mais sa pertinence s’impose moins à mes yeux ou plutôt à mon palais.
Le Champagne Dom Pérignon Œnothèque Vintage 1966 a une attaque qui m’impressionne mais le milieu de bouche me gêne un peu. Vincent me trouve un peu dur et il a en partie raison car le vin demandait à s’épanouir dans le verre. Il se trouve que 1966 est pour moi l’une des plus grandes réussites de Dom Pérignon et je suis heureux de l’apercevoir sur cette bouteille, même si ce n’est pas le meilleur 1966 que j’ai bu (j’ai bu 24 fois ce millésime).
Le Champagne Dom Pérignon Plénitude 3 Vintage 1990 dessine un large sourire sur mon visage. Voilà, je le tiens, c’est lui le Dom Pérignon parfait. Tout en lui est miraculeux. Il a tout pour lui. Quelle présence, quelle race, quelle joie de vivre. C’est une bénédiction. J’ai bien aimé les autres et ce n’est pas les critiquer que de dire que ce 1990 est transcendantal. C’est le Dom Pérignon parfait. Il a réussi à cohabiter avec grâce avec les deux blancs que j’ai apportés. La tarte à l’ananas est idéale pour mettre en valeur la sublime acidité de ce champagne qui m’a conquis.
Le chef est venu nous rejoindre pour que nous fassions quelques commentaires sur les orientations à donner pour un futur dîner. Sa cuisine conviendra aux exigences des vins anciens avec quelques adaptations, comme avec tous les chefs qui ont cuisiné pour mes dîners.
Classer les vins de ce repas serait difficile. Le 1990 s’impose en premier, suivi du 1996. Je mettrais ensuite à égalité le 2008, le 2010 et le vin du Jura de 1929. Ensuite je mettrais ensemble le vin de l’Etna de 1968 et le 1966.
Merci à Vincent Chaperon d’avoir choisi ces millésimes qui tous composaient un voyage dans le monde magique de Dom Pérignon. J’ai été obligé de repousser le 245ème dîner du fait des contraintes faites aux restaurants relatives à la taille maximale des tables en période de Coronavirus. Il reste à croiser les doigts pour que se tienne bientôt le 250ème dîner dans ce beau château, sans doute au printemps.
le salon d’entrée et de réception
une jolie salle à manger de petite taille
les vins que j’avais préparés dans ma cave. Celui de Sardaigne a été gardé au château par le chef, pour une prochaine rencontre. Les vins sont ouverts en cuisine
l’apéritif de bienvenue
les vins du repas
les couleurs dont celle du rosé
les vins
les vins rapportés dans ma cave et qui seront bus en famille
Malgré la mauvaise réputation que l’on donne aux réunions de famille, qui seraient des sources de contamination très fortes, nous organisons un déjeuner avec mes deux filles, et deux petites-filles. Nous serons sept. J’ai eu l’envie de faire deux confrontations de vins. J’ouvre quatre heures à l’avance deux bourgognes, chacun de l’année de naissance d’une de mes filles. Un des bouchons, celui du 1967 vient en charpie tant il s’effrite, tout en restant collé au goulot. C’est une véritable dispersion. Il faut dire que la capsule du vin est en plastique et lorsque j’ai enlevé le haut de la capsule on voit que le bouchon a dû être attaqué par de minuscules parasites, qui ont provoqué cet égrenage. Le nez à l’ouverture est absolument superbe. Le bouchon du 1974 au contraire vient entier, sans aucune difficulté. Le parfum moins fort est tout aussi prometteur.
La première comparaison se fera entre deux champagnes Salon, le 1997 et le 1999. Selon une habitude persistante, le bouchon du 1997 est impossible à retirer à la main tant il est coincé dans le goulot. Il faut un casse-noisettes pour y arriver alors que celui du 1999 vient normalement. Les deux pschitt sont de belle énergie. Les champagnes ont été ouverts deux heures avant d’être servis.
L’apéritif consiste en des gougères faites par ma femme et des palets au parmesan aussi faits par elle, qui ont embaumé la maison de bon matin. Il y a aussi un saucisson de canard, de la tête de moine et des petites galettes goûteuses apportées par les enfants.
Le Champagne Salon 1999 est très clair, comme d’ailleurs le 1997. La bulle est abondante et assez grosse. Le vin est droit et linéaire.
Le Champagne Salon 1997 a la bulle plus fine. En bouche il est vif et large, gourmand et de belle personnalité. Au premier abord, la cause semble entendue, le 1997 est plus généreux et riche que le 1999. Mais il faut regarder plus loin. Le 1999 est très précis et il me semble qu’il est à maturation plus longue que le 1997. Je pense que dans dix ans il exprimera beaucoup mieux une personnalité plus complexe et profonde. Le 1997 est brillant maintenant et va le rester longtemps. Les deux ont un bel avenir devant eux.
Le plat principal est une pièce de veau qui est entaillée de tranches de lard et de parmesan. De petites pommes de terre en robe des champs complètent le plat. Le Chambolle-Musigny Coron Père & Fils 1967 a une couleur très foncée, un niveau parfait et un parfum intense et envoûtant. Il est riche large et gourmand. C’est un Bourgogne accompli qui n’a pas d’âge tant il est à maturité idéale.
Le Pommard Grands Épenots Michel Gaunoux 1974 au niveau aussi parfait a une couleur extrêmement claire. Le parfum de ce vin de la Côte de Beaune est excitant mais moins exubérant que celui du vin de la Côte des Nuits. En bouche, le goût est à l’opposé de celui du 1967. C’est un vin de belle râpe, sans concession, dont le côté salin évoque celui des vins de la Romanée Conti. Les deux vins sont parfaits et si dissemblables qu’il est difficile de dire lequel on préfèrerait. J’ai malgré tout une tendance à aimer les vins terriens qui ne veulent pas séduire et j’ai donc un petit faible pour le Pommard, sachant que le caractère gourmand du Chambolle-Musigny le met à quasi égalité.
Il faisait soif aussi ai-je ouvert sur l’instant un Château Mouton-Rothschild 1978 absolument superbe, le jeune premier conquérant doté aussi d’une belle sagesse qui a brillé sur les fromages, surtout sur un beau chèvre, et a accompagné poliment la divine tarte aux quetsches de ma femme.
Près de sept mois sans se voir, ce déjeuner était un besoin qu’il fallait combler. Ce fut un grand bonheur.
Charles, un ami fidèle de mes dîners, a convié des amis à l’un de mes dîners. Comme pour le 244ème dîner, ce dîner était prévu au deuxième trimestre 2020 et a dû être reporté au deuxième semestre, confinement oblige. Le dîner sera la semaine prochaine. Charles a envie de partager une belle bouteille avec moi au restaurant Lucas Carton. Il me suggère d’apporter un de mes vins. Nous nous retrouvons à deux dans le magnifique décor de Majorelle.
Charles a prévenu le chef Julien Dumas de notre présence et convenu avec lui que le menu serait fait en fonction des vins. Nous prenons un des champagnes servis au verre qui est un Champagne Pommery Cuvée Louise 2004. Il est extrêmement confortable. Droit, simple et lisible il offre un charme et une sérénité bien sympathiques.
Nous ne saurons rien à l’avance du repas, dont voici le menu : amuse-bouche à l’étrille / amuse-bouche au champignon et calamar / maigre, poire et moutarde / thon rouge, prune / Culoiselle, tournesol, pourpier / chocolat vinaigre / petits fours.
J’ai apporté une bouteille que je chéris particulièrement, un Corton-Charlemagne Jean-François Coche-Dury 2003. La couleur du vin est très claire, presque verte de jeunesse. Le parfum est un envoûtement. Il est si complexe et si fort. En bouche, le choc est extrême. On se sent projeté au Paradis. Ce vin est la perfection même, malgré sa jeunesse, car il offre des complexités infinies. Il y a des notes de citron de Menton, d’eau fraîche de montagne qui rebondit sur des pierres rondes, des touches de soleil et ce sentiment qu’il hésite entre joie profonde et stricte retenue. Il est insaisissable et si plein. Il est à l’aise avec tous les plats, devenant très large sur les champignons, et tranchant sur le thon. Ce vin parfait est un miracle.
L’un des sommeliers que je connais depuis des années m’a reconnu, ce qui a permis de discuter de la préparation du Chambertin Domaine Armand Rousseau 2015. J’ai souhaité que la bouteille ne soit ouverte qu’au moment où le vin doit entrer en scène, pour que nous profitions de l’éclosion du vin dans nos verres. C’est ce qui fut fait. Le résultat me plait énormément, car aux premières gorgées, le vin est fragile, délicat, subtil et ce n’est que plus tard qu’il s’élargit. Et ces premiers moments sont divins.
Le vin est grand, aux muscles longs comme ceux d’un coureur de marathon. Il est brillant, conçu pour un avenir radieux mais déjà joyeux et généreux. Toutes ses subtilités sont cohérentes. Il est fin et tranchant, avant de s’élargir et offrir une palette large. La poularde est divine pour le vin.
Nous avons goûté deux des vins phares de la Bourgogne, faits par des vignerons parmi les plus grands des plus grands. Chaque gorgée était un régal de raffinement.
Dès la première bouchée des petites préparations d’amuse-bouche, on sait que le chef a du talent. Tous les plats sont cohérents, même lorsqu’ils sont très osés comme les champignons présentés avec de fines tranches de calamar. Il y avait du raifort avec le maigre, et ça se concevait. Je crois n’avoir pas souvent vu un tel esthétisme dans le choix des assiettes qui portent les plats. Les subtiles couleurs sont idéales pour chacun des plats. Cette cuisine intelligente est aussi une cuisine de goût.
Julien Dumas est venu s’asseoir à notre table en fin de repas. Je lui ai dit que sa cuisine a beaucoup de points communs avec celle du Clos des Sens de Laurent Petit. C’est évidemment un compliment. Dans ce lieu chargé d’histoire nous avons passé un déjeuner de grande qualité dans une ambiance amicale et avec des vins d’exception.
Depuis le début du confinement, il y a presque six mois et demi, une de mes petites-filles est la seule de nos six petits-enfants que nous ayons reçue. Aujourd’hui enfin, c’est le premier déjeuner de famille avec ma fille cadette et ses deux enfants. C’est important que la vie familiale reprenne.
L’apéritif consiste en Cecina de Léon, Pata Negra, une rillette et une délicieuse terrine, des têtes de moines, des crackers et des amandes. Le Champagne Mumm Cuvée René Lalou magnum 1979 avait été ouvert il y a un peu plus d’une demi-heure et avait offert un pschitt significatif, même si discret. Le bouchon est d’une grande beauté, au cylindre parfait. La couleur du champagne est d’un or très clair, beaucoup plus jeune que ce que son âge offrirait normalement. Le premier mot qui vient à l’esprit est « épanoui ». Ce champagne est brillant, large, confortable et je ressens pleinement l’influence du format de la bouteille. Le format magnum donne de la largeur et de la sérénité. C’est un très grand champagne que nous buvons, gastronomique et vif, de forte personnalité. A table, le champagne accompagne la tarte aux oignons. Le caractère sucré de l’oignon convient bien au champagne qui devient plus vif.
Pour le poulet, je sers un Châteauneuf-du-Pape « Le Père Caboche » Théophile Boisson 1943. Le vin a été ouvert quatre heures avant d’être servi. Il est d’une belle couleur foncée, jeune. Son nez est très engageant et en bouche, il est d’un charme rare. Il est impossible d’imaginer qu’il a 77 ans tant il est vif et plein. C’est un vin équilibré, gourmand, riche. Un véritable plaisir. Alors qu’il est résolument rhodanien, je lui ai trouvé parfois des accents bourguignons. Il a une persistance en bouche remarquable. Il accompagne aussi un camembert et un comté d’aimable façon.
N’ayant pas de mangues disponibles, ma femme a préparé des pamplemousses roses en suprêmes. Le Château de Fargues Sauternes 1950 avait attiré mon attention car il a une couleur incroyablement foncée pour ce millésime. A l’ouverture, le vin avait offert il y a plus de cinq heures un parfum d’une rare délicatesse. La première impression est qu’il a « mangé » une partie de son sucre, mais on ressent qu’existe encore le gras qu’offre un sauternes généreux. Lorsqu’il est servi, la couleur dans le verre est d’un bel or beaucoup plus clair que sa couleur en bouteille. Le nez combine le sec et l’onctueux. En bouche c’est un régal. C’est probablement une des formes les plus abouties du sauternes car son élégance est impressionnante. Il est magnifiquement équilibré, entre le vif et le gras. Les pamplemousses roses l’excitent sans le rétrécir. C’est un régal.
Un moelleux au chocolat préparé par ma femme selon une recette de Pierre Hermé est dégusté sans vin. Les trois vins de ce repas se sont montrés au sommet de leur art. Tant mieux.
Le 244ème dîner de wine-dinners se tient au restaurant Taillevent. Le menu a été élaboré il y a trois jours avec le directeur, le chef et la responsable de la sommellerie. Dès 16 heures, je suis sur place pour ouvrir les vins du dîner. La table a été dressée, d’une taille plus grande qu’à l’accoutumée, pour permettre une distanciation covidienne. Il doit y avoir un phénomène météorologique particulier puisque la majorité des bouchons sont sortis en lambeaux, certains étant particulièrement difficiles à lever, parce que le cylindre intérieur du goulot est resserré en haut de bouchon, ce qui rend impossible de lever sans déchirer.
Les odeurs sont toutes rassurantes. Les plus belles sont celles du Meursault 1960, du Rauzan-Gassies 1921, du Richebourg 1971, de l’Hermitage 1952 et du Vega Sicilia Unico de la décennie 60. Le Rauzan Gassies a connu un accident de bouchon, car lorsque j’ai pointé le tirebouchon, le bouchon a été comme aspiré vers le bas. Il est tombé dans le vin. Heureusement Anastasia, chef sommelière, a utilisé un outil pratique qui lui a permis d’extirper le bouchon. Cet épisode n’a eu aucune incidence sur le vin comme on le verra dans les votes.
Eric, commanditaire de ce dîner, a invité dix personnes de ses amis ou relations professionnelles. Il avait participé au déjeuner préparatoire. Il me rejoint pendant la séance d’ouverture des vins. Lors de la séance de préparation du menu, nous avions eu un petit différend, Jocelyn Herland le chef et moi, car Jocelyn défendait la fourme d’Ambert pour l’accord avec les sauternes, alors que je défendais le stilton. Je suis donc allé en cuisine saluer le chef et je lui ai proposé que nous comparions ces deux fromages en prélevant un peu du Bastor La Montagne 1929. L’expérience faite lorsque tous les vins ont été ouverts montre clairement que la fourme est trop puissante et heurte le sauternes alors que le stilton crée une continuité qui donne de la longueur au sauternes et le prolonge. Eric et Anastasia ont pu le vérifier eux aussi. Il nous reste du temps avant l’arrivée des invités aussi je propose à Eric de boire un champagne. Ce sera un Champagne Agrapart Minéral Blanc de Blancs 2005 dégorgé en 2013. Cet extra-brut provenant de vieilles vignes d’Avize a une vivacité et une personnalité qui sont impressionnantes. Il arrive même à accompagner sans faiblesse aussi bien la fourme que le stilton, l’accord se trouvant plus sur la fourme. C’est un champagne qui a besoin de se confronter à des mets pour exprimer sa noblesse.
Alors que nous devisons, Eric et moi, une jeune et jolie femme dont la beauté est cachée par un masque entre dans le salon et nous propose de descendre dans une des salles du restaurant, car elle présente des champagnes à un groupe de personnes qui ont demandé une dégustation. C’est Charline Drappier qui fait déguster les champagnes de la maison Drappier. Nous nous joignons au groupe et goûtons un brut sans année et un millésimé de la maison Drappier. J’avais rencontré Charline lorsqu’elle présentait des champagnes de sa maison qui avaient été immergés en mer pendant un an.
Nous remontons et les convives sont tous à l’heure. Nous sommes douze dont onze hommes et la femme d’Eric. Pour des raisons de Covid l’apéritif se prend assis. Le Champagne Bollinger Grande Année magnum 1989 avait été ouvert une heure avant. La bulle est très fine, la couleur très claire. Pour beaucoup, le goût de ce champagne de 31 ans est une heureuse découverte. Il est vif, rond, large et se marie bien aux gougères. Des trois petits amuse-bouches, c’est la petite tartelette à l’épeautre qui lui convient le mieux.
Le menu créé par le chef Jocelyn Herland est : gougères et mises en bouche / langoustines en consommé / daurade, champignons de Paris, sauce matelote / foie gras poché au bouillon / canard colvert sauce salmis en deux services / stilton affiné / cheesecake à la mangue.
Sur la langoustine se présentent deux blancs. Le Bourgogne Blanc domaine Comte Georges de Vogüé 1994 est en fait le Musigny que le domaine n’a pas nommé Musigny tant que les vignes replantées n’ont pas atteint un âge suffisant. Le Musigny se doit d’être « Vieilles Vignes ». Le vin est droit, strict, fort, mais il a du mal à soutenir la confrontation avec le Meursault du Château de Meursault maison de Moucheron négociant 1960. Le parfum de ce vin est incroyable de persuasion. Le vin est riche, ample et complexe et se marie divinement avec la langoustine parfaitement cuite, plus qu’avec le bouillon. La palette de ses arômes est impressionnante.
La daurade accueille deux bordeaux. Le Château Camensac Haut-Médoc 1928 est presque clairet, en contraste fort avec le Château Rauzan-Gassies Margaux 1921 à la couleur noire d’encre. Le margaux a un parfum envoûtant où la truffe abonde. Le Camensac s’il était servi seul aurait pu nous charmer tant il est féminin et subtil, mais le Rauzan-Gassies est si envoûtant et parfait, riche guerrier, qu’on succombe à son pouvoir magnétique.
Le plat suivant est une double audace. C’est de présenter ensemble un grand bordeaux et un grand bourgogne, et de les goûter avec un foie gras poché servi sans son bouillon. Le Pétrus Pomerol 1967 est un très beau Pétrus, orthodoxe, mais peut-être un peu trop bon élève, et pas assez canaille. Il est bon, avec ses notes de truffe, mais il n’explose pas. Alors qu’à côté de lui se présente un immense Richebourg Charles Noëllat 1971. Ce vin est à se damner tant il explose de complexités. C’est la Bourgogne glorieuse d’une incroyable intensité qui me conquiert. Quel grand vin. Le foie gras poli avec le Pétrus se marie avec bonheur au Richebourg. Je crois que ce Richebourg fait partie des plus grands bourgognes que j’ai bus.
Le canard cohabitera avec deux vins du Rhône. Le vin d’Espagne apparaîtra sur le deuxième service du canard. L’Hermitage Monier de la Sizeranne M. Chapoutier 1952 est une surprise au moins aussi grande que celle du Richebourg. Ce vin est d’une jeunesse incroyable alors qu’il a 68 ans. Il est riche, joyeux, facile à vivre mais aussi complexe et la Côte Rôtie La Mouline Guigal 1973 est un peu trop discrète à ses côtés. C’est un bon vin, mais pas flamboyant.
Le Vega Sicilia Unico Reserva Especial (produit en 1975 sur base de 1962, 1964 et 1968) a un superbe parfum et des notes de folle jeunesse. Il est mature, bien sûr mais comme un cinquantenaire bondissant. J’ai hésité au moment des votes pour la deuxième place entre l’Hermitage et le Vega. J’avais mis d’abord l’Hermitage puis corrigé au profit du Vega. Les deux sont des vins exceptionnels.
Le Château du Breuil Beaulieu Coteaux du Layon 1922 est un Coteaux du Layon très subtil, discrètement doux, et agréablement gastronomique. Sa délicatesse est extrême. A côté de lui, le Château Bastor La Montagne Sauternes 1929 à la couleur très foncée dans la bouteille mais d’un or solaire dans le verre, est un superbe sauternes qui a un peu « mangé » son sucre mais offre aussi un gras agréable. C’est un sauternes racé et de belle longueur. L’accord avec le stilton est évident et se trouve bien aussi avec le délicieux cheesecake.
C’est le moment des votes. Les douze participants votent pour leurs cinq vins préférés. Tous les vins ont eu au moins un vote ce qui me comble d’aise. Cinq vins ont été nommés premiers : le Richebourg 4 fois, l’Hermitage 3 fois, le Meursault et le Rauzan-Gassies 2 fois et le Vega Sicilia une fois.
Le classement global est : 1 – Richebourg Charles Noëllat 1971, 2 – Hermitage Monier de la Sizeranne M. Chapoutier 1952, 3 – Château Rauzan-Gassies Margaux 1921, 4 – Meursault du Château de Meursault de Moucheron 1960, 5 – Vega Sicilia Unico Reserva Especial (base de 1962, 1964 et 1968), 6 – Pétrus Pomerol 1967.
Mon classement est : 1 – Richebourg Charles Noëllat 1971, 2 – Vega Sicilia Unico Reserva Especial (base de 1962, 1964 et 1968), 3 – Hermitage Monier de la Sizeranne M. Chapoutier 1952, 4 – Meursault du Château de Meursault 1960, 5 – Château Bastor La Montagne Sauternes 1929. J’aurais volontiers ajouté le Rauzan-Gassies, si belle surprise.
Jocelyn Herland a fait une cuisine très adaptée aux besoins des vins anciens, en privilégiant la lisibilité des plats. C’est tout à son honneur. Le service des plats et le service des vins ont été à la hauteur de la réputation du Taillevent. Je suis heureux que les convives aient pu constater sur chacun des vins la pertinence de ma méthode d’ouverture des vins qui permet à chaque vin d’être servi sur table dans un état de plénitude absolue. Ils ont été souvent subjugués de constater que des vins très anciens peuvent être aussi jeunes. L’atmosphère du dîner fut particulièrement chaleureuse et nous a conduits au-delà d’une heure du matin. Ce fut un grand dîner.
Champagne Bollinger Grande Année magnum 1989
Bourgogne Blanc domaine Comte Georges de Vogüé (Musigny) 1994
Meursault du Château de Meursault Hospices du Beaune 1960
Château Camensac Haut-Médoc 1928
Château Rauzan-Gassies Margaux 1921
Pétrus Pomerol 1967
Richebourg Charles Noëllat 1971
Hermitage Monier de la Sizeranne M. Chapoutier 1952
Côte Rôtie La Mouline Guigal 1973
Vega Sicilia Unico Reserva Especial (produit en 1975 sur base de 1962, 1964 et 1968)
Château du Breuil Beaulieu Coteaux du Layon 1922
Château Bastor La Montagne Sauternes 1929
les bouteilles rangées pour leur ouverture au restaurant Taillevent
après ouverture, nous goûtons avec le chef le Sauternes et une fourme d’Ambert et un stilton
With my wife, we are back in the Paris region. The garden has suffered, plants are under hydration while televisions show areas devastated by torrential rains. Climate madness joins the madness of government instructions to deal with the pandemic. The world is nervous.
Just after the day of our arrival, I have lunch at the Taillevent restaurant to prepare the menu for the 244th dinner which will be held there in four days. It was a dinner that was scheduled for March, just a week after Covid lockdown began. It is planned this week. The Taillevent restaurant having a new chef, Jocelyn Herland, who has worked in great restaurants, including Le Meurice, I want to study his cuisine to prepare with him the menu for the next dinner.
In my mind, I was considering having lunch alone. An organizer of trips to France for foreigners wanted to meet me. Why not have lunch together? A regular at my dinners wanted to see me again after these months of barrier distances, why not include her in this lunch? The instigator of the 244th dinner having known that I was making this lunch of exploration of the chef’s cuisine asks me if he can follow my step, why not be four instead of one? The table is set up.
I arrive at the restaurant at 10:30 am to open the wines I have planned for lunch, which also allows me to deliver the wines for the dinner which will be held four days later. By the way, I note that the discipline of wearing a mask is very strongly respected. The opening of the wines is done without my usual tools but with less efficient backup tools. The corks do break, but I manage to collect the crumbs and broken pieces without them falling in the wines. The openings being made, I have time to go and greet the members of the Pages restaurant teams, all smiling and ready to bring Parisian gastronomy back to life.
The lunch table at the Taillevent restaurant is taking shape and we start with a Bérêche & Fils Champagne, Les Beaux Regards Chardonnay disgorged in 2012. The champagne arrives a little warm and, oddly enough, this does not take away the slightest hint of its charm. The nose is intense and marine. The word that comes to mind is: « wild » followed by the word « salt ». This champagne is extremely tense, with a rare personality. Anastasia who brought it from the cellar tells me this is the last bottle of this date of disgorgement. We feast on this vibrant and authentic champagne, marine and salty but above all « wild ». I have an idea that this champagne could advantageously cooperate with the white wine that I brought, the Coulée de Serrant Savennières Madame A. Joly 1970. It is one of the five white wines crowned by Curnonsky, the Prince of Gastronomes, a wine that improves dramatically with age. Its color is pronounced honey, its scent is noble and the purity of its message is extreme. It takes you to territories of tastes that are seldom explored. Drunk alone he is lively and noble. It will change little when paired with champagne, whereas champagne on the other hand becomes much larger when drunk right after Loire wine.
The gougères are as good as ever, the artichoke leaf accompanied by a little cream is ideal for Madame Joly’s wine, while the crunchy little tart goes better with champagne.
We order all different dishes so that I can nibble at other guests’ dishes to get an idea of Jocelyn Herland’s cuisine. My menu will be: wild mushrooms, chestnuts and watercress / breast of lamb Allaiton, artichokes, bulgur and sweet spices. The friends will take lobster sausages, foie gras, a filet of Saint-Pierre and a mallard duck, dishes in which I will take samples at the source, as Bercy does with our taxes. Clos de la Coulée de Serrant is a perfect accompaniment to mushrooms and rather well to lobster. It is a strict wine, of great dignity, which appeals to the intellect to be fully enjoyed. He is tall.
I opened a 1964 Aloxe-Corton Charles Viénot three hours ago. The nose at the opening was a bit ungrateful and uncertain. It is now glorious and much more potent than one would expect from its appellation. The wine is rich and wildly Burgundian, as wild as champagne was earlier. I love this expression of Burgundy, peasant, earthy, with harsh evocations. It is divine on the remarkably executed lamb back.
For dessert, I brought a Tokaji Aszu Eszencia 1988. At first glance, the crêpe Suzette is not the spontaneous friend of this wine, but we choose this dessert, for pure greediness. And the harmony happens to be between the acidity of the orange and the indecent mellowness of this lustful beverage. This Tokaji is pure happiness.
Discussions went well between the four of us, none knowing all the other three. It was a cheerful lunch. The wines, all different, were brilliant. My heart will go to Aloxe-Corton, whose glass with the very concentrated bottom of the bottle has proved to be of exciting richness.
Immediately afterwards, with Baudoin Arnould the director, Jocelyn Herland the chef and Anastasia, head of the sommellerie, we put together the menu for the next dinner. We each have different backgrounds and different tastes but we have come to a synthesis that I hope promises a nice 244th dinner.
(the pictures of this lunch can be seen accompanying the report in French, just below)
Nous sommes de retour en région parisienne. Le jardin a souffert, des plantes sont en sous hydratation alors que les télévisions montrent des régions dévastées par des pluies diluviennes. La folie climatique rejoint la folie des instructions gouvernementales pour gérer la pandémie. Le monde est nerveux.
Dès le premier jour suivant notre arrivée, je vais déjeuner au restaurant Taillevent pour préparer le menu du 244ème dîner qui se tiendra en ce lieu dans quatre jours. C’est un dîner qui était prévu en mars, juste une semaine après le début du confinement. Il est reporté cette semaine. Le restaurant Taillevent ayant un nouveau chef, Jocelyn Herland, qui a officié dans de grandes maisons, dont le Meurice, je souhaite étudier sa cuisine pour préparer avec lui le menu du prochain dîner.
Dans mon esprit, j’envisageais de déjeuner seul. Un organisateur de voyages en France pour des étrangers souhaitait faire ma connaissance. Pourquoi ne pas déjeuner ensemble ? Une habituée de mes dîners souhaitait me revoir après ces mois de distances barrières, pourquoi ne pas l’intégrer dans ce déjeuner ? L’instigateur du 244ème dîner ayant su que je faisais ce déjeuner d’exploration de la cuisine du chef me demande s’il peut suivre ma démarche, pourquoi ne pas être quatre au lieu d’un ? La table est constituée.
J’arrive au restaurant à 10h30 pour ouvrir les vins que j’ai prévus pour le déjeuner, ce qui me permet aussi de livrer les vins du dîner qui aura lieu quatre jours plus tard. Au passage, je constate que la discipline du port du masque est très fortement respectée.
L’ouverture des vins est faite sans mes outils habituels mais avec des outils de secours moins performants. Les bouchons se brisent, mais j’arrive à récupérer les miettes et brisures, sans qu’elles ne tombent. Les ouvertures étant faites, j’ai le temps d’aller saluer les membres des équipes du restaurant Pages, tout souriants et prêts pour faire revivre la gastronomie parisienne.
La table du déjeuner au restaurant Taillevent se forme et nous commençons par un Champagne Bérêche & Fils, Les Beaux Regards Chardonnay dégorgé en 2012. Le champagne arrive un peu chaud et fort curieusement cela n’enlève pas le moindre soupçon de son charme. Le nez est intense et marin. Le mot qui me vient à l’esprit est : sauvage suivi du mot sel. Ce champagne est d’une tension extrême, avec une personnalité rare. Anastasia qui l’a apporté de cave me dit que c’est la dernière bouteille de ce dégorgement. Nous nous régalons avec ce champagne vibrant et authentique, marin et salé mais surtout « sauvage ».
J’ai idée que ce champagne pourrait avantageusement coopérer avec le vin blanc que j’ai apporté, la Coulée de Serrant Savennières madame A. Joly 1970. C’est un des cinq vins blancs couronnés par Curnonsky, le Prince des Gastronomes, vin qui se bonifie spectaculairement avec l’âge. Sa couleur est d’un miel prononcé, son parfum est noble et la pureté de son message est extrême. Il emmène sur des territoires de goûts que l’on explore peu souvent. Bu seul il est vif et noble. Il changera peu lorsqu’il est associé au champagne alors qu’à l’inverse le champagne devient beaucoup plus large lorsqu’il est bu juste après le vin de Loire.
Les gougères sont toujours aussi bonnes, la feuille d’artichaut accompagnée d’une petite crème est idéale pour le vin de madame Joly alors que la petite tarte croquante se plait plus avec le champagne.
Nous commandons des plats tous différents afin que je puisse picorer dans les plats des autres convives pour me faire une idée sur la cuisine de Jocelyn Herland.
Mon menu sera : champignons sauvages, châtaignes et cresson / dos d’agneau Allaiton, artichauts, boulgour et épices douces. Les amis prendront des boudins de homard, du foie gras, un filet de saint-pierre et un canard colvert, plats dans lesquels je ferai des prélèvements à la source, comme le fait Bercy.
Le Clos de la Coulée de Serrant accompagne magistralement les champignons et plutôt bien le homard. C’est un vin strict, de grande dignité, qui fait appel à l’intellect pour qu’on en profite pleinement. Il est grand.
J’ai ouvert il y a trois heures un Aloxe-Corton Charles Viénot 1964. Le nez à l’ouverture était un peu ingrat et incertain. Il est maintenant glorieux et beaucoup plus puissant que ce qu’on attendrait de son appellation. Le vin est riche et follement bourguignon, sauvage comme l’était le champagne tout à l’heure. J’adore cette expression de la Bourgogne, paysanne, terrienne, aux évocations rudes. Il est divin sur le dos d’agneau remarquablement exécuté.
Pour le dessert, j’ai apporté un Tokaji Aszu Eszencia 1988. A priori la crêpe Suzette n’est pas l’amie spontanée de ce vin mais nous choisissons ce dessert, par pure gourmandise. Et l’accord arrive à se trouver entre l’acidité de l’orange et le moelleux indécent de ce breuvage lascif. Ce Tokaji est du bonheur pur.
Les discussions sont allées bon train entre nous quatre, aucun ne connaissant les trois autres. Ce fut un déjeuner enjoué. Les vins, tous différents se sont montrés brillants. Mon cœur ira à l’Aloxe-Corton dont le verre comportant le fond de la bouteille, très concentré, s’est révélé d’une richesse enthousiasmante.
Juste après, avec Baudoin Arnould le directeur, Jocelyn Herland le chef et Anastasia, responsable en chef de la sommellerie, nous avons bâti le menu du prochain dîner. Nous avons chacun des parcours distincts et des goûts différents mais nous sommes arrivés à faire une synthèse qui j’espère promet un beau 244ème dîner.
Un magazine veut faire un article sur ma façon de penser et de gérer une collection de vins. Un journaliste m’appelle et propose de me rencontrer dans le sud. Compte-tenu de ses horaires de trains, je l’invite à déjeuner dans ma maison du sud. Je ne le connais pas et je ne sais rien de ses goûts.
Il faut un repas qui convienne à tous les goûts possibles et des vins sûrement bons et faciles à comprendre, ce qui ne veut pas dire que les vins ne seront pas complexes.
Pour l’apéritif nous aurons des olives de Kalamata, des dés de mimolette, une rillette de maquereau sur du pain. Le Champagne Henriot Cuvée des Enchanteleurs 1998 a une jolie couleur de blé d’été. La bulle est active et le pschitt discret est sympathique. Dès la première gorgée on ressent que ce champagne est accueillant, équilibré, ouvert et très agréable à boire. Les olives lui donnent une tension supplémentaire et le rendent très vif, alors que la mimolette n’apporte pas de valeur ajoutée.
Nous passons à table et sur un goûteux et typé foie gras en tranches l’accord avec le Henriot est d’un classicisme parfait. Le champagne est gourmand et joyeux.
Pour le poulet accompagné d’un gratin de pommes de terre, j’ouvre sur l’instant un Châteauneuf-du-Pape Domaine du Pégau 2007. Je veux montrer la procédure d’ouverture des vins anciens, mais le bouchon est tellement serré dans le goulot que je ne peux pas tirer avec ma mèche. Il faut utiliser le levier du tirebouchon limonadier. Le vin très foncé est d’une densité extrême. Il est riche, fringant, d’une longueur infinie et en même temps il est accueillant, facile à vivre et cohérent. Avec le poulet, il joue sur du velours. Nous avons pu vérifier que l’ouverture au dernier moment offre sur le premier tiers de la bouteille une vibration délicate et ciselée, alors qu’à la suite, le vin devient plus opulent et construit. J’aime les éclosions des vins jeunes.
J’avais choisi pour le fromage un époisses et un fromage au lait de chèvre recouvert de fleurs comestibles qui m’est inconnu. En les regardant, je sens que ce sera le chèvre qui conviendra et effectivement l’accord est subtil et frais, alors que l’époisses rend le vin un peu pataud. Le vin du Rhône est d’un charme extrême et d’une densité remarquable. C’est un pur plaisir.
Le dessert est une salade de fruits qui n’appelle aucun vin. Nous avons longuement discuté, le journaliste étant très intéressé à comprendre par quel cheminement le désir d’une collection a pu naître. Ce fut un déjeuner sympathique et les vins que j’avais choisis ont parfaitement joué le rôle que j’imaginais.
Des amis nous rendent visite. Ma femme, qui avait adoré la cuisine d’Alexandre Mazzia, a envie de cuisiner en reproduisant le lait fumé qu’elle avait aimé. Elle veut l’associer à du cabillaud. Souvent, sur du cabillaud, je sers un vin rouge. Mais avec du lait fumé, que faire ? Aussi, la veille de l’arrivée des amis, ma femme a préparé des langoustines cuites à la perfection, avec du lait fumé qui a été fait en infusant du lard fumé dans le lait pendant des heures. Immédiatement j’ai pensé à un Clos de la Coulée de Serrant.
A l’apéritif, nous partageons un délicieux cou d’oie farci et des chips à la truffe. Le Champagne Pommery 1989 à l’ouverture avait produit un pschitt particulièrement dynamique. Le bouchon est beau. La robe est d’un or encore clair et la bulle est présente mais discrète. Le champagne est généreux, accueillant, complexe mais gourmand. Il forme avec le cou d’oie un accord superbe. C’est un très beau champagne. J’avais ouvert il y a peu un Pommery 1964 majestueux. Celui-ci à 31 ans montre une belle vivacité et une acidité charmante. C’est un grand champagne d’une belle année épanouie.
L’entrée est de dés de coquilles Saint-Jacques sur une crème de basilic et une crème de tomate très douce. La tomate n’est généralement pas l’amie des vins. Le Clos de la Coulée de Serrant Madame A. Joly Savennières 1976 a un bouchon dont le bas est imbibé et se brise à la montée. Le niveau est parfait. La couleur du vin est superbe d’un or très clair, comme celle d’un vin jeune. Le nez est intense. En bouche le vin est magique. Il a une acidité marquée, mais il a des intonations solaires d’été. Avec la crème à la tomate, l’accord est inouï. Ce vin qui faisait partie des cinq plus grands vins blancs français de Curnonsky est dans une forme éblouissante. Jusqu’alors, je considérais que le plus grand était le 1967 fait par la mère de Nicolas Joly, mais là, je suis ébloui par ce vin que je mettrais en tête du classement des Savennières de la famille Joly. Alors que ce vin est assez strict, il arrive sur le cabillaud très typé à devenir gourmand. L’accord se trouve grâce au lait fumé qui se confronte à l’acidité du vin.
Nous avons conclu le repas sur une tarte aux quetsches. La Coulée de Serrant a illuminé ce beau repas.