Bourgogne Aligoté et les Peulons lundi, 4 mai 2020

Lors de mes rangements j’ai trouvé une bouteille si curieuse que je ne résiste pas au plaisir de la raconter. C’est un Bourgogne Aligoté, appellation contrôlée, Sélection des Peulons, Sté Poinsot & Fils – Vermenton 1964.

Le texte qui accompagne le dessin est : « à la nuit tombante, alors qu’ils s’étaient portés en masse, malgré la pluie, à l’entrée du village dans l’espoir d’assister au passage du régiment du 6ème Lanciers, les habitants crurent être récompensés de leur longue attente en voyant un mouvement se dessiner à l’horizon… lorsqu’un éclaireur revint en criant : « c’est pas le 6ème, c’est les lanciers Peulons » (vignerons chargés de leurs instruments, au retour des travaux) ».

Et l’on voit sur le dessin un groupe de gens qui se promènent et qui voient à l’horizon un autre groupe qui n’est pas le régiment attendu mais des vignerons.

C’est assez étonnant et sur Google, la définition des Peulons n’est pas donnée, alors que le mot est utilisé. J’adore ces énigmes.

un lecteur du blog a apporté ces précisions :

PEULONS : nom des vignerons de la région d’Auxerre qui retournaient la terre avec une pelle-bêche (une peule)

Si plus au sud on parle de paulée, à Chablis, on parle de « peulée »!

https://www.chablis.fr/decouvrez/des-traditions-bourguignonnes/la-peulee/la-peulee,1241,6985.html?

Chambertin 1934 lundi, 4 mai 2020

Continuant à ranger ma cave, je trouve plusieurs bouteilles d’un même vin qui ont des niveaux très bas. Il convient de faire un rapide retour en arrière. Il y a plus de 25 ans, Une vente aux enchères a été organisée pour la première fois en simultanéité entre Paris et New York, avec peut-être une autre capitale. C’est Pierre Cardin qui vendait une partie de la cave du restaurant Maxim’s. Il y avait eu un tapage médiatique qui me faisait supposer que les prix seraient stratosphériques. Malgré cela, pour voir, j’ai remis des ordres aux commissaires-priseurs. Les prix ont effectivement dépassé les valeurs de l’époque, notamment pour des Mouton 1945, et malgré tout, j’ai obtenu un lot de 12 bouteilles de Chambertin Charles Viénot 1934. Les premières que j’ai bues m’ont beaucoup plu car Charles Viénot était un des grands vignerons de l’époque. Depuis que j’ai une autre cave, je me suis moins soucié de la cave « maison » et les 1934 qui restent ont des niveaux bas. J’en prends un pour le boire ce soir. C’est sans illusion.

Le bouchon se déchire en des centaines de petits morceaux car, comme cela arrive avec des flacons anciens, le cylindre du goulot n’est pas régulier et l’extraction déchire le bouchon. Le parfum du vin est incertain. Il n’y a pas de nez de bouchon, mais on ressent quelque chose d’assez plat. Je n’attends pas trop de miracles, mais quatre heures d’aération peuvent changer les choses.

Au moment du repas le parfum est assez neutre, mais pas rebutant. L’attaque en bouche est extrêmement charmante et donne un fruit que je n’attendais pas aussi présent. Le finale du Chambertin Charles Viénot 1934 n’a pas une totale précision mais au global le vin me plait et me donne envie de le boire.

Curieusement un petit goût de bouchon apparaît, qui n’était pas perceptible jusqu’alors, mais sans conséquence sur le goût, si ce n’est un peu de sécheresse. Mais je suis heureux et j’ai envie de boire toute la bouteille. Ce vin me fait penser à Serge Gainsbourg. Il n’est pas beau, mais il a beaucoup de charme. Et en fin de compte je l’aime et je le bois jusqu’à la lie, peu épaisse. Je n’aurai peut-être pas toujours autant de chance avec des vins qui ont perdu autant de volume.

Chambertin 1929 samedi, 25 avril 2020

Pour le dîner d’anniversaire, ma femme a prévu un poulet et des oignons fourrés cuits au four. Et je finirai un saint-nectaire. J’étais descendu en cave hier. J’avais en tête d’ouvrir un Château Latour 1934 qui demande urgemment qu’on l’ouvre, mais ayant oublié le livre de cave, je tâtonne et je prends en main, par curiosité, une bouteille qui immédiatement me dit : « ce sera moi ». Il s’agit d’un Chambertin Coron Père & Fils 1929. La bouteille est très lourde, le cul est profond avec une petite boule. Tout indique qu’il s’agit d’une bouteille très ancienne de réemploi.

Me vient alors un souvenir qui conforte ma décision de prendre ce vin. Au 31 décembre 1999, à 23h55, j’ai servi à table pour le réveillon un Musigny Coron Père & Fils 1899 pour que l’on passe ce changement d’année avec un vin de juste 100 ans. Ce passage est extraordinaire puisque c’est la seule année de toutes nos vies que le millésime, en changeant, change aussi chacun de ses quatre chiffres, aucun n’étant commun avec ceux de l’autre année. C’était aussi à ce moment que tous les ordinateurs devaient s’arrêter, dans une peur comme celle de l’an 1000 (mais pas pour les ordinateurs…). Ce 1929 que je prends en main est vraiment la bouteille qu’il faut pour mon anniversaire. Je la mets debout la veille et à 16h le jour dit je la remonte pour l’ouvrir.

La capsule est belle et saine. Il y a très peu de poussière sous la capsule. Le verre du goulot est extrêmement épais ce qui fait que le diamètre du bouchon est particulièrement petit. Je plante le tirebouchon limonadier pour soulever le bouchon, mais il ne relève qu’une moitié de bouchon, très noire. Je plante la longue mèche avec douceur pour ne pas enfoncer le bouchon. Il remonte sans problème et je vois que le bas du bouchon est très sain. L’intérieur du goulot n’est ni gras ni sali.

La première odeur du vin est une magnifique promesse. C’est doux, discret, mais je sens la subtilité qui ne demande qu’à éclore. Je redescends la bouteille en cave pour que le vin reste au frais et s’épanouisse lentement.

Au moment prévu pour la cuisson idéale du poulet, je vais chercher le vin en cave. Je verse et la couleur me paraît très jeune. Il y a du rouge sang et à peine un peu de tuilé. Le parfum est superbe, c’est exactement ce que je souhaitais, un bouquet tout en suggestion subtile. Ma femme sent le vin. Elle est du même avis. Ce parfum est d’une précision extrême. En bouche le vin est frais, fluide et marqué par une incroyable jeunesse. Si on disait que le vin est de 1979, on ne pourrait critiquer cet avis, alors qu’un demi-siècle le séparerait de la réalité. C’est une des caractéristiques de cette année magique, 1929.

Le finale est long et précis. Je crois qu’on peut parler de vin parfait. Si je devais faire une critique, à la marge, ce serait que le vin manque un peu de largeur, mais j’en aurai l’explication demain. La pureté du vin et sa fluidité sont impressionnantes. Son acidité subtile supporte son énergie. Le poulet est idéalement neutre pour laisser s’exprimer les finesses du vin.

N’ayant pas tout bu je remets un bouchon et laisse le vin en cuisine. Le lendemain midi, le parfum est toujours aussi parfait. Hier le vin avait été bu juste après sa remontée de cave. Là il est servi à la température de pièce et je le trouve beaucoup plus large, glorieux, accompli. Je retrouve le côté généreux du chambertin. J’étais heureux hier et je le suis aujourd’hui. Il n’a pas bougé d’un pouce par rapport à hier mais a gagné en largeur à cause de la température de service. Quel grand vin !

Pour un gâteau au chocolat j’ai sorti pour ma femme et moi une goutte du Madère 1740 ouvert il y a cinq mois et qui a encore de très beaux restes, et j’ai bu, mais après le chocolat, une goutte d’une Chartreuse jaune qui doit bien avoir plus de 40 ans. Une contre-étiquette indique qu’il faut la boire glacée. C’est ce que j’ai fait et à ma grande surprise, on ne perd pas le gras de cette liqueur inspirée.

Un champagne souvenir samedi, 25 avril 2020

Une semaine plus tard, c’est mon anniversaire. Le confinement pousse à l’audace dans les choix. En rangeant ma cave, j’ai retrouvé des demi-bouteilles de Champagne Léon Camuset 1er Cru vinifié par la coopérative de Vertus. Je dois les avoir depuis plus de trente ans et l’une d’elles me semble indiquée pour le déjeuner. Mon grand-père avait une lointaine cousine, une Camuset, à qui il commandait son champagne, régulièrement présent sur sa table. Lorsque jeune enfant je servais la messe à la chapelle où un moine, le Père Jean venait officier en collaboration avec le curé local, cette cérémonie religieuse était suivie de bombances païennes et pantagruéliques car le Père Jean venait chercher la contribution annuelle que lui offrait mon grand-père. Bons vins, large chère, alcools, cigares et des propos de table enjoués. Mon grand-père disait toujours : lorsque je sers ce champagne sans montrer l’étiquette, tout le monde l’adore. Lorsque je la montre, tout le monde boude ce champagne. J’imaginais donc que mon grand-père avait trouvé une pépite et plus tard, quand j’ai commencé à acheter du champagne, ce fut à cette lointaine cousine. Cette demi-bouteille est un vestige de cette époque.

Le bouchon vient sans aucun pschitt, il est très court et resserré dans sa partie basse, ce qui lui donne plus de trente ans. La couleur est d’un ambre affirmé et très beau. En le goûtant, je suis heureux car il offre une belle maturité et une acidité très agréable. Je me sens bien, comme avec une madeleine de Proust. Ce qui est confortable, c’est cette belle maturité avec une petite pointe gracile d’acidité. Il ne m’en faut pas plus pour que des milliers de souvenirs reviennent pour égayer ce déjeuner.

la table préparée par ma femme :

Les grands vins de Bourgogne au 19ème siècle – Livre mercredi, 22 avril 2020

Jacky Rigaux, universitaire, créateur de la dégustation géo-sensorielle et auteur de livres sur le vin, me demande d’aider à la promotion du livre d’un de ses anciens stagiaires, livre qu’il annonce comme passionnant !

Frédéric Villain avait été impressionné par le fait que Jacky Rigaux cite souvent les livres des intellectuels du XVIIIe et du XIXe et il a décidé d’en faire une forme de synthèse très réussie.

C’est publié par Terre en Vues. En voici la présentation :

Frédéric Villain, grand amateur de la Bourgogne viticole, fin dégustateur s’est passionné pour la viticulture de « hauts-lieux », cette viticulture de « climats », comme on la nomme en Bourgogne. Dans cet ouvrage, il nous livre dans une synthèse remarquable l’essentiel de ce que les auteurs du XIXe siècle nous ont légué, une mine inépuisable de recherches et de réflexions au service de cette noble cause : la défense des vins de lieux.

Pour acquérir ce livre à petit prix mais à grand contenu :

livre en souscription

Château Haut-Brion 1947 samedi, 18 avril 2020

Cela fait un mois que nous sommes en confinement. Ce jour est important pour mon épouse et moi car nous fêtons notre 54ème anniversaire de mariage. C’est l’occasion d’ouvrir une belle bouteille. Faisant l’inventaire de ma cave j’ai repéré des bouteilles qu’il faut boire vite. Je jette mon dévolu sur une bouteille de Château Haut-Brion 1947 qui est à la limite basse de la zone de « basse épaule ». La couleur vue à travers le verre de la bouteille m’avait tenté.

A 16h30 j’ouvre la bouteille. Le bouchon est très sale sur le haut, au contact de la capsule. De la poussière noire colle à la capsule. J’estime nécessaire de lever le bouchon avec la grande mèche sans passer par la phase préalable de levée au tirebouchon limonadier. Je tire extrêmement doucement et j’arrive à lever entier le bouchon. Sur trois quarts de la hauteur, le bouchon est noir, comme rongé et heureusement le bas du bouchon est d’un beau liège sain. C’est étonnant que la noirceur ait envahi aussi profondément le bouchon.

Lorsque je sens le vin, un mot s’impose dans mon cerveau : pureté. Ce parfum assez discret ne semble pas avoir été affecté par la baisse de niveau. Nous verrons.

A 20 heures, nous passons à table. Après avoir grignoté quelques chips au fromage et à l’oignon, il y aura des pastillas à l’agneau, un saint-nectaire et des crêpes au sucre. Dans le verre le parfum du vin est pur, délicat et réservé. Le premier contact montre un vin délicat, noble aérien et fluide. Il n’y a aucun signe de puissance ce qui est un peu frustrant.

Mais après quelques verres, la puissance apparaît. Il y a du charbon, de la truffe noire et cette densité propre à Haut-Brion. Et progressivement il montre du charme. C’est manifestement un vin noble, mais je ne suis pas conquis. Et je comprends pourquoi. Le vin est partage, et je n’ai pas de dialogue avec quelqu’un qui boirait le vin avec moi. Ma femme sent le vin et elle sait interpréter les parfums, mais elle ne boit pas. Les sensations sont faites pour être partagées.

Je dirais de ce vin qu’il a la pureté, la noblesse et la fluidité, mais qu’il lui manque un peu d’extravagance, de séduction et de puissance. La lie m’a réconcilié avec lui car elle donne une expression plus intense et plus intime de ce grand vin de Graves.

Histoire de bouchon jeudi, 16 avril 2020

Continuant d’inventorier la cave, je prends en main une bouteille de Vosne-Romanée Bouchard Père & Fils 1971. Le niveau est convenable mais je vois que le bouchon a baissé dans le goulot. La moitié est dans le goulot, et l’autre dans l’air lorsque la bouteille est verticale. Il est urgent d’ouvrir cette bouteille qui est en danger.

Je la remonte à la cuisine et je découpe le haut de la capsule. Le bord du goulot est sale et des morceaux de poussière sont comme cristallisés. On voit dans le goulot du vin un peu sale qui surplombe le bouchon. J’essaie de piquer le bouchon avec la pointe d’une mèche mais rien n’y fait, le bouchon plonge dans la bouteille.

Je carafe le vin et le parfum que je sens est très conforme à ce que devrait être ce 1971. Aucun défaut évident n’apparaît. Nous verrons.

Lorsque je verse le vin dans un verre, le parfum est plus lisible et je le ressens limité. En bouche l’attaque est belle, celle d’un vin large. Le milieu de bouche montre une légère acidité que le nez ne désignait pas et le finale du vin montre une petite imprécision. Le vin est manifestement buvable, mais on est loin de ce que ce vin de ce domaine devrait offrir sur le millésime 1971. Il n’y a pas de secret, quand le bouchon est malade, le vin souffre. Je n’ai pas poursuivi au-delà de trois ou quatre verres.

Le lendemain, il est intéressant de vérifier. Le vin offre un nouveau visage. Il est plus carré et a des tonalités de vin torréfié. Il n’offre aucune émotion suscitant l’intérêt. Une fois de plus on peut vérifier que l’avenir du vin est directement lié à la bonne santé de son bouchon.

Un mois de diète lundi, 13 avril 2020

Nous sommes le 13 avril, le lundi de Pâques. Le 243ème dîner était le 12 mars. J’avais décidé de faire diète et un maximum de sport. C’est ce que j’ai fait. La balance m’en a récompensé. Et en ce mois de 31 jours, j’aurai donc bu seulement quatre demi-bouteilles, dont trois de 1929 et une de 1948. Et comme j’ai utilisé ma timbale, la consommation d’alcool est infinitésimale sur cette période.

Et cela m’a donné une idée. J’ai toujours considéré que ma femme ne buvant pas, je ne boirais pas à la maison, car le vin, c’est le partage. Mais vu le nombre de bouteilles qu’il faut boire très vite car depuis de nombreuses années je ne prélevais quasiment rien dans cette cave, ça me donne envie de continuer à prélever de temps à autre une des bouteilles à risque. A suivre…

un mois !

Deux demi-bouteilles offrent une belle surprise lundi, 13 avril 2020

En continuant l’inventaire de la cave de la maison, je trouve évidemment des bouteilles dont les niveaux ont baissé mais j’ai aussi la belle surprise de voir des bouteilles très anciennes qui ont conservé un niveau dans le goulot pour les bordelaises, et à moins de quatre centimètres du bouchon pour les bourguignonnes. Pâques approche et il me paraît opportun de fêter Pâques et le confinement avec du vin.

Je remonte de cave deux demi-bouteilles qui ont des niveaux très bas ou trop bas. Je commence par ouvrir la demi-bouteille de Château Mouton-Rothschild 1948. Le niveau est sous le bas de l’épaule ce qui s’exprime dans les catalogues des maisons de ventes aux enchères par ce mot terrible « vidange ». Ce Mouton est donc « vidange ». La capsule se déchire lorsque je la découpe, car le centre est collé fortement au haut du bouchon. Le bouchon vient entier. Il est d’une qualité superbe, mais hélas, ça n’a pas suffi pour qu’il joue complètement son rôle puisqu’il y a eu trop d’évaporation.

Le parfum me rassure sur un point, il n’y a aucune trace de bouchon. Le nez est discret, mais semble indiquer que le vin n’a pas de défaut. Par précaution je remets le bouchon au-dessus du goulot pour éviter une aération trop rapide de ce vin fragile.

La demi-bouteille de Château Beychevelle 1929 a un niveau basse épaule, ce qui est beaucoup moins risqué que pour le Mouton. Le bouchon vient entier mais en trois morceaux, car au centre du goulot il y a une surépaisseur à l’intérieur du cylindre, qui bloque la montée du bouchon. Le nez est manifestement très prometteur, annonçant probablement un grand vin.

Ma femme a préparé un coquelet cuit au four et badigeonné d’une fine pellicule de miel à la truffe noire. Il sera accompagné d’un gratin de pommes de terre au parmesan. Les deux vins ont profité de trois heures d’aération, celle du Mouton étant réduite par précaution.

Le Château Beychevelle demi-bouteille 1929 a un nez discret, subtil et raffiné. En bouche, les qualités du parfum se retrouvent à l’identique. Le vin est charmeur, c’est un gentilhomme. C’est incroyable à quel point je suis sensible à sa séduction. Je me sens si bien avec lui.

Le Château Mouton-Rothschild demi-bouteille 1948 a un nez qui s’est affirmé. C’est un vin conquérant. En bouche, il est beaucoup plus affirmé, plus viril que le Beychevelle. C’est un vin puissant et riche. Si le finale est à peine imprécis, cela ne gêne pas la dégustation. Comment est-ce possible qu’un vin au niveau aussi bas, ce qui normalement le condamne, soit aussi présent et gratifiant ? La magie du vin me surprendra toujours.

Les vins sont très différents et beaucoup d’amateurs, choisiraient le plus riche, celui qui a le plus de matière. Mais je ne peux pas m’empêcher de succomber au charme tétanisant du Beychevelle et je m’observe, me demandant comment je peux être aussi énamouré pour ce vin. C’est sans doute l’effet du millésime 1929 que je porte aux nues.

Les deux vins se comportent parfaitement jusqu’en fin de bouteille. Il y a une belle lie noire pour chacun des deux. La magie de Pâques a permis que ces deux vins me ravissent, au-delà de ce que je pouvais espérer.

la couleur du Mouton est à gauche

En confinement, un beau Mouton 1929 mercredi, 8 avril 2020

Juste après le 243ème dîner, la pandémie du coronavirus devenant le seul sujet dont on cause, je décidai de me confiner avant même l’annonce qui sera faite quatre jours plus tard. Ce repli sur soi ne fut interrompu, avant l’annonce, que par les élections municipales. Cette retraite s’annonçant certainement très longue, je me suis dit que ce serait l’occasion de faire régime, ce qui impose de bannir tout grignotage, et de faire abstraction de tout vin. Le Château La Tour Blanche 1928 est donc le dernier vin que j’ai bu avant mon abstinence.

Ma sagesse nouvelle est aussi encouragée par ce que colportent les médias, que l’on abandonnerait à leur sort les personnes de plus de 75 ans. L’idée que la France abandonne ses anciens me choque au plus haut point. Un pays qui ne respecte pas ses anciens n’est pas respectable. Ma diète devenait encore plus nécessaire, si je devais combattre seul cette terrible agression virale.

Seul avec ma femme dans une grande maison entourée d’un grand jardin, du moins grand pour la proche banlieue parisienne, nous avons profité du temps estival et nous n’avons pas à nous plaindre. J’en ai profité pour commencer à inventorier la cave de la maison dont je n’avais que des bribes d’inventaire. Au 26ème jour de mon jeûne, je prends en main une caisse en bois marquée Mouton Rothschild 1980. Je regarde et que vois-je, sept demi-bouteilles de vins très anciens et un souvenir me revient. Il y a environ 35 ans j’avais acheté et j’en étais fier, quatre demi-bouteilles de Château Palmer 1900. Je les avais probablement mis dans cette caisse, car à l’époque le mode de rangement sur les supports en fer qui serpentent ne convenait qu’aux bouteilles. Il y a sans doute trente ans, j’ai voulu en goûter une. Je prends dans la caisse une demi-bouteille et, oh horreur, le vin s’était évaporé. Il ne s’agissait pas d’une baisse de niveau mais d’une véritable évaporation. Tellement triste, je n’ai pas osé regarder les autres, car une perte était déjà une trop grande tristesse.

Depuis, je ne savais pas où elles étaient stockées. Les revoilà et hélas, à des niveaux divers, aucune n’a gardé plus de la moitié de son contenu. Affreux. Dans la caisse il y a des demi-bouteilles de Château Margaux 1929. Les niveaux ne sont pas brillants, comme s’il y avait eu contagion, et l’une d’elles a un niveau sous l’épaule, mais mérite qu’on l’essaie. J’ai donc décidé de briser mon jeûne au 26ème jour, pour goûter ce Margaux 1929.

Je remonte la bouteille et j’extirpe le bouchon en beaucoup de miettes car paradoxalement, alors qu’il y avait eu une perte de volume, le bouchon est très serré dans le goulot. Une forte odeur de bouchon exhale de la demi-bouteille. Y aurait-il un retour à la vie ? En sentant plusieurs fois de suite, cela me paraît compromis. Dans mon rangement, j’avais inventorié quatre demi-bouteilles de Château Mouton-Rothschild 1929. C’est l’occasion d’en goûter une. J’ouvre cette bouteille et le bouchon vient entier. Le parfum est prometteur, d’une grande subtilité.

Ma femme a préparé du poulet. Je verse le Château Margaux demi-bouteille 1929. Le nez est affreusement bouchonné. Mais à ma grande surprise, l’attaque du vin et sa première présence en bouche n’ont aucune trace de bouchon. Le vin est rond, velouté. Ce n’est qu’en fin de bouche qu’une amertume forte rappelle le bouchon. J’ai essayé plusieurs fois de le goûter et l’absence de trace de bouchon pendant la moitié de la dégustation est vraiment surprenante. Je n’ai pas poussé plus loin l’analyse car au total le plaisir n’est pas là.

Le Château Mouton-Rothschild demi-bouteille 1929 offre un parfum beaucoup plus plaisant, noble et subtil et généreux et joyeux. En bouche le vin est moins large que le Margaux mais il a tellement de qualités que la comparaison ne peut pas aller plus loin. Ce vin a du velours, du raffinement et une présence qui rappelle tout ce que l’année 1929 à Bordeaux offre de grandeur. On sent que l’on est sur un millésime mythique. Je jouis grandement de ce noble bordeaux qui a toutes les caractéristiques d’un grand 1929. Il avait montré dans les trois premières gorgées une petite acidité dans le finale, qui a disparu dans la suite de la dégustation. Un comté de plusieurs mois d’affinage m’a permis de finir ce vin délicieux.

Le fait de compenser une tristesse par un grand vin, ce Mouton 1929 compensant la vision de quatre Palmer 1900 morts, me fait penser à une autre compensation. Lorsque j’avais cassé en cave une bouteille de Château Margaux 1900, j’avais tenu à ouvrir une bouteille d’Ausone 1919 et cet Ausone s’est montré un vin totalement exceptionnel, la plus grande émotion d’un Ausone, même au-dessus d’années légendaires.

Je vais reprendre le jeûne et l’inventaire de ma cave que j’ai sans doute trop oubliée au profit de la plus grande cave, car elle est inventoriée.

La lie du Mouton