Le lendemain, troisième jour du séjour de Sarah dans notre maison du sud, c’est un grand dîner qui s’annonce. Le vin rouge sera l’un des vins que je chéris particulièrement. Lorsque je communiquais par voie de presse, il arrivait assez souvent qu’on me demande quel vin j’emporterais avec moi si je devais vivre sur une île déserte. Et je répondais immanquablement la Côte Rôtie La Mouline Guigal 1990 car ce vin me donne l’image du vin parfait solide et indestructible, condition absolue pour qu’un vin se conserve sur une île déserte. J’ouvre la bouteille vers 16 heures et la bouteille saisie en cave avait une odeur extérieure poussiéreuse, que je ressens encore lorsque le bouchon est extirpé. Je ne suis pas en mesure de dire si cette odeur extérieure a rejailli sur le contenu. Il y a suffisamment de ‘Plans B’ en cave pour que je ne m’alarme pas.
A 18h30 il fait soif, aussi avec Sarah nous finissons le magnum de Laurent-Perrier Cuvée Grand Siècle en grignotant un gouda au pesto qui s’accorde bien au champagne, combinant épices et douceurs. Le champagne de deux jours est toujours aussi fringant, et c’est l’effet magnum.
A 19 heures j’ouvre un champagne dont l’année est sensible à Sarah, un Champagne Dom Ruinart 1973. La bouteille est d’une rare beauté. La capsule colorée est elle aussi très belle et le bouchon est sain. Le pschitt est très faible mais la bulle est active. Discrète mais active. La couleur est ambrée, plus claire que celle du Dom Pérignon 1964. En bouche, ce champagne est d’un raffinement extrême, élégant et complexe. Alors que je suis un adorateur inconditionnel de Dom Pérignon 1964, je suis obligé de dire que ce Dom Ruinart 1973 est plus précis, plus fin que le 1964.
Par mégarde j’ai ouvert une conserve d’anchois, qu’il ne faut pas associer au Ruinart. De petites sardines apparaissent et accompagnent bien le champagne. Mais l’accord naturel se trouve avec la terrine de foie gras de canard.
Le poulet de notre boucher ami est d’une tendreté incroyable et les pommes de terre cuites à l’huile et imprégnées dans le four par la cuisson du poulet qui rôtissait juste au-dessus sont diaboliquement gourmandes. Dès que je sens la Côte Rôtie La Mouline Guigal 1990 je suis pleinement rassuré, il n’y a pas l’ombre d’une poussière dans le nez affirmé de ce vin. En bouche des milliers de petites lampes s’allument dans mon cerveau, me rappelant les moments où j’ai goûté ce vin que j’adore, l’archétype du vin simple et parfait, complexe tout en étant lisible, gourmand et joyeux. Il y a des accents de garrigue dans la râpe de ce vin. Tout en lui est plein, rassurant, porteur de plaisir pur. Et l’association poulet, pomme de terre et cette Côte Rôtie serait à classer au patrimoine mondial de l’UNESCO. Pour moi, tout n’est que bonheur.
Aussi le repas pourrait s’arrêter là. Pas besoin de rouvrir le Vega Sicilia 2004 dont il reste un peu, pas besoin de Jort, car nous avons goûté le sommet de la gastronomie de simplicité.
Un sorbet au fruit de la passion et un verre d’eau nous ont fait revenir sur terre. J’adore les trois étoiles, mais de temps à autre, une telle immersion dans le plaisir pur et accessible par sa pureté est une nécessité. La Mouline 1990 est un point de passage important dans la quête du Graal.