Peu de temps après, je me rends à une invitation aux Caves Legrand où, comme on me l’a écrit, je devrais goûter quelques millésimes de Pétrus. J’entre dans la galerie Vivienne m’attendant à retrouver une poignée d’admirateurs de ce vin et je suis surpris de constater l’ampleur de la manifestation. Ce sont 160 privilégiés qui vont se partager 135 bouteilles de Pétrus ouvertes ce soir. Grandiose.
On commence à préparer le palais avec Laurent Perrier Cuvée Grand Siècle non millésimé que je trouve particulièrement bien fait. Il est même vraiment très bon, aidé aussi par le format en magnum. On se met à table devant neuf verres de dégustation encore vides. Je ne résiste pas au plaisir de citer une anecdote car elle est amusante. Je devais ce soir là faire un dîner de wine-dinners. Je l’avais prévu dans mon programme. J’avais réservé une table et je m’apprêtais à composer le groupe de convives. Arrive cette invitation pour neuf millésimes de Pétrus. J’arrête mon lancement, et j’annule la table retenue dans un grand restaurant. Qui s’assied auprès de moi ? Le directeur dudit restaurant. Il me dit : « si vous aviez fait votre dîner, j’aurais dû rester auprès de vous. Mais quand j’ai vu que vous annuliez, je n’ai plus hésité et j’ai accepté l’invitation ». Nous en avons ri.
Nous allons approcher Pétrus par trois séries de trois vins, allant des plus légers aux plus puissants. On nous verse Pétrus 1993. Couleur noire. Le nez est austère et sec. Mais c’est très vineux et géant de fruits noirs. Très étonnant que ce 1993 ait tant de densité. Il y a du raisin sec poivré. Le Pétrus 1994 a une couleur plus claire, un nez plus sec aussi. En bouche, c’est très austère et sec. Il y a du poivre très fort. Le Pétrus 1997 est plus rouge. Le nez est d’herbe et de poivre. Il est beaucoup plus boisé, amer. Son poivre apparaît progressivement. Le 1997, dès qu’il s’échauffe, devient prodigieux. Il y a des tonnes d’épices. Le 1993 se referme un peu alors qu’à la première gorgée il était plus généreux. Les trois de cette série sont des vins brillants, avec une constance de Pomerol austère, mais avec des explosions d’épices rares. Des trois, je préfère le 1997 qui me paraît plein de charme.
Le Pétrus 1999 a un premier nez sec. Mais en bouche, je pense dès la première gorgée : « ça c’est du vin ». La première série était très végétale, voire florale. Là, on sent qu’on attaque le vin. Le Pétrus 1996 a un nez contenu. Mais en bouche on sent que le vin trace la route. Il imprime en bouche une trace profonde et longue comme un hors bord lancé à vive allure. Le Pétrus 1995 est aussi austère à son apparition, puis il s’ouvre en devenant beau. C’est vraiment un beau Pétrus. Mais lequel préférer des trois ? Il n’y a pas une seule gorgée où chacun ne change d’aspect, jouant avec nos analyses. Les commentaires des amateurs à notre table sont tous différents, chacun relevant un aspect spécifique, et les vins s’amusent à compliquer encore notre dégustation par des variations impressionnantes d’une seconde à l’autre.
Jean-Claude Berrouet, l’homme qui fait les Pétrus depuis quarante ans et les connaît tous comme ses enfants prend la parole pour faire quelques commentaires explicatifs. Il appelle des questions et je me lève pour témoigner à quel point sur une trame évidemment constante du plus pur Pomerol on a des variations énormes entre les années, mais surtout des variations pour chaque vin au sein du verre, jamais deux gorgées ne se ressemblant. D’autres firent comme moi de larges remerciements. Les commentaires de grands dégustateurs montrèrent que dans Pétrus, chacun peut trouver un aspect qui lui convient, pas forcément le même.
Le Pétrus 1998 a le nez archétypal de Pétrus. Extrêmement vineux. Un Pétrus de force. C’est le plus pur Pétrus. Le Pétrus 2000 a une concentration vineuse invraisemblable. J’ai l’impression d’avoir en bouche un 1928 tant c’est velouté. Ce Pétrus là n’est presque pas du Pétrus, c’est un velours d’une puissance extrême. Je m’en ouvre à Jean-Claude Berrouet. Nous bavardons et cet homme passionnant me montre que son enthousiasme et son ouverture d’esprit sont de tous les instants. Le Pétrus 1990 au fort nez de vin me déroute un peu. J’attendais un peu plus de ce millésime grandiose. Je me fais des images : le 2000, c’est du bois de navire, le 1998, c’est la magie, car il n’y a pas l’ombre d’un défaut, et le 1990, c’est un vin d’un équilibre total.
Je m’amuse à faire un classement, sachant que si on en faisait la demande à tous les présents, on aurait des réponses extrêmement variées, comme lors de mes dîners. Je place en premier le 2000, conscient que c’est sans doute celui qui est le moins Pétrus, mais je lui vois un avenir époustouflant. Ensuite le 1998 car lui au contraire est totalement Pétrus. Puis 1990 – 1995 – 1996 – 1999 – 1997 – 1993 – 1994. Un expert mondialement connu indiqua qu’il n’avait jamais eu l’occasion que l’on serve neuf années de Pétrus dans la même soirée. Ajoutons : et avec une telle générosité dans le verre, puisqu’on pouvait disposer de nombreuses gorgées pour apprécier. Ce fut un grand événement salué par tous comme une réussite exemplaire. La constance du goût de Pétrus était là, avec de belles variations quand le climat de l’année s’en mêle.
J’ai été suivi le lendemain par l’équipe de tournage de France 2 qui avait filmé ma cave. Ils voulaient me voir en action d’achat en salle de ventes. J’ai acheté quelques Pétrus. C’est ce qu’on appelle la mémoire immédiate.