Nous allons fêter notre anniversaire de mariage. C’est ma femme qui a le choix du restaurant où nous fêterons à deux ces quatre fois treize ans de vie commune et avec une intuition dont elle a le secret elle choisit le restaurant l’Ecu de France.
Alors qu’il y a peu nous étions encore sous le régime d’un hiver frileux, le soleil vient de faire sa réapparition et nous passons sans préavis de l’hiver à l’été, aussi le choix de dîner le long de la Marne dont le niveau est redevenu presque normal est le meilleur des choix possibles. Devant nous, des canards, des oies et des hérons volent ou suivent le flot puissant du courant. Il fait beau, c’est le premier dîner de l’année en plein air.
De plus, intuition supplémentaire de ma tendre moitié, il y a sur la carte des vins du restaurant un vin de notre année de mariage, 1966.
Peter Delaboss, le chef d’origine haïtienne, sachant que nous venons, a prévu un menu spécial dont nous serons les cobayes : foie gras à l’encre de seiche, magret à l’huile de vanille / velouté de petits pois à la menthe, œuf mollet en coque de chocolat, langoustines rôties / pigeon rôti, foie gras poêlé, jus fruit de la passion, mirabelle et truffe / île flottante en coque de chocolat blanc, crème citron, glace au thym.
Je croyais avoir une petite influence sur son exubérance mais ce soir, c’est feu d’artifice. Dans l’amuse-bouche, les betteraves rouges ont un goût très fort qui masque celui du foie gras. Pour l’entrée si l’œuf mollet est pertinent, sa coque en chocolat n’est pas nécessaire. Les délicieuses langoustines avec le velouté suffiraient pour faire un joli plat. J’ai adoré le pigeon et la mirabelle a priori difficile à marier avec le pigeon et le jus au fruit de la passion s’est magnifiquement comporté. Le plat de pigeon est une merveille. L’île flottante, très généreuse était sans doute de trop.
Le Champagne Substance Jacques Selosse dégorgé en juillet 2013 a une forte personnalité. Il est joliment doré, vif, cinglant, de grande noblesse. Mais il est un peu strict et manque de joie de vivre. Il est parfait en situation de gastronomie. C’est un janséniste.
Le maître d’hôtel m’a laissé ouvrir la bouteille de Château Latour 1966 de la cave du restaurant. Hélas je n’avais pas eu l’idée de prendre mes instruments. Aussi le bouchon imbibé en son centre et qui est venu en nombreux morceaux m’a posé quelques problèmes, mais avec l’aide d’Hervé Brousse en fin de parcours, l’ouverture fut un succès. Le premier nez de ce vin est très encourageant et subtil. La couleur dans le verre est d’un rouge sang très vif et noble. En bouche, deux choses me frappent. La première est le velours délicat et raffiné de ce vin qui a conservé une belle structure. La deuxième est que ce Latour ne doit pas s’analyser. Il faut en jouir tel qu’il est, sans chercher à peser chaque composante de son goût. Et alors, on en profite.
J’ai versé un verre de ce vin à partager entre Hervé Brousse, son père et le personnel et je suis content qu’Hervé ait eu la même lecture synthétique que moi : ce Latour 1966 est grand, très vivant, dynamique et sa richesse est noble.
Le long de la Marne, pour la première soirée en plein air, dans ce beau restaurant dont la carte des vins est d’une grande intelligence, avec un chef souriant, inventif et qui fait du hors-piste, nous avons joyeusement fêté une année de mariage de plus.
Notre table
ce substance a été dégorgé le même jour que celui que j’ai servi au 224ème dîner à la Manufacture Kaviari, mais l’année n’est pas imprimée de la même façon (voir plus bas)
Le Latour sur la table
son bouchon s’est brisé en nombreux morceaux
les plats débordants de générosité