J’envisageais de faire un dîner différent de ceux développés par wine-dinners, pour un plus grand nombre de personnes que je voulais honorer. Le George V ayant une belle capacité d’accueil, avec un service irréprochable, Philippe Legendre ayant réussi tous les dîners que nous avons élaborés ensemble avec Eric Beaumard, le choix se porta naturellement sur ce bel endroit.
Quand nous avons réfléchi à l’événement que nous créerions, Philippe me dit : je pourrais vous préparer de ces volatiles que l’on mange avec les doigts en croquant les os, mais ne soyez pas plus de soixante. Ce chiffre me convenait bien, et conduisait immédiatement à l’idée générale du dîner : n’ouvrir que des impériales et uniquement de premiers grands crus classés. L’idée avait pris consistance. Philippe Legendre et Eric Beaumard pouvaient élaborer un repas de rêve. Bien sûr, comme avec Alain Senderens j’ai changé les vins une ou deux fois, ce qui est normalement assez surprenant, car il est difficile de se tromper sur des impériales, mais j’ai quand même réussi à le faire.
Je livre les vins quelques jours avant, avec d’infinies précautions tant les flacons sont rares, et j’ajoute quatre doubles magnums de Château Meyney 1967, pour le cas où il y aurait un problème sur un flacon, ou une soif mal estimée. Pour que l’événement soit une réussite, je prévois d’affecter l’après-midi aux derniers préparatifs, et je réserve une table au Cinq pour le midi du fameux dîner. Eric Beaumard est un être exquis, mais tant sollicité et aimant tant faire plaisir à tous qu’on traite un sujet avec lui en s’y reprenant à plusieurs fois. Il est tellement enthousiaste qu’on se laisse gagner par ses élans, ce qui passe très bien. J’avais prévu que l’on ouvre les impériales la veille en cave, mais, faute d’instruction, les sommeliers ont ouvert trois des quatre doubles magnums de Meyney prévus seulement par sécurité. Je ne l’ai appris que le soir même. On en verra les conséquences, forçats que nous fumes, devant finir les fonds d’impériales.