Une discussion ayant eu lieu sur un forum au sujet des bordeaux rouges de 1967, j’ai recherché ce que j’avais bu. Voici les quelques vins que j’ai bus, avec des résultats variés, des échecs comme Mouton mais des belles résussites comme Pétrus :
Les Bordeaux avaient été choisis dans un registre de discrétion. Le Ducru Beaucaillou 1969 a montré de très belles qualités, assez généreux alors que le Figeac 1967, d’une structure plus noble, gardait un peu de réserve. Pour des vins de subtilité, la truffe a réveillé le message.
le Pétrus 1967. Pétrus est « la » réussite du millésime 1967. Très caractéristique de Pétrus, avec cette concentration, cette puissance, mais aussi ce coté ascétique volontiers trop sérieux. Un grand vin porteur d’émotion par la légitimité du symbole
Le Château L’Evangile à Pomerol 1967 avait la beauté des Pomerol, la jeunesse d’un vin des années 70, et une discrétion propre à l’année 1967. Ce n’est pas un vin qui en montre trop, mais c’est un vin orthodoxe, tranquille (sans être un vin tranquille !), gentil Pomerol plein de satisfactions.
Les deux Bordeaux se complétaient à merveille. Le Palmer 1964 tout en rondeur, délicieusement séducteur, et l’Ausone 1967, plus réservé, mais dévoilant ses charmes progressivement, comme dans la danse des sept voiles. Le Palmer 1964 confirme une nouvelle fois qu’il est une réussite de cette année qu’on aurait bien tort de classer trop vite dans les années âgées. Et l’Ausone me ravit toujours par sa complexité. Mais j’aimerais bien en ouvrir un qui se défroque, qui s’encanaille, qui se dévergonde.
La sole était belle, mais son épaisseur étouffait un peu un vin grandiose : Château Margaux, 1er GCC 1967 qui est une réussite exceptionnelle. Il est beau, il est rond, il a la féminité triomphante de Margaux, et, sans qu’on ait besoin de créer de compétition, on sait qu’il rivaliserait avec les plus beaux millésimes de ce vin de légende. Imaginer qu’un Margaux de cette classe s’acoquine aussi bien avec des coques qui le dissèquent est un plaisir immense pour moi.
Sur le volatile admirablement préparé, le Meyney 1967 en double magnum s’accorde parfaitement. Le vin est en pleine forme, sans trace d’âge, il tiendra une place plutôt étonnante et flatteuse auprès des grandes vedettes qui suivent. En revenant au nez sur ce verre, on voit que le Meyney a une plénitude qui mérite le respect. Il y a deux classes de convives : ceux qui sont nés à Bordeaux (ou la région) et les autres. Les bordelais savent manger avec les doigts et croquer les os. Leurs assiettes se vident entièrement. Les autres plus timorés mangent avec couteau et fourchette et s’en tiennent à la seule esquisse de l’oiseau.
Le Pétrus servi dans des verres Riedel étale un parfum d’une concentration infinie. Chacun comprend qu’il est en face d’un chef d’oeuvre, et je crois bien que c’est le meilleur Pétrus 1967 que je n’aie jamais bu. L’accord avec le turbot est d’une délicatesse et d’une précision extrême. C’est là que l’on comprend que la cuisine et les vins sont faits pour créer des harmonies de rêve. J’ai essayé Pétrus 78 sur des rougets tout récemment, et là un 67 avec un turbot. C’est vraiment le bon chemin. La perfection de ce Pétrus 1967 a enthousiasmé toute la table.
Mouton Rothschild 1967. Vin un peu fatigué, sentant la terre à l’ouverture, qui a offert des variations énormes de goûts. Chaque fois qu’il était sur un plat, il vivait : sur de délicieuses huîtres avec de l’épinard traité en condiment, il délivre la subtilité d’un vin léger de grande race. Sur le turbot aux truffes, il devient opulent. Entre les plats, c’est un vin morose et fatigué. Puis, petit moment rare que j’apprécie, ce qui est dans le fond de la bouteille donne toute la concentration de l’intelligence de ce vin fatigué certes, mais de grand talent. Alors, éternelle question, faut-il boire ces vins à la fatigue réelle, mais qui ont de si belles lueurs ? Je suis plutôt favorable à ces essais, car les fulgurances même passagères sont dix fois plus gratifiantes que la constance monotone d’un honnête vin. Vaste sujet.
Sur la truffe entière en feuilleté, le château Meyney 1967 en double magnum était exactement ce qui convenait. Car le plat a une puissance énorme et ce Saint-Estèphe a des arguments de poids pour l’équilibrer. Très jeune encore, expressif, puissant, il a cette belle acidité qui convenait à la sauce lourde et au fumet envoûtant du beau caillou noir.
Le Château Haut-Brion 1967 est très élégant malgré des signes d’âge. Charmant, civilisé, c’est un message romantique qu’il délivre.
le Château Taillefer Puisseguin Saint-Emilion 1966 et le Château La Louvière rouge 1967 n’ont pas des trames très solides. L’âge les a ‘dentellisés’, et leur goût éphémère laisse peu d’empreinte.
Le Château Lafite Rothschild 1955 au beau niveau dans la bouteille a une très jolie robe et un nez bien dessiné. Le Château La Conseillante 1955 a un nez magique. Le Lafite est possible sur le pigeon mais c’est La Conseillante qui ramasse la mise, tant il est brillant. Il n’en va pas de même du Château Latour 1967 qui a un goût de civette selon mes voisins. Il est plutôt, tout simplement, bouchonné pour moi. Il est âcre en bouche. Le Lafite ne tourne pas à plein régime, le Latour est au ralenti avec un final qui me dérange. Seule La Conseillante offre ce qu’on peut attendre d’un grand Bordeaux d’une année que j’adore.
Le Château Léoville Poyferré 1967 est beaucoup moins détendu. Il arrive assez froid, contracté, et il faut la belle chair de la lotte aux morilles pour qu’il prenne des couleurs et devienne sociable. Il devient confortable, plaisant, sans grande complexité.
Pétrus 1967 montre sa différence. Ce vin est féminin et tout en séduction. Il y a du velouté, du discours en catimini, de la voilette qui dévoile ou de l’éventail qui envoûte. Ce pourrait être une Catherine Zeta-Jones, mais elle se tient discrète.
A gauche, c’est la joue de veau et à droite la truffe blanche d’Alba qui incendie nos narines sur son risotto. En face de la joue de veau il y a un verre de Château Gazin 1959 et en face du risotto il y a un verre de Pétrus 1967. Cela pourrait donner lieu à quatre combinaisons mais en fait, personne n’a envie d’essayer de modifier la latéralité naturelle : le Gazin est diaboliquement parfait avec la joue de veau mais surtout avec sa sauce impérieuse, et le Pétrus ayant capté le parfum de la truffe blanche comme les plantes carnivores gobent les insectes, nous sommes en présence de deux accords de fusion absolument confondants de pertinence. A chaque bouchée et à chaque gorgée je me dis : « mon Dieu, arrêtez la marche du temps et laissez-moi jouir à jamais de ces accords irréels ». Le Gazin est d’une couleur de folle jeunesse, d’un rubis goutte de sang. Son nez est pénétrant et poivré. En bouche, la précision de sa trame et sa force s’imposent face à la doucereuse langueur de la joue. Le Pétrus a une couleur un peu plus trouble et d’un rubis birman. Le nez est érotiquement féminin, annonçant des caresses insoutenables. En bouche il pianote sur des notes douces, charmeuses, et le message velouté emporte le cœur. Mille fois je suis revenu sur ces accords, trouvant à chaque fois un plaisir de plus. Ce qui m’a le plus saisi, c’est la conscience que j’avais de vivre un moment inoubliable.
Nous goûtons Château Mouton-Rothschild 1967. Après quelques minutes d’épanouissement dans le verre, ce vin ouvert deux heures avant le repas nous offre du velouté, de la grâce, et une rondeur apaisante. Mais on est loin du raffinement qu’un tel vin devrait avoir. Et on ne peut pas incriminer l’âge, car la couleur du vin est d’un beau rubis et son niveau dans la bouteille est quasiment comme au premier jour. Ce vin, tout simplement, n’a pas envie de jouer les grands.
Le Château Larcis-Ducasse 1967 casse un peu le rêve, car même s’il est agréable à boire, il est propret, sans véritable émotion.
La mauvaise bouteille du Château Mouton-Rothschild 1967 est expédiée rapidement. Sans être marqué d’un défaut définitif, le vin est suffisamment torréfié et dévié pour n’offrir aucun plaisir Il n’en est pas de même de l’autre, au nez absolument sans défaut, et porteur d’un charme certain. En bouche, ce vin offre à celui qui le goûte la possibilité de l’aimer ou de ne pas l’aimer. Si on s’arrête à de petits défauts, on ne l’aimera pas. Si on retient le fond de son message, on l’aimera. Et le vin récompensera les optimistes, car dès qu’apparaissent des chipolatas, tout s’assemble dans ce vin vraiment charmant.