En rentrant à l’hôtel après le dîner avec Jean-Nicolas Méo et son épouse, un américain assez hirsute m’accoste et me dit à quel point il est sensible à mes écrits et admiratif de mes idées sur le vin. Ayant vu mon nom sur la liste des clients de l’hôtel, il m’attendait comme les fans d’une star à la sortie d’un théâtre. Il serait heureux de me montrer quelques pépites qui sont en cave. Nous descendons par curiosité et il y a effectivement des vins de légende qui souvent peuplent mes rêves. Après une courte promenade digestive dans le froid de la ville endormie, lorsque nous rentrons, l’un de mes amis a déjà versé dans des verres Château Angélus 1990. Ce vin d’une jeunesse folle est au sommet de son art. On l’aime pour son immense plénitude. Il est jeune, dense, quasiment noir, puissant. C’est la définition du bordeaux royal. Voyant l’américain proche de nous je lui propose de goûter l’Angélus après en avoir demandé la permission à mon ami, et l’américain inconnu demande s’il peut nous ouvrir un vin. Il revient avec un Charmes-Chambertin Louis Chevallier 1949. Le nez est fantastique et me bouleverse. Le goût est fumé, de jambon fumé, mais aussi avec un abondant fruit de prune. Je tombe amoureux de ce vin d’une incomparable fraîcheur. Il apporte à l’attaque en bouche la même fraîcheur qu’un bonbon mentholé.
En passant de l’un à l’autre, on s’aperçoit qu’ils ne se détruisent pas. Les deux sont merveilleux et totalement disparates. Alors que l’Angélus m’apparaît comme un bloc indestructible je constate que le 1949 a une plus grande longueur que lui. L’Angélus est d’une pure sérénité, un bloc de marbre. Le Charmes-Chambertin d’une folle séduction féminine est une fumerie d’opium, à la sensualité suggérée et esquissée. Voilà un voyage qui démarre dans l’inattendu !