A domicile, repas de fête. En début de repas, Haut-Brion 1998 blanc. Extrême sensibilité à la température, il se présente froid, puis, quand il atteint son spectre d’excellence, quel vin ! Tout en lui est énigmatique. Des saveurs variées, complexes, insaisissables.
Il sert d’abord d’excellent apéritif, et on sait que la suite est un plat d’asperges. Le Haut-Brion se marie parfaitement avec la queue des premières asperges (surtout sans sauce), c’est à dire la partie la plus amère. Pas avec la tête plus doucereuse. Puis l’accord se fatigue et il faudra attendre le fromage et le dessert pour finir sur les tonalités si excitantes et intrigantes de ce si grand vin.
Sur un carré d’agneau aux petits légumes délicieux, presque comme les légumes divins d’Ambroisie, Mouton-Rothschild 1990. Ouvert trois heures avant, un nez magnifique, immédiat. Dans de larges verres Riedel, le Mouton apparaît à un degré de majesté invraisemblable. Je suis toujours perplexe quand des experts donnent des notes de 96, 98 ou 100 sur 100 à des vins que je connais et qui sont fort loin d’égaler certains vins sublimes que j’ai goûtés. J’ai compris que l’on donne à Montrose 1990 une belle note, il le mérite. Mais Mouton 1990 est d’une autre dimension. Ce vin est incroyablement bon. Si une note de 100 devait être décernée, ce serait à lui. Il la partagerait avec Mouton 2000 encore plus exubérant, mais ce 1990 est étonnant. Chacun d’entre nous, dans sa jeunesse, a choisi des cailloux calibrés pour faire des ricochets. Quand on en fait sept, on est heureux. A treize, on jubile. A dix-sept, cela devient irréel, comme le passage en bouche de ce Mouton, passage qui ne finit jamais. Mouton réalise dix-sept ricochets sur la langue ! Ce vin a tout pour lui, et aujourd’hui, il délivrait un message quasi impossible à atteindre. Il y a l’équilibre, il y a le fruit, il y a la bonne dose de bois, et surtout, il y a une longueur inenvisageable. L’image du ricochet est bonne : ça ne finit pas, ça rebondit, il y a des échos partout. Voilà : c’est cela l’image qui convient : une chambre à échos. Les goûts sublimes de ce vin miraculeux (mal noté par certains experts) se perpétuent à jamais. Du début à la fin de la bouteille l’impression d’une transcendance persiste. C’est un des plus grands vins que l’on puisse imaginer. C’est un cadeau du ciel. Il lui faut une viande affirmée comme ce carré d’agneau. Seule la viande lui convient.
Voilà que j’en viens à aimer les vins récents ! Je crois qu’on peut aimer les vins jeunes et les vins vieux (quand je dis vieux, c’est d’avant 1945 bien sûr), chaque famille étant appréciée pour ce qu’elle apporte.