Hide Ishizuka dit Hidé est le propriétaire du restaurant le Petit Verdot. Jean-Philippe a eu l’idée, proposée à Hidé, de faire un dîner à quatre mains. Il a privatisé le restaurant et rassemblé ses « followers », à qui il twitte ou facebookise ses aventures gastronomiques. Les deux premières mains sont celles de Yoshi Morie, le talentueux chef du Petit Verdot. Les autres mains sont celles de Davide Bisetto, le chef doublement étoilé du Casadelmar de Porto Vecchio où avec Jean-Philippe nous avons des souvenirs culinaires mémorables. Jean-Philippe m’appelle la veille. Je n’hésite pas, je viens.
L’assemblée est très jeune et très féminine. Il y a des blogueurs et des forumeurs, dont le trait commun est d’être des fines gueules. J’ai la chance d’être à côté de Jean-Philippe et des propriétaires de Casadelmar. Je tourne le dos à la minuscule cuisine où la densité de matière grise créative culinaire est extrême. On s’y presse plus que dans le métro, car en plus de l’équipe habituelle il y a Davide et son second et un autre chef de passage. Ça fourmille.
La vedette est aux plats plus qu’aux vins. Le menu composé par les deux chefs sous la supervision d’Hidé et les conseils avisés de Jean-Philippe, est : Raviolo aux foies de canard, crème de pistache de Bronte et colatura d’anchois / Moules, pesto de truffe noire et lime, glace burrata / Tartare de veau, coques et couteaux, asperges blanches des Landes / Risotto au rouget, porto et sésame noir, dés de poire / Pigeon, consommé de poularde au safran, gnocchi à la farine de châtaigne corse / Ris de veau, asperges vertes de Roques-Hautes, ail des ours / « Bicerin » : sambucca, réglisse de Calabre et café / Terrine d’agrumes, bavarois à la mangue.
Chacun des convives a abordé ce repas avec sa propre personnalité. Beaucoup ont voulu savoir quel chef est l’auteur de chaque plat. J’ai personnellement décidé de ne pas chercher à le savoir, pour ne juger que le plat lui-même. Les commentaires de chacun sont différents. Je donne les miens.
Raviolo aux foies de canard, crème de pistache de Bronte et colatura d’anchois : superbe plat d’été, car la crème est froide et rafraîchissante. Subtilité extrême de la pistache. Plat très équilibré, foie très prégnant.
Moules, pesto de truffe noire et lime, glace burrata : plat extraordinaire, le meilleur de tout le repas, à mon goût. Il faut imaginer que les moules sont taillées une par une pour enlever les barbes. La cohérence des goûts magiques et surprenants est exemplaire.
Tartare de veau, coques et couteaux, asperges blanches des Landes : les goûts individuels de chaque composant sont de grande qualité, mais un tel plat ne peut pas être l’ami des vins du fait de la diversité extrême des goûts. Mais ça se mange avec plaisir.
Risotto au rouget, porto et sésame noir, dés de poire : un plat d’une grande sensibilité. Un risotto très original, qui nécessite beaucoup d’attention pour bien le comprendre et un beau rouget.
Pigeon, consommé de poularde au safran, gnocchi à la farine de châtaigne corse : c’est ce plat qui a fait parler le plus. Car les suprêmes sont cuits à basse température, ce qui les rend fondants. Ils perdent alors de leur énergie. Davide, informé de ces remarques a dit que son intention, c’est le consommé. Il veut un consommé comme personne n’en ferait, et c’est vrai qu’il est diabolique. Dans son dessein, le pigeon n’est qu’un accessoire du consommé alors que nous lisions le plat comme si le pigeon était l’acteur principal. J’admets bien volontiers la vision de Davide car elle est originale.
Ris de veau, asperges vertes de Roques-Hautes, ail des ours : magnifique cuisson d’un ris de veau goûteux, ni trop (comme trop souvent) ni trop peu. C’est l’accompagnement qui affadit un peu le plat au lieu de le rehausser.
« Bicerin » : sambucca, réglisse de Calabre et café : géantissime dessert gourmand.
Terrine d’agrumes, bavarois à la mangue : la fraîcheur même, le dessert parfait.
Après cette expérience, je suis conquis. Même si Davide n’œuvrait pas sur son territoire et avec ses ustensiles, il nous a régalés ainsi que Yoshi avec des plats d’une grande sensibilité. Alors que leurs racines familiales et culturelles sont très différentes, ils nous ont livré une cuisine d’une très grande sensibilité. C’était comme des jazzmen quand ils font un bœuf, c’était la joie de la création.
J’allais presque oublier de parler des vins. Le Champagne Delamotte brut magnum est un agréable champagne légèrement dosé, mais il allait bien avec la crème de pistache et d’anchois.
Le Champagne Delamotte blanc de blancs magnum 2002 est un superbe champagne à l’épanouissement serein.
Le Pouilly-Fumé Indigène Pascal Jolivet 2010 a peut-être des qualités, mais il est infiniment trop jeune pour moi. On nous verse venant d’une table du premier étage un peu d’un Marestel de Dupasquier dont je n’ai pas entendu le millésime. L’impression d’un fort botrytis est assez étrange, mais le vin ne laisse pas indifférent.
Le Château Haut-Marbuzet magnum 2005 est un vin assis, aux forts tannins et joliment incisif. J’aime beaucoup ce vin qui se boit déjà très bien.
Le Château Meyney Prieuré des Couleys double magnum 1967 est absolument superbe et beaucoup seront surpris par sa jeunesse. On pouvait craindre de petits défauts liés au rebouchage par Cordier et à la faiblesse relative du millésime (celui de Hidé), mais ce vin superbe, clair dans sa définition, est une bonne leçon : il faut faire confiance à de tels vins, car ils apportent une délicatesse dans la complexité qui n’apparait qu’à ces âges.
Pour les desserts, le vin Macon Villages
Cuvée Héritage Domaine Michel et Fils 2006, vin doux aux accents de fruits exotiques est certainement ce qui convenait le mieux, si l’on reste dans les goûts des vins très jeunes.
On l’aura compris, la vedette était aux plats et l’important était la géniale juxtaposition des talents de deux grands chefs. Merci Jean-Philippe avec sa petite structure « Ici et Maintenant Conseil » qui a organisé ce quatre mains. On en redemande !