Nous invitons des amis dans notre maison du sud. Sur de fines tranches de poutargue, des gougères et un gouda au cumin, le Champagne Charles Heidsieck mis en cave en 1997 est particulièrement joyeux et accueillant. Il ne cherche aucune complexité, il parle juste. On se sent bien avec ce champagne rassurant, d’une belle jeunesse, dont le plaisir vaut bien celui qu’offrent des champagnes plus sophistiqués.
Le premier plat est une soupe aux fèves et au foie gras. Le goût est parfait pour accueillir un vin rouge. Lorsque j’avais ouvert les deux vins rouges quelques heures auparavant, l’odeur du sommet des deux bouchons non encore extirpés apparut particulièrement forte, évoquant un chai humide. L’odeur de ces deux bouchons est tellement forte que ma femme me demandera de les jeter quelques minutes plus tard, tant ils envahissaient la pièce. Sentant les deux vins au goulot, je notai comme ils sont dissemblables, le Brane-Cantenac très serein et le Monbousquet très fruité. A aucun moment je n’avais imaginé l’horrible goût de bouchon du Château Monbousquet Saint-Emilion 1982 qui apparaît quand il est servi. Ce goût ne disparaîtra pas. Les vins bouchonnés que j’ouvre sont si rares que j’en suis tout étonné.
Le Château Brane-Cantenac 1978 qui était normalement prévu pour la suite, s’harmonise bien avec le plat. Il est extrêmement serein. En le buvant, on ressent le même confort qu’avec le champagne, comme si les deux s’étaient donné le mot pour nous rassurer. Plein, riche, d’une belle jeunesse que trente ans n’ont pas entamée, ce premier bordeaux que nous buvons depuis notre arrivée dans le sud est un essai concluant. Le mot d’ordre de ce vin est au plaisir. On remarque sur la bouteille que le vin a été importé par un négociant de Buenos-Aires. Il a donc fait sa propre Vendée Globe, compétition que je suis jour après jour tant cette aventure humaine est captivante, sans que ce long voyage n’ait altéré son goût. C’est objectivement un grand vin riche, charnu, gouleyant.
Le plat principal est un gigot d’agneau de Sisteron accompagné d’une purée « à la » Robuchon. Le bordeaux s’accorde magnifiquement à la viande goûteuse. J’ouvre alors un Rimauresq Côtes de Provence rouge 1983. Sentant le haut du bouchon encore présent dans la bouteille, je constate une similitude avec les odeurs des deux autres bouchons. Ces bouteilles proviennent d’une même cave que je viens de créer dans le sud. Aurait-elle une influence ? Mes amis qui vivent dans cette belle région apprécient que cette rareté soit ouverte, car il est quasi impossible de trouver des Côtes de Provence de 25 ans. Dès la première gorgée, le vin nous donne le sourire aux lèvres. C’est un grand vin. Je préfèrerais sans doute un millésime plus jeune, car le vin s’est assagi. Mais le vin est grand, ayant perdu un peu de son fruit. Ce qu’il me plait de constater, c’est que les deux vins rouges ne se condamnent pas l’un l’autre, et aucune envie ne vient de les hiérarchiser.
Deux camemberts et une tarte Tatin permettent de finir les rouges. De longues discussions amicales parachèvent notre joie d’être ensemble.
Château Monbousquet Saint-Emilion 1982 malheureusement bouchonné
Chateau Brane-Cantenac 1978
Les voyages forment la jeunesse pour ce vin. Comment a-t-il pu revenir de Buenos-Aires pour atterrir dans ma cave ?
La délicieuse soupe de fèves au foie gras
Rimauresq 1983