Depuis le début du confinement, il y a presque six mois et demi, une de mes petites-filles est la seule de nos six petits-enfants que nous ayons reçue. Aujourd’hui enfin, c’est le premier déjeuner de famille avec ma fille cadette et ses deux enfants. C’est important que la vie familiale reprenne.
L’apéritif consiste en Cecina de Léon, Pata Negra, une rillette et une délicieuse terrine, des têtes de moines, des crackers et des amandes. Le Champagne Mumm Cuvée René Lalou magnum 1979 avait été ouvert il y a un peu plus d’une demi-heure et avait offert un pschitt significatif, même si discret. Le bouchon est d’une grande beauté, au cylindre parfait. La couleur du champagne est d’un or très clair, beaucoup plus jeune que ce que son âge offrirait normalement. Le premier mot qui vient à l’esprit est « épanoui ». Ce champagne est brillant, large, confortable et je ressens pleinement l’influence du format de la bouteille. Le format magnum donne de la largeur et de la sérénité. C’est un très grand champagne que nous buvons, gastronomique et vif, de forte personnalité. A table, le champagne accompagne la tarte aux oignons. Le caractère sucré de l’oignon convient bien au champagne qui devient plus vif.
Pour le poulet, je sers un Châteauneuf-du-Pape « Le Père Caboche » Théophile Boisson 1943. Le vin a été ouvert quatre heures avant d’être servi. Il est d’une belle couleur foncée, jeune. Son nez est très engageant et en bouche, il est d’un charme rare. Il est impossible d’imaginer qu’il a 77 ans tant il est vif et plein. C’est un vin équilibré, gourmand, riche. Un véritable plaisir. Alors qu’il est résolument rhodanien, je lui ai trouvé parfois des accents bourguignons. Il a une persistance en bouche remarquable. Il accompagne aussi un camembert et un comté d’aimable façon.
N’ayant pas de mangues disponibles, ma femme a préparé des pamplemousses roses en suprêmes. Le Château de Fargues Sauternes 1950 avait attiré mon attention car il a une couleur incroyablement foncée pour ce millésime. A l’ouverture, le vin avait offert il y a plus de cinq heures un parfum d’une rare délicatesse. La première impression est qu’il a « mangé » une partie de son sucre, mais on ressent qu’existe encore le gras qu’offre un sauternes généreux. Lorsqu’il est servi, la couleur dans le verre est d’un bel or beaucoup plus clair que sa couleur en bouteille. Le nez combine le sec et l’onctueux. En bouche c’est un régal. C’est probablement une des formes les plus abouties du sauternes car son élégance est impressionnante. Il est magnifiquement équilibré, entre le vif et le gras. Les pamplemousses roses l’excitent sans le rétrécir. C’est un régal.
Un moelleux au chocolat préparé par ma femme selon une recette de Pierre Hermé est dégusté sans vin. Les trois vins de ce repas se sont montrés au sommet de leur art. Tant mieux.