Noël va cette année se fêter en deux fois, nos enfants devant se répartir sur deux jours entre famille et belle-famille. Le sapin revêtu de boules très anciennes, dont les bougies jettent des flammes de gaieté, abrite les cadeaux pour la troisième génération. Après tous ces déballages, il faut réparer une soif avec un champagne Dom Pérignon 1975. La couleur est magiquement dorée, d’un or antique. La bulle est active dans la coupe. Et le goût de ce champagne est profond, envoûtant, impressionnant. C’est un champagne d’une grande personnalité. Comme on a du temps, on va pouvoir le confronter à de nombreuses saveurs de canapés variés et constater qu’il révèle à chaque fois des aspects nouveaux. Nous l’essayons sur un très bon Jésus ce qui l’excite bien. C’est incontestablement un champagne de grande classe.
Sur des coquilles Saint-Jacques crues au caviar, le Corton Charlemagne Bouchard Père & Fils 1997 se positionne bien : nez expressif, belle amertume sur une suffisante puissance. Mais j’ai l’intuition du Jésus. Et avec cette délicieuse charcuterie, le Corton Charlemagne prend une longueur rare. Il fuse en bouche et devient brillant. N’était cet apport typiquement lyonnais, je le trouve objectivement un peu moins bon que quand je le déguste dans la cave de Bouchard.
Le foie gras en terrine accueille Cheval Blanc 1981. Ce vin est d’une jeunesse particulière. Niveau parfait, bouchon comme d’hier, couleur noire d’encre, et des sensations envoûtantes de complexité : il change d’aspect en bouche à chaque instant. Ce n’est pas le Cheval Blanc rassurant habituel des années solides. Mais ce vin énigmatique à vastes facettes me conquiert.
Arrive alors sur une très pulpeuse volaille de Bresse une de ces surprises qui valorise tous les vins anciens : Château Petit Faurie de Soutard 1947. Très beau niveau aussi, bouchon de belle structure, nez d’ouverture rassurant, et présentation parfaite après six heures d’oxygénation. Ce qui frappe, c’est l’insolente sérénité de l’année 1947. Ce vin est simple, à l’aise, tranquille, sûr de lui. Il respire le bon vin. On sait que 1947 a fait des immenses Saint-Émilion, comme le légendaire Cheval Blanc (il y avait un petit clin d’œil de mettre un Cheval Blanc d’un coté et un Saint-Émilion 1947 de l’autre) et le magistral Clos Fourtet. Et là, ce Petit Faurie de Soutard affichait une élégance de Brumell. Très beau vin qui n’a évidemment pas la densité des plus grands vins, mais montre parfaitement la pertinence de 1947.
La crème au chocolat et caramel de mon épouse est un moment de séduction qui avait conquis Pierre Hermé, ce Satan de la pâtisserie, tant il achète facilement nos âmes avec ses saveurs diaboliques. J’eus une idée Dalinienne, transcendantale pour tout dire, de lui adjoindre une Fine Bourgogne du Domaine de la Romanée Conti 1979. Un orgasme culinaire total. Absolument redoutable. La tarte Tatin quant à elle se maria avec une ravissante bouteille (voir photo ci-dessus) que j’avais prélevée au hasard en cave : la capsule est dorée comme un beau cuivre. Le bouchon est sain, le niveau est particulièrement plein, l’étiquette passe-partout est d’une beauté ancillaire : « Grand Vin d’Origine », suivi de « Sauternes ». Et en petit : « appellation contrôlée ». Seul un lourd blason emprisonnant un puissant lion rouge toutes griffes dehors veut faire oublier l’origine roturière. Le détail qui a de l’importance, c’est l’année : 1929. Et la couleur magiquement dorée de ce Sauternes 1929, mis en bouteille en négoce ou chez un caviste, m’avait incité à retenir ce vin pour Noël.
A l’ouverture des arômes d’agrumes. En bouche, agrumes, caramel, coing, pâtes confites. Un certain manque d’ampleur. Mais un témoignage supplémentaire d’un thème d’évidence : ce qui vient de 1947 est bon, ce qui vient de 1929 est bon. De ce premier dîner de Noël j’ai préféré et de loin le Dom Pérignon 1975, suivi du Petit Faurie de Soutard 1947.