Au déjeuner du 25, le jambon pata negra se goûte sur un champagne Laurent Perrier Grand Siècle qui a au moins trente ans. Il a perdu près d’un tiers de son volume du fait d’un bouchon défaillant, et le risque est grand qu’il soit perdu. Il ne l’est pas, et l’on goûte même un fort agréable champagne à la bulle rare, mais dont le goût n’est pas dévié.
Sur des foies gras juste poêlés, j’ai pris l’habitude d’essayer des vins madérisés. Ici, c’est un Puligny-Montrachet Ph. Meunier 1949 à la couleur sans ambiguïté : il est madérisé. Comme pour le champagne, j’ai le vin de secours, mais il n’y a pas de nécessité. L’accord est agréable et le vin aussi, même s’il ne faut pas en attendre des miracles. Après les vins blessés, pris en cave pour ne pas prolonger leur agonie, viennent des vins « normaux ». Sur un poulet de Bresse farci au foie gras, le vin de l’Etoile Philippe Vandelle 1967 est un vin dont je suis amoureux fou. Blanc très pur, au message très clair, qui donne en milieu de bouche une petite touche de pâte de fruit, il frappe par sa longueur et sa définition précise. J’aime ce vin qui m’entraîne dans des saveurs non coutumières. L’accord est beau, mais j’ai prévu aussi un Château Léoville-Poyferré 1955 pour provoquer une autre sensation. Rouge assez léger, facile à vivre, très charmeur au nez, c’est un vin confortable.
La tarte Tatin accueille un vin qui va rejoindre mon Panthéon. J’ai un amour infini pour le vin de Chypre 1845. Ce Madère mis en bouteille en 1875 que je possède depuis plus de 25 ans est d’une perfection invraisemblable. Lui donner 100 points Parker serait l’insulter tant il survole tous les goûts que l’on peut imaginer. Très lourd en alcool, il évoque le café, un bois tropical, quelques traces infimes de griottes ou ananas. Sa pureté, son intégration sont touchants. Il est très différent du vin de Chypre, qui est sans doute plus précis quand le Madère est plus sensuel. Imaginer que le bouchon provient d’un arbre planté avant 1800, que le vin a été récolté quand l’automobile et l’électricité n’existaient pas, et lorsque la population mondiale excédait de peu la moitié de la population de l’Inde d’aujourd’hui est renversant. Ce vin, émouvant pour tous, est une pureté gustative inouïe, au-delà de tout ce qui peut se faire de plus grand.
Je n’ai pas pu m’empêcher de le finir le soir sur un reste de biche.
Quelle belle façon de conclure les repas de Noël.