Ma fille m’appelle et me dit de regarder TF1. Je prends avec retard le compte-rendu du fameux repas organisé par Robert Parker au Japon au budget pharaonique. Je vois avec un infini bonheur Joël Robuchon dans ses cuisines, donnant ici des conseils, des ordres et contrôlant là la beauté d’un plat. C’est le vrai Robuchon, celui que je considère comme le Dalaï Lama de la cuisine, le Dieu vivant. Et la suite du reportage me montre une succession d’erreurs commises non pas sur la nourriture mais sur les vins, que mon cerveau va sans doute d’autant plus détecter que je n’y étais pas.
D’abord il y a vingt convives, ce qui est une erreur pour des vins de ce niveau. Il y avait deux bouteilles de Margaux 1900. L’une est déclarée morte par Joël Robuchon, j’y reviendrai. Que va-t-on faire de la seule conservée ? Donner un demi verre à chaque convive ? Quelle frustration. La vérité est dans une table de dix, chacun des convives participant à la même aventure. Lorsque l’on ouvre une bouteille de Latour 1934, tout le monde boit Latour 1934. Lorsque l’on ouvre deux bouteilles de Latour 1934, plus personne ne boit Latour 1934. Chacun essaie de savoir comment est « l’autre » Latour 1934. On n’imagine pas à quel point ce détail change le plaisir de la dégustation. La deuxième erreur est d’avoir ouvert les bouteilles au dernier moment. Le vin n’aura pas profité de l’oxygénation salvatrice. On aura noté sur Envoyé Spécial que les bouteilles de 1865 ont été ouvertes deux heures avant. Mais Bernard Hervet nous dit : « buvez lentement, car en une heure le vin va encore s’améliorer dans le verre ». Ce qui justifie pleinement ma méthode d’ouvrir quatre heures avant et de gérer l’oxygénation des vins, car deux heures d’ouverture de plus auraient donné instantanément dans le verre la perfection recherchée par la maison Bouchard. La troisième erreur est la façon dont les vins furent ouverts. On voit une bouteille verticale d’où s’extrait un tirebouchon ordinaire de sommelier avec des lambeaux de bouchon. Méthode mauvaise. La quatrième erreur, c’est que Joël Robuchon sent la bouteille qui vient juste d’être ouverte. Elle pue forcément, et sans attendre l’oxygène qui l’eût ressuscité, Joël Robuchon qui en goûte une infime gorgée la déclare morte. J’ai failli m’évanouir, car cette bouteille vient très probablement rejoindre le contingent des bouteilles injustement condamnées. Mon « Dieu vivant » a forcément un nez que je respecte et son jugement est peut-être bon. Mais j’ai trop souvent constaté que des odeurs putrides précèdent de vraies perfections pour que ce jugement abrupt me paraisse inutilement rapide. La cinquième erreur est d’avoir carafé les vins, ce qui casse leur structure intime. Et quand j’ai vu une femme dont le sous-titre annonce « professeur d’œnologie » remuer le vin dans son verre, je me suis dit : « la messe est dite ». Tout est juste au plan culinaire. C’est faux au chapitre des vins, sur ce que j’en ai vu, malgré la compétence extrême des organisateurs.
Je suis persuadé que ce repas aura comblé les participants. Mais de même que j’admire le perfectionnisme exigeant de Joël Robuchon en matière culinaire, on comprendra qu’avec le même souci de la perfection, centre de ma démarche, je réagisse quand on s’écarte des voies indispensables pour la mise en valeur de ces trésors de l’histoire œnologique. Cela donne encore plus de motifs de créer cette Académie des Vins Anciens. On a peut-être jeté à tort une Margaux 1900. On a utilisé des méthodes inadéquates. Il est temps d’agir.