Jean Philippe Durand, notre médecin cuistot de compétition a concocté pour quelques amis, ma femme et moi, un voyage gastronomique marathon à Copenhague, la nouvelle Mecque de la grande cuisine. Nous arrivons par un beau soleil un peu frais dans cette belle capitale et la circulation fluide dans des avenues larges est un bain de jouvence par rapport à la maladie qui étrangle Paris de rétrécir les plus belles avenues par des constructions destinées à éradiquer la race automobile.
Le Radisson Blu Royal hôtel est une chef d’œuvre d’un art moderne dont je ne suis pas forcément le plus friand. Notre chambre domine le Tivoli où des gens s’envoient dans les airs pour des sensations folles. Nous nous promenons dans les rues piétonnes des alentours où une foule extrêmement jeune grouille, car c’est carnaval ou festival. Les jeunes femmes blondes sont en short et s’exhibent naturellement, parfois maquillées comme pour des films d’horreur. Tout ce jeune monde marche une bière à la main ou s’assied sur les pavés proches des fontaines et profite du soleil du début juin. Nous allons prendre une bière et des frites dans un pub irlandais puis le moment venu, nous nous rendons au restaurant Relae un peu excentré dans un immeuble ancien. La décoration est minimaliste mais agréable, deux jeunes musiciens jouent une musique d’ambiance confortable. Le personnel est jeune et motivé. Notre sommelier est un chantre du mouvement bio, aussi tout ce que nous boirons se doit d’être militant. Mais son approche est compétente et ouverte. Notre serveuse parle un français parfait car elle a fait l’école d’hôtellerie de Lausanne. Un détail amusant : il n’y a aucun couvert sur la table. Chacun se sert dans un petit tiroir coulissant sous le plateau de la table, comme on prend des porteplumes dans un plumier.
Le menu unique est celui-ci : white asparagus and anchovies / bake bintje, olives and buttermilk / organic pork, salad and unripe fruit / rhubarb compote, almond and moscatel. C’est une cuisine en recherche, militante, active, exploratrice, qui peut faire sourire mais pose aussi des questions. Si le premier plat est une ébauche mais très suggestive, car l’anchois est diablement tentant et l’asperge croquante, si le deuxième plat interpelle avec son babeurre, le porc est d’une réussite absolue, valant à lui tout seul le voyage. Car les saveurs sont dosées pour interpeler, interroger nos sens. La cuisson basse température apporte de la tendreté au cou de porc, l’usage de pêches vertes et de romaine à peine cuite à la vapeur crée des sensations que j’adore. Le dessert est aussi une gentille énigme, car la glace au lait avec du vinaigre déroutante au début appelle la rhubarbe pour un bel accord. Dans une ambiance jeune et attentive, nous nous sommes régalés, car nous avons été entraînés dans du hors piste. Dans la carte aux vins majoritairement ciblés bio, nous avons choisi le Champagne Terre de vertus, chardonnay premier cru Larmandier Bernier sans année. C’est pour moi une déception, car la bulle est manifestement trop grosse, ce qui rend l’attaque pesante et le final est trop maigre, le vin s’arrêtant tout de suite. La matière n’est pas critiquable, mais le produit fini n’apporte aucune valeur ajoutée aux plats qu’il accompagne.
Par un hasard inattendu comme tous les hasards, un groupe d’une quinzaine de personnes vient s’installer dans la salle. Ils sont tous français et l’un me dit : « vous êtes bien François Audouze ». Il promène un groupe de journalistes pour une tournée des meilleurs restaurants et nous constatons que nous ferons les mêmes étapes, soit de façon décalée, soit comme demain et aujourd’hui à la même adresse. Et grâce à cette rencontre, nous allons bénéficier de quelques compléments à notre champagne.
Un champagne brut Christophe Mignon en pinot meunier sans année dont la bulle extrêmement fine me ravit a la joie d’un vrai champagne. Un Chenin blanc d’Anjou Navine les griottes 2006 a une couleur de vin de plus de vingt ans. Il y a même un dépôt imposant qui surnage. C’est un exercice de style assez troublant et le vin ressemblant à un vieux vin me plait. Un « panier de fruits » J.F. Chéné à Beaulieu sur Layon 2008 qui titre 13,5° est perlant, ambré comme un vieux vin et ressemble à un vieux vin jaune qui aurait fauté avec un vin pétillant. Tout cela, c’est de l’exercice de style de vignerons militants à qui je souhaite plein succès si leur profession de foi les conduits vers des vins plus accessibles et moins éphémères. Grâce à tous ces verres nous avons pu mesurer que la recherche de ce restaurant est passionnante. En cuisine comme dans les choix de vins on veut de l’authenticité et de la pureté. Voici une adresse à l’ambiance très sympathique qu’il faudra suivre dans le temps.