Départ pour le Sud pour faire le réveillon de fin d’année en petit comité à quatre. Comme les bouteilles vont voyager, on fera un réveillon de vins jeunes, occasion de choisir des vins de vignerons amis. Je le raconte au bulletin 127. Les vins que l’on boit avant sont un échauffement. Il faut se préparer la bouche.
Le champagne Pommery 1987 m’avait déjà largement séduit par une prestation très au dessus de ce que l’on attendrait (bulletin 117). Mais à ce point, cela chavire. La couleur est d’un or discret d’une élégance extrême. J’ai rarement vu couleur plus belle. La bulle est fine et active, l’odeur est capiteuse, suffisamment intense. En bouche on a un vrai champagne de plaisir, procurant la jouissance que doit créer un bon champagne : cela crisse dans la gorge comme le patin à glace quand le double lutz est réussi. La comparaison est intéressante avec le Krug Grande Cuvée non millésimés des années 85/90. La couleur est moins belle, elle tend vers un léger gris. La bulle a la même vivacité gracile. L’odeur est infiniment plus profonde, pénétrante, entêtante. Et en bouche quel intérêt de comparaison ! Le Pommery, c’est du vrai champagne de séduction. Le Krug, c’est la marche de la Brigade légère, c’est du vin, c’est puissant, mais avec un pouvoir de conviction étonnant. Inutile de juger l’un par rapport à l’autre : on est dans deux mondes différents. Une fois de plus je constate que je préfère le Krug Grande Cuvée d’une quinzaine d’années à beaucoup de Krug millésimés.
Quand le lendemain, sur un foie gras réussi à la perfection on ouvre Charles Heidsieck mis en cave en 1996, champagne agréable de bonne soif, on comprend encore mieux combien le Pommery avait accompli une prouesse. Le programme de préparation pré-sylvestrin de nos papilles comportait un Château Lafite-Rothschild 1981. Je n’arriverai jamais à me blaser quand des vins comme celui-ci se comportent tant au dessus de ce que les archives racontent. Voilà un vin de niveau dans le goulot, d’une couleur noire de pure jeunesse, au nez discret mais bien né, qui délivre en bouche un tannin bien appuyé et bien élevé, une belle puissance, de la jeunesse dans tous les compartiments du jeu, et qui tapisse la bouche de plaisir. Un vin de race, un pur Lafite, et, même s’il n’y a pas la jovialité des plus belles années, il y a une prestation remarquable en tous points. On est loin de ce qui se dit ou se pense de cette année qu’un Cheval Blanc et un Lafite viennent d’adouber.
Je suis triste quand j’ouvre des champagnes encore jeunes de voir les bouchons qui se sont rétractés de façon anormale. Les bouchons du Krug et du Pommery étaient recroquevillés comme des momies égyptiennes de quatre mille ans. Je sais que les chercheurs des maisons de champagne travaillent sur ce sujet. Mais il n’est pas concevable que des champagnes de moins de 20 ans aient de tels bouchons. Je reviendrai sur ce sujet car il est fondamental pour la longévité des vins.