J’ouvre les vins du premier dîner. Le meursault a un nez d’une rare richesse. Le Haut-Brion 1989 a le nez d’un vin de 2005, tant les tannins explosent dans les narines. La Romanée Saint-Vivant a un parfum d’une rare sensualité, et le Rayas 1988 a un parfum impérial tandis que le Filhot se distingue par une puissance inhabituelle de beaux agrumes.
L’heure du dîner arrive. Les plats seront indissociables des vins, tant les accords auront été exceptionnels. Le Meursault Perrières Jacques Prieur 1995 est d’un parfum plus riche que ce qu’on attendrait. En bouche, on sent des tas de choses, de la minéralité, du fruit, de la noix qui fait écho à celle de la coquille et c’est le praliné de la sauce qui crée un trait d’union irréel entre le vin et le plat. Le vin est très solide, à maturité, et gardera sa grandeur dans le verre tout au long du repas quand on se plait à le sentir à nouveau.
Jean-Philippe n’a pas pour habitude de manger les coraux des coquilles et je ne comprends pas pourquoi ces organes sexuels ne sont jamais cuisinés par les chefs. Lorsque j’ai vu l’assiette où ils étaient écartés, j’ai dit à Jean-Philippe qu’il fallait les poêler pour le Haut-Brion 1989. Jean-Philippe a eu l’intelligence de leur adjoindre trois épices qui ont donné à ces chairs une vibration qui a créé avec le Château Haut-Brion 1989 à un accord d’anthologie. Cet accord est pour moi une récompense que je pourrais résumer ainsi : « j’ai osé, Jean-Philippe l’a fait ». Le vin est une folie. Son parfum est celui d’un vin outrageusement jeune. On dirait celui d’un 2005. Ses tannins sont jeunes, ce qui est une folie. En bouche, il envahit le palais de façon conquérante. Sa richesse, sa force, sa profondeur sont impressionnantes. On le voit bâti pour l’éternité, comme un 1961 ou comme un 1945. On sent que l’on est en présence d’un vin grandiose, pas facile à maîtriser, mais qui en impose. La vibration du corail est immense. Ses tannins, sa mâche, sa richesse sont impressionnantes.
Et l’on prend conscience de la pertinence de l’accord précédent, car le boudin blanc à la truffe donne du Haut-Brion une perception radicalement différente. Le vin devient soyeux, délicat, d’un charme inouï mais sans faiblesse langoureuse. Il est velouté tout en gardant sa force. La cohabitation avec le boudin n’est, sur le papier, pas évidente, mais l’aspect velouté du vin montre la pertinence.
Après ce fantastique bordeaux, lorsque je goûte avant le plat la Romanée Saint-Vivant Jean-Jacques Confuron 1997, j’ai un petit mouvement de recul, car son acidité est assez prononcée. Mais lorsque le plat arrive, le rehaussement du vin par l’accord est confondant. Si l’on prend avec une cuiller la sauce à l’hibiscus et si l’on boit le vin ensuite, on est incapable de savoir lequel est lequel, et l’on mesure à quel point cette sauce diabolique inventée par Jean Philippe est pertinente. Ce vin est probablement le plus faible des vins du dîner, mais c’est celui qui a suscité avec la sauce l’accord de loin le plus transcendant.
Lorsque je goûte le Château Rayas Chateauneuf-du-Pape 1988 je reste sans voix. Et quand mes amis portent ce vin à leurs lèvres, c’est le même silence qui se fait. Ce vin est dans un état de perfection confondant. Il est extrêmement difficile à décrire tant il est complexe. Il est follement bourguignon, mais il a de la puissance en plus. On peut trouver des aspects de vieille rose, de fumé, mais aussi du fruit et de la cerise. Il est envoûtant, car il séduit sans être saisissable. Chaque gorgée est époustouflante. En faisant appel à ma mémoire, je pense que ce 1988 est plus grand que le Rayas 1978 légendaire.
Sur l’Aizy cendré, nous revenons à la Romanée Saint-Vivant qui trouve une vibration nouvelle, pour le camembert truffé, c’est le Rayas qui s’impose, et sur un stilton absolument parfait, le Château Filhot 1975 montre à quel point il est exceptionnel. Il est doré, d’un ambre déjà prononcé, son nez est riche d’agrumes intenses, et en bouche il est « the right man in the right place ». Il joue juste, sans être tonitruant et je l’aime pour cela. La Tarte Tatin, du fait du caramel, ne convient pas au Filhot.
Arrivé à la fin de ce voyage nous nous demandons si un réveillon est utile, puisque nous avons eu un dîner miraculeux. Nous avons vécu des accords irréels et profité de vins immenses. Mon classement serait, pour ce soir : 1 – Château Haut-Brion 1989, 2 – Château Rayas Chateauneuf-du-Pape 1988, 3 – Meursault Perrières Jacques Prieur 1995 ex aequo avec le Champagne Pol Roger Cuvée Winston Churchill 1996.
Allant contempler les étoiles d’une nuit au ciel clair, nous savons que nous avons partagé un immense moment et bu d’immenses vins sur des accords d’une rare sensibilité.
les vins de ce dîner (le Cristal rosé 2000 a été changé au profit du Filhot 1975)
de la truffe, il y en a !!!
la sauce de l’assiette centrale imite la forme de la fleur d’hibiscus
le stilton est d’une qualité exceptionnelle
la dream team de cette fin 2011