Heureux d’être au bord de mer, j’ai pris dans mon réfrigérateur une bouteille à la tête sympathique. Je sais que c’est Salon, mais je ne sais pas l’année, car le papier qui enveloppait la bouteille s’est collé sur l’étiquette, cachant l’année. J’ouvre la bouteille, et le bouchon m’indique 1980. Comme il n’y a jamais eu de 1980 en Salon, je suis le seul au monde à boire Salon 1980. Je demande à ma femme de contrôler et elle me dit avec certitude : 1980. En fait, il y a des striures verticales qui ont fermé un 3 écrasé et le champagne est Salon 1983.
La couleur est déjà d’un ambre délicat. C’est encore jaune, mais coloré de thé. La bulle n’est pas explosive, mais elle a la densité que j’aime : ça picote délicieusement. En bouche, on entre dans le monde de l’étrange. Le vin est fumé. Il n’y a quasiment pas de fruit. Et tout est étrange. Je ne reconnais pas Salon. Le champagne est dévié, c’est sûr, mais il mérite l’intérêt. Et c’est maintenant qu’une disposition d’esprit va intervenir : quand on est ‘embarqué’ avec un vin dévié, soit on l’ignore, soit on va chercher ce qu’il pourrait raconter.
C’est un champagne à la bulle polie, au piquant joli agrémenté d’un poivre fort, qui ressemble à du thé au poivre. Il y a un peu de bois d’un navire du 17ème siècle, mariné dans des mers hostiles, mais surtout ce thé poivré. Sur un délicieux foie gras, le champagne fait bonne figure, car son poivre picote le foie gras.
Ce qui est prévu ensuite, car aucun vin n’était au programme, c’est une laitue avec quelques câpres. L’association Salon 1983 et câpre, ça arrache. Ça me fait penser aux Tontons Flingueurs, et à la grande Lulu, car ça arrache, et tout d’un coup, le poivre de l’un et le vinaigre de l’autre se confondent dans une sensation violente. Et j’adore.
Comme je voulais voir jusqu’où irait ce Salon, je l’ai essayé sur des abricots peu mûrs, espérant que l’acidité des jeunes abricots piquerait le Salon, mais ils ne se causent pas.
En revanche, une pêche blanche à peine mûre a provoqué un déclic dans le Salon, car dans l’ADN de Salon, il y a de la pêche blanche. Et là, j’ai aimé.
Au bout du compte, Salon 1983 est l’un des plus faibles Salon qui existent, mais c’est Salon, et avec l’âge, qui ne l’a pas vraiment arrangé, j’ai voulu l’aimer, et il me suffit de quelques bribes d’amour de sa part pour que je sois heureux. Un vin peut être aimable quand on a envie de l’aimer. Et les circonstances, comme aujourd’hui une journée proche de la mer ou en mer, influent sur ma capacité à aimer.