Steve m’avait dit que le lendemain de notre magnifique dîner, il y aurait juste une petite collation en cercle élargi, d’une quinzaine de personnes. Steve avait suggéré que nous apportions des magnums. J’avais prévu un magnum de l’Hermitage la Chapelle Jaboulet 1990. Il ne put venir du fait de mes problèmes de douanes. Steve a fourni mon vin : un magnum de Vosne-Romanée Cros Parantoux Henri Jayer 1997.
Nous nous dirigeons vers le restaurant Acquerello, un restaurant italien qui m’a étonné par la pertinence de chacun de ses plats. L’apéritif est debout, avec des hors d’œuvre : Pate Campagnola on crostini / Arancini di riso / roasted peppers with tuna ‘tonnato’ / Grilled prawns scented with citrus. Ils nous sont servis sur un champagne Veuve Clicquot en magnum 1979 qui est manifestement bon, mais s’arrête au seuil de la zone où il pourrait donner de l’émotion. Il est bien fait, mais seulement bien fait. Au contraire, le Champagne Bollinger R.D. en magnum 1988, lui aussi bien structuré, crée des vibrations. ‘Ça pulse’ comme on dirait aujourd’hui. L’un comme l’autre les deux champagnes évoquent le miel.
Nous passons à table et Steve m’indique la place d’honneur au centre de la grande table de quinze convives. Le menu realisé par la chef Suzette Gresham-Tognetti est rédigé dans un mix d’anglo-italien : pan seared scallops, corn fritter, baby fennel and tarragon / lobster panzerotti in a lobster brodo with “Diavolicchio’ / risotto with wild mushrooms / home made ‘tajarin’ with fresh white truffles / scared lamb loin caponata and cornmeal cake / seared breast of squab with herbed faro and prosciutto basket / American Kobe beef with Piemontese ‘dragon beans’, tomato soffritto and basil / basil gelato roasted strawberries and pistachio praline / peach tart with Italian triple cream.
Nous commençons par le Château Haut-Brion blanc en magnum 1985. Ce vin est très grand. Ce qui m’intéresse le plus, c’est que ce vin est dans une période charnière entre la belle jeunesse et le début d’une maturité. Sa palette de goûts est très colorée. L’accord avec la Saint-Jacques est fabuleux. C’est un vin de plaisir, excitant par sa trace fumée que capte le coquillage.
Le Montrachet Bouchard Père & Fils en magnum 1996 a tous les atouts d’un Montrachet avec une complexité minérale prononcée. Mais je trouve qu’il exprime plus le style Bouchard que le style Montrachet. Le Montrachet Louis Latour 1995 est fantastique. Il combine le goût d’un grand vin avec le goût d’un vin vieux alors qu’il ne l’est pas. Je suis très enthousiaste de cette duplicité. Le 1995 est fumé, miel, acacia. C’est un trésor. Le Louis Latour est beaucoup plus évolué que le Bouchard, et selon les convives, les préférences iront pour l’un ou pour l’autre. J’aurais tendance à préférer le Bouchard que je trouve le plus authentique. Mais le plat de homard est tellement en osmose avec le Louis Latour que je finis par préférer celui-là.
Nous goûtons maintenant deux Barolos : un Barolo Palladino en magnum 2003 qui titre 13,5° et un Barolo Bricco Rocche 1982 qui titre 13°. Les deux nez sont très proches, le 2003 étant évidemment plus jeune. Le 2003 est astringent mais très riche. Il est puissant et riche comme un vin de plaisir. Le 1982 est très poivré, plus astringent encore, moins généreux, tourné vers le café. Avec le risotto de champignons, le 2003 s’exprime mieux et exacerbe son poivre. Le plat à la truffe blanche est à se damner. Une perfection absolue. Et les deux Barolos brillent. Mais c’est le 2003 qui se marie le mieux. Et par un fait étrange, quand le plat est enlevé, le 2003 a le goût de la truffe blanche, alors que le 1982 l’a déjà oubliée. Le plat est extraordinaire.
Le Château Figeac en magnum 1982 a un léger problème de bouchon qui va entraver sa prestation. Le Château Trotanoy en magnum 1970 a de l’ampleur. C’est un vin opulent. Il a une structure lourde et puissante que la douceur de l’agneau va apprivoiser. Sa jeunesse est impressionnante.
Le Vosne–Romanée Cros Parantoux Henri Jayer en magnum 1997 est très sauvage. C’est un vin de grande pureté, sans aucune concession. Le nez du Bonnes-Mares, domaine de Voguë en magnum 1988 est plus plaisant. En bouche la trace est plus bourguignonne, même si elle est moins pure que celle du 1997. Il évoque le café, le poivron dans un registre très bourguignon.
Le Bonnes-Mares, domaine de Voguë en magnum 1990 est d’une maturité tranquille. C’est très difficile de juger et hiérarchiser ces trois vins dissemblables, mais mes préférences sont : 1997, 1988 et 1990, même si ce dernier a très probablement le plus bel avenir.
Le Corton Clos du Roy Camille Giroud 1976 est délicieux sur le bœuf de Kobe. On pourrait presque dire qu’il est hermitagé tant il est joyeux. Il est généreux mais très simple, bien adapté à la viande riche.
On me demande de donner mes préférences et ce serait : 1 – Vosne–Romanée Cros Parantoux Henri Jayer en magnum 1997, 2 – Château Trotanoy en magnum 1970, 3 – Montrachet Louis Latour 1995. J’explique bien en annonçant mon vote qu’il est influencé par mes sensibilités sur certains thèmes de pureté et d’authenticité que d’autres amateurs peuvent de pas ressentir avec la même intensité. Mon vote est très généralement approuvé. Le Bonnes-Mares, domaine de Voguë en magnum 1988 continue de s’améliorer dans le verre et me plait beaucoup tandis que le Montrachet Bouchard montre une tenue remarquable.
La précision des plats est spectaculaire. Il est rare que le goût principal soit aussi bien mis en valeur et non pas détourné par les clins d’œil excessifs d’ingrédients parasites. Nous avons remarquablement mangé. Les vins ont été d’un niveau qualitatif exemplaire. La fatigue commençait à se montrer, cat tant de vins en deux jours ou même trois jours, c’est humainement difficile.
Il y avait hier et aujourd’hui l’un des copropriétaires de « French Laundry », le plus réputé des restaurants de la Napa Valley. Il m’a proposé d’y aller dîner demain. Pourvu qu’à son réveil il ait oublié sa proposition !