Avec un couple d’amis américano-canadiens, je vais déjeuner dans un restaurant qu’ils ont choisi et que je ne connais pas. Il me sera possible d’apporter des vins, ce point ayant été arrangé par mon ami. Le restaurant Archeste (prononcer comme Archestrate et non comme archet) est ouvert depuis peu par le chef Yoshiaki Ito qui a travaillé au restaurant Hiramatsu, à L’Arpège et dans d’autres restaurants français. Le directeur de salle est Benoît Vayssade que j’ai connu à Hiramatsu.
Ayant l’habitude de venir tôt pour ouvrir mes vins, j’entre dans le restaurant dont la porte s’ouvre. Il n’y a personne et quand la serveuse japonaise me voit, elle a peur comme si j’étais un intrus. J’essaie d’expliquer pourquoi je suis là mais sa peur ne diminuera pas de sitôt. Benoît me reconnaissant l’apaise. J’ouvre mes deux vins et les senteurs bourguignonnes intenses me ravissent. J’ai le temps d’étudier la carte des vins qui est encore peu étoffée mais comporte quelques beaux vins à des prix raisonnables. Ayant une petite soif, je prends au verre un Champagne J. L. Vergnon Conversation Extra Brut Blanc de Blancs sans année. Benoît me dit que c’est une suggestion de Hidé, le propriétaire du Petit Verdot et ancien d’Hiramatsu. Le champagne est agréable, d’un beau fruit, un peu vert, mais on s’y habitue et le plaisir domine. C’est un beau champagne précis de Mesnil-sur-Oger. Mes amis prendront aussi un verre de cet agréable champagne sur lequel nous trinquerons.
Le menu n’est pas imprimé mais chaque plat est très bien expliqué par Benoît : Beignet de haricots violets et anchois de Guétary / Velouté de potiron et potimarron, cappuccino de moka infusé au foin, dés de foie gras / Bonite de Saint-Jean-de-Luz, betterave et trilogie de radis d’Annie Bertin, poutargue / Saint Pierre de l’île d’Yeu, roquette shungiku et épinards, sauce émulsion de livèche et huile de livèche, cèpes des Vosges / Gigot d’agneau de Lozère, chou pointu, girolles et pleurotes jaunes, jus de viande / Crème au yuzu, figue verte et granité de fromage blanc au yuzu / Crème de châtaigne, glace au thé noir grillé, mascarpone et meringue, copeaux de noisettes du Piémont / Mignardises : Cannelé et truffe au chocolat parfumé au thé Assam.
Les japonais se sont approprié la cuisine française et lui apportent délicatesse, subtilité, cohérence et raffinement. Tout est équilibré dans ce repas.
J’ai commandé de la carte des vins un Riesling Clos Sainte Hune Trimbach 2008. Ce vin est la perfection cristalline du riesling. C’est un vin « évident ». Il joue tellement juste qu’il paraît intemporel. Il est parfait sur la bonite à laquelle la betterave n’apporte pas de réel avantage contrairement aux radis. Mais la mode « terre et mer » est tenace. Ce vin combine une acidité très contrôlée avec un gouleyant gourmand.
Les deux bourgognes que j’ai apportés sont Le Corton Domaine du Château de Beaune demi-bouteille 1966 et un Chambolle-Musigny Joseph Drouhin 1959. Les deux bouteilles ont des niveaux à deux centimètres sous le bouchon ce qui est parfait pour des vins de cinquante ans et plus. Le nez du Corton respire la Bourgogne. On a l’impression d’être en cave. Le nez du Chambolle a une minuscule pointe de bouchon que l’on ne retrouve pas dans le milieu de bouche et seulement un peu en fin de bouche. Avec les plats, cela n’est pas marquant et va même complètement disparaître pour la deuxième moitié de la bouteille.
Le Corton est brillant, combinant amertume, râpe et velours, un velours très doux. C’est la Bourgogne triomphante. Le Chambolle est aussi plaisant mais moins noble, mais surpassera le Corton en fin de bouteille, quand le très léger bouchon aura complètement disparu. Sur le Saint-Pierre les deux bourgognes créent un meilleur accord que le Clos Sainte Hune, trop fort pour le poisson. La prestation du 1966 est éblouissante pour une demi-bouteille. Les deux vins apportent l’âme de la Bourgogne avec des complexités qui n’apparaissent que dans les vins anciens.
Le chef a un incontestable talent et tous les plats sont tellement équilibrés qu’il est difficile de dire que l’on a préféré un plat à un autre. Tout est bon, raffiné, serein. S’il fallait désigner un gagnant, ce serait le beignet d haricot avec l’anchois, dont le croquant est d’une exactitude absolue.
La décoration du lieu est réussie, Benoît fait un service de qualité. Comme au restaurant Pages la femme du chef est présente. Celle de Yoshiaki attend un heureux événement comme la femme de Teshi il y a deux ans. La cuisine française des chefs japonais est brillante. Ce fut un très beau repas.